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HISTOIRE
LITTÉRAIRE
DU MAINE
LE MANS. — IMP. DE JULIEN, LANIER ET C°
HISTOIRE
DU MAINE
BARTHÉLEMY HAURÉAU
TOME TROISIÈME
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PARIS
JULIEN, LANIER ET C°, ÉDITEURS
4, RUE DE BUSSY
Imprimeurs-Libraires au Mans
1852
UINTOIRE LITTERAIRE
DU MAINE.
BAYF (LAZARE DE).
Les sieurs de Bayf, famille ancienne d'Anjou, ha-
bitaient le château des Pins, près la Flèche , et pos-
sédaient, au Maine, les terres seigneuriales de Verneil-
le-Chétif et de Mangé. Ils portaient de gueules à deux
léopards d'argent l'un sur l'autre, en chef de
même (1). |
Fils de Jean de Bayf, qui s'était signalé sous es ar-
mes, « magni nominis equite (2) » et de noble dame
Marguerite Chasteignier de la Roche-Posay (3), LAZARE
DE BAYF nait aux Pins, vers l’année 1490. Il em-
brasse d’abord, dit-on, l’état ecclésiastique. Il vient
ensuite à Paris, où nous le voyons, âgé de vingt ans
{1) M. Cauvin, Essai sur l’Armorial du diocèse du Mans.
(2) Elogia Scæœvolæ Sammarthani. :
(3) Ménage, Remarques sur 1a vie de Guil. Ménage, pag. 193. .
III I
2 LAZARE DE BAYF.
environ, assister aux séances du Parlement. C’est là
qu'il fait la rencontre de Christophe de Longueil, et
que, cédant à ses conseils, il laisse l'étude de la juris-
prudence et court à Rome, où il va, dit-il, se former
l'esprit (1). De retour en France, Lazare de Bayf re-
çoit de François [°° l'accueil que ce prince faisait à
tous les gentilshommes qui manifestaient du goût pour
les lettres; il est prié de venir à la cour et d’y occuper
l'emploi de protonotaire, en attendant qu'il y ait une
vacance dans les ambassades.
Dès l’année 1529, Lazare de Bayf fut désigné pour
aller représenter la France près de la seigneurie de
Venise, et Jean du Bellay, qui était à Londres, crut
devoir le recommander en ces termes au maréchal de
Montmorency : « J'ay entendu, Monseigneur, qu’on
envoye le prothonotaire de Bayf estre ambassadeur
à Venize. Je vous promets que quiconques en aura
faict élection n’y aura deshonneur, et que mais qu’il
aytun peu passé par l'estamine des affaires, il sera
bien pour faire bon service au roy (2). » Nous ne sa-
vons pour quel motif son départ fut alors ajourné;
mais on s'accorde à dire qu'il ne se rendit pas à
Venise avant l’année 1531. Interrompons un instant
notre récit pour laisser raconter les commencements
de la vie de Lazare de Bayf par son fils Jean-Antoine :
Ce mien père angevin , gentilhomme de race,
L'un des premiers François qui les Muses embrasse,
(1} Ces renseignements se trouvent à la fin du Traité de Lazare
de Bayf De re Vestiaria.
(2) Lettre de J. du Bellay à M. de Montmorency, du 15 juin
1529. Manuscrits de Bethune , n° 8,603. { Bibl. du roi. )
LAZARE DE BAYF. s
D'ignorance ennemi, désireux de savoir,
Passant torreus et monts, jusqu’à Rore alla voir
Musure (1), Candiot, qu’il ouit pour apprendre
Le grec des vieux auteurs et pour docte s’y rendre :
Où si bien travailla que , dedans quelques ans,
Il se fit admirer et des plus suffisans.
; Docte il revint en France, et comme il ne désire
Rien tant que le savoir, en Anjou se retire
Dans sa maison des Pins , non guère loin du Loir,
À qui Ronsard devoit si grand nom faire avoir.
Ce bon Lazare là, non touché d’avarice,
Et moins d’ambition, suit la muse propice ,
Et rien moins ne pensoit que venir à la court,
Quand un courrier exprès à sa retraite court
Le sommer de la part du grand roi qui le mande,
Et le venir trouver sans refus Jui commande.
Qu'ust-il fait? devoit-il au repos s'amuser
Où vivoit si content ? pouvoit-il refuser
Son roi qui le mandoit? C’est un pauvre héritage
De croupir au savoir, sans le mettre en usage.
Il se range à son roi, qui ne le renvoya,
Mais l’ouit et le chérit , et bien tost l’employa (2)...
Les Etats de Venise étaient alors alliés à la France.
Menacés dans leur indépendance par les entreprises
de Charles-Quint, ils avaient enfin compris que leur
(1) Mare Musurus , né à Candie, enseigna le grec à Venise et
à Rome, avec une grande réputation. 11 mourut en 1517, avec
le titre d’archevêque de Malvasie, en Morée. On a de lui plu-
sieurs ouvrages très-estimés. |
(2) Nous regrettons de ne pouvoir consacrer une notice spé-
ciale à l’auteur de ces vers. Il n’est pas né dans le Maine, mais
dans les états de Venise, durantl’ambassade de son père. Lazare
de Bayf, qui n’était pas marié , eut à Venise une intrigue galante
avec une demoiselle de condition, et de cette union illégitime
naquit Jean-Antoine de Bayf (Ménage, au lieu cité.)
4 LAZARE DE BAYF.
véritable ennemi n’était pas au-delà des Alpes, et ils
étaient entrés avec le Pape, les Florentins et les Suisses,
dans la sainte ligue conclue à Cognac, en l’année 1526.
Quand, au mois de décembre de l’année 1531, Lazare
de Bayf vint remplir, à Venise, les fonctions d'am-
bassadeur., les rois de France et d'Espagne so prépa-
raient à de nouveaux combats, mais ils ne voulaient
manifester l’un et l’autre que les intentions les plus
pacifiques. On se préoccupait surtout, en Italie, de
l'approche des Turcs, qui, ayant pénétré dans la Hon-
grie et dans la Dalmatie, menaçaient déjà les posses-
sions vénitiennes. Dans sa correspondance avec le
roi, avec les principaux officiers de la couronne, avec
l'ambassadeur de la France dans les Etats de Rome,
l’évêque d'Auxerre, Lazare de Bayf parle sans cesse
des alarmes que les progrès des Turcs causaient à
Venise, durant les années 1531 et 1532. Il ne dissimule
pas, d’ailleurs, que la cour de Rome exagère à des-
sein la gravité du péril, et ajoute elle-même à l'in-
quiétude des populations, en faisant répandre des
bulletins et des bruits mensongers. Dès le 26 jan-
vier 1531, Lazare de Bayf écrivait à l'évêque d'Au-
xerre : « Monseigneur, je vous diray bien que l'on
faict en ceste ville quelque remontrance d'avoir paour
de la venue du Turcq, mais je me doubte fort que ce
soit pour avoir occasion de tirer argent de leurs sub-
jects ; et Dieu voulsist que ainsy fust (1)! » Outre cette
raison fiscale, les cardinaux romains et les seigneurs
de Venise avaient un autre motif pour faire montre
(1) MS. de la bibliothèque du Roi, collection Dupuy, sous le
n° 265. |
LAZARE DE BAYF. bi:
d'une vive terreur : ils désiraient fort éloigner des
champs de l'Italie les Français, les Espagnols et les
Impériaux, et associer dans un intérêt commun les
deux princes, rivaux de puissance et de gloire, qui
n’attendaient qu’un prétexte pour déchirer le traité de
Cambrai. Il était vrai, toutefois, qu’on faisait alors, à
Constantinople, des armements considérables, et que
les Vénitiens devaient exercer une surveillance active
sur leurs frontières. Après quelques mois de séjour à
Venise, Lazare de Bayf partagea lui-même, comme
ses dépêches nous le témoignent, les craintes des mar-
chands de cette ville. Il n'eut pas à traiter, durant les
années 1532 et 1533, de ces grandes affaires qui font
la réputation d’un négociateur ; le principal objet de
sa mission fut de maintenir en de bons rapports le roi
de France et la Seigneurie de Venise, et de déjouer
les intrigues des agents de l'empereur. Il y réussit.
Pour le récompenser de ses services, le roi lui donna
plusieurs abbayes, entre autre celles de Charroux et
de Grenetière. Les produits de ces bénéfices étaient
vraisemblablement le plus net des émoluments de sa
charge, car il écrivait à l'évêque d'Auxerre le 20 fé-
vrier 1532 : « Monseigneur, touchant l'abbaye qu'il a
pleu au roy me donner, comme je croy que aurez
sceu , je vous prye qu'il vous plaise me ayder envers
nostre Saint-Père et ceulx qui auront la charge du
négoce , que Je ne paye rien de la composition et
annate, car je suis icy en une grosse despense.…. »
Lazare de Bayf quitta Venise dans le cours de l’an-
née 1533.
Il fut ensuite chargé de diverses négociations en Es-
“pagne et en Allemagne (1540), où il fut envoyé pour
6 LAZARE DE BAYF.
assister à la diète de Spire. [Il avait près de lui, dans
ce voyage diplomatique, le jeune Charles Estienne et
le cadet d’une maison du Bas-Vendomois dont la tu-
telle lui avait été confiée ; ce jeune homme, alors âgé
de seize ans à peine, était Pierre de Ronsard (1).
La conduite que tint Lazare de Bayf dans ces di-
verses ambassades, lui mérita les titres de conseiller
au Parlement (1533), et de maitre des requêtes ordi-
naire en l'hôtel du roi (1541). En l’année 1543, il habi-
tait, à Paris, le quartier de l’Université, remplissait
auprès du roi ses fonctions de maître des requêtes , et
employait tous ses loisirs aux travaux littéraires qui
ont placé son nom parmi ceux des illustres créateurs
de la prosodie française (2). Ronsard, qui demeurait
(1) Vie de P. Ronsard, par Cl. Binet. — Oraison funèbre de
Ronsard , dans le tom. 1x de ses OEuvres, édit. de 1630.
(2) Salmon Macrin (ou Megret) nous apprend que les nou-
veautés poétiques de Lazare de Bayf rencontrèrent des censeurs :
Lumen supremæ Lazare curiæ,
Legationis munere regiæ
Qui functus, æternum reportas
Patribus a Venetis honorem,
Turbæ imperitæ barbara factio
Quid moliatur providus aspicis ,
Quantoque conspiret furore
Artium in interitum bonarum.
Quod ni patronum res te Heliconia
Gignata fortem et vindice ni manu
Tutere, lorica trilicique
Ejus opes prope dissipatas :
De disciplinis ilicet omnibus
Quas liberales jure bono vocant
Utraque de lingua sit actum, et
Parisiæ studiis Minervæ..…
S. Macrin, Hymn. Lib. IE
LAZARE DE BAYF. 1
aux Tournelles, venait lui rendre de fréquentes visites
et profitait des leçons que Jean Dorat donnait au fils
du docte conseiller, Jean-Antoine de Bayf, qui devait
être une des constellations de la fameuse pléiade. On
compte Lazare de Bayf au nombre des huit maîtres
des requêtes qui assistèrent, en 1547, aux funérailles
de François Ier. Il mourut peu de temps après, la même
année que ce prince. Ronsard fit son éloge funèbre
dans les vers suivants :
A CALLIOPE.
Si les Dieux
Larmes d'yeux
Versent pour la mort d’un homme,
A ceste heure,
Dieux , qu’on pleure
Et qu’en deuil on se consomme !
Calliope
Et ta trope
Bayf chantez en voix telle,
Que sa gloire
Par mémoire
Soit saintement immortelle !
En maint tour,
À l’entour,
Du cercueil croisse lierre!
Nuit et jour,
Sans séjour,
A l'ignorance il eut guerre.
L'excellence
De la France
Mourut en Budé première 3
8 LAZARE DE BAYF.
Et eneores
Morte est ores
Des Muses l’autre lumière! (1)
Les œuvres de Lazare de Bayfse composent de trois .
petits traités sur les vêtements, les vases et les navires
des anciens, de plusieurs traductions en vers, de
quelques poèmes et de sa correspondance diploma-
tique.
Le traité sur les vêtements des anciens est le pre-
mier ouvrage de Lazare de Bayf : il y travailla durant
le voyage qu'il fit à Rome avec Christophe de Lon-
gueil. Voici le titre de cet opuscule, dont la première
édition parait être celle de Basle, 1526, in-#° : Laz.
Bayfii Annotationum in L. vestis FF. de auro et ar-
gento legato liber. Il est dédié à Jean, cardinal de
Lorraine. On peut apprécier quel en fut le succès, par
le nombre des éditions qu'il obtint dans l’espace de
quelques années. Nous désignerons celles de Basle,
14531 et 1537, Froben, in-4°; de Paris, 1535, 1536,
1541,1547, 1549; de Leyde, 1536. Georges Grœvius a
réimprimé ce traité, dans le tome VI de son Thesaurus
Antiquit. Romanarum. Les savants le consultent
encore. |
C’est au retour de son ambassade à Venise que
Lazare de Bayf donna ses traités sur les vases et sur
les navires anciens. Le traité de Vasculis, dédié par
l'auteur au chancelier Antoine du Bourg, parut pour
la première fois, en 1536, à Paris et à Lyon; on en
connaît une autre édition de Paris, 1547, in-8 : il se
trouve encore dans le tom. IX du Thesaurus Græ&car.
(1) OEuvres de Ronsard, t 1x, p. 641 de l'édit. de 1630.
LAZARE DE BAYF. 9
Antiquitatum de Gronovius. Le traité sur les navires a
pour titre: Annotationes in L. IT de captivis et post-
liminio reversis; Paris, 1536 et 1549, in-4°; Lyon, 1537,
in-£. Gronovius l’a inséré dans le tom. XI de son Re-
cueil. Dans le temps où Lazare de Bayf publiait cet
ouvrage, Etienne Dolet achevait, à Lyon, son livre
De re navali. Il parait qu’il mit à profit les recherches
de Bayf, et dissimula ses emprunts. Cette conduite
peu loyale fut vivement censurée par un des amis de
Bayf, ou peut-être par lui-même. Dolet se défendit le
mieux qu’il put.
Ces divers traités de Lazare de Bayf furent, pendant
longtemps, fort goûtés. Lefebvre de la Boderie les a
mentionnés dans sa Galliade:
Lazare de Bayf qui, au temps oublieux,
As doctement ravy les vestements des vieux,
Et recherché les noms et toute la fabrique
Des nauz et nautonniers et de tout l’art nautique. (1).
Les traductions de Bayf ont été estimées, mais
n'ont pas eu toutefois autant de succès que ses traités.
Nous parlerons d'abord de sa traduction littérale de
l'Electra de Sophocle, publiée sous ce titre : La tra-
gédie de Sophocles intitulée Electra, contenant la ven-
gence de l’inhumaine et très-piteusemortd’Agamemnon,
roy de Mycènes; Paris, Roffet, 1537, in-8. On ne
savait guères alors ce que c'était qu’une tragédie :
aussi l'auteur crut-il devoir donner de ce terme la
définition suivante, qu’on trouvera sans doute fort
(1) Galliade, cercle 1°, p. 32. I1 y a des éditions des trois
traités de Bayf réunis sous ce titre : De re vestiaria, vascularia
etnavali; Paris , 1538 et 1553, in-8 ; Basle , 1541, in-4°.
40 LAZARE DE DAYF.
singulière : « Tragédie est vne moralité composée des
grandes calamitez, meurtres et adversitez survenues
aux nobles et excellentz personnaiges, comme Ajas qui
se occist pour avoir été frustré des armes d'Achilles,
Oedipus qui se creva les yeulx après qu'il luy fut dé-
clairé comme il avoit eu des enfans de sa propre mère,
après avoir tué son père; et plusieurs autres sem-
blables. Tant que Sophocles en a escript six vingtz :
entre les quelles est ceste présente, intitulée Electra,
pourcequ’elle y est introduicte, et y parle tant bien et
virilement que vng chascun s’en peultdonner merveille.
Euripide aussi et plusieurs aultres ont composé pa-
roilles tragédies. Et la grace d'icelles a anciennement
si bien régné, que les roys et princes se mesloyent d'en
composer, mesmement Dionysius, roy de Sicile, et
Hérodes, roy des Perses, et assez d’aultres. » La tra-
duction d’Electra, par Lazare de Bayf, est loin d'être
élégante. Nous ne pouvons la recommander, mais
comme les exemplaires en sont devenus très rares,
nous en citerons un fragment. Electre, s'adressant à
ses suivantes, les entretient en ces termes des chagrins
qui l’accablent :
Fort grand vergogne j'ay, Ô vous femmes d'honneur,
Si me pensez foiblette à porter ma douleur,
Et trop estre excessive ès lamentations ;
Mais force m’y contrainct et mes affections.
Hélas ! pardonnez-moy, car com possible est-il
Que fille de maison et de cueur vray gentil
Ne face comme moy, s'elle veoit à l'œil
Les grandz pernicions du père dont j'ay dueil,
Lesquelles veoy de jour ct de nuict pulluler,
Sans dessecher en rien, dont fault braire et huller.
LAZARE DE BAYF.
Premièrement, à moy, la mère qui m'a faicte
Me hait et veult grand mal , et me vouldroit deffaicte ;
Après, en ma maison je viz et si fréquente
Avesques les meurtriers , et contre mon entente
D’eulx je suis impérée , et fault que preigne d’eulx
Ce que m'est de besoing , soit chair, vin, pain et œufz.
Outre plus , cuydes-tu que bon jour puisse avoir
Quant me fault Egistus assis au siège veoir,
Au siège paternel , et le veoir attourné
De robe et vestemens dont fut jadis aorné ?
Le veoir boire aux vaisseaux , tasse , couppe ou calico,
Où mon père buvoit en faisant sacrifice ?
Le veoir sacrifier et célébrer aux Dieux
Où le meurtre fut fait et en ces propres lieux ?
Le veoir au lict couché , luy meurtrier de mon père,
{ Le comble du malheur ! | ensemble avec ma mère ?
S’ainsi fault appeler tant malheureuse femme
Qui couche avec vng tel , sans penser estre infâme,
Et la veoit-on avoir tant d'impudence en soy
Quel hante le meurtrier sans en estr’ en esmoy ;
Sans craindre aulcunement d'Erynnis la vengence,
Le jour qu’il fut tué fait dresser une danse,
Et immole brebiz aux Dieux conservateurs,
Tousjours par chascun moys , affin qu’ilz soyent tuteurs
De toute leur mesgnie, et fait dérision
Du meurtre perpétré par telle occasion.
Et je, qui veoy cela, je, pouvre infortunée,
Larmoyant me tourmente , au grenier mal menée,
Du malheureux festin, que repas on appelle
Qu’à mon père fut fait, et si fault que me celle :
Car il ne m'est permys de plorer à plaisir
Et ma mère ne veult m'en donner le loysir.
La vaillante me dit ainsi, par grande injure :
41
LAZARE DE BAYF.
« O hayne contre Dieu, en toy seule est la cure
» De la mort de ton père , et nulluy deul n’en porte,
» Fors toy ; je prie à Dieu qu’en brief te veoye morte,
» Et les Dieux infernaulx , après estre périe,
» Ne veuillent de ton cueur oster telle crierie. »
Telle injure me faict, mais s’elle oyt la nouvelle
Qu’Orestes doibt venir, alors el n’est plus telle ;
Ains crie contre moy, enragée à demÿ :
« N'est-ce pas toy qui es cause de tout cecy ?
» N'est-ce pas ton chef-d'œuvre ? or, tu seulle envahys
» Oreste de mes mains et transmys hors pays ;
» Mais saches pour certain que la peine en payeras ;
» Puis que j'en ai soucy, tule mal en auras. »
Et ainsi me rechigne , et son mari faschant,
L’exhorte de ce fait, le plus de tous meschant,
L'injure d’ung chascun , l’infime des plus bas,
Qui veult avoir secours des femmes ès combats.
Mais je, pouvre, péris, Orestes attendant,
Et seiche sus le pied (comme il est évidant )
Pensant que son retour sera le sédateur
De mes maulx ; mais je voy qu’il n’est qu’un cunctateur,
Son « je viendray » me mect du tout en désespoir
Et l'espoir me tollist lequel pourroys avoir...
Cette citation est plus que suffisante. Nous mention-
nerons sommairementles autres traductions de Lazare
de Bayf. La plus estimée est celle de l’Hécube d'Eu-
ripide : La tragédie d'Euripide intitulée Hécuba,
traduicte du grec en rythme francoise ; Paris, 1544 et
1550, Rob. Etienne, in-8. La Croix du Maine et Du
Verdier ont parlé de ces deux traductions, mais ils ne
paraissent pas avoir connu le Ravissement d'Europe,
œuvre posthume de Lazare de Bayf, éditée en 1552,
LAZARE DE BAYF. 43
in-8, ‘par la veuve Maurice de la Porte. Au témoi-
gnage de Du Verdier, lorsque la mort vint surprendre
Lazare de Bayf , il traduisait les Vies de Plutarque,
et son manuscrit inachevé fut déposé dans la biblio-
thèque royale de Fontainebleau.
Lazare de Bayf est encore auteur de petits Poèmes,
d'Épitaphes et de Ballades. Les vers suivants, adressés
à Éléonore d'Autriche, sœur de Charles-Quint, se
rendant en France pour épouser François Ier, seront
assurément mieux goûtés que les traductions du même
auteur : |
BALLADE PRÉSENTÉE À LA ROYNE, EN ESPAIGNE.
Or est le temps et la joyeuse année,
Princesse illustre et de bonne heure née,
Qu'il est permis de divine ordonnance
Qu’avecques vous paix nous soit amenée :
Et quant et quant nostre noble lignée,
Les deux fleurons où gist nostre espérance.
O quel plaisir, o quelle esjouissance ,
France , qui n’a première ne seconde,
Aura de veoir, en sa terre féconde,
Royne et enfans! Bien doibt crier Montjoie,
Vous appelant d'affection profonde,
Tant que la voix jusqu'au ciel en redonde,
Rabat de dueil et ressource de joye.
D'infinis biens serez environnéo,
Et obtiendrez couronne fleuronnée
Du hault blason qui du ciel prind naissance.
Chascun dira : Dieu la nous a donnée
Et bonne et belle; ainsi l’a ordonnée
A nostre roy d’invincible puissance.
Ses mère et sœur nous feront assistance,
14
Les dépèches diplomatiques de Lazare de Bayf for-
meraient un recueil considérable, si elles étaient toutes
publiées. On ne connait guères que celles qui furent
éditées, en 1619, par le chanoine Nicolas Camusat,
dans ses Mélanges historiques (1). Elles sont au
nombre de dix-neuf, toutes adressées à l'évêque
LAZARE DE BAYF.
Esquelles deux tout le thrésor se fonde
D'honneur et sens qui en ce siècle abonde :
Dont louerez Dieu qui nous guide et convoye
En compagnie à nous qui corresponde ,
Où vous vivrez en amour pure et monde,
Rabat de dueil et ressource de Joye.
De bons prélats l'Eglise accompaignée,
Et dignement de reliques ornée,
Vous recevra en doulce resonnance
De devots chants, la face à Dieu tournée.
Noblesse après , à vous tant addonnée,
Commence jà fourbir harnois et lance
Pour devant vous tournoyer à plaisance.
Puis, franc Gontier, qui de plaisir débonde,
Laissant brebis , sa panetière et fonde,
S'en veult aller danser soubz la saulsaye,
Et par la main tient Helène la blonde,
En lui disant : nous aurons, qui qu’en gronde,
Rabat de dueil et ressource de joye.
Royne sans per, doulce, humaine et faconde,
Ung frère avez qui tient la pomme ronde,
Et vous serez {il faut bien qu'on le croye),
Femme à ung roy le plus grand de ce monde.
Dieu vous forma soubz planette féconde
Rabat de dueil et ressource de joye.
{1} Deuxième partie, p. 143.
LAZARE DE BAYF. 45
d'Auxerre : la première porte la date du 10 dé-
cembre 1531, et la dernière celle du 15 janvier 1533.
Elles ne contiennent pas de renseignements curieux.
Ces lettres, dont Camusat avait les originaux entre
les mains, ne sont, toutefois, qu’une partie de celles
qui, dans le même espace de temps, furent adressées
par Lazar@e Bayf à l’évêque d'Auxerre. Dupuy en a
recueilli vingt autres, écrites du 25 janvier 1531 au
6 février 1533, qui se trouvent aux manuscrits de la
Bibliothèque du roi, sous le n° 265 de la Collection
Dupuy. Ce sont les missives originales; elles portent
presque toutes la signature de Lazare de Bayf. Nous
les jugeons encore moins intéressantes que celles dont
nous venons de parler. Si l'on n'avait que ce fragment
de sa correspondance, on pourrait croire que l’am-
bassadeur du roi de France près la révérendissime
Seigneurie, s’occupait uniquement, à Venise, de ses
affaires personnelles et considérait celles de l'Etat
comme étant de moindre importance.
Mais ces lettres de Bayf collationnées par Dupuy,
ne sont pas les seules que possède la Bibliothèque du
roi. Dans un recueil, inscrit sous Je n° 2,113 au nombre
des précieux manuscrits de la bibliothèque Colbert,
et qui porte aujourd’hui le n° 8,627, se trouvent en-
viron deux ou trois cents dépêches attribuées par
Baluze à notre Lazare de Bayf. Ce ne sont pas des
originaux, mais des copies. Nous citerons une de ces
lettres encore inédites : ;
SIRE ,
« Ayant trouvé la commodité de ce gentilhomme qui s’en va
en dilligence en Angleterre ambassadeur pour le pape, n’ay voulu
16 LAZARE DE BAYF.
obmettre de vous escripre par luy les présentes , nonobstant que
vous aye escript des 8 et 13 de ce moys, pour faire scavoir que
j'ay esté adverty que Michael Angelo, excellent peintre, voyant
le danger de Florence , s’est retiré en ceste ville et ne se monstre
point, car il n’y veult pas faire sa demeure. Et croy fermement
que si l’on luy offre quelque bon parti en vostre nom, il seroit pour
l’accepter. Vous scavez l'excellence du personnaige en son art.
S’il vous plaist le retirer {1}, en me faisant scavoir j'en feray mon
effort , et ce pendant n’obmettray de chercher le moyen à le prac-
tiquer, estant asseuré que ce faisant vous feray service, qui est
la chose du monde que plus désire. Du 14 octobre.
Bayf connaissait bien François [°'; il savait que rien
n’eût plus flatté ce grand prince qu'une visite du
sculpteur Michel-Ange ! Tel était le respect qu’on avait
alors pour le génie, à Fontainebleau, à Rome, à
Madrid , à Constantinople, car Soliman lui-même, à
l'exemple des plus grands rois de la chrétienté, se fit
représenter par ambassadeur dans l’atelier de l'illustre
Florentin! La négociation conduite par Lazare de
Bayf neut pas le résultat qu’il en avait espéré.
Michel-Ange ne se décida pas à quitter l'Italie.
Outre les lettres de Bayf qu'on peut lire au n° 265
de la collection Dupuy et dans les manuscrits pro-
venant de la bibliothèque de Colbert, on en rencontre
six autres encore dans les manuscrits de la bibliothèque
de Béthune. Ces lettres, adressées au roi, à M. de
Montmorency et à M. de Villandry, se trouvent dans
les recueils 8,510 p. 88, 8,570 p. 19, 8,575 p. 63,
8,601 p. 131, 8,606 p. 36, et 8,621 p. 68.
(1) L’appeler à vous.
: JULIEN DE DAÏF. 47
BAYF (JULIEN DE).
Nous lisons dans La Croix du Maine : « JULIEN DE
BAÏIF , gentilhomme du Maine, prothénotaire du saint
Siége apostolique , chanoine en l’église du Mans,
seigneur d'Espineu-le-CUhevreuil, au Maine, parent de
Lazare de Bayf, sieur des Pins en Anjou. Ledit Julien
de Baïf estoit homme docte et de grand jugement. Je
ne sçay sicest celuy duquel il se voit un discours de
son voyage en Hiérusalem; car cettuy-cy chanta sa
première messe au saint Sépulcre dudit lieu : mais
pour ce qu'ils ont été cinq frères de ce nom de Baïf
qui ont voyagé en Hiérusalem, je ne puis asseurer si
ç'à esté cettuy-cy qui a composé ledit voyage. Et faut
encores noter icy une chose très admirable et bien
digne de remarque; c’est qu’il y a eu cinq frères de
cette maison de Baïf, lesquels se trouvèrent en Hiéru-
salem sans que pas un d'eux eust donné advertis-
sement de partir pour y aller, et tous s’acheminèrent
sans le sçeu l'vn de l’autre. J'ai entendu qu'il y avoit
en l'abbaye de Saint-Calais et autres lieux vn tableau
faisant mention de cette histoire , mais elle ne s’y voit
plus, à cause que les troubles et séditions advenues
pour la religion ont causé ces ruptures et brisemens
d’églises , et par conséquent ce qui estoit de beau et
de mémorable en icelles. Or, pour revenir au propos
dudit sieur d'Espineu, Julien de Baïf, je n’ay point
cognoissance d'autres de ses escrits; toutefois j'ay
opinion que ce voyage de Hiérusalem aye esté com-
posé par iceluy. Il se voit escrit à la main chez Mon-
HI 2
18 ._ OLIVIER DE CUEILLY.
seigneur de Malicorne, messire Jean de Chourses, son
parent, en sa terre de Mengé, au Maine et autres lieux
et seisneuries qu’il possède... Il florissoit en l’an de
salut 1519.»
Nous ne saurions rien ajouter à cet article, si ce
n'est que le nom de Julien de Baïf se trouve parmi
ceux des exécuteurs testamentaires du cardinal
Philippe de Luxembourpg.
CUEILLY (OLIVIER DE).
OLIVIER DE CUEILLY ou pe CUILLY, né, suivant
Echard, dans le diocèse du Mans, vers le milieu du
XVIe siècle, fit profession de la règle de saint Domi-
nique au couvent de Laval. Admis ensuite au collége
de la rue Saint-Jacques, à Paris, il y suivit les cours
de la Sorbonne. Les registres de la Faculté portent
qu'Olivier de £ueilly fut, en l'année 1602, chargé de
mettre d'accord les élèves du collège de Navarre et le
prieur dela Sorbonne, qui prétendait confisquer leurs
priviléges (1). Notre Jacobin parut dans un grand
nombre de chaires, et passa pour un sermonaire élo-
quent. Echard croit qu’il mourut vers l’année 1620.
On connait de lui deux ouvrages. L'un a pour titre:
Morale interprétation sur les premiers chapitres du
prophète Ezechiel; Paris, Huby, 1611, in-8. Olivier
(1} Echardus, Script. ord. Prædicat., t. 11, p. 420.
JACQUES-CASIMIR GUERINOIS. 49
de Cueilly était prieur du couvent de Laval, lorsqu'il
publia cette verbeuse paraphrase ; il en adressa la
dédicace à Lancelot de Vassé, dont la famille lui avait
rendu des services. L'autre ouvrage d'Olivier de Cueillv
mentionné par Echard, est composé d'une série de
discours, rassemblés par l'auteur sous ce titre pré-
cieux : Les fléaux de Dieu sur les hommes, avec les
remèdes quon y doit apporter; Paris, Huby, 1613,
in-8.
GUERINOIS (3ACQUES-CASIMIR ).
JACQUES-CASIMIR GUERINOIS, né à Laval en 1640
fut admis au couvent des Dominicains de cette ville ,
le 16 novembre 156. Il n'avait encore acquis aucune
connaissance littéraire , mais il manifestait d'heureuses
dispositions. Il eut bientôt appris les éléments de la
langue latine, et, à peine âgé de quinze ans, il vint
faire son noviciat à la maison de la rue Saint-Jacques,
à Paris. À seize ans, Guérinois fit profession de la règle
de saint Dominique, et fut envoyé dans la province de
Toulouse, pour y achever ses études. Nous le voyons
ensuite, en 1681, reçu professeur de théologie à
Bordeaux, occuper unc chaire dans cette ville et par-
venir enfin au grade de docteur, le 18 juin 1683. Il
professa pendant vingt années, et mourut, à Bordeaux,
le 24 septembre 1703.
On a de lui quatre gros volumes de philosophie sco-
lastique, dans lesquels il ne ménage pas les cartésiens.
20 BENJAMIN AUBERY DU MAURIER.
Ils portent ce titre : Clypeus philosophiæ Thomisticæ
contra veteres et novos ejus impugnatores; Burdigalæ,
1703, in-8o (1).
LEMAIGNAN (couis).
LOUIS LEMAIGNAN, né au Mans en 1626 et mort
en 1711 dans cette ville, avec la renommée d'un très
habile professeur, a Gonné au public : Grammaticæ
Despauterianæ prima pars vernacula lingua edita,
cum interpretatione lineari per D. Lemaignan. Nous
ignoronsla date de la première édition de cetouvrage;
la seconde fut publiée au Mans, en 1692, in-8, par
Louis Peguineau. Parmi les vers adressés à Trouillart,
en 1643, sur ses Mémoires des comtes du Maine, il y
‘ena qui sont signés par un sieur N. Lemaignan. Est-ce
le père de notre grammairien ? |
AUBERY DU MAURIER (BENJAMIN).
Jacques Aubery, sieur de Montcreau, avait un frère
ainé, Pierre Aubery, sieur du Maurier, lequel fut père
de Jean Aubery, mort en sa terre du Maurier, près la
Fontaine-Saint-Martin, en l’année 1585. De ce Jean
Aubery et de Madeleine Froger, naquit BENJAMIN
AUBERY, qui fut célèbre dans les ambassades.
(1) Echardus, Script. ord. Prædic., t. 11, p. 762.
BENJAMIN AUBERY DU MAURIER. 24
_ À quelle époque de sa vie, Benjamin Aubery, sieur
du Maurier, renonça-t-il à la foi catholique pour
embrasser la religion de Calvin? Nous l’ignorons; mais
nous le voyons, dès l’année 1593, fort avant dans les
affaires des Huguenots , et entretenant avec Duplessis-
Mornay une correspondance fort active. Il était alors
secrétaire de Henri de la Tour, duc de Bouillon,
maréchal de France. Sa première lettre est datée de
Mantes, 8 mai 1593 (1). Le duc de Bouillon, l’un des chefs
calvinistes, s’était rendu dans cette ville pour lutter
contre l'influence des princes et des gentilshommes
du parti contraire, qui travaillaient ardemment à la
conversion d'Henri IV. Il y a, dans la lettre d'Aubery,
des passages écrits en chiffres; ce sont vraisembla-
blement les plus intéressants, mais nous ne les com-
prenons pas. Cette affaire de l’abjuration intéressait
au plus haut point Duplessis-Mornay : il écrivait à ce
sujet, le 25 mai, au sieur du Maurier : « Je vois ung
changement qui en peult attirer d'aultres. Num fas-
tigium putas? gradus est. Certes je suis bien aise de
n’avoir poinct esté là {à Mantes) ; car il m'est plus aisé
de respondre de mon absence qu’il n’eust esté de ma
présence (2). » Mais vainement Duplessis et les siens
exhortaient Henri à persévérer dans ses opinions reli.
gieuses ; la raison d’état parlait plus haut que ces vieux
serviteurs. Une lettre d’Aubery, de juin 1593 (3), est
pleine d’affligeants détails mystérieusement racontés.
(1) Mémoires et Correspondance de Duplessis-Mornay ; Paris,
Treuttel et Wurtz, 1824, in-8°, t. V, p. 410
(2) Ibid., p. 429.
(3) Ibid., p, 469.
22 BENJAMIN AUBERY DU MAURIER.
Nous ne cherchons pas à pénétrer dans ce dédale de
chiffres , de périphrases obscures et d’allusions qui
ne le sont pas moins. Duplessis répondait plus claire-
ment, le 5 juillet, au sieur du Maurier : « Nous sommes
Jà vaincus et jà rendeus… tandis que la guerre avec la
Ligue tient encores nos ennemis en bride et facilite nos
conditions, advisons que ceulx desquels Ja violence a
peu forcer l’ame du roy, n’ayent nos vies à leur dis-
crétion (1). » Henri signait l’acte de son abjuration le
dimanche 95 juillet, à Saint-Denis.
Cet événement ne dut causer aucune surprise, caril
était prévu. Cependant telle était l’agitation des esprits,
qu'on s'attendait tous les jours à quelque nouveau
tumulte. Le Parlement siégeait alors à Tours ; le jour
même où se faisait, à Paris, la cérémonie de l’abju-
ration, on annonçait que le duc de Guise avait été
proclamé roi de France par les Parisiens, et du Mau-
rier, consterné par cette nouvelle, s’empressait de la
transmettre de Tours à Saumur, à Duplessis-Mornay (2).
Le #4 août, il était à Saint-Denis, et, ne croyant pas à
une longue suspension d'armes, il invitait Duplessis à
presser l’achèvement des fortifications de Saumur (3).
Duplessis, qui avait la même opinion que lui sur l’état
des choses, lui répondait le 10 août : « L’insolence
croist d’ung côté et la patience eschappera en quelque
endroict de l’autre. Ici non; où je tiendrai le contre-
poids tant que je pourrai. » Cependant les intrigues se
(1) Mémoires et Correspondance de Du lessis-Mornay ; Paris ;
Treuttel et Wurtz, 1824, in-8°, t. V, p. 485.
(2) Ibid., p. 498.
(3) bid., p. 504.
BENJAMIN AUBERY DU MAUHIEY. 23
Croisent, et du Maurier écrit de Tours à Duplessis,
pour l'informer des motifs divers qui ajournent une
nouvelle crise (1). Le roi sait que Duplessis n’ap-
prouve pas son abjuration , et veut se justifier devant
lui. Pressé de se rendre à la cour, Duplessis se décide
enfin à quitter Saumur ; mais , pour se mettre d'accord
avec le duc de Bouillon, mandé dans le même temps
près du roi, il charge Aubery de lui communiquer une
longue lettre qui contient un plan de conduite (2). Au
_ mois de février 1594, Duplessis était de retour à
Saumur, et il faisait parvenir au sieur du Maurier deux
lettres très pressantes, à la date du 27 février et du
4 mars (3), désirant avoir des nouvelles du duc de
Bouillon , qui, après avoir quitté la cour, s'était remis
en campagne pour guerroyer contre les ligueurs in-
soumis.
Vers ce temps, la correspondance de Duplessis et
d'Aubery se trouve tout-à-coup interrompue : le 4 fé-
vrier 1595, c’est-à-dire près d'un an après avoir reçu
la dernière lettre de Duplessis, Aubery lui donne
quelques détails sur le mauvais accueil fait à la cour
au duc de Bouillon (4). Nous n'avons aucune lettre de
l’année 1596. Vers la fin de l'année 1597, Duplessis et
Aubery s'adressent de fréquentes missives, mais nous
n’en possédons qu’un petit nombre. Duplessis s'étant
rendu dans la ville d'Angers , pour prendre part, avec
\
(1) Mémoires et Correspondance de Duplessis-Mornay ; Paris,
Treuttel et Wurtz, 1824, in-8”, t. v, p. 526
(2) Ibid., p. 560. 18 septembre 1593.
(3) Ibid.,t. vi, p. 13 et 17.
(4} Ibid., t. vit, p. 169.
24 BENJAMIN AUBERY DU MAURIER.
MM. de Schomberg , de Brissac et de Rochepot, à une
conférence qui devait avoir lieu sur les affaires de
Bretagne , a été attaqué, en pleine rue , en plein jour,
par une bande d’assassins, à la tête de laquelle se
trouvaitun sieur Saint-Phal, parent du duc de Brissac.
C'est au sujet de cette affaire que, le 6 décembre, Du-
plessis charge Aubery, qui était alors à la cour, de
voir leurs amis communs, de parler au roi, et de
réclamer prompte et bonne justice (1). Nous avons
une lettre d’Aubery à Duplessis qui porte la même date
que la précédente (2). Il a fait toutes les démarches sur
le résultat desquelles Duplessis l’interroge : le roi et
tous les courtisans sont indignés; le duc de Brissae
est suspect d’avoir armé le bras de l'assassin. Mais
comment Duplessis obtiendra-t-il une réparation suffi-
sante? Son avis est que l'affaire doit être portée devant
le grand conseil, et il prie du Maurier de consulter à ce
sujet le célèbre Antoine Arnauld (3). Dans une autre
lettre, du 25 décembre, Duplessis annonce à son ami
qu'il est prêt à employer la force, s’il le faut, pour
atteindre le meurtrier, que M. de Brissac a, dit-on,
mis en liberté (4). Du Maurier écrit, le 7 janvier 1598,
de Paris, qu'il a visité de nouveau les personnes avee
lesquelles ilimportait des’entendre ; qu'elles sont toutes
fort animées contre Saint-Phal et ses complices; que
les conseillers à la cour se prononcent énergi-
(1) Mémoires et Correspondance de Duplessis-Mornay ; ; Paris,
18 septembre 1593, t. vi, p. 445.
(2) Ibid., p.450.
(3) Ibid., p. 460.
(4) Ibid., 1592, t. var, p. 473
BENJAMIN AUBERY DU MAURIER, 25
quement (1). Cependant Duplessis renonce à cette
poursuite criminelle; il ne demande plus qu’une répa-
ration en présence du roi et des maréchaux de
. France (2). Du Maurier préférerait que cette réparation
fût refusée, et que Saint-Phal, absent ou présent, fût
condamné par le grand conseil (3). 11 pense, d'ailleurs,
que Duplessis à le droit de faire arrèter Saint-Phal
partout où l’on pourra le rencontrer (4). Mais les amis
du duc de Brissac sont puissants à la cour ; s’ils con-
damnent la conduite de Saint-Phal, ils s’efforcent d'at-
ténuer la gravité de l’oflense commise, en donnant
l'auteur pour un étourdi, pour un jeune homme sans
expérience, qu'il ne faut pas flétrir, mais simplement
admonester. Du Maurier écrit à Duplessis que le roi
ne paraît plus si courroucé contre le coupable (5).
Il lui adresse encore une lettre, le 11 février, mais elle
ne contient aucun détail important (6). Du mois de fé-
vrier au mois de juin, la correspondance d'Aubery et
de Duplessis est interrompue. Le roi étant à Angers
et Duplessis se trouvant près de lui, du Maurier n’avait
aucune démarche à faire pour son ami, soit près du
roi, soit près des courtisans. Les Mémoires de Madame
Duplessis-Mornay nous apprennent que pendant son
séjour à Angers, le roi donna aux maréchaux de France
(1) Mémoires et Correspondance de Duplessis-Mornay ; Paris,
18 septembre 1592, t. vit, p. 496.
(2) Ibid., p. 514.
(3) Ibid., p. 518.
(4) Ibid., p. 521.
(5) Ibid., p. 524 et 558.
(6) Ibid., t. vint, p. 50.
26 BENJAMIN AUBERY DU MAURIER.
l’ordre de commencer la procédure contre Saint-Phal,
et de décider dans quelle forme une réparation serait
accordée à l'honneur de son vieux camarade (1). Le
13 juin, Aubery fait connaitre à Duplessis que Saint-
Phal a juré de se rendre à l’assignation des maré-
chaux (2) : deux autres lettres de du Maurier, du 2 et
du 22 août (3), ont pour objet d'inviter Duplessis à se
rendre au château de Buhy, suivant les ordres du roi,
et d'attendre en ce lieu le jour de l'audience solennelle
dans laquelle Saint-Phal doit demander son pardon.
Duplessis consent à faire ce voyage et en informe le
roi et le duc de Bouillon {4}. Nous avons encore huit
lettres d’Aubery et une de Duplessis sur l'affaire de
Saint-Phal, mais elles sont d'un intérêt médiocre (5).
Nous ne pouvons toutefois omettre de citer ce passage
d’une lettre d’Aubery, du 21 novembre 1598 : « L’af-
faire que j'avais tenté demeure tousjours indécis. M. de
Loménie voudroit bien y demeurer seul; mais vous
jugés, Monsieur, s'il le peust, estant agé et marié. Le
roy, comme j'estime, s’arreste plustost à une occasion
qu'à une cause, et le Monsieur que je sers aime peust-
estre mieux ses affaires que mon advancement. Si
crois-je, Monsieur, que je lui pourrois estre plus
utile, au roy non moins fidelle, qu’à mes aultres
maistres, et à M. de Loménie quelquefois en soula-
(1) Mémoires et Correspondance de Duplessis-Mornay, p. 332
de l’édit. de 1824.
(2) T. 1x, p. 30.
(3) Ibid., p. 126 et 137.
(4) Ibid., p. 140 et 141.
(5) Ibid. p. 146, 152, 155,161, 164, 169, 172, 180, 184, 204.
BENJAMIN AUBERY DG MAURIER. 27
gement. M. de Bouillon, a qui j'ai dict ce qui s'y est
passé, ne s'est poinct offert de s'y employer. » Il y a
beaucoup d’obscurité dans les phrases que nous venons
de citer, et comme elles contiennent des renseigne-
ments sur la vie d'Aubery, nous devons en donner
l'explication. Le duc de Bouillon est le Monsieur que
servait alors Aubery, et la charge de sécrétaire du
cabinet du roi est celle dans laquelle Antoine de
Loménie voulait demeurer seul. Le sieur de Clerville,
son collègue, venait de mourir (1), et du Maurier,
sollicitant cette place, prie Duplessis d'intervenir en
sa faveur près du roi. Il ne tarda pas à l'obtenir, car,
au mois de décembre, il était envoyé par le roi, dans
la ville de Meulan, avec le titre de sécrétaire du ca-
binet (2), au devant de Duplessis qui se rendait à
Saint-Germain. Voici quelle fut la fin de cette longue
négociation relative à l'attentat d'Angers. Saint-Phal
fut conduit à la Bastille le 12 janvier 1599 : le lendemain,
il fut amené devant le roi, sans armes, par le capitaine
des gardes. Les maréchaux ayant déclaré que « la qua-
lité de l’offense avait rendu Saint-Phal incapable de
venir en combat avec le sieur Duplessis , » celui-ci ne
refusa pas d'accorder le pardon qui lui était demandé
dans les termes les plus respectueux. Le roi fit ensuite
au coupable la plus sévère remontrance (3).
Quand, en l’année 1602, arriva la disgrâce du duc
de Biron , qui s'était laissé compromettre en de cri-
minelles intrigues avec l'Espagne , le duc de Bouillon
(1) Lettre de M. Du Maurier, du 14 nov. 1598, t. 1x, p. 180.
(2) Mémoires de Mad. Duplesss, p. 334.
(3) Mémoires de Mad. Duplessis, p. 340.
98 BENJAMIN AUBERY DU MAURIER.
fut dénoncé comme ayant pris part au même complot.
On ne manqua pas de conseiller au roi l'arrestation
d'Aubery; mais le roi qui « le cognoissoit nourri de
Ja main de M. Duplessis, » déclara « qu'il n’avoit
poinct appris avec luy à estre instrument de meschan-
ceté (1), » et non seulement il refusa de l’impliquer
dans cette affaire, mais, pour lui donner un témoignage
de sa confiance, il le chargea d'aller à Saumur de-
mander à Duplessis le parti qu’il convenait de prendre
à l'égard du duc de Bouillon. I! était impossible de lui
confier une mission plus délicate. Duplessis fit au roi,
par écrit, une sage réponse: il recommanda d'instruire
l'affaire , de recueillir des preuves avant de con-
damner un personnage aussi considérable, et de pro-
céder à son égard avec la réserve commandée par les
circonstances. Mais cet avis ne fut pas écouté.
Du premier mois de l’année 1599 aux derniers de
l’année 1604, nous n’avons aucun échange de lettres
entre Duplessis et du Maurier. A la date du 24 sep-
tembre 160%, Duplessis demande quelques nouvelles
des affaires de la cour (2) ; il s'intéresse au retour en
grâce du duc de Bouillon. Mais de la part du roi,
comme de la part du duc, on fait des propositions
d'accommodement qui sont jugées inacceptables. Après
de longs délais, au mois de mars de l’année 1606,
Sully donne à du Maurier la commission d'aller trouver
le duc de Bouillon et de lui proposer de nouveaux
(1) En racontant ce fait en ces termes, page 417 de ses Mé-
moires, Mad. Duplessis donne au sieur Du Maurier le titre de
secrétaire de M. de Bouillon. Il l’avait été, mais il ne l'était
plus.
(2) Mémoires et Correspondance , t. x, p, 9.
BENJAMIN AUBERY DU MAURIER. 29
arrangements : il ne fut pas plus heureux dans cette
négociation que La Tremouille, La Noue et les autres
envoyés de Henri (1); la réconciliation n’eût lieu que
sous les murs de Sedan, lorsque le roi vint mettre le
siége devant cette ville où le duc de Bouillon s'était
fortifié.
Sept lettres de Duplessis à du Maurier, du 22 juin
1607 au 24 novembre 1609 (2), ne nous font rien
connaitre d’important. Il faut qu’il y ait eu, vers cette
époque, quelque refroidissement entre les deux amis,
ou bien que les fonctions confiées à du Maurier ne lui
aient pas permis de continuer ses intimes confidences
avec un homme que tant de gens s’efforcaient de perdre
dans l'esprit du roi. Ce qui nous ferait admettre la
supposition d’un désaccord, d'une rupture, c'est que
la première lettre adressée à Duplessis par du Maurier,
après un silence d'environ trois années, n’est plus
écrite sur le même ton que celles d'autrefois : du Mau-
rier appelle Duplessis Monseigneur ; il ne lui parle pas
avec liberté, avec abandon, mais avec une gravité sen-
tentieuse, presque pédante; il ne lui demande plus des
ordres, mais lui donne presque des conseils : et com-
ment sont-ils accueillis par Duplessis? assez mal. Ils
ne s'entendent plus, ils usent l’un à l'égard de l’autre
de réticences calculées, ils dissertent longuement sur
a situation des esprits, sur les circonstances, sur la
conduite qu'il faut tenir , comme des gens qui ne mar-
chent plus dans la même voie et qui ont besoin de se
(1) Lettre de Du Maurier à Duplessis. Mémotres et Correspon-
dance, t.x, p. 165.
(2) Ibid., p. 206, 208, 211, 214, 259, 365, 438.
30 BENJAMIN AUBERY DU MAURIFR.
justifier réciproquement (1). L'un des deux, en effet,
vit toujours dans son château de Saumur, retiré des
affaires, n'ayant plus même, depuisla mort d'Henri IV,
aucun rapport avec la cour, et ne s’occupant que de
veiller sur les intérêts de l’église, du parti dont il est
vraiment le tuteur et le chef. L’autre a témoigné. moins
de rancune aux vétérans du parti de la Ligue, et, sans
faire le sacrifice de ses croyances, il n’a pas heurté
celles de la secte dominante ; il vit à la cour , y remplit
une charge où l'on fait état de son aptitude et de son
expérience : c’est un homme en crédit, qui a plus de
désirs que de regrets. Voilà des positions bien diffé-
rentes (2). Il est vraisemblable que Duplessis et Aubery
se brouillèrent tout-à-fait, en 1613, à l’occasion de
l'ambassade de Hollande.
Alliée du prince d'Orange, le comte Maurice, qui
était en guerre avec les Espagnols et les Flamands, la
cour de France entretenait dans son armée quelques
(1} Mémoires et Correspondance, t. x1, p. 388 et 389.
(2) Dans ses Mémoires concernant les vies et les ouvrages de
plusieurs modernes,, à l’article Benjamin Aubery, Ch. Ancillon
suppose que Duplessis-Mornay eut pour correspondants deux ou
trois Du Maurier ou Du Morier, mais il n’allègue aucune preuve
à l'appui d’une telle hypothèse. Si elle était fondée , il y aurait de
notables inexactitudes dans notre notice biographique ; mais il
faut remarquer que Ch. Ancillon ne possédait qu’une partie de la
correspondance de Duplessis, et qu’il ne pouvait suppléer par
d’autres documents à l'insuffisance des renseignements qui lui
étaient fournis par ces Mémoires incomplets, sur la vie de Ben-
jamin Aubery. Îl nous semble que la dernière édition des papiers
de Duplessis ne laisse pas subsister la distinction établie par Ch.
Ancillon entre le secrétaire du duc de Bouillon , Benjamin Aubery
et M. du Maurier, conseiller d’état. Il serait possible, toutefois,
que les dernières des lettres dont nous venons de parler, celles
dont l’auteur donne à Duplessis le titre de Monseigneur, ne fussent
pas de notre Benjamin Aubery du Maurier, mais de quelqu'un
des siens.
BENJAMIN AUBERY DU MAURIER. 31
compagnies de cavalerie, et s’intéressait vivement au
succès de ses armes. Dans les autres états de l’Europe,
on avait la paix. Aussi la noblesse de France, d’An-
gleterre, d'Allemagne, d'Italie, s'était-elle donné ren-
dez-vous sur le champ de bataille où le prince Mau-
rice et le marquis de Spinola , général des armées
d'Espagne, se livraient de grands combats et don-
naient des leçons de stratégie aux plus habiles capi-
taines. La ville de la Haye était pleine de gentilshommes
français qui, n'ayant pu s'accoutumer au repos des
armes, étaient venus prendre du service sous les dra-
peaux de Maurice : le représentant de Ja France près
de ce prince était admis dans tous ses conseils, et
prenait part à la conduite de ses affaires, Villeroy ne
pouvait donc appeler à ce poste difficile qu’un homme
doué d'un esprit supérieur. Or il s'agissait de donner
un successeur à M. de Reffuge , qui demandait son
rappel. Aertsens , représentant des Etats à Paris, re-
commandait vivement le sieur de Villarnould , gendre
de Duplessis-Mornay (1); celui-ci, ne demandant
rien pour lui-même, laissait volontiers conduire
cette intrigue dans l'intérêt de son gendre (2). Mais,
d'autre part, Benjamin Aubery réclamait cette ambas-
sade de Hollande, et l’on avait coutume de confier
ces sortes d'emplois à des hommes éprouvés, qui
avaient fait leur noviciat diplomatique dans le cabinet
du roi. À son grand dépit, Aertsens eut le dessous dans
cette affaire ; de Villarnould , son candidat, fut écarté,
et du Maurier partit pour la Hollande, avec le titre
(1) Mémoires et Correspondance, t. xi1, p. 193.
(2) Ibid. , p. 139.
32 BENJAMIN AUBERY DU MAURIER.
d'ambassadeur, au mois de mai de J’année 1613. I!
était rendu à la Haye le 2 juin.
Aertsens ne tarda pas à l’aller rejoindre. C'était un
homme plus adroit qu'honnèête, qui avait peu de crédit,
mais dont on redoutait les secrètes entreprises. Ayant
fait savoir à la reine-mère qu'il retournait en Hollande
pour prendre soin de sa santé et de ses affaires parti-
culières , il reçut, à son départ, suivant l'usage , un
présent considérable, un service de vermeil de la
valeur de quinze mille livres. Comme on était fort aise
d’être délivré d’un tel fourbe, même à ce prix, on
écrivit aussitôt de Paris à la Haye, pour annoncer
son départ et pour inviter les Etats à lui désigner un
successeur. Aubery fut chargé de faire cette demande.
Mais Aertsens n'avait pas eu l'intention de quitter son
emploi ; il avait simplement voulu se faire donner le
présent d'adieu, et, comme l'audace ne lu manquait
pas , il jura qu'il avait pris congé de la reine-mère en
lui annonçant un prochain retour, et prétendit faire
passer pour des imposteurs les ministres et les ambas-
sadeurs de France. Mais ces débats ne se terminèrent
pas à son avantage. Une lettre de la reine-mère vint
confirmer les dires d'Aubery, et celui-ci dénonça, le
143 novembre 1613, en pleine assemblée des Etats,
les honteuses manœuvres de cet agent diplomatique,
qui avait poussé Je mépris des convenances jusqu'à
séduire à prix d'argent le secrétaire de l’ambassade
française , et avait obtenu par ce moyen la communica-
tion des papiers les plus importants. Aertsens eut pour
successeur, dans sa charge, le baron de Languerac (1).
(1} Mémoires pour servir à l’histoire de Hollande, par Louis
Aubery, p. 380 et sui.
BENJAMIN AUBERY DU MAURIER. 53
Il se promit bien alors de perdre un homme qui
, avait si peu ménagé. Il était bien vu du prince Mau-
ice, dont il avait servi la cause durant les troubles,
et les parents et les amis que ce prince avait à la cour
d' France faisaient courir de méchants bruits sur le
compte de du Maurier. Celui-ci, qui avait été admis
dans l'intimité de Louise de Coligny, princesse d’O-
range , eut plus d’une fois besoin de sa protection , et
elle ne lui manqua pas (1). Parmi les témoignages d’es-
time qu’il reçut de cette princesse, il en est un que
nous ne pouvons oublier. En l’année 1614, une fille
naquit à du Maurier; Louise de Coligny voulut être la
marraine de cet enfant, qui eut pour parrains MM. les
Etats-Généraux , représentés au baptême par Olden
de Barneveldt (2). |
Les Etats avaient fort à cœur d'être en de bons
termes avec l'ambassadeur français : ce n'était pas
seulement , à leurs yeux , le représentant d’une puis-
sance amie, c'était encore le personnage le plus con-
sidérable de tous les résidents étrangers. Outre les
gages de sa charge et les pensions qu’il avait de la
cour, Aubery touchait encore vingt-quatre mille livres
par an, comme intendant des finances françaises en
Hollande. On lui faisait de grands honneurs, et les
princes eux-mêmes n'avaient pas son train : « Les
hyvers , la Haye étoit toute pleine de seigneurs et de
gentilshommes françois qui ne manquoient pas, pour
honorer le roy en la personne de son ministre , de l’ac-
mL | Mémoires pour servir à l'Histoire de Hollande, p. 388
et .
9) Ibid., p. 198. |
IL 3
54 BENJAMIN AUBERY DU MAURIER.
compagner à l'audience de MM. les Etats-Généraux,
quand il y alloit; et comme on n'eut pu fournir assez
de carosses pour deux ou trois cens gentilshommes et
officiers qui s’y trouvoient quelques-fois , l’ambassa-
deur alloit à pied à la tête de cette belle troupe, et
son carosse suivoit tout vuide. Si cette ambassade étoit
honorable , aussi obligeoit-elle à de grandes dépenses,
car il falloit souvent régaler cette nombreuse noblesse ;
mais on étoit bien payé pour cela (1). » Il arriva même
à du Maurier, en l’année 1615, de traiter plusieurs
fois Philippe de Nassau, prince d'Orange, et Ja prin-
cesse sa femme. Par la réception qu'il leur fit, il se
concilia leurs bonnes grâces, et comme il était mal
servi près de la reine-mère par ceux des courtisans
qui convoitaient son emploi et par ceux qui poursui-
vaient en lui l’ancien secrétaire du duc de Bouillon,
les autres le calviniste refroidi, il lui fut très-utile
d’avoir mérité l’affection de Philippe de Nassau (2).
Si, comme on le voit, la maison d’Aubery était fré-
quentée par les princes , par les plus hauts dignitaires
des Provinces-Unies , elle était aussi le lieu de rendez-
vous des plus doctes personnages. Quand Grotius
venait à la Haye , il n’oubliait pas d’aller saluer l’am-
bassadeur du roi de France , et lui rendre les hon-
neurs dûs à son rang, tandis que celui-ci se montrait
fort jaloux d'être compté parmi les familiers de l'il-
lustre syndic de Rotterdam. Les relations de Grotius
et d'Aubery commencèrent dès l'année 1614 : elles
furent bientôt très-intimes. Dans la collection des
(1} Mémo res pour servir à l’histoire de Hollande, p. 192.
(2) Ibid., p. 208.
BENJAMIN AUBERY DU MAURIER. 39
Lettres de Grotius, on n'en lit pas moins de quatre-
vingt-sept adressées au sieur du Maurier. La première
de ces lettres, qui porte la date du 5 juin 1614, a pour
objet la mort d’un des enfants de du Maurier ; dans la
seconde , qui est extrêmement curieuse, Grotius ré-
pond longuement à son ami , qui lui avait demandé de
Jui tracer le plan des études que doit faire un ambas-
sadeur. Cette correspondance ne peut manquer d’avoir
pour nous beaucoup d'intérêt : nous y voyons qu’en
J’année 1615, les'affaires des Provinces-Unies, si graves
qu'elles fussent, occupaient moins du Maurier et
Grotius lui-même que les tristes nouvelles reçues de
France.
En effet, il y avait alors, en France, de grands
tumultes. Mécontents de voir la cour incliner vers
l'Espagne , et d'ailleurs très-jaloux de recouvrer des
priviléges qu'ils s'étaient laissés ravir sous le règne
précédent, les princes et les ducs venaient de former,
dans l'état, un parti redoutable, et sollicitaient au
dehors, surtout dans les pays protestants, des troupes
et des armes. Ayant appris que des officiers de l’armée
hollandaise se disposaient à franchir la frontière, pour
aller prendre du service sous les drapeaux des princes
confédérés, et que des navires chargés d'armes étaient
dirigés vers les côtes de France, Aubery fit arrêter
les officiers et saisir les vaisseaux. Du côté des princes
étaient ses co-religionnaires, ses amis, ses protec-
teurs ; du côté de la reine-mère, étaient les gens dont
il redoutait le crédit, dont il condamnait les tendances
réactionnaires et desquels il ne pouvait attendre aucun
bon service ; mais il était ambassadeur de la cour de
France , et il s'agissait de protéger l’état contre des
36 BENJAMIN AUBERY DU MAURIER.
entreprises factieuses : il n’hésita pas à remplir son
devoir. Les agitateurs lui gardèrent rancune de cette
conduite : durant les troubles, ils envoyèrent quelques
pillards dans un château qu'il possédait à la Fontaine-
Dangé, près Châtellerault, et ce domaine fut dévasté (1).
La reine-mère et le roi lui écrivirent à ce sujet et
eurent à cœur de réparer, autant que faire se pouvait,
par une compensation pécuniaire, le dommage qu'il
avait éprouvé (2). Philippe d'Orange prit sa défense
auprès des seigneurs protestants. Le prince Maurice,
jaloux de lui témoigner hautement son estime, voulut
être parrain d'un de ses fils (3), et quand, après la
conclusion du traité de Loudun , il écrivit à Villeroy
pour le féliciter d'avoir apaisé les troubles , il s’ex-
prima dans ces termes au sujet d’Aubery :
« Monsieur,
« À mon retour de Zélande, sur l'invitation faite par M. du
Maurier, ambassadeur du Roy, pour le rétablissement des officiers
des troupes francoises en leurs charges , j’ay tenu la main à ce
qu’il y ait été pourveu au contentement de Leurs Majestez,
Messieurs les Etats en ayant pris la résolution ; dont l’acte sera
exécuté. Au reste, je me suis grandement réjoui que les troubles
du royaume ayent été si hüreusement appaisez... Quoy que le
bon soin et devoir que ledit sieur Ambassadeur a rendu pour
s'acquitter dignement des commandements de la Reyne parlent
assez d'eux-mêmes, si dois-je rendre ce témoignage à ces com-
portements qu’ils ont été tels que Leurs Majestez en ont été loya-
lement et utilement servies, sans qu’il ait donné aucun juste
(1) Mémoires pour servir à l'Histoire de Hollande, p. 209.
(2) Ibid., p. 210 et suiv.
(3) Ibid., p. 241.
BENJAMIN AUBERY DU MAURIER. 91
sujet de plainte à qui que ce soit, ayant conduit avec honneur,
modestie et respect, toutes ses actions qui nous sont bien con-
nues : ce que je vous dis pour certaine assürance. Que s’il avoit
été fait d’autres rapports pour lui nuire, on y auroit fait grand
tort à son intégrité et bonne discrétion, Messieurs les Etats et
nous tous étant pleinement satisfaits de ses procédures en l'égard
de tous, et croyons que Leurs Majestez ne pourroient user par
deça du ministère d'aucun autre qui leur fût plus utile et fidèle,
ny plus agréable à cette République (1). »
Durant les années 1616 et 1617, Aubery s’employa
constamment auprès des Etats à maintenir leurs bons
rapports avec la France, et il y réussit au gré des
deux cours. Il obtint alors un congé de trois mois, et
fit un voyage en France. C'est à l'occasion de ce
voyage que Grotius lui écrivait le 24 novembre 1616 :
a Quoique votre présence à la Haye nous soit bien
utile, et me soit particulièrement fort agréable, je ne
m'opposerai pas à votre départ : je sais que là bas
vous serez assez Français pour rester l’ami des Hol-
landais ; bien mieux, que vous y serez d'autant plus
Français que vous vous montrerez mieux disposé pour
la Hollande. » En retournant à son poste, Aubery
passa par Saumur et vit Duplessis-Mornay, dont il avait
sans doute à cœur de reconquérir l'affection. De graves
événements Je rappelaient à la Haye. Depuis long-
temps les Etats et le prince Maurice étaient en désac-
cord. Plus zélé pour les affaires de sa maison que pour
celles de Ta république, Maurice s'était concilié par
d'habiles intrigues l'affection des Hollandais, et il tra-
vaillait à faire prévaloir l'autorité du stathoudérat sur
(1) Mémoires paur servir à l'Histoire de Hollande , p. 239.
08 BENJAMIN AUBERY DU MAURIER.
celle du parlement. À la tête du parti qui luttait contre
cette ambitieuse entreprise, se trouvait Jean d'Olden
Barneveldt, avocat général de la province de Hol-
lande, vieillard austère, grand citoyen , que recom-
mandaient à la fois et ses vertus et ses services. Les
deux partis ne se déciarèrent et ne se combattirent
ouvertement qu’à l’occasion de la controverse engagée
entre Arminius et François Gomare , au sujet de la
prédestination et de la grâce. Barneveldt et le plus
grand nombre des membres des Etats et des libres
docteurs de la Hollande se prononcèrent pour la doc-
trine d'Arminius ; le prince Maurice et ses partisans
firent profession d'être gomaristes. Leurs débats reli-
gieux amenèrent des troubles dans le parlement hol-
landais. Aubery fut chargé par la cour de France d'in-
tervenir entre les partis belligérants et d’amortir ces
dissentiments fâcheux (1). Il ne put y parvenir, et le
22 août 1618, le prince Maurice , ne prenant conseil
que de son ambition et de ses rancunes, fit arrêter
Barneveldt, Hoogenberts, Leydenberg, Grotius et
quelques-uns de leurs principaux adhérents.
Barneveldt et Aubery s'étaient rendu des services
mutuels, etil y avait entre eux une conformité de
caractère qui avait contribué beaucoup à reserrer des
liens formés par les circonstances. Tous les historiens
(1) Mémoires pour servir à l'Histoire de Hollande, p. 334.
Dans un manuscrit de la Bibliothèque du roi, provenant de l’ab-
baye de Saint-Germain-des-Prés (n° 192 de St.-Germain }, on lit
.un Mémoire instructif baillé à M. du Maurier, ambassadeur du
roi, retournant en Hollande, en octobre 1617. Ces instructions
portent que le sieur du Maurier s’abstiendra d'intervenir dans les
affaires intérieures des Etats, si ce n’est pour apaiser les diffé-
rends survenus.
BENJAMIN AUBERY DU MAURIER. 59
ont loué les éminentes qualités de Barneveldt ; voici
le portrait d'Aubery du Maurier , tracé par Charles
Ancillon : « Il étoit ouvert, affable , se communiquant
à ses amis et surtout à ses enfants, auxquels ilrendoit
tous ses entretiens utiles. Il étoit sincère , droit, équi-
table, sur ses gardes pour ne désobliger personne,
craignant toujours de préjudicier à quelqu'un, mais
ne se laissant pas surprendre, renversant aisément
toutes les ruses et tous les artifices dont on vouloit se
servir contre lui (1). » Ces deux hommes, dignes l’un
de l'autre, s'étaient accordé une confiance réciproque,
et leurs familles étaient unies par la plus étroite fami-
liarité. L'ambassadeur de France avait un commerce
aussi suivi avec les chefs du parti républicain, Barne-
veldt et Grotius, qu'avec les courtisans du prince de
Nassau. Quand il apprit l'arrestation de ses amis, il
s'empressa de protester, même en public, contre les
actes de violence du stathouder, et formula de vives
remontrances qui furent lues dans l’assemblée des
États (2). À ce manifeste, le parti du prince répondit
par de violents libelles, rédigés par Aertsens, dans les-
quels on accusait Aubery de favoriser la secte d'Armi-
pius par inclination pour les Espagnols et les papistes.
Bien que la cour de France eût intérêt à demeurer en
de bons termes avec le stathouder, elle appuya les
démarches faites par son ambassadeur en faveur de
Barneveldt et de Grotius. À la fin d'avril 1619, le procès
des accusés touchant à sa fin, Aubery se rendit à
(1) Mémoires concernant les vies et les ouvrages de plusieurs
modernes, p. 323.
(2) Mémoires pour servir à l'Hist. de Holl., p. 340 et suiv.
40 BENJAMIN AUBERY DU MAURIER.
l'assemblée des États et fit entendre d’énergiques
paroles. On n'en tint pas compte, et Barneveldt fut
condamné à la peine capitale. Avant l'heure fixée pour
l'exécution, Aubery voulut encore faire un dernier
effort ; il courut à l'assemblée , et demanda vivement
une audience : elle lui fut refusée, et il ne put qu’a-
dresser aux États une note diplomatique, dans laquelle
il sollicitait, au nom du roi de France, la grâce de
Barneveldt. Cet illustre martyr de la liberté politique
et de la tolérance religieuse, monta sur l’échafaud le
13 mai 1619.
Aubery demeura quelques années encore en Hol-
lande. Il perdit, à la Haye, au mois de novembre 1620,
sa femme, génoise d'origine, qui lui avait donné douze
enfants, six garçons et six filles (1). Prisonnier dans le
château de Louvestein, Grotius lui adressa, dès qu'il
apprit cette nouvelle, une lettre de condoléance. C'est
vers le même temps, le 15 janvier 1621, que le com-
plice de Barneveldt écrivait à son ami du Maurier :
« Ma cause étant depuis longtemps plaidée devant ma con-
science, qui est pour moi le plus saint des tribunaux, je ne
trouve pas, dans les plus intimes replis de mon âme, que nous
ayons jamais formé un autre dessein que celui de concilier l'unité
de l'Eglise avec la liberté des opinions sur les points eontroversés :
dessein que me semblent autoriser un grand nombre d'exemples
anciens et récents. Je n’ai jamais prétendu rien changer dans le
gouvernement de la république ; J'ai toujours eu à cœur de dé-
fendre le droit de ceux dont j'étais le sujet, au nom desquels
j'exerçais un emploi public, et auxquels j'avais engagé ma foi,
et, dans ce but, j'ai voulu conserversaux Efats et au prince la part
(1} Mémoires pour servir à l'Hist. de Holl , p. 401.
BENJAMIN AUBERY DU MAURIER. A1
d'autorité qui leur avait été jusqu'alors attribuée par la volonté du
peuple. Qui a connu nos affaires comprend sans peine que tout
notre crime a été de vouloir préserver la république des lois nou-
velles qu’allaient établir d’ambitieux partisans. Si, pour avoir
tenu cette conduite, nous sommes dépouillés de nos hiens, de
nos charges , de notre considération, ce n’est pas là non plus un
fait sans exemple. Mais, ce qui m’est bien dur, c’est d’être privé,
malade et souffrant, de la lumière du soleil, et de ne pouvoir,
dans mes chagrins , recevoir les consolations de mes amis. Cepen-
dant je supporterai cela , et, Dieu aidant, de plus cruels supplices,
s’il en est, plutôt que de demander grâce alors que ma conscience
ne me reproche rien. » | :
Ce sont-là de beaux sentiments et de belles paroles.
On sait que Grotius s'échappa de la prison de Lou-
vestein au moyen d'un coffre dans lequel sa femme lui
avait envoyé des livres. Dès qu’il fut hors des mains du
prince Maurice, Aubery lui donna des lettres pour
Paris, lui promettant que le meilleur accueil serait fait
dans cette ville à l’illustre défenseur des libertés ba-
taves. Grotius suivit ce conseil, et se rendit à Paris.
Au mois de juillet de l’année 1622, Aubery an-
nonçait à Grotius qu’il avait formé le projet de con-
tracter un nouveau mariage ; il avait réalisé ce projet
au mois de décembre de cette année, comme nous
l'apprend une lettre de Grotius qui se termine par ces
mots : «Vale cum uxore et liberis. » Vers la fin de 1623
nous voyons Aubery tenir sur les fonds de baptême,
pour le roi de France, un des fils de Guillaume d'O-
range, ayant à sa droite le roi de Bohème et le prince
Maurice à sa gauche (1). En quelle année Benjamin
(1} Mémoires pour servir à l’Hist. de Holl., p. 168.
42 BENJAMIN AUBERY DU MAURIER.
Aubery cessa-t-il de représenter la France à La Haye
et vint-il chercher le repos aux lieux de sa naissance?
Cela est fort incertain. Le 26 juillet 1629 , Grotius lui
écrivait : « Je vous ne parlerai pas des affaires de
France, car elles sont toujours dans le même état. »
On a donc lieu de croire qu’à cette époque Aubery
n'avait pas encore quitté La Haye. Une autre lettre de
Grotius, du 16 août 1630, contient le passage suivant :
« S’il ne parvient aucune nouvelle dans l’endroit que
vous habitez, ne vous cn affligez pas, car, à cette
condition seulement, vous pourrez être tranquille.
C'est quelque chose que de vivre là où l’on n'entend
parler ni du nom ni des actes des Pélopides. Mais co
qu'il y a de triste aux lieux où vous êtes, c’est que la
terre supporte, outre les injures du ciel, de tels im-
pôts, que les laboureurs eux-mêmes commencent à la
maudire. Bien souvent je prends en pitié vos paysans
accablés par tant de charges, lorsqu’au-dessus d’eux
je vois la foule des grands et les prêtres eux-mêmes
vivre dans le luxe, affranchis de toute redevance
fiscale. » Ces détails sont plus que suffisants pour
nous apprendre qu'en l’année 1630, Benjamin Aubery
était de retour en sa terre du Maurier.
Ch. Ancillon rapporte que, « pendant son séjour en
Hollande, » Aubery reçut du roi l'ordre de passer en
Angleterre, et de négocier diverses affaires avec la
reine Élisabeth. Cette reine étant morte le 3 avril 1609,
et Benjamin Aubery n'ayant été nommé ministre en
Holilande qu’en 1613, Ch. Ancillon a commis une erreur
de date. Benjamin Aubery avait été chargé par
Henri IV, durant les troubles de la Ligue, d'aller de-
mander à Elisabeth des secours qu'il n’obtint pas. Au
BENJAMIN AUBERY DU MAURIER. A5
témoignage d'Ansart, il remplit une autre mission
dans le même pays, sous le règne de Jacques I°".
La dernière lettre de Grotius à Benjamin Aubery est
du 31 juillet 1636. Nous lisons dans les Mémoires de
Hambourg qu'il mourut, au Maurier, le 10 août de
cette année 1636 (1).
Louis Aubery nous rapporte que son père « passa
pour une des meilleures plumes de san temps. »Il reste
bien peu de ses écrits, qui furent presques tous des
pièces diplomatiques ou des discours parlementaires.
Nous avons fait connaître ce qui a été publié de sa
correspondance avec Duplessis-Mornay, mais nous ne
possédons pas les lettres qu'il écrivit à Grotius.
Suivant le P. Lelong , il existait à la bibliothèque
de Saint-Germain-des-Prés un recueil manuscrit con-
tenant diverses missives des sieurs de Russy, de Ref-
fuge, du Maurier, ambassadeurs cn Hollande, de
l'année 1609 à l’année 1623. Nous avons fait de vaines
recherches pour découvrir ce manuscrit à la biblio-
thèque du roi ; nous n’en avons pas même trouvé l'in-
dication dans l’ancien catalogue de la bibliothèque de
l'abbaye de Saint-Germain.
Dans ses Mémoires pour servir à l'histoire de Hol-
lande, L. Aubery a publié deux fragments d'un ouvrage
de son père, auquel il donne le titre de : Préceptes de
M. du Maurier Benjamin Aubery à ses enfants : l'un
de ces fragments se trouve inséré dans la vie de Louise
de Coligny, l’autre dans la vie de Barneveldt. Ils ne
contiennent rien qui soit digne de remarque.
(1) Hémoires de Hambourg, par Louis du Maurier, p. 1.
44 JACQUES POUSSET. L
POUSSET (rACQuEs).
JACQUES POUSSET, sieur de Montauban, né au
Mans dans les premières années du XVIIe siècle , fut
avocat au parlement , échevin de Paris, et mourut
dans cette ville en 1685. Il jouit d'une grande réputa-
tion comme orateur et comme poète tragique. Un qua-
train, dont nous regrettons de ne pas connaître l'au-
teur, est ainsi CONÇU :
Faire des vers comme un Homère
Et comme un Cicéron régner par le discours,
C’est ce que Montauban sait faire
Et dont on n’a point veu d'exemple de nos jours.
Rien de plus, mais rien de moins. — Si l'on use,
si l’on abuse encore trop souvent de cette figure de
rhétorique qui s'appelle l’hyperbole, on ne tombe plus
en d'aussi graves écarts. Mais laissons de côté ces
dires frivoles , et apprécions équitablement les mérites
littéraires de Pousset de Montauban.
Il parut comme avocat dans plusieurs causes cé-
lèbres ; dans celles du gueux de Vernon, des Dau-
briot de Courfaut, de Bernard de la Guiche , etc., etc.-
et nous avons quelques fragments de ses plaidoyers.
Rien n’est plus bouffon : ce sont des centons d'orai-
sons latines très-librement traduits et cousus les uns
aux autres avec assez peu d'art, des anecdotes racon-
tées avec emphase, et des divagations grotesques : nous
ne saurions rien en louer.
Nous nous arrêterons plus long-temps sur ses pièces
de théâtre : on en connaît à peine les titres, et nous
JACQUES POUSSET. A5
ne croyons pas qu'elles aient été jamais analysées. La
grande renommée de Racine a fait oublier tous les
contemporains de P. Corneille. Quand les oreilles du
public eurent entendu les vers d'Andromaque ou de
Britannicus, quand elles en eurent goûté le tour élé-
gant, harmonieux, elles ne purent supporter davan-
tage la manière moins correcte et plus rude des dis-
ciples ou des rivaux de Corneille, et ceux-ci tombèrent
aussitôt en discrédit. Nous ne prétendons pas qu’on
ait commis à leur égard une très-grande injustice , et
nous ne blàmons pas , même daus son intolérance et
dans ses excès, la révolution qui porta Racine au
sommet du Parnasse. Ayant toutefois à parler du
théâtre de Pousset de Mautauban, nous devons faire
valoir ses titres inconnus. La première en date de
ses compositions dramatiques est une tragédie dont
voici le titre : Zenobie , reyne d’Armenie; Paris, G. de
Luine, 1653, in-12.
Zénobie, fille du roi d'Arménie, a été donnée pour
femme à Rhadamiste, roi d'Iberie. Durant le repas
nuptial, Rhadamiste a fait empoisonner le père et le
frère de Zénobie pour se rendre maître de leurs do-
maines. Mais, à la nouvelle de ce double crime, les
Arméniens se sont révoltés , et Rhadamiste , vaincu par
leurs milices, errant sur la plage étrangère, a voulu
tuer Zénobie avant de tomber lui-même aux mains des
insurgés. Celle-ci, frappée de trois coups de poignard,
s'est réfugiée mourante dans la cabane d’un pécheur,
et, dans cette obscure retraite , elle a mis au jour une
fille. Cependant Tyridate, roi des Parthes, instruit de
la naissance et des malheurs de Zénobie, l’a fait venir
à sa cour, et l'a persuadée de partager sa couche.
46 JACQUES POUSSET.
Zénobie s'est engagée dans ce nouvel hymen, croyant
à la mort de Rhadamiste. Une autre fille est née de
cette union. Mais, pendant une longue absence de
Tyridate , cette fille est morte, et Zénobie, qui a eu
déjà beaucoup à se plaindre de son nouveau maître, a
cru devoir substituer à la fille née de Tyridate, mysté—
rieusement ensevelie, la fille née de Rhadamiste,
laissée pendant quelques années à la garde du pè-
cheur. — Telle est la première partie de l'exposition :
elle n’est pas fort claire. Ce qui suit l’est moins encore.
— Rhadamiste, ayant eu des nouvelles de Zénobie,
réclame sa femme et veut prendre possession de l’Ar-
ménie ; Tyridate s'obstine à garder Zénobie, et fait
aussi de grands efforts pour s'emparer des états de sa
famille. Repoussant à la fois Rhadamiste et Tyridate,
les Arméniens appellent les Romains à leur secours.
Les Romains envahissent le territoire contesté; Tyridate
et Rhadamiste sont vaincus, et le consul de Rome,
Helvidius, vient, au nom du sénat, dire à Zénobie
que le sort des deux rois est entre ses mains, qu'elle
peut leur donner ou la mort ou la liberté.
HELVIDIUS.
Enfin vos ennemis sont en vostre puissance,
Madame, et les Romains vous vengent par mon bras
Et de leurs cruautez et de leurs attentats.
Ces deux roys vous sont joints par le même hyménée,
Au gré de vos souhaits faites leur destinée.
Par eux sensiblement le sénat offensé ,
Comme vous dans leur mort se voit intéressé :
N'ont-ils pas des consuls fait abatre l’image?
A tous ses alliez n’ont-ils pas fait outrage?
Cependant il vous fait l'arbitre de leur sort...
JACQUES POUSSET. 47
Perside , fille de Rhadamiste, qui se croit fille de
Tyridate , veut sauver celui qu’elle appelle son père,
et, dans ce dessein, elle a feint d'aimer Helvidius.
Celui-ci, cédant à ses prières, intercède auprès de
Zénobie en faveur des deux captifs. La cause de Tyri-
date est encore plaidée par son fils Phraarte, lequel,
né d'une autre mère que Zénobie, sait que Perside
n’est pas sa sœur et l’aime sincèrement. Mais c'est en
vain qu'on sollicite la reine d'Armenie : elle veut la
mort de Rhadamiste et la mort de Tyridate. Elle dit à
Helvidius :
Pour recevoir mes loix Rome vous a commis;
N'examinez donc rien et suivez ma colère :
Vous sçavez mon arrêt; que rien ne le difière.
De ce plaisir si doux à mon ressentiment
J'attendrai le succès en mon appartement.
Ainsi finit le premier acte. Au début du second,
Phraarte vient ouvrir son cœur à Zénobie. Il aime
Perside, mais avant de lui déclarer cet amour, il faut
qu’il lui révèle le secret de sa naissance : or, s’il Jui
fait cette déclaration , elle ne prendra plus aucun in-
térêt au sort de Tyridate, et, s’il ne la fait pas, il verra
Perside devenir l'épouse d’Helvidius. Dans cette alter-
native, il sacrifie son amour, il se dévoue pour son
père, il ne dira rien. Après lui, Helvidius et Perside
viennent supplier la reine d'épargner Tyridate. Enfin
Tyridate et Rhadamiste sont amenés devant Zénobie
par les ordres du consul. C’est une scène de cruels
reproches : Zénobie reste inflexible.
Mais il est à craindre qu'Helvidius, disposé par
Perside à la clémence , n’agisse contre les volontés de
A8 JACQUES POUSSET.
Zénobie. Elle a donc fait parvenir des plaintes au sénat
contre la mollesse du général , et, attendant Corbulon,
qui a été désigné comme successeur à Helvidius, elle
veut paraître revenue à d’autres sentiments à l'égard
des rois. Elle s'adresse d'abord en ces termes à
Phraarte :
Je ne résiste plus, prince , et votre prière
À sur mes sentiments une puissance entière ;
Je me souviens toujours , que tous mes déplaisirs,
Qui me coùtoient des pleurs vous coûtaient des soupirs :
Et comme ces deux roys, par le mesme hyménée,
Se treuvent engagez en mesme destinée,
Je veux qu’également ils partagent le fruit
Que la pitié pour eux dans mon cœur a produit ;
Je ne demande plus leur mort, ny ma vengeance,
C’est assez d’en avoir témoigné la puissance,
Que Rome s'intéresse, et que , par son secours,
Je me voye aujourd'huy maistresse de leurs jours :
Je veux, quand mon courroux ne treuve plus d’obstacle,
Dompter ma propre haine.
A cette nouvelle, Phraarte est plein de joie, et il
s'empresse d'aller tout redire à Perside. Celle-ci lui
confesse qu'elle n’a pour le consul qu'une affection
feinte. Il lui raconte alors qu'il n’est pas son frère, et
la conjure de l’accepter pour amant. Elle accueille
bien cette prière, et quand Helvidius vient lui dire
qu’il est prêt, pour lui plaire, à enfreindre les ordres
qu'il a reçus du sénat, elle lui répond qu'elle n’a plus
affaire de lui, puisque la reine a changé de résolution.
Irrité par ses dédains, Helvidius jure de se venger
dans le sang des deux rois. Zénobie parle aussitôt un
autre langage : elle ne veut plus pardonner, et, pour
JACQUES POUSSET. 49
sauver Tyridate , Phraarte se voit contraint de dire à
Perside qu'il l'a trompée, et qu'il est son frère. Rha-
damiste et Tyridate sont introduits de nouveau sur la
scène. Ils commencent par faire l’un et l’autre une
déclamation solennelle sur le rôle humiliant qu’on fait
jouer à deux rois :
RHADAMISTE.
Seigneur, c'est mal user du pouvoir qu’on vous donne,
Et blesser un peu trop l'honneur de la couronne,
Que de nous appeler, loin de nous écouter,
Pour plaire à votre haine et pour nous insulter,
Pour voir deux souverains pleurer votre victoire,
Pour faire dans leur honte éclater votre gloire,
Pour fouler à vos pieds la majesté des roys
Qui sont indépendants de vous et de vos lois,
Et pour nous voir, au gré des caprices d’un homme,
Les divertissements d’une femme et de Rome.
HELVIDIUS.
Ne le présumez pas , et je suis plus humain.
TYRIDATE.
Vous maltraitez les roys et vous estes Romain!
À quelques grands effets que votre haine aspire,
Nous ne scaurions ny voir ny souffrir rien de pire :
Nous mourrons sans paslir, notre cœur est trop haut.
Mais cachez ceste femme et montrez l’échaffaut!
Allons au lieu fatal d'où tombent les couronnes ;
Mais de plus d’un supplice espargnez nos personnes!
Cela dit, Rhadamiste et Tyridate, apprennent que le
consul , touché par les larmes de Perside, lui a promis
de sauver du moins la vie de son père ; ils demandent
III A
50 JACQUES POUSSET.
donc à Zénobie de résoudre le plus cruel des doutes,
de déclarer duquel d'entre eux Perside est la fille.
Mais Zénobie refuse obstinément de s'expliquer.
PERSIDE.
Qui de vous est mon père?
Me l'enseignerez-vous, mère, prince, et vous rois ?
Me viendrez-vous tirer de la peine du choix?
M'en éclaircirez-vous , Seigneur, amour, nature ?
Voix du cœur, voix du sang , estes-vous sans murmure ?
Sur ces entrefaites, Corbulon arrive. Il censure no-
blement les faiblesses d'Helvidius ; mais, ce devoir
rempli , il réclame , au nom de l'humanité, la grâce
de Rhadamiste et de Tyridate. Zénobie va céder, quand
on vient annoncer que les deux rois se sont frappés
au milieu du camp romain et qu’ils expirent. Telle est
l'analyse de cette tragédie. |
Les infortunes de Zénobie ont inspiré bien des
poètes : l’abbé Boyer et Crébillon ont tour à tour traité
le même sujet que Pousset de Montauban {1}; mais
comme ils ont, les uns et les autres , fort peu respecté
les témoignages de l’histoire , il se trouve que, sous
le même titre , ils ont mis en scène des situations bien
différentes. Aucune comparaison n'est donc possible
entre ces diverses tragédies. On a pu remarquer que
la fable imaginée par Pousset de Montauban est un
tissu d'incidents fort bizarres , et que l’auteur a plu-
(1) Dans sa tragédie en prose qui porte le titre de Zénobie,
l'abbé d’Aubignac a mis en scène une reine de Palmyre qui n’a
de commun que le nom avec la triste femme de Rhadamiste. La
tragédie de Magnon qui porte aussi le titre de Zénobie, est celle
de l’abbé d’Aubignac mise en vers.
LE
JACQUES POUSSET. 51
sieurs fois recours aux mêmes moyens pour produire
les mêmes effets. Nous ne saurions louer dans sa pièce
que la haute tenue des personnages et des discours
qu'ils récitent : ce sont des héros parents de ceux de
Corneille ; ils ont le langage fier, tranchant, senten-
cieux de tous les membres. de cette illustre famille.
Il y a des vers énergiques et vraiment beaux dans la
Zénobie de Montauban; nous en avons cité quelques-
uns de tels : mais on en rencontre beaucoup trop qui
ne flattent que l'oreille, et n’expriment ni des sen-
timents vrais ni des idées justes.
Il y a des scènes plus éloquentes dans la tragédie
de Pousset de Montauban qui porte le titre d’Indé-
gonde , publiée par G. de Luine , en 1654, un an après
Zénobie. Hermenigilde , fils de Levilgilde, roi d'Es-
pagne , a épousé Indégonde , fille de France. Goi-
sinthe , femme en secondes noces de Levilgilde , a fait
subir la persécution la plus cruelle au prince Herme-
nigilde. Pour protéger ses jours contre les fureurs de
cette marâtre, celui-ci s'est retiré dans les murs de
Séville, et, depuis deux ans, cette ville est assiégée par
les armées du roi. Enfin on propose la paix, le roi
pardonne à son fils, le fils accepte avec dignité le
pardon de son père, et revient à la cour. Alors Goi-
sinthe invente le plus odieux complot : au moyen
d'une lettre supposée , elle accuse Hermenigilde
d'avoir conspiré contre son père avec les Romains
({ nous sommes au temps de Tibère), et d’avoir
(voilà certes d'étranges anachronismes) abandonné la
croyance des rois ses ayeux, l’arianisme, pour em-
brasser la foi chrétienne. Le prince repousse avec
horreur la première de ces accusations ; mais il avoue
52 JACQUES POUSSET.
qu’en effet il a été converti par Indégonde à la croyance
des Francs, au christianisme :
C’est la source où , sans peur des peuples irritez ,
Mon esprit a puisé ces hautes véritez,
Ces mystères du ciel dont mon âme est certaine,
Adorables escueils de la science humaine.
Je sçay que cette foy dont mon cœur a fait choix
Passe pour un grand crime en l'esprit de vos loix ;
Mais sçachez que ce crime , au milieu des supplices,
À fait de ses bourreaux quelquefois ses complices ,
Sa conquestre autres fois des plus grands conquérants
Et ses adorateurs de ses propres tyrans.
Le trépas pour ce crime est toute mon envie.
Ceux qui meurent ainsi ne changent que de vie.
Que je serois heureux si j'avois acheté,
Au prix de tout mon sang , cette immortalité !
Vainement on lui promet la vie et le trône, s’il veut
renoncer à cette coupable croyance ; vainement Réca-
rède, son frère , vient le supplier de prendre ce parti.
Il répond par un refus héroïque, et meurt de la main
du bourreau. Indégonde lui a dit elle -même de mar-
cher au supplice. Quand elle apprend sa mort, elle ne
fait pas entendre les tragiques imprécations de la co-
lère; sa douleur est celle d'une épouse chrétienne :
A ce triste récit dont mon âme est surprise
Mon courage se pert, ma constance s’épuise ;
Mais il faut résister à de si rudes coups,
Et dedans ma douleur rencontrer mon espoux..….
Ne versez point, mes yeux, de larmes sur son sang.
Mon espoux nasquit prince , il est en plus haut rang
Il porta la couronne , il en porte une encore
Qui ne pèse pas tant et qui bien plus l'honore ;
JACQUES POUSSET. 59
Qui ne relève point ny des lois, ni du temps,
Et que le ciel enfin garde à ses combattans.
Je sçay que ma douleur est la douleur publique,
Qu'on ne peut appeler ma perte domestique,
Qu'elle afflige l’estat, qu’elle estonne les loix,
Destruit l’ordre du sang et fait craindre les rois.
Mais plaindray-je un vainqueur tombé sous ses trophées ?
Croiray-je ses vertus sous le glaive estouffées ?
Penseray-je que, mort, il cesse d’estre roy ?
Et puis-je le pleurer sans douter de ma foy ?
Non, ne trahissons point ny mon cœur, ny sa cendre...
Mais la mort d'Hermenigilde n’est pas le seul mal-
heur qui doit éprouver le courage d'Indegonde. Elle
a eu de ce prince un fils bien jeune encore ; on lui
apprend quil vient de mourir. Elle dit :
Le dessein que je prends est d’estre , en ma misère,
Constante pour le fils ainsi que pour le père.
Cher fils, mon cher appuy, gage de mon amour,
Qui vis en mesme temps et la guerre et le jour...
de ne te pleure point, lorsque je considère
Que la foy t’a donné le repos de ton père,
Et que tu vis encore , en despit du tombeau,
Puisque cette lumière esclaira ton berceau.
D'un père généreux chère image perdue,
Fils de l'aigle esprouvé qui le suis dans la nue,
Qui mesprise la terre , et qui, d’un vol pareil,
Approches, comme luy, la couche du soleil,
Ton trépas peu m’estonne , et, bien loin de te plaindre,
J'attends le jour heureux pour te pouvoir atteindre.
Ce jour sera pour moy de triomphe et de paix,
Je verray le bonheur pour m'y joindre à jamais,
Et la mesme vertu qui maintenant s’employe
04 JACQUES POUSSET.
A combattre mes pleurs, modérera ma joye.
Adieu sceptre , grandeurs , fortune des humains!
J’avois pris de la boue et j'en lave mes mains ;
Mon esprit est guéry du souhait de l'empire,
Après ce que j'ay veu, ce n’est pas où J'aspire.
Je ne veux point d'honneur qui ternisse mon rang ;
Celuy qui tient l’estat dégoutte de mon sang,
Et n’a creu s'assurer en ce droit légitime
Que par l’achèvement d’un effroyable crime...
Il y a sans doute de l’exagération dans ces senti-
ments. P. Corneille avait fait représenter Polyeucte
en 1640; Indégonde est évidemment une imitation de
Polyeucte, et, comme le dénouement de cette pièce
avait eu le plus grand succès , Montauban l’a remis en
scène. Mais le défaut commun des imitateurs est
d'aller bien au-delà de leur modèle, d'ajouter même à
la fiction. Nous n’avons pas à dissimuler que notre
poète est tombé dans cet excès ; des éloges sont dûs
toutefois à ces vers pleins, sonores , vigoureux, que
nous venons de reproduire.
Nous ne connaissons pas d'autres tragédies de
Pousset de Montauban qu'Indégonde et Zénobie; on
Jui attribue encore Thyeste, tragédie qui na pas sans
doute obtenu beaucoup d'applaudissements , car elle
n'a pas êté imprimée. Il a fait, en outre, représenter
plusieurs pièces moitié comiques, moitié tragiques,
qui paraissent avoir été plus goûtées, et qui, de nos
jours, le seraient peu. Nous en avons trois sous les
yeux : Les Charmes de Félicie, Seleucus et le Comte
de Hollande, imprimées chez G. de Luine , en 1654.
Il est, de plus , l’auteur supposé de Pantagruel, co-
médie imprimée en 1674, et des Aventures de Panurge,
JACQUES POUSSET. 55
autre comédie en cinq actes, représentée en cette
année 1674, mais qui ne fut pas vraisemblablement
jugée digne de l'impression.
Les Charmes de Félicie, tel est le titre d'une pasto-
rale plus galante que dramatique, dont le sujet est
pris de la Diane de Montemaior. Il y a dans cette pièce
quelque esprit et des vers faciles. Seleucus est un
imbroglio qui n’a rien de comique ; au lieu de grandes
passions, on y trouve de grandes périodes, de ridi-
cules fanfaronnades , et des esquisses de caractères
faux; c’est, en somme, une pièce fort médiocre. Le
Comte de Hollande est de même fabrique : presque
tous les personnages sont supposés, et si, dès le
début de la pièce, quelques monologues ou quelques
vers récités d voix basse ne donnaient pas au public
le dernier mot de toutes les énigmes , la curiosité
pourrait être fort excitée jusqu’au dénouement ; mais
peut-être aussi l'attention du spectateur se lasserait-elle
avant la fin du premier acte.
Pousset de Montauban paraît avoir affoctionné ces
tours de force dramatiques : il n’y a rien de simple
dans sa manière, rien de vrai; dans l’ensemble et
dans le détail, il exagère tout; d’une fiction qui pourrait
être la matière d'une scène pathétique, il fait un drame
en cinq actes, durant lesquels les mêmes personnages
ne font que répéter les mêmes propos. Il a surtout
abusé des suppositions de personnes. Mais ce n’est
pas un écrivain vulgaire : ses périodes ont de l’am-
pleur, son vers est ferme, il parle bien une belle
langue, la langue de P. Corneille.
On ne connaît pas la vie de Pousset de Montauban ;
on sait seulement qu’il vivait dans l'intimité de Racine,
56 JEAN DE SPINA.
de Boileau et de! Capelle. Il était aussi des amis de
Costar : dans les Lettres de Costar, on en trouve six
qui lui sont adressées (1).
SPINA (3EAN DE).
JEAN DE SPINA, ou plutôt JEAN DE L'ESPINE, né à
Daon, en Anjou, à l'extrême limite du département
de la Mayenne, fut d'abord religieux Augustin , puis
ministre protestant. El mourut à Saumur en 1594. La
Croix du Maine a connu ce Jean de l'Espine, mais,
sans indiquer le titre de ses ouvrages, il nous renvoie
au catalogue des livres censurés par la Sorbonne.
Du Verdier nous fournit d’autres renseignements. Les
traités de Jean de l'Espine sont, pour la plupart,
des pamphlets théologiques de médiocre valeur. Le
premier qu'il publia, suivant Du Verdier, a pour titre :
Traîitté pour oster la crainte de la mort et la faire
désirer à l’homme fidèle; Lyon, Lertout, 1558, in-8.
Vient ensuite : Discours du vray Sacrifice et du vray
Sacrificateur, œuvre monstrant à l'œil, par les tesmoi-
gnages de Saincte Escripture, les resveries et les abus
de la messe ; 1563, in-8, sans autre indic. ; et Lyon,
Ravot, 1564, in-8. C’est un manifeste de vingt-trois
pages contre la liturgie romaine. Le plus remarquable
des écrits de Jean de l’Espine que nous ayons pu nous
procurer, est le suivant : Trailté consolatoire et fort
(1) Ce sont les lettres 10, 11, 12, 177, 235, 275.
JEAN DE L'ESPINE. 57
utile contre toutes afflictions qui adviennent ordinai-
nairement aux fidèles chrestiens; Lyon, Saugrain, 1565,
in-8. Ce discours est à l’adresse des protestants : l’au-
teur les encourage à se raiïdir contre la persécution,
à opposer le glaive au glaive, et à ne jamais déses-
pérer de la cause des saints : la péroraison de cette
harangue séditieuse est en faveur de la liberté de
conscience. Jean de l’Espine publia l’année suivante :
Traité des tentations et moyen d'y résister; Lyon,
Saugrain, 1566, in-8. On a encore de lui : Défense et
confirmation du traité du vray Sacrifice et Sacrifica-
teur; Genève, Bezart, 1567. Cet opuscule est une
réplique aux objections faites contre le Discours du
vray Sacrifice, par René Benoist, Angevin, curé de
Saint-Eustache, à Paris. La Croix du Maine se trompe
vraisemblablement, quand il nous dit que l’ouvrage
de René Benoist , auquel répond Jean de l'Espine, fut
publié dès l’année 1562.
ESPINE (35EaN DE L’).
JEAN DE L’ESPINE , Manceau, qu'il ne faut pas
confondre avec le précédent, exerçait auprès de la
reine de Navarre les fonctions d’astrologue et de mé-
decin. Suivant La Croix du Maine, « il a traduit du
latin en françois plusieurs prophéties des Sibylles et
révélations de madame saincte Brigide, Cassandre et
autres , etc. » Cet ouvrage n’était pas imprimé en 1584,
et ne l’a pas été depuis cette époque.
98 JEAN DE TANLAY.
ALTON (Gervais).
Ansart inscrit au nombre des écrivains nés dans le
Maine GERVAIS ALTON, doyen d'Oisé, curé de Cou-
longé. Gervais Alton est auteur d’un petit livre fran-
çais, publié sous ce titre latin : Enchiridion, seu Ma-
nuale ad ‘usum parochorum pro visitatione et cura
infirmorum ; Cenomanis , H. Olivier, 1654, in-16. Ce
livre est un commentaire du rituel d'Emeric de la
Ferté ; il est dédié par l’auteur à Philbert-Emmanuel
de Beaumanoir.
TANLAY (5EAN DE).
Au témoignage d'Echard (1) et de Dom Housseau (2),
la bibliothèque de la Sorbonne possédait un manuscrit
contenant divers sermons du XIIT° siècle recueillis
par Pierre de Limoges, et dans ce recueil se trou-
vaient trois sermons d’un frère mineur nommé Jean
du Mans , Joannes de Cenomanis. D'autre part, un
manuscrit sur vélin de la bibliothèque Colbert, inscrit
aujourd'hui sous le n° 3,702 parmi les manuscrits de
la bibliothèque du roi, sous ce titre singulier : Le livre
du Chantre, Liber Cantoris, nous est donné comme
(1) Script. Ord. Prædic., t. 1, p. 269.
(2) MSS. de la bibl. du roi, cartons de Dom Housseau,
carton XXX.
+
JEAN DE TANLAY. 59
renfermant un abrégé des leçons de Théologie morale
faites par Jean, évêque du Mans, « ex dictis Joannis,
Cenomanensis episcopi. » Ce manuscrit étant du
XIILe siècle, l'évêque du Mans ici désigné ne peut
être que le premier des pasteurs de cette église qui
ait porté le nom de Jean, c'est-à-dire , le successeur
de Geoffroi d’Assé, EAN DE TANLAY, qui occupa le
siége épiscopal du Mans de l’année 1277 à l’année
1294 (1). Or, on suppose que Jean le frère Mineur et
Jean l'évêque, ayant vécu vers le même temps, sont
le même personnage, auquel on attribue les Sermons
recueillis par Pierre de Limoges et le cours de théo-
logie morale dont le Liber Cantoris nous offre le ré-
sumé. On ajoute qu'avant d'être pourvu de l'évêché
du Mans , Jean de Tanlay avait sans doute , ainsi que
son prédécesseur Geoffroi d’'Assé, exercé l'emploi de
scholastique et de chantre dans l’église cathédrale
de Saint-Julien ; ce qui donnerait l'explication de ces
mots : Liber Cantoris. Nous ne savons rien opposer
à ces diverses hypothèses, mais comme elles nous
semblent fort aventureuses , nous ne voulons pas les
prendre sous notre responsabilité. Il faut lire, sur
Jean de Tanlay, l’article plein de réserve publié par
M. Lajard dans le tome XX de l'Histoire littéraire de
la France.
Mais peut-être s'est-on déjà demandé pour quel
motif nous plaçons Jean de Tanlay au nombre des
(1) Suivant Le Corvaisier, Bondonnet et Dom Colomb. La
date de sa promotion à l’épiscopat est, suivant C1. Robert,
l'année 1274. M. Lajard { Hist. litt. de la France , t. xx, p. 103)
adopte l'opinion de quelques annalistes qui le font .mourir
en 1291. Il est difficile de faire un choix entre ces dates
arbitraires.
60 JEAN DE TANLAY.
écrivains nés dans le Maine. C'est une question à
laquelle nous devons répondre. Dans les archives de
l'église du Mans, le successeur de Geoffroi d’Assé
porte ces noms divers : Joannes de Tanlayo , Joannes :
de Chanliaco, Joannes de Challeio. En adoptant le
premier de ces noms, on trouve qu'une branche de
l'illustre maison de Courtenay possédait le fief de
Tanlay, et que les seigneurs de cette branche, issus
de Guillaume de Courtenay, quatrième fils de Pierre
de France, se faisaient appeler sieurs de Tanlay dès
la fin du XIIe siècle. Ce renseignement pouvant servir
de matière à plus d'une conjecture, on donne pour
père à Jean, évêque du Mans, Jean II de Tanlay,
mort le 15 juillet 1281, qui, de son mariage avec Mar-
guerite de Plancy, dame de Saint-Winemer, eut cinq
enfants désignés par les généalogistes. Nous lisons, en
effet, que le quatrième de ces enfants portait le nom
de Jean et qu’il mourut dans les dernières années du
XIII siècle ; mais on nous dit qu'il mourut doyen de
l'abbaye d'Ouincy (1) et non pas évêque du Mans, ce
qui nous porterait à croire que Le Corvaisier et Bon-
donnet ont introduit par fraude l'évêque Jean dans la
maison royale de Courtenay. Un religieux bénédictin,
dont les notes manuscrites ont été consultées par
M. Lajard, Dom Henri, propose de lire Joannes de
Chanliaco, et traduit ces mots par ceux-ci : Jean de
Chanlay. Mais ce lieu de Chanlay ne se rencontre sur
aucune carte et dans aucun livre de géographie. Il
semble plus sage à M. Lajard de supposer que le nom
du successeur de Geoffroi d’Assé fut Joannes de Chal-
(1) Dictionn. de Moréri, à l’article Courtenay.
JEAN DE TANLAY. 61
leio, Jean de Challe. Le bourg de Challe, de l’archidia-
coné et du doyenné de Montfort, au Maine, étant dési-
gné dans les anciens cartulaires sous les noms de Calla,
de Chala, de Chalæ, de Challa et de Challeium (1),
l’opinion de M. Lajard n’est pas assurément dépour-
vue de vraisemblance. C’est pourquoi, ne sachant trop
à quelle conjecture nous arrêter, nous avons cru
devoir prudemment inscrire au catalogue des écrivains
“originaires du Maine le nom problématique du qua-
rante-huitième évêque du Mans, auteur supposé des
Sermons recueillis par Pierre de Limoges et des leçons
de Théologie morale conservées dans le Livre du
Chantre.
Les annales ecclésiastiques du diocèse contiennent
peu de renseignements sur les actes de son épiscopat.
Les chanoines assemblés avaient désigné pour succes-
seur à Geoffroi d’Assé, Guillaume Roil , leur doyen,
a homme d’une grande capacité et d’une rare vertu ; »
mais ce modeste vieillard refusa le glorieux pallium de
Saint-Julien, et le pape Nicolas IIT appela sur le siége
du Mans le présomptueux , hautain et violent Jean de
Challe ou de Tanlay, « au grand dommage de la cathé-
drale et de tout le diocèse (2) ». Offensée par ses
mauvais procédés, la noblesse du Maine se souleva
bientôt contre lui, ravagea ses terres, incendia ses
domaines, ses granges, ses blés, saisit ses métayers,
et les mit aux fers. Dans tout le diocèse on courut aux
armes, les uns prenant le parti des nobles, les autres
celui de l’évêque : le siége fut mis devant les forte-
(1) M. Cauvin, Géographie ancienne du diocèse du Mans.
(2) Le Corvaisier, Hist. des Ev. du Mans.
62 RENÉ CHARTIER,
resses épiscopales de Ceaulcé, d'Yvré, de Touvoye,
et l'on vit Jean de Tanlay sortir de son palais pour se
rendre à la cathédrale, ayant pour escorte quarante ou
cinquante cavaliers. Il ne fut pas seulement en guerre
avec la noblesse du Maine; il eut aussi avec ses cha-
noines diverses querelles dont on ignore l'issue. Voilà
tout ce que nous apprenons sur la vie de cet évêque.
Nous n’avons que peu de mots à dire sur les deux
manuscrits à l’occasion desquels M. Lajard a parlé de
Jean de Tanlay. Le recueil de Pierre de Limoges, vu
dans la bibliothèque de la Sorbonne par Echard et
par Dom Housseau, n’a pas été retrouvé par M. Lajard
parmi les manuscrits de cette maison transférés à la
bibliothèque du roi. lls’y trouve cependant. Inscrit au
catalogue de la Sorbonne, sous le n° 900, il porte
aujourd’hui le n° 786, et il contient en effet un grand
nombre de sermons prononcés, dans diverses églises
de Paris , durant les années 1272 et 1273. Les trois
sermons de Jean du Mans doivent être le huitième , le
dix-huitième et le cent-quatre-vingt-treizième de ce
recueil. Quant aux dissertations morales qui ont pour
titre : Liber Cantoris , elles ont été lues par M. Lajard,
qui les a jugées peu dignes d'estime.
CHARTIER (RENÉ).
Suivant les registres de la faculté de médecine de
Paris, consultés par l'abbé Goujet, et la Bibliothèque
Chartraine de Dom Liron, RENÉ CHARTIER serait
RENÉ CHARTIER. 63
de Vendôme ; mais suivant Guill. Duval, dans son
Collége de France, le lieu natal de ce médecin cé-
lèbre serait la ville de Montoire, en Vendômois, au
diocèse du Mans. Entre ces deux assertions, nous ne
savons pour laquelle nous prononcer : cependant,
pour éviter le reproche d'avoir commis une omission
grave , admettons sous toutes réserves que René
Chartier ait pris naissance dans le même lieu que son
ami Ch. Bouvard, à Montoire, en l’année 1572.
Il étudia tour à tour les lettres , la philosophie, les
mathématiques, la jurisprudence, la théologie et la
médecine. Déjà connu par diverses productions poé-
tiques, au nombre desquelles on compte plusieurs
tragédies latines , il fut appelé dans la ville d'Angers
pour y professer les belles-lettres. C’est alors qu'il
composa et fit réciter à ses écoliers une pastorale la-
tine de seize cents vers sur la conversion de Henri IV
à la religion catholique. D’Angers, René Chartier se
rendit à Bordeaux, où il enseigna les mathématiques ;
puis à Bayonne, où il fit un cours de rhétorique.
Etant dans cette dernière ville, il prit le parti de re-
noncer aux lettres, pour consacrer tous ses loisirs à
l'étude des sciences naturelles, et, quittant les murs
de Bayonne, il s’en alla parcourir les Pyrénées , obser-
ver et recueillir les plantes agrestes de ces monta-
gnes déjà tant de fois explorées. Après avoir achevé
ce pélerinage scientifique, Chartier vint à Paris assis-
ter aux cours de l’École de Médecine, et fit avec
éclat, le 9 mai 1606, les paranymphes de cinq licen-
ciés , au nombre desquels se trouvait Ch. Bouvard (1).
(1) Hist, Litt. du Maine, t. 11, p. 411.
G4 : RENÉ CHARTIER"®
Ce discours a été imprimé. Dans la même année, il
fut reçu bachelier. L'abbé Goujet nous fait connaître
le titre des deux thèses qu’il soutint devant ses exami-
näteurs, présidés par Ch. Bouvard et par Duret : l’une
est vraiment médicale; l'autre, qui est une facétie
dans le goût du temps, a pour argument cet étrange
problème : La femme est-elle une aberration de la
nature, un animal imparfait, un monstre? Sa thèse
pour la licence, qu'il développa, dans trois séances
consécutives, nous le montre très-zélé partisan de
la phlébotomie. Il obtint le grade de licencié le 19 ma;
1608, et, peu de temps après, les insignes du doc-
torat.
Après avoir occupé, pendant trois ans, les chaires
de chirurgie et de pharmacie , il fut nommé, en 1612,
médecin des dames de France, filles de Henri IV , et,
en 1613, médecin ordinaire du roi Louis XIII. En 1617,
Etienne de La Font, professeur de chirurgie au
Collége Royal, ayant été contraint par son âge et par
ses infirmités de résigner la chaire qu’il occupait avec
honneur, elle fut donnée à René Chartier. Il y pro-
fessa pendant six ou sept ans devant un auditoire
nombreux, et ne l’abandonna que pour aller en
Espagne auprès d’une des dames de France, Elisa-
beth , mariée à Philippe IV. Après quelque temps de
séjour en Espagne, il fut curieux de connaître l'Italie,
et se rendit auprès de madame Christine, mariée,
dès l’année 1619, à Victor Amédée, duc de Savoie :
quittant ensuite l'Italie , il partit pour l'Angleterre et
fut honorablement reçu par Charles Ier, qui venait
d'épouser une de ses. augustes clientes, madame
Henriette-Marie. Il mourut le 29 octobre 1654, à
4
Ps
RENÉ CHARTIER. 65
l’âge de 82 ans , d’une attaque d’apoplexie qui le sur-
prit à cheval. |
On ne connaît de René Chartier aucun ouvrage ori-
ginal, mais il en fit paraître un grand nombre comme
éditeur. C’est à lui qu’on doit la première édition des
Scholies de L. Duret, sur le Traité des Maladies In-
ternes de Jacques Houllier : Ludovici Dureti Scholiu
ad Jacobi Holleri librum de Morbis Internis; Lute-
tiæ, 1611, in-4°. Il a publié pour la première fois les
OEuvres médicales de Barthélemy Pardoux : Bartho-
lomæi Perdulcis Universa Medicina ex medicorum
principum sententiis consiliisque collecta; Parisiis,
1630, in-4°. On lui doit encore , suivant l'abbé Gou-
jet, une édition de la Chirurgie d'Etienne Gourmelan,
et une traduction latine du traité de Palladius sur les
Fièvres : Palladii de Febribus concisa Synopsis;
Parisiis, 1646 , in-4°. S'il faut en croire M. Peignot (1),
cette traduction est de Jean Chartier, fils de René,
Le plus important de ses travaux philologiques est
son édition d'Hippocrate et de Galien : Hippocratis
Coi et Claudii Galeni Pergamen: archiatron Opera,
en treize volumes in-fol, Les six premiers volumes
de cette collection, ainsi que le huitième et le trei-
zième parurent en 1639; le septième et le douzième,
en 1649; le neuvième, le dixième et le onzième ne
furent publiés qu'en 1679, c’est-à-dire vingt-cinq
ans après la mort de Chartier, par les soins de
Blondel et de Lemoine, docteurs de la faculté. Cette
édition nouvelle d'Hippocrate n’eut pas autant de
succès que celle d'Anutius Foes : elle ruina l’auteur et
(1) Dict. Hist.
III | 5
66 PIERRE DE CLINCHAMP.
sa famille. L’'appréciateur le plus compétent et le
plus équitable de tous les travaux entrepris jusqu’à
ce jour sur Hippocrate, M. E. Littré, s'exprime ainsi
sur l’œuvre de notre Vendômois : «a L'édition de
Chartier est très-incommode à cause du nombre des
volumes et du mélange des livres d'Hippocrate avec
ceux de Galien ; mais, du reste, elle m'a semblé mé-
riter plus de faveur qu'on ne lui en accorde ordinai-
rement (1). »
CLINCHAMP (PIERRE DE).
La Croix du Maine parle de lui en ces termes :
« Messire Pierre de Clinchamp, chevalier de l’ordre
du roy, seigneur de la Buissardière au Maine, etc., etc.
Ce seigneur a esté fort amateur des lettres et avoit
beaucoup d’érudition, comme j’ay entendu par quel-
ques-uns de mes amis qui m'ont assuré qu’il avoit
traduit quelques Décades de l'Histoire Romaine de
Tite-Live et autres autheurs. Elles ne sont en lumière.
Je ne scay si la mort qui l’a prévenu en a esté cause,
car 1l trespassa en sa terre et seigneurie de la Quin-
tinière près Sainct-Calais, au Maine, l'an 1576, le
jeudy 16 jour d’aoust. »
Ce Pierre de Clinchamp était frère de Mathurin et
de François II de Clinchamp , et fils de Jean IIT de
Clinchamp, sieur de la Rongère , ainsi que nous l’ap-
prennent les archives de sa maison.
(1) Œuvres d'Hippocr., trad. de M. E. Littré, t.1, p. 549.
CHARLES BODRÉAU. 67
COSSET (5EAN).
La Croix du Maine parle aïnsi de 3EAN COSSET :
« Frère Jean Cosset, gardien du couvent des Corde-
liers au Mans, docteur en théologie à Paris, natif de
la paroisse d'Espineu-le-Chevreul, au conté du Maine.
IT a escrit un livre intitulé : La Bataille de Dieu et de
Gédéon contre Madian, soubs la description de la
‘bonne et mauvaise conscience; imprimé au Mans,
l'an 1553, par Iliérosme Olivier, auquel temps ledit
frère Jean Cosset florissoit. » Nous n’avons pu nous
procurer aucun autre renseignement sur ce Jean
Cosset : l'écrit que lui attribue La Croix du Maine ne
se trouve dans aucune des bibliothèques où nous
l'avons recherché.
BODRÉAU (cæarces).
CHARLES BODRÉAU , fils de Julien {1}, a fait en
l'honneur de son père les distiques suivants, que nous
lisons en tête des Üllustrations et Remarques sur les
Coustumes du Maine :
Plus præceptori quam se debere Philippo
Magnus Alexander dixit Aristoteli.
Si genitor præstat vitales luminis auras,
= Præceptor mores formatet ingenium.
(1) Hist. Litt. du Maine, t. 11, p. 229.
68 R. POUILLOT.
Âst pater obstrictus gemino pro munere nunc sum,
Nam tibi quod vivo debeo , quod que scio :
Doctis Cenomanum commentis jura resolvis
E tenebris leges eruis arte nova.
Ergo municipes et filius omnia debent ,
Dunm simul et nato consulis et patriæ.
LE TEISSIÉER (MATHURIN).
Le nom de MATHURIN LE TEISSIER se lit au cata-
logue des auteurs du Maine , publié par l'abbé Ledru
dans l'Annuaire de l’an IX , et, à la suite de ce nom,
se trouve l'indication suivante : « Né à Mamers, théo-
logien, mort en 1542. » Suivant une note manuscrite
laissée par Dom Housseau (1), ce Math. Le Teissier
ou Teissier aurait encore vécu en l'année 1590. Simler
jui attribue un sermon dont nous regrettons de ne
connaître que le titre : Mathurini Textoris, Mamer-
tini, Oratio exhortatoria, in Cenomanensi synodo
habita, de Dignitate et Officio sacerdotum.
om —
POUILLOT (r.....).
R. POUILLOT, curé de Sainte-Sabine, est auteur
de Cantiques ou Noëls nouveaux, publiés au Mans
chez G. Olivier , en l’année 1624, in-8. Ce recueil se
(1) Cartons de Dom Housseau , aux MSS de la biblioth. du
Roi, carton 30.
R. POUILLOT. 69
compose de sept pièces. Voici celle dont le tour est
le plus original :
Ayons tous le cœur joyeux
En ce lieu,
Puisque Dieu
À pris humaine naissance.
Aujourd’huy tous nos péchez
Et meschetz
Seront mis en oubliance.
Marie nous l’a produit
Ceste nuict ;
Demenons resjouissance fer).
Ayant chassé le sommeil
De mon œil,
Au reveil,
T1 m’estoit pris vn’ envie
Du tourment des amoureux
Malheureux
Composer chanson jolie ;
Car, le précédent matin
Ma catin
M'avoit mis en fantaisie (ter).
Je gardois soubs deux ormeaux
Mes trouppeaux ;
Mes aigneaux
Se paissoient d'herbe nouvelle ;
Lorsque j'ay ouy une voix
Sur ces boys,
Pareille du Philomèle.
Qui m’a le plus emporté,
Transporté,
Il est né d’une pucelle ! fter).
70
B. POUILLOT.
Puis soudain ayant repris
Mes esprits,
Je m’escry
Aux bergers en la prairie :
« Pasteurs faisons tous bon bruict,
Ceste nuict,
Et allons voir le Messie.
Un ange m'a estonné :
Dieu est né
De la pucelle Marie fter).
« Prenez tous vostre attirail ,
Le bergeail
Et bestiail
Laissez paistre en la prairie.
Mais prenez de vos aigneaux
Les plus beaux
Pour présenter à Marie,
Puisqu'elle nous a produict,
Ceste nuict,
Jésus, le vray fruict de vie (ter).
« Viença, dy moy, garsonnet
Robinet,
Collinet
T'a-il rendu ta musette,
Qu'il emprunta l’autre jour
Pour l’amour
De son amie Perrette ;
Car il nous faut entonner
Fredonner
Quelque belle chansonnette (ter).
Puis nous prirons à genoux
L'enfant doux,
R. POUILLOT. 74
Qu’en courroux
De nous ne face justice;
Au jugement général ,
L'infernal
Ne nous attente du vice ;
Prions-le à joinctes mains
Qu’aux humains
I1 veuille estre propice (ter).
Nous ne donnons pas ces couplets pour excellents,
mais il y en a beaucoup qui valent moins dans les
autres Recucils du même temps. Nous citerons encore
quelques strophes de R. Pouillot : le poète ayant eu
la burlesque fantaisie de mettre en scène, dans un
noël , les habitants les plus connus de Sainte-Sabine
et des bourgs voisins , les fait accourir en toute hâte,
sous la conduite de M. de Sévillé, seigneur du lieu,
près de la crèche où repose le fils de Marie :
Premier Monsieur de Sevillé (bis)
En gayeté a reveillé
Madamoiselle,
Et sa mandorre attelé
Au son de sa vielle.
Après faict battre le tambour (bis)
Et envoye Guybert au bourg
Sonner la cloche ;
Là où si vistement il court
Qu'il y rompt sa galloche.…
Messir’ Mathurin et Bedeau (bis)
Sçauoient desjà ce faict nouveau,
Car, sans feintise ,
Estoient avec Guy Cosnuau
Ensemble à l'église.
R. POUILLOT.
Ambroys Fouchart et Le Tessier (bis)
Ont esveillé Le Chappelier,
Buon encore ;
Le Boullanger et les Ouziers
Commencoient à esclore.
Les deux Gipteaux ne pensoient pas
Qu'il nous survinst un si grand cas
En ce mystere...
Le Cormier s’y en est venu (bis),
Un pied chaussé et l’autre nud,
Tant avoit haste ;
En passant luy a convenu
Faire lever la Chatte.
Puis le tabellion Courtin (bis)
Ne veut attendre au matin:
Luy et Helye
Sont venus avec Prémartin,
Menans joyeuse vie...
Ce mystère n’est point caché (bis)
Car tous les bourgeois de Poché
En veulent estre... etc., etc.
Ces Noëls de R. Pouillot sont fort rares. Aucun bi-
bliographe n'a mentionné même Île nom de ce poète
Manceau.
«4 —
De muet _ nee Een Sms es, -
GUILLAUME DE LANGEY DU BELLAY. 715
LANGEY DU BELLAY (GUILLAUME).
Le bourg de Glatigny , situé aux confins du Maine
et distrait du diocèse du Mans en l’année 1791, a été
Je lieu natal des six Du Bellay, illustres frères, qui
exercérent les plus hauts emplois à la cour de Fran-
çois I‘, et eurent un grand renom de conrage, de
savoir et d'expérience (1). Leur famille était origi-
naire de l'Anjou; on connaît et on désigne encore
.. (1) De ces six frères, il y en a quatre desquels nous devons
nous occuper ici : les deux autres furent Jacques , colonel de deux
mille hommes, tué en Sicile , et Nicolas, chevalier de Malte. Nous
n'avons d’autres renseignements sur celui-ci que ceux que nous
trouvons dans une lettre de Jean du Bellay, imprimée dans les
Preuves de l’Histoire du divorce de Henri VIIT, par Le Grand:
« M. de la Roche du Maine m'a escript que ayant sceu la mort
du frère Bernardin, et que le roy vous avoit donné toute sa des-
poüille, il avoit parlé pour mon frère, commandeur de fieffes,
affin qu’il vous pleust luy laisser la charge des galères , et que
vous luy en aviez fait très-bonne response , dont humblement vous
mercye et vous supplie, Monsieur, ainsi le vouloir faire, vous
asseurant sur mon honneur que ne la scauriez bailler à homme
qui feust pour plus mettre peine à vous y faire service. De long-
temps luy désirons tel avancement, voyant toute sa fantaisie à la
mer : à cette heure mieux luy aimerois au double, estant soubs
vostre main comme sont ses aultres frères. Îl ne me desplaist que
d'une chose, c’est qu’il n’a esté si heureux d’estre de vous cogneu
et vous avoir fait service, car je suis seur que l’eussiez bien
trouvé à vostre goust; mais il n’a gueres peu se trouver à la
court, pour avoir esté continuellement sur mer depuis l’aage de
dix ans jusques à présent, où j'ose dire, après les rapports de
ceulx qui se y cognoissent mieux que moy, qu’il n’a obmis une
seule chose de ce qu’il fault faire pour entendre le mestier : de
sorte que je pense qu'il l'entend aussi bien que nul de son aage,
et de cette heure sont avec luy, oultre les mariniers qu'il a retirés
de sa cognoissance , une douzaine de gentilshommes, partie che-
valiers de Rhodes , qui estans de bonne maison et expérimentés
de longtemps , ne l'auroyent suivy s'ils n’avoyent bonne ertance
Li
à luy.
74 GUILLAUME DE LANGEY DU BELLAY.
quelques-uns de leurs aieux par les belles actions
qui ont recommandé leur mémoire (1).
GUILLAUME DU BELLAY, né en 1491, fut l’ainé
des fils de Louis du Bellay, seigneur de Langey,
d'Ambrières et de Lavenay, et de Marguerite de La
Tour-Landry. Bien que destiné, dès l'enfance, à la
profession des armes, « comme est la coûtume et
ordinaire vacation de la noblesse françoise (2), »
Guillaume reçut une éducation libérale : aussi, dès
qu'il parût à la cour, il s'y fit remarquer malgré sa
(1) « Jam inde a Capeti regis temporibus,.….. Bellaiorum gens
et genereillustris etrerum gestarum magnitudine nobilis enituit.»
Scævole de Ste-Marthe , Elogia Gallorum, p. 15.
Salmon Maigret, ou Macrin , a célébré dans ces vers asclépiades
la gloire de la famille du Bellay :
Vatis dexter ades carminibus tui,
Nec cantus citharæ despice Lesbiæ
Bellai, proavis edite Martiis,
Quorum gloria erit clara perenniter
Per fastos memores , atque diaria
Francorum , a Capeto tempus ad hoc Duce ;
Qui ductum serie continua genus
Augentes titulis splendidioribus,
Rem semper patriam militiæ ac domi
Provexere, boni consilio, manu,
Fido regibus et pectore Gallicis.
Si quando inciderent dura negotia ;
Si turbata nigro tempora nubilo,
Hostilisque metus incuteret furor,
Adversum oppositæ tela Britanniæ,
Funestisque levem seditionibus
Et rapto solitam vivere Flandriam,
Bellaii fuerant murus aheneus.
A Bello inde tuis ducta vocabula
Ces vers se trouvent en tête du liv. 1er des Hymnes de Salmon
Macrin.
(2) Thevet , Histoire des Scavants hommes , en la vie de Guill.
du Bellay.
GUILLAUME DE LANGEY DU BELLAY. 75
jeunesse. L’ignorance n'était pas encore très-mal
notée dans le palais de nos rois, mais, du moins,
commençait-on à y faire état des lettres et des lettrés ;
Louis XIL venait de descendre dans la tombe, et de
laisser la couronne au fils du comte d'Angoulême, le
favori des poètes , l’ami des philosophes, au brillant
François Ier. Guillaume Du Bellay, qui était à peu
près du même âge que ce prince, et qui avait ses goûts
et son humeur, fut bientôt admis dans sa familiarité.
Quand , à peine monté sur le trône , François Ier
courut conquérir le Milanais, Guillaume Du Bellay
fut un des gentilshommes qui l’accompagnèrent dans
cette aventureuse expédition; il fut aussi du nombre
de ceux qui furent, avec lui, faits prisonniers à la
bataille de Pavie (1).
Guillaume Du Bellay revint en France dès qu'il eut
payé le prix de sa rançon. Bien que Charles-Quint fit
faire bonne garde autour de son royal prisonnier,
et ne lui permit d'entretenir aucune correspondance
avec la régente, celle-ci avait reçu d'Espagne de fà-
cheuses nouvelles ; on lui disait que les ennuis de
la captivité avaient altéré la santé de son fils, et l’a-
vaient peut-être sérieusement compromise. Ayant
été le confident de ses inquiétudes, Du Bellay partit
pour l'Espagne , parvint jusqu'à Madrid par des che-
mins détournés, vit le roi pendant quelques instants,
et revint à la hâte annoncer que sa maladie ne devait
pas avoir de suites graves (2).
(1) Mémoires de Martin du Bellay, édit. de l'abbé Lambert
t. 1, p. 408.
(2) Jbid.,t.n, p. 19.
76 GUILLAUME DE LANGEY DU BELLAY.
Quand, à la faveur du traité de Madrid, dont les
articles furent si promptement contredits par ceux
du traité de Cognac, François I°r rentra dans son
royaume, et s'empressa d'envoyer une armée en
Italie pour chasser les Impériaux du Milanais, Guil-
Jaume Du Bellay fut chargé d'aller veiller sur les inté-
rêts de la ligue conclue entre le pape , les Vénitiens,
les Suisses, les rois de France et d'Angleterre. Il
s’acquittait de ce devoir, quand il apprit que le con-
nétable de Bourbon avait formé le projet de surpren-
dre Florence, de livrer cette ville au pillage, et d'aller
ensuite occuper la capitale des Etats-Romains : il se
hâta d’avertir le marquis de Saluces, lequel, s'étant
porté sur la route de Florence avec le duc d'Urbin,
arrêta le connétable dans sa marche. Du Bellay se
rendit ensuite à Rome. Mais tel était l'aveuglement
des conseillers de la cour romaine, qu’ils ne tinrent
pas compte de ses prudents avis. L'ennemi se pré-
senta, s’empara des faubourgs de la ville, et contrai-
gnit le pape à chercher un refuge dans le château
Saint-Ange. Le connétable allait franchir les portes
de Rome, à la tête des bandes impériales, quand Du
Bellay, ne prenant alors conseil que de lui-même,
rassemble deux mille hommes qu’il fait placer sur les
remparts. Le combat s'engage. Le connétable, atteint
d’un coup de feu, tombe mourant aux pieds du prince
d'Orange ; mais bientôt les assiégés, accablés par le
nombre, quittent en désordre leurs murs envahis.
Du Bellay ne sait pas tourner le dos à l'ennemi; en-
touré de quelques braves, il gagne en combattant le
château Saint-Ange, s'y enferme et s’y maintient,
tandis que les lansquencts, maitres de la ville, dé-
GUILLAUME DE LANGEY DU BELLAY,. 71
vastent les églises , égorgent les prêtres et violent les
femmes. Cependant , le prince d'Orange rappelle les
pillards autour de lui, et va mettre le siége devant le
château Saint-Ange. Léon X pense que toute rési-
stance est vaine, et, sommé de se rendre, il accepte
les termes de la plus humiliante capitulation. Mais
il ne convient pas à Du Bellay de céder à de telles
conditions , et, faisant à l'ennemi bonne contenance,
il obtient que les troupes confédérées sortiront de la
forteresse avec armes et bagages (1). Léon X avaitlivré
son trésor et toutes ses places pour avoir la vie sauve,
et il s’éloignait capüf de la ville sacrée, abandonnée
en proie aux goujats d'une armée luthérienne, tandis
que les milices françaises, conduites par Du Bellay,
se retiraient en bon ordre avec les honneurs de la
guerre , et allaient chercher l’ennemi sur d’autres
champs de bataille. |
Nous lisons dans Brantôme : « Entre grands points
de capitaines qu'avoit M. de Langeay, c'est qu'il dé-
pensoit fort en espions : ce qui est très-requis à un
grand capitaine, comme je le tiens de bien grands et
l'ai veu pratiquer : et estoit fort curieux de prendre
langue et avoir avis de toutes parts ; de sorte qu’or-
dinairement il en avoit de très-bons et vrais , jusqu'à
sçavoir des plus privez secrets de l'empereur et de ses
généraux , voire de tous les princes de l’Europe :
dont on s'estonnoit fort, et l’on pensoit qu'il eust un
esprit familier qui le servist en cela. Maïs c’estoit
son argent , n'épargnant rien du sien quand il
(1) Mémoires de Martin du Bellay, t. 11, p. 47 et suiv.
78 GUILLAUMR DE LANGEY DU BELLAY.
vouloit une fois quelque chose (1). » Il est, en effet,
bien digne de remarque, que, dans toutes ses négo-
ciations, c'est-à-dire, durant tout le cours de sa
vie si laborieusement employée au service du roi,
Du Bellay fut toujours instruit des secrets des princes
et connut même les instructions des simples chefs de
bandes. Nous venons de le voir déjouer ainsi les pro-
jets du connétable de Bourbon sur la ville de Flo-
rence : l’année suivante, 1528, il apprit, par une voie
également mystérieuse, qu'André Doria, comman-
dant les forces navales de l’expédition, était sur le
point d'abandonner la cause de l'indépendance ita-
lienne, pour mettre ses galères et celles du roi de
France au service de l’empereur. Comme il avait avec
André Doria d'anciennes relations, il se rendit à
Gènes et s’efforça de prévenir une défection qui pou-
vait avoir de graves conséquences. Doria lui confia
ses griefs : Du Bellay les trouva fondés et se rendit
alors auprès du roi, devant lequel il s’empressa de
les exposer, n’oubliant pas de dire qu’à son avis il
importait d'user de ménagements avec un homme fier
et violent comme l'était André Doria, et que rompre
avec Gênes, c'était renoncer à prendre Naples. Cet
avis ne fut pas celui du maréchal de Montmorency et
du chancelier Duprat, qui exerçaient la plus haute
influence dans le conseil du roi : les requêtes des
Gênois furent mal accueillies , et l’ordre fut donné
d'arrêter André Doria. Mais il était plus facile de
donner cet ordre que de l’exécuter : avertis par quel-
ques amis, le chef de notre escadre se déclara pour
(1) Brantôme, Hommes illustres, vie de M. de Langeay.
GUILLAUME DE LANGEY DU BELLAY. 79
l'empereur , et courut avec ses galères au secours de
la ville de Naples, dont il fallut bientôt lever le
siége (1). Cette retraite compromit d’une manière
irréparable les affaires des confédérés , le parti de
l'empereur reprit l'avantage sur tous les points, et,
pour n’avoir pas suivi les sages conseils de Du Bellay,
François perdit l'Italie presque conquise , et fut con-
traint d'accepter, au mois de juillet 1529 , les clauses
de l’humiliant traité de Cambray.
Par cetraité, François avait contracté l'engagement
de payer, pour sa rançon, deux millions d’écus d’or
au roi d'Espagne. Sur cette somme, neuf cent cin-
quante mille écus devaient être comptés à Henri
d'Angleterre. Comme il était difficile au roi de France
de trouver dans son trésor épuisé de quoi satisfaire à
ces onéreuses obligations, il voulut essayer d’entrer
en arrangement avec Henri VIII. Du Bellay fut chargé
de cette importante négociation. Quand il aborda le
roi d'Angleterre, celui-ci, tout occupé de sa passion
pour Anne de Boleyn, ne l'entretint que des motifs
plus ou moins frivoles , sur lesquels il s’appuyait pour
demander la rupture de son mariage avec Catherine
d'Aragon. Du Bellay comprit que cet homme, exalté
jusqu’au délire par ses instincts pervers, se mon-
trerait accommodant sur tout le reste, aussitôt qu'on
aurait approuvé son projet de divorce. Pouvait-on
toutefois, sans se rendre complice d’une faute hon-
teuse, accorder une telle approbation? Ce fut sans
doute avec douleur que Du Bellay transigea sur ce
point; mais la nécessité conseillait à la France de sa-
(1) Mémoires de Martin du Bellay, t. 1, p. 128 et suiv
80 GUILLAUME DE LANGEY DU BELLAÏY.
crifier Catherine, et les conseils de la nécessité furent
écoutés. Non seulement l'ambassadeur de François [°" à
la cour de Henri VIII se prononça pour le divorce, mais
encore il sollicita des Universités de France et d'Ita-
lie un avis conforme au sien, et, tel était son crédit
dans ces doctes assemblées, qu’il obtint d'elles ce
qu'il leur avait demandé. Un tel service méritait assu-
rément une récompense. Henri témoigna toute sa gra-
titude, en donnant décharge au roi de France des
neuf cent mille écus ; en outre, il lui prêta, pour cinq
ans , quatre cent mille autres écus qui servirent à
payer Charles V (1).
Quand, en l'année 1531, les princes d'Allemagne,
soulevés contre la domination espagnole , vinrent
prier le roi de France d'accepter la tutelle de leur
confédération, Guillaume Du Bellay fut envoyé par le
roi vers ces princes, dont il n’avait pas recherché,
mais dont assurément il ne dédaignait pas l’alliance.
Les conférences qu'eût avec eux Guillaume Du Bellay
ne devaient pas avoir, toutefois, de résultat immé-—
diat : le roi de France ne pouvait, sans des motifs
suffisants, et il n'en avait pas de tels, manquer aux
engagements pacifiques contractés à Cambray ; d’au-
tre part, les princes allemands , jaloux de maintenir
leur indépendance religieuse, ne voulaient pas néan-
moins se séparer de l'Empire, et Charles V était
empereur.
(1) Mémoires de Martin du Bellay, t. 11, p. 165. — Thevet,
au lieu cité. — Langey était de retour en France avant le 18 sep-
tembre 1529, comme nous le voyons dans une lettre de Jean du
Bellay qui porte cette date : « Depuis le partement de mon frère,
la perte s’est mise parmy nos gens. »
GUILLAUME DE LANGEY DU BELLAY. 81
Du Bellay quitta l'Allemagne pour retourner en
Angleterre. François et Henri devaient se rencontrer
sur le continent, et former une nouvelle alliance : ils
avaient, d’ailleurs , à s’entretenir de leurs griefs con-
tre le pape, et à prendre un parti sur les prétentions
fiscales de la cour romaine. Du Bellay se rendit à
Londres pour préparer cette entrevue, qui eut lieu,
dans la ville de Calais, au mois d'octobre de l'an-
née 1532 (1). Quand Heuri VIIT eut prit le parti de
rompre ouvertement avec la cour de Rome, qui refu-
sait de transiger sur l'affaire du divorce, il voulut
avoir encore un entretien avec Du Bellay, lui faire la
confidence de son mariage secret avec Anne de Bo-
leyn, et connaître l'opinion de cet habile homme sur
les conséquences éventuelles de la rupture qu’il pré-
parait. Du Bellay passa de nouveau le détroit, où
quelques vaisseaux écossais, armés en guerre, lui
donnèrent la chasse et l'avertirent que le roi d'Ecosse
profitait des circonstances pour se déclarer, avec le
pape et l'empereur, contre le roi d'Angleterre (2).
Mais, du moins, Henri pouvait-il compter sur la
France. Du Bellay lui promit encore une fois que si
les hostilités étaient ouvertes par le parti du pape,
François se hâterait de prendre les armes et de marcher
au secours du roi son allié. La sentence d’excommu-
nication ayant été prononcée par la cour de Rome,
(1) Mém. de Mart. du Bellay, t. 11, p. 207. — Une lettre ma-
nuscrite de Guill. du Bellay au sieur Pomponio de Trévoult, gou-
verneur de Lyon, datée de Windsor, 10 sept. 1532, contient le
détail de ce qui avait été réglé par cette entrevue. Cette lettre se
trouve dans le recueil 1,832 de la bibliotb. du Roi (St.-Germain).
(2) Ibid., p. 261.
III G
82 GUILLAUME DE LANGEY DU BELLAY.
Henri répondit à cet arrêt en se déclarant chef de
l’église anglicane, et pressa le roi de France d'agir
comme lui. Celui-ci fut sur le point d'imiter cet exem-
ple audacieux ; s'il en fut détourné par le cardinal de
Tournon , il ne négligea rien, toutefois, de ce qu’il
avait à faire pour remplir ses engagements envers le
prince retranché de la communion catholique, et, tant
que dura la paix, il surveilla toutes les démarches de
l'empereur , et contraria toutes ses intrigues, avec la
résolution de recommencer la guerre en temps op-
portun.
Envoyé de nouveau dans les Etats-Germaniques,
sous divers prétextes que l'empereur devait trouver
plausibles, Du Bellay parut à la diète d’Augsbourg, et
y plaida la cause des ducs de Wurtemberg, chassés
de leurs domaines par Ferdinand, roi des Romains,
obtint le rétablissement de ces princes sur le trône de
leurs ancêtres, et fit prononcer la rupture de la ligue
de Souabe que Charles V avait tant à cœur de main-
tenir. On possède deux discours que Du Bellay pro-
nonça devant la diète. Avant de l’entendre, les mem-
bres de cette assemblée se montraient peu jaloux de
prendre parti pour les princes héréditaires de Wur-
temberg, qui avaient contre eux l'empereur et son
frère, le roi Ferdinand; il les captiva, les entraîna par
son éloquence , et toutes les résolutions qu'il crut de-
voir proposer, réunirent le plus grand nombre des
suffrages (1). Le roi de France fut proclamé tuteur
des libertés germaniques. Le succès de cette ambas-
sade contraria vivement Charles V : mais il avait pris
{1} Mémoires de Martin du Bellay, t. 11.
GUILLAUME DE LANGEY DU BELLAWY. 83
l'engagement de se soumettre à la sentence de la diète,
et, quel que füt son déplaisir, il ne put le manifester.
Vers la fin de l'année 1535, nous retrouvons Guil-
laume Du Bellay dans les Etats-Germaniques , assis-
tant à la diète de Smalcade, et s’efforçant de détacher
les princes de la cause impériale. Du Bellay eut alors
avec les théologiens du parti protestant, divers collo-
ques où l'on parla beaucoup des affaires dela religion,
mais où l’on ne décida rien. Melancthon, Pontanus,
Jacques Sturm plaidèrent devant lui la cause des ré-
formés, et se plaignirent des mauvais traitements que
François avait récemment fait subir à quelques-uns
de leurs co-religionnaires : il répondit que le roi son
maître n'avait aucune disposition à l'intolérance,
qu'il n’ignorait pas les désordres de l'église et qu’il
avait à cœur de les voir cesser, mais qu'il ne pouvait
autoriser que, sous prétexte de religion, on prêchât
la révolte dans ses provinces; qu’il refusait d’ailleurs
d’être l'arbitre des consciences, qu'il faisait cas des
hommes sincères et bien famés de tous les partis, et
qu’il aimait à les entendre exposer leurs sentiments
contraires, mais qu'il ne pouvait épargner les artisans
de discorde civile, sans compromettre l'autorité de
son glaive , et manquer à ses devoirs envers Dieu {1).
Quand Du Bellay s’exprimait en ces termes, au nom
du roi, il ne disait pas toute la vérité. En effet, au
commencement de cette année 1535, un bûcher
dressé sur une des places principales de Paris avait
reçu plusieurs luthériens, auxquels les juges séculiers
(1) Mém. de Mart. du Bellay, t. 1, p. 196. — Sleidan, His-
toire de l'Etat de la religion , iv. 1x.
84 GUILLAUME DE LANGEY DU BELLAY.
n'avaient pas imputé d'autre crime que leurs senti-
ments hétérodoxes. Mais il importait si fort à Fran-
çois Je" d'obtenir la neutralité des électeurs de l'Em-
pire durant la guerre prochaine, qu'il eût volontiers,
à cette condition, cédé sur plus d’un point de doc-
trine aux obstinés fauteurs de l’hérésie luthérienne. Il
existe une pièce fort curieuse : c’est le procès-verbal
de la conférence qui eut lieu, le 20 décembre 1535,
entre Pontanus, chancelier de l'électeur de Saxe et
l'ambassadeur du roi de France. Le discours rap-
porté par Sleidan ayant paru suspect au P. Maim-
bourg, Louis de Seckendorff eut à cœur de prouver
la sincérité de l'historien protestant, et, dans son
Histoire du Luthéranisme, il publia, d'aprèsles regis—
tres manuscrits de l'assemblée de Smalcade , un ré-
sumé très-substantiel des paroles échangées entre les
interlocuteurs. Nous lisons, dans ce résumé, que,
sur la’question de l'autorité papale, le roi de France
déclare, par l'organe de Guill. Du Bellay, n'être pas
très-loin de partager l'opinion des protestants ; il dit
même expressément qu’à son avis le gouvernement
monarchique établi dans l’église n’est pas d'institution
divine. Sur la question de la cène, il avoue que la doc-
trine de la présence figurée lui semble très-sensée ,
mais qu’elle est condamnée par tous les théologiens
français. Sur d’autres problèmes, il ne fait pas des
concessions moins importantes : il napprouve pas
notamment la liturgie de l'église romaine en ce qui
concerne l'invocation des saints; il est prêt à sous-
crire à l'opinion de Mélanchton sur le libre arbitre ;
il n’a jamais été pleinement convaincu de l'existence
du purgatoire : que s'il est en dissentiment avec les
”
— - le = —
GUILLAUME DE LANGEY DU BELLAY. 85
théologiens protestants sur quelque affaire de doc-
trine, c’est en ce qu'il ne saurait approuver le ma-
riage des prêtres : il espère du reste qu’à sa demande
les illustres docteurs réunis à Smalcade voudront bien
lui envoyer quelques personnes dignes de leur con-
fiance , avec lesquelles il aura de pacifiques entre-
tiens (1). Bayle, rappelant ce procès-verbal de l’as-
semblée de Smalcade, publié par Seckendorff, explique
le langage tenu par Guill. Du Bellay pour le roi de
France , en disant que les ambassadeurs ne sont ja-
mais tenus de parler avec une entière franchise. Cette
explication serait loin d’être une justification suffi-
sante, si François [°' avait cru fermement aux articles
catéchétiques de l’église romaine.
La troisième ambassade de Guill. Du Bellay près
des électeurs de l'empire, n'eut qu'un résultat équi-
voque. Cependant le roi était impatient de déchirer le
traité de Cambray, et de rétablir l'honneur des armes
françaises. Il choisit encore l'Italie pour champ de ba-
taille. Ayant eu quelques différends avec le duc de
Milan, il chargea l'amiral Brion de traverser les Alpes
et d'aller envahir de nouveau les états de ce prince.
L'amiral commença par s'emparer du Piémont, où
l’on ne lui opposa qu’une faible résistance. Charles V
guerroyait alors avec les pirates de Tunis : quand il
reçut la nouvelle de l’occupation du Piémont, il ne
_$e jugea pas en mesure de répondre au défi de Fran-
çois, qui avait alors dans son camp le roi d'Angleterre
et les princes d'Allemagne détachés de la ligue de
Souabe, et il s’occupa d’abord d'obtenir l'amitié, ou
(1) Seckendorf, lib. ir , p. 109 et pag. 259.
86 GUILLAUME DE LANGEY DU BELLAY.
du moins, la neutralité des alliés du roi de France.
Henri no fit qu'un froid accueil à ses ouvertures em-
pressées. Les agents de Charles V eurent plus de suc-
cès dans les Etats-Germaniques. Ils allèrent publiant
partout que Île roi de France venait de bannir de son
royaume tous les sujets allemands, et que tous les
Français qui avaient eu des rapports de commerce
avec les Etats du Rhin, avaient été récemment con-
damnés au dernier supplice, comme suspects de lu-
théranisme ; que le roi de France travaillait avec
Soliman à la ruine de l'empire germanique , et qu’il
avait commencé l'exécution de ce dessein impie par
l'envoi d’une armée d’incendiaires dans les principau-
tés où n'avait pas encore pénétré l'esprit de rébel-
lion. Ces bruits, habilement répandus et confirmés
par le témoignage des principaux officiers de l'empire,
alarmèrent et soulevèrent les habitants des villes et
des campagnes ; de toutes parts on courut aux armes,
et l’on parla de marcher aux frontières françaises.
Tel était l'état des choses en Allemagne, en 1536,
quand Guillaume Du Bellay s’y rendit encore une
fois en toute hâte, ayant pour mission de démentir
tant de rumeurs calomnieuses , et de reconcilier avec
la France les princes et les peuples frappés de la même
épouvante. En arrivant, il fut accueilli par les dé-
monstrations du plus aveugle ressentiment : les princes
ne voulurent ni l'entendre, ni lui donner asile, et,
comme tous les gens du pays étaient en armes , Du
Bellay se vit obligé ou de fuir au plus tôt vers la
France ou de chercher quelque retraite dans laquelle
(1} Seckendorf, lib. 1, p. 317-390.
GUILLAUME DS LANGEY DU BELLAY. 87
il put du moins, durant cet orage, cacher sa tête
proscrite. Il hésitait entre l'un et l'autre parti, lors-
qu'il fitla rencontre d’un seigneur allemand qu’il avait
autrefois compté parmi les amis de la France. Celui-
ci l’ayant reçu dans sa maison , alla trouver quelques
personnes notables , et les pria de venir rendre une
visite secrète à l'ambassadeur du roi de France.
Langey profita de leur bonne volonté, pour avoir
avec ces gens mal prévenus de longs entretiens sur les
mensongères rumeurs semées par les émissaires de
Charles V. Mais c'était peu de chose que d’avoir
éclairé quelques esprits : Du Bellay, ne pouvant encore
se montrer en public, fit, du moins, imprimer en la-
tin, en allemand et en français, un discours dans
lequel il démentait avec énergie les fausses nouvelles
fabriquées par l'Espagnol, et prouvait, par un exposé
sommaire des faits réels, que Charles V avait ourdi
cette intrigue et d’autres encore, pour rendre le nom
de François odieux à ses amis, à ses alliés. Sur ces
entrefaites, arrivèrent des marchands de tous les
cercles de l’Empire qui venaient de la foire de Lyon
et se rendaient à celle de Strasbourg. Langey demanda
qu'ils fussent recherchés, interrogés , et qu’on apprit
d’eux la vérité tout entière. On la connut enfin : loin
d'avoir été persécutés en France, ils avaient été traités
par les officiers du roi, par le roi lui-même, avec une
bienveillance plus qu'ordinaire ; loin d’avoir été contra-
riés dans leurs opérations mercantiles , ils avaient été
invités à prendre dans le trésor royal les sommes dont
ils pouvaient avoir besoin. Ces déclarations calmèrent
les esprits : Du Bellay, sortant alors de sa retraite,
envoya ses lettres de créance à Louis de Bavière,
88 GUILLAUME DE LANGEY DU BELLAY.
doyen des électeurs de l'empire , et vint à Munich. Il
n'y pôt rester longtemps : si les populations désabu-
sées n'étaient plus hostiles à l'ambassadeur français,
il devait redouter, en Bavière, de secrètes embüches,
l'empereur et le roi des Romains ne professant pas
beaucoup de respect pour les règles du droit des
gens. Il se retira donc à Bâle, vers le mois d’août
1536, et réclama des princes de l'Empire une au-
dience publique pour l'ambassadeur du roi de France :
il voulait, disait-il, exposer, dans cette audience, le
détail des questions qui devaient être résolues par la
voie des armes , et constituer les électeurs juges de la
conduite de Charles V. Dans le même temps, il écrivait
au roi la lettre suivante , dans laquelle nous trouvons
de curieux renseignements sur la situation des esprits
en Allemagne et en Suisse :
Basle, 12 aoust 1536.
SIRE,
J'ay aujourdhuy receu vos lettres du 12 du passé, ensemble
les lettres pour le seigneur Sturnius , que je luy feray tenir, et
lequel je trouve tousjours vostre bon serviteur, et sans demander
austre chose de vous, sinon ce que je vous diray de brief, qu’il ne
pense toucher principalement que vostre advancement, dont il
estime dependre celuy de sa République. Quant aux calomuies
qu’on a semées par deça contre vous, je y ay faict les remon-
strances que vous m'avez ordonnées , lesquelles j'espère ne vous
seront inutiles. Personnaiges de bien gros crédit m'ont dit qu'ils
ne se peuvent assez esbahir, s’il est vray ce que je leur dis, et
qu’ils commencent à croire, comment vous avez souffert sans res-
pondre. Le contraire leur est presché desjà bien douze ans , et si
vous avez quelquefoys respondu, ce a esté à d’aucuns points,
comme si vous eussiez advoüé les autres. Je vouldrois, Sire,
qu'on eust bien pesé ce que Beauvais autrefoys vous en escrivit.
GUILLAUME DE LANGEY DU BELLAY. 89
En somme, on me asseure que si je leur ay porté parolle de vérité
en ce que je leur ay dit de par vous, et on vous donne une jour-
née , que le droit vous sera adjugé ; si l’empereur empesche qu’on
ne la vous accorde, qu’il mettra la Germanie contre soy, et m'ont
eulz-mesmes pressé et baillé les moyens {mais en payant) de
faire imprimer les dittes remonstrances. Vous avez veu ce que
J'ay escript au Palatin Electeur, lequel m'a fait responce , et sur
icelle j’ay éscript à tous les princes lettres dont je vous envoyay le
double, mais je les ay depuis augmentées et diminuées par
endroits , attendant quelle résolution se prendra sur cette jour-
née. Ces villes , sy elles ne m'ont menty, ne donneront ayde com-
mune à l'Empereur, mais ne peuvent empescher honestement leurs
subjects d’aller à son service pour le présent : pour l’advenir
m'en donnent ouverture de moyens. Les gens d'église, si l'Em-
pereur vous donne quelque bastonnade, luy fourniront tout ce
qu’ils auront ; à cette cause, il fait tousjours courir icy cent nou-
velles pour luy. Desjà l'évesque de Strasbourg a vendu une forest
pour aprester argent à cette intention ; les biens de laditte église,
donnez par vos prédécesseurs, seront employez à cet usage.
Quant à gens de guerre, il ny à ordre, Sire, de vous en faire
levée pour ce temps. Par cy-devant en eussiez eu prou et des plus
agguéris : je trouve que, pour le présent, ils sont par deca de
trois espèces : les uns, qui se disent évangeliques , courent contre
vous comme contre leur principal persécuteur ; les autres , papis-
tiques, comme contre le Turq, car les Impériaulx ne vous bap-
tisent point autrement; la tierce espèce, meslée des deux autres,
n’adore Dieu ne déesse, que leur mère , la Guerre , et ceulz là , si
vous eussiez fait levée de bonne heure , vous eussent tous suivy,
car ils disent que votre argent vient mieulz que celuy de l’Empe-
reur, et prou en a qui ont long temps attendu si vous les deman-
deriez, lesquels depuis ont pris parti de l'Empereur... Sire, je
mettray peine d’estre devers vous de brief, pour vous dire le
surplus de bouche {1}.
(1) Cette lettre, qui n'avait pas encore été publiée, se trouve
à la Bibliothèque du Roi, dans le n° 1,832 (St.-Germain).
90 GUILLAUME DE LANGEY DU BELLAY.
Guillaume Du Bellay n’obtint pas l'audience qu'il
avait instamment sollicitée : mais, du moins, avant de
quitter l'Allemagne , adressa-t-il aux princes une lon-
gue lettre où nous trouvons le résumé des arguments
qu'il ne lui avait pas été permis de développer en pu-
blic. Si ces remontrances produisirent peu d’effet sur
les princes , les démarches qu'avaient faites Du Bellay
pour apaiser l'émotion populaire, eurent toutefois un
résultat : de treize mille paysans qui s'étaient enrôlés
pour aller tirer vengeance du meurtre supposé de
leurs concitoyens, trois mille seulement restèrent sous
les enseignes impériales (1).
Les hostilités recommencèrent bientôt. Ayant en-
voyé ses lieutenants mettre le siége devant les places
que l'amiral de Brion occupait dans le Piémont,
Charles se rapprocha de la frontière française, et
prétendit envahir la Provence. C'était une entreprise
téméraire. François se porta sur Lyon et de là sur
Valence, où il établit son camp : il était jaloux de ré-
pondre par quelque grand fait d'armes à l’insolent
défi de l'Espagnol qui osait venir attaquer un roi de
France jusqu’au sein de ses états. Il fallut que l’on mit
tout en œuvre pour modérer son impatience. Le ma-
réchal de Montmorency, qui défendait le camp d’A-
vignon, envoya deux fois à Valence Guillaume du
Bellay : celui-ci rendit compte au roi des mouvements
de lennemi, et l’engagea fort à ne pas quitter son
camp fortifié ; il y avait, en effet, lieu de croire que
Charles , trouvant la frontière bien gardée , regagne-
rait promptement l'Italie, après avoir battu la cam-
(1) Mém. de Mart. du Bellay, t. 111, p. 244-274.
GUILLAUME DE LANGEY DU BELLAY. 94
pagne sans livrer un seul combat. L’envoyé du maré-
chal ne réussit pas dans sa mission; François lui
répondit, non pas sans doute avec la prudence d'un
général, mais avec la dignité du premier gentilhomme
de son royaume : « Non, il ne sera pas dit que l’em-
pereur sera venu m’attaquer à la tête de son armée, et
que, moi, je ne l’aurai pas reçu à la tête de la mienne ;
qu'il se sera présenté les armes à la main, et que,
pendant ce temps, je serai demeuré dans mon camp
de Valence, remplissant la charge de commissaire des
vivres (1)... » Après avoir prononcé ces nobles paro-
les, François ordonna de tout préparer pour le dé-
part, et, le lendemain, il se mit en route, avec sa
gendarmerie, se dirigeant vers le camp d'Avignon.
Mais déjà l’empereur opérait sa retraite sur Fréjus.
Quand il eut repassé la frontière, François se rendit à
Marseille, et chargea Du Bellay d'aller , en son nom,
visiter la ville d'Aix, que les Impériaux avaient dé-
vastée. Sur le rapport que lui fit Du Bellay, le roi dé-
cida que les murailles détruites seraient relevées, et
que les monuments publics, incendiés par les ordres de
Charles V, seraient rétablis dans leur premier état (2).
Guill. Du Bellay partit ensuite pour le Piémont, où
la guerre se continuait, sans que l’on fit, de part et
d'autre , de grands efforts. Il parvint à concilier deux
princes italiens dont les débats personnels pouvaient
avoir des suites fàcheuses, et pourvut ensuite à la
sûreté du marquisat de Saluce (3). Cependant, à son
(1) Mém. de Mart. du Bellay, t. 1v, p. 204 et suiv.
(2) Ibid., p. 239.
(3) Ibid., p. 332-340.
92 GUILLAUME DE LANGEY DU BELLAY.
retour en France, il ne put donner au roi de bonnes
nouvelles : l’armée expéditionnaire s’aftaiblissait cha-
que jour, et l'ennemi gagnait du terrain presque sans
coup férir. François envoya dix mille lansquenets et
quatre cents hommes d'armes au secours des légions
françaises; peu de temps après, d’autres compagnies
furent conduites en Italie : Langey reçut l’ordre de
traverser encore une fois les monts , et de porter
vingt-cinq mille écus à la garnison de Turin.
L'ennemi s'était emparé de toutes les places situées
au pied des Alpes, ce quirendait le passage fort
difficile. Langey se vit obligé de demander une nom-
breuse escorte au duc de Wurtemberg, et gagna la
ville de Suse sous la protection de ses lansquenets. A
leur approche, les Impériaux, qui gardaient les défilés
des Alpes, furent pris d’une subite terreur , et quittè-
rent à la hâte les positions dont la défense leur avait
été confiée. L'arrivée de Langey dans les murs de
Turin releva les esprits découragés. Il n’y séjourna
pas longtemps. En quittant cette ville, il courut les
plus grands dangers. Les Impériaux, ayant appris
qu'il n'avait en sa compagnie que vingt-cinq chevaux
légers, se présentèrent sur son passage, et voulurent
s'emparer d'un homme qui leur était signalé comme
le plus actif, le plus habile des agents de la cour de
France : mais ils ne réussirent pas dans cette entre-
prise, et Langey put gagner la ville de Suse où il
avait laissé la plus forte part de son escorte , les lans-
quenets du prince de Wurtemberg (1). On sait quelle
fut l'issue de la campagne de l’année 1536. Au mois
(1) Mém. de Mart. du Bellay, t. 1v, p. 357.
GUILLAUME DE LANGEY DU BELLAY. 93.
d'octobre, François, craignant que l’ennemi ne l’atta-
quât de nouveau du côté des Flandres, regagna la
France avec les troupes qui guerroyaient dans les gor-
ges du Piémont, et conclut avec les Impériaux une
trève de trois mois qui, plus tard, fut prolongée.
C’est à la suite de cet arrangement qu'il nomma Mont-
jan son lieutenant-général au-delà des monts, et Guill.
Langey Du Bellay gouverneur de Turin {1).
Nous lisons dans tous les mémoires du temps, que
la durée des établissements français en Italie fut moins
compromise par les coups de main de Charles V et
de ses lieutenants, que par la triste situation de nos
finances. Dans ses lettres au roi et au cardinal de Tour-
non, le gouverneur de Turin déclara toujours la vé-
rité, et donna les avertissements les plus sages ; mais
on n'en profita pas. Il réclama tant de fois de l'argent
pour payer la solde arriérée des troupes, pour gagner
à la cause française des chefs de bande sans emploi,
pour calmer les populations insoumises, et pour ré-
tribuer les utiles services de ses nombreux espions,
que toutes ses requêtes semblent être diverses copies
de la! même dépêche. Nous citerons cette lettre en-
core inédite du 12 janvier 1537, où l’on appréciera,
d’une part, quels étaient, à l'égard de la France,
les sentiments des Piémontais; et, d'autre part, quels
étaient les embarras financiers du gouvernement de
Turin :
SIRE ,
Allant devers vous messire Anthonin de Androis, l’un des
conseillers de vostre parlement de Piedmont et l’un des princi-
(1) Ibid.
94 GUILLAUME DE LANGEY DU BELLAY.
paulx du conseil de ceste ville, et à présent commis et depputé
par les scindiz, conseil et habitans, pour vous exposer leur inten-
cion sur les affaires communes d'’icelle , tant pour la maintenir et
perpétrer, ainsi qu'ilz le desirent, en vostre obéissance, que
pour y meliorer tousjours l’ordre et police, je ne leur ay voulu
reffuser de les accompaigner de la présente par ce porteur, lequel
j'envoye pour soliciter la depesche du payement des gens de
guerre de cette ville, lesquels il ne sera, au cher vivre qui est
en la ville , possible entretenir en obéissance s'ils n’ont tousjours
leur dict payement à heure deue , et toutesfois que je ne fais point
de doubte qu’il ne doibve arriver à tant, ayant Monseigneur de
Montejan, vostre lieutenant général, envoyé Pescheray exprès
pour la solicitation tant du dessus dict payement que de celluy
des autres villes. Si est que l’expérience du passé tient ces gens
icy en telle crainte, qu'ils n’en seront jamais bien à repos jusques
à tant qu'ils voyent quelque bonne assurance estre mise au faict
dudit payement de mois en mois...
Sire, la plus grande craincte que ayent les dits habitans de
ceste ville et qui les meut principallement d'envoyer devers vous
c’est de la paour qu’ils ont de sortir hors de vos mains ; et aussi
ont paour vos autres villes et gentilshommes de par deça, les-
quels me importunent ordinairement de vous faire humble re-
queste que là où vous seriez si avant pressé de consentir au res-
tablissement du duc de Savoye, il vous plaira toutteffois réserver,
par exprès articles, les villes et gentilshommes que ferez appa-
roir estre de l’ancienne obéissance de vos prédécesseurs.
Sire, je prye a tant notre Seigneur vous donner en parfaicte
santé très bonne et très-longue vye.
De Thurin, ce 12 jour de janvier 1537 (1).
Outre les embarras que causèrent à Du Bellay les
délais apportés par la cour de France dans l'exécu-
tion des engagements contractés avec les troupes
(1) MSS. de la Biblioth. du Roi, fonds Dupuy, n° 269.
GUILLAUME DE LANGEY DU BELLAY. 95
auxiliaires, il ne s'accorda pas toujours avec le gou-
verneur-général du Piémont : nous voyons , dans ses
lettres, qu'au mois d'août de l'année 1538, il était
dans les plus mauvais termes avec son supérieur, et
qu'il allait même jusqu à prier le roi de se prononcer
entre eux. La mort de Montejan, qui eut lieu vers la
fin de l’année 1538, mit fin à ces fâcheux différends.
Le maréchal d'Annebault fut alors envoyé dans le
Piémont pour occuper l'emploi de Montjan. Dans les
premiers mois de l’année 1540 , Annebault ayant été
mandé par le roi qui venait de fermer au connétable
les portes de son conseil privé , Du Bellay remplit,
en Piémont, les fonctions de lieutenant-général (1). Ces
fonctions allaient devenir aussi difficiles durant la
paix, qu’elles avaient pu l'être durant la guerre. Le
pays occupé par les troupes françaises avait été ra-
vagé par le marquis Du Guast; on manquait de vivres
et même de grain pour ensemencer les terres. C’est
alors que Du Bellay fit demander à son ancien ami
André Doria la permission d'introduire des blés fran-
çais en Piémont, par la voie de Savone. Cela lui fut
accordé. La récolte avait été fort abondante en Bour-
gogne; Du Bellay s’approvisionna dans cette province,
paya de ses deniers les grains qu'il reçut de France,
et les fit ensuite distribuer aux soldats et aux habitants
de tous les villages qui reconnaissaient l'autorité du
roi (2).
Les entreprises déloyales du marquis Du Guast de-
vaient encore lui causer d’autres embarras. François
(1) Mém. de Mart. du Bellay, t. 1v, p. 384.
(2) Ibid., p. 415 et suiv. — Thevet , au lieu cité.
96 GUILLAUME DE LANGEY DU BELLAY.
ayant envoyé César Frégose et Antoine Rincon à
Constantinople, pour déjouer les intrigues de Charles
d'Espagne, ces deux ambassadeurs se rendaient en-
semble à Venise, quand ils reçurent une missive de
Du Bellay, qui les invitait à ne pas aller au-delà de
Rivoli. Ils arrivèrent dans cette ville, le 1er juillet de
l'année 1541. Du Bellay s’y rendit le même jour : il
leur apprit que tous les passages du PÔ étaient gardés
par les milices impériales, que s'ils ne se rendaient
pas à Venise par la voie de terre, ils devaient tomber
dans quelque embüche, et qu'il y avait tout à craindre
du marquis. Frégose, qui était de Gênes, ne voulût
pas croire qu'un gentilhomme italien fût capable de
commettre , sur la personne de deux ambassadeurs,
l'attentat que l'on semblait redouter , et, pour témoi-
gner qu'il n'avait pas confiance dans les rapports des
espions de Langey, il voulût partir sans délai pour
Venise. Ils montèrent sur deux barques équipées à la
hâte, et, durant le premier jour de leur voyage, ils
ne firent aucune rencontre fâcheuse. Ayant reçu de
nouveaux avis, Du Bellay s’empressa de leur envoyer
un courrier, réclamant d'eux, s'ils s'obstinaient à
braver une mort certaine, les papiers du roi, qu'ils ne
devaient pas, en de telles circonstances, garder entre
leurs mains. Frégose et Rincon remirent leurs instruc-
tions et continuèrent leur course téméraire : à quel-
ques milles de l'embouchure du Tésin, ils furent
accostés par deux barques ennemies et massacrés (1).
Du Guast, accusé d'avoir commis ce crime ; se défen-
dit le mieux qu’il pût devant les princes de l'empire
(1) Mém. de Mort. du Bellay, t. v, p. 4 et suiv.
GUILLAUME DE LANGEY DU BELLATY. 97
assemblés à Ratisbonne : dans une lettre fort remar-
quable, qui nous a été conservée, du Bellay renversa
tout l’'échafaudage de ses audacieux démentis , et fit
remonter jusqu'à Charles V la responsabilité de l’at-
tentat dont il n'avait pas même blâmé l’auteur. Les
princes intimidés n'osèrent pas se prononcer entre
l'empereur et le roi, et il fallut encore une fois avoir
recours aux armes pour obtenir réparation de ce cri-
minel outrage.
Deux armées furent envoyées, l'une dans le Rous-
sillon , l’autre dans la principauté de Luxembourg.
Du Bellay n’hésita pas à condamner ce plan d'atta-
que : il lui semblait plus sage, plus avantageux, de
choisir l'Italie pour théâtre de la guerre, et, prévoyant
la rupture prochaine de la trêve, il avait déjà prati-
qué de mystérieuses intelligences dans le plus grand
nombre des places occupées par l'ennemi. Son dessein
était de réunir à la Mirandole dix mille hommes de
pied , huit cents chevaux et dix pièces d'artillerie, dont
il avait fait accepter le commandement à Pierre de
Strozzi; de marcher de [à sur Crémone, sur Lodi,
puis sur Milan, de s'établir dans cette ville, et d’y
attendre les Impériaux : les chefs des grandes familles
milanaises ayant témoigné qu'ils étaient bien portés
pour la France, cette expédition ne devait être qu’une
promenade militaire. Du Bellay prenait l’engagement
de reconquérir le Milanais en quelques jours (1). Fran-
çois avait d'abord approuvé la conduite et les projets
de son lieutenant-général en Piémont ; mais, quand
il fallut agir, il changea de sentiment. Les succès
(1) Mém. de Mart. du Bellay, t. v, p. 98 et suiv.
Ji 7
98 GUILLAUME DE LANGEY DU BELLAY.
équivoques obtenus, dans le Luxembourg, ne com-
pensèrent pas les revers éprouvés dans le Roussillon.
La campagne de 1542 ne fut heureuse qu'en lalie.
Du Bellay dirigea d'abord quelques compagnies sur
la place de Quieras, et se rendit à Carignan avec les
Suisses. La ville de Quieras étant prise, la garnison
impériale se retira dans le château, et manifesta l'in-
tention de faire bonne défense, en attendant l’arrivée
du marquis du Guast. Cette fière contenance inquiéta
les assiégeants : ils avaient déjà pris le parti d'aban-
donner la place, quand du Bellay leur fit savoir que,
dépourvu de subsistances, le château de Quieras ne
tiendrait pas vingt-quatre heures. L'événement vint
encore une fois confirmer ses prévisions : il possédait
toujours les renseignements les plus exacts, les plus
précis (1). Les forces du marquis étaient bien supé-
rieures à celles que du Bellay pouvait envoyer à sa
rencontre; mais les Français occupaient, à Carignan,
une position avantageuse. Ayant pris le parti d’atten-
dre en ce lieu la division ennemie, du Bellay fit à la
hâte élever un fort pour défendre le passage du fleuve.
Du Guast arriva, ne s’attendant pas à une résistance
sérieuse; mais, arrêté par les canons du fort, il de-
meura quinze jours sur l’autre rive du fleuve. Les
jongs et laborieux services de Guillaume du Bellay
avaient depuis longtemps ruiné sa santé : atteint de
paralysie, il ne pouvait prendre part aux combats
quotidiens que les troupes françaises livraient à celles
du marquis, mais, de son lit de douleur, il dirigeait
tous les mouvements des siens et travaillait avec au-
(1) Mém. de Mort. du Bellay, t. v, p. 121.
GUILLAUME DE LANGEY DU BELLAY. 99
tant de succès que de zèle à jeter la division dans les
rangs ennemis. Durant le séjour que du Guast fit sous
les murs de Carignan, du Bellay parvint à débaucher
six mille Italiens qui servaient sous les enseignes im-
périales; affaibli par la retraite de ce corps d’ar-
mée, du Guast perdit l'espoir de traverser le fleuve
et leva son camp (1). Langey voulait le poursuivre :
mais la légion suisse, qui formait le gros de l'armée
française , refusa d’obéir, et cette rébellion le con-
traignit à gagner Turin en toute hâte. Revenant alors
sur ses pas, du Guast s’empara de Carignan, mais il
fut bientôt chassé de cette ville par Martin du Bellay,
tandis que Guillaume forçait diverses places du
Montferrat. ‘
Telle était la situation de nos armes en Italie, quand
l'amiral Annebault , venant du Roussillon , traversa les
Alpes à la tête des vieilles bandes françaises qui
avaient déjà franchi tant de fois les gorges du Pié-
mont, et parcouru les plaines désolées du Milanais.
Langey pouvait donc enfin prendre quelque repos, et
s'occuper des soins que réclamait son corps épuisé
par la fatigue et par la douleur. Avant toutefois de
quitter son gouvernement, il crut devoir donner à l'a-
miral des conseils que celui-ci négligea de suivre. Il
partit ensuite pour la France; mais il mourut dans ce
voyage, sur la montagne de Tarare, à Saint-Sympho-
rien, le 9 janvier 1543. On raconte qu'avant de mou-
rir , il fit confidence à ses amis des fâcheux pressen-
timents que lui inspirait la situation de nos affaires en
Italie. Puisqu'il ne lui était pas permis d’aller porter
{1) Mém. de Mart. du Bellay, t. v, p. 124.
460 GUILLAUME DE LANGEY DU BELLAY.
au roi les conseils de l'expérience dédaignés par
Annebault, il avait du moins à cœur de décliner
Ja responsabilité de ce qui pouvait, de ce qui devait
advenir (1). Le cardinal du Bellay, l’un de ses frères,
fit transporter son corps dans la cathédrale"du Mans ;
et lui donna pour sépulture le riche mausolée que l’on
admire encore aujourd'hui dans cette église. Sur le
socle de ce monument, on lit ces vers :
Cy gist Langey qui , de plume et d'espée,
À surmonté Cicéron et Pompée.
Joachim du Bellay, qui appartenait à l'illustre fa-
famille des du Bellay de Glatigny , a fait en l’honneur
de Guillaume le distique suivant : |
Hic situs est Langeus ! ultrà nil quære, viator ;
Nil majus dici , nil potuit brevius.
Nous trouvons encore, à la fin du traité de Robert
Lebreton , qui a pour titre : De oplimo statu reipu-
blicæ (2), divers éloges poétiques de Guillaume du
Bellay ; l'un est de ce Robert Lebreton (Rob. Britan-
nus) ; un autre est de Jean Gelée (Gelida) ; un troi-
(1) Ce renseignement nous est fourni par Rabelais, qui,
attaché à la personne du cardinal du Bellay, paraît avoir assisté
aux derniers moments de Guillaume. Nous lisons au chap. 21 du
liv. 111 de Pañtagruel : « Les troys et quatre heures avant son
décez, il employa en parolles vigoureuses, en sens tranquil et
serain , nous prédisant ce que depuys part avons veu, part atten-
dons advenir. Combien que pour lors nous semblassent ces pro-
phéties aulcunement abhorrentes et estranges , par ne nous ap-
paroistre cause , ne signe aulcun , présent pronostic de ce qu'il
prédisoyt. » |
(2) Paris, Wechel, in-4°.
GUILLAUME DE LANGEY DU BELLAY. 101
sième, de Pierre Galland, mérite d’être cité. En voioi
les premiers vers :
Flent Epaminondam Thebæ , pompaque necatum
Magaifici exornant funeris Hippoclidem.
Thesea Cecropidem fortem, rigidumque Solonem
Et dubiam laurum qui Salamine refert.
Publicolas et, cum Fabiis, Roma alma Camillos,
Spartaque quæ celebrat funere Thermopylas.
Langius en fato Gallis præreptus acerbo est
Unica nobilium spesque decusque virûm ;
Langius ob patriam justis fortissimus armis,
Sacrificum exuperans relligione Numam ;
Langius in Gallis observantissimus æqui,
Munifica spargens munera larga manu ;
Langius , Aonidum robusta columna sororum ,.
Quem coluit Charitum semper amica trias !.…
Il est incontestable que ces diverses épitaphes sont
singulièrement emphatiques; mais ce n’est pas aller
au delà de la vérité que de compter Guillaume du
Bellay au nombre des hommes les plus éminents du
grand siècle de François I‘. Nous avons raconté
sommairement les actes principaux de sa carrière di-
plomatique, et ce rapide exposé a pu faire compren-
dre que , de son temps, personne ne connut et ne
pratiqua mieux que lui l’art des négociations. En re-
cevant la nouvelle de sa mort, Charles-Quint dit de
Guillaume du Bellay, que « seul, il lui avait fait plus
de mal et déconcerté plus de desseins, que tous les
Français ensemble (1) ; » etil n’y a pas lieu de suspeo-
(2) Mém. de Mart. du Bellay, t. Y, p. 138.
102 GUILLAUME DE LANGEY DU BELLAT.
ter le témoignage de ce prince, qui, mieux que per-
sonne , savait apprécier ce que vaut un bon négocia-
teur. François eut toujours pour Guillaume du Bellay
de l'affection et de l'estime; mais il ne lui donna pas,
dans ses conseils, la place à laquelle cet habile homme
pouvait prétendre. A la cour de Charles-Quint, Guä-
Jaume du Bellay n’eut pas eu moins de crédit que le
cardinal de Granvelle ; François Ier, qui menait toutes
ses entreprises à ciel ouvert, n’estimait pas à leur
prix les services diplomatiques , et, tandis qu’il tenait
à l’écart de bons serviteurs dont il eùt pu mettre à
profit la sagesse et l'expérience, il se laissait conduire
par des intrigants qui faisaient grand étalage de sen-
timents chevaleresques. C’est ainsi qu'il fut trompé
tant de fois. On aurait d'ailleurs une opinion très-
fausse de notre Guill. du Bellay, si, parce qu’il avait
une rare aptitude pour les entreprises diplomatiques,
on le considérait comme un de ces esprits fermés aux
passions généreuses , prudents jusqu'au défaut de
courage, égoïstes par tempérament ou par calcul,
qui ne savent qu'ourdir des trames subtiles ou déjouer
celles de leurs adversaires, et qui n’accordent jamais
que le sourire amer du scepticisme aux sacrifices hé-
roïques de la vertu. Le récit que nous avons fait de la
vie de Guill. du Bellay doit donner meilleure opinion
de son caractère. On a vu que l’habile négociateur
était encore, dans l’occasion , un brave capitaine, et
que l'ennemi ne réussissait pas mieux à l’intimider
qu'à le surprendre. Il était d'ailleurs très-large, très-
grand dans toute sa manière de vivre. Quand il
mourut , il avait dépensé tout son avoir jusqu’au der-
nier écu, et laissait trois cent mille livres de dettes à
GUILLAUME DE LANGEY DU BELLAY. 403
la charge de sa famille. Il s’était ruiné et avait engagé
la fortune des siens pour le service de l'État. Avant
même d'aller en Italie, il avait déjà laissé passer
aux mains des banquiers de Paris une bonne part de
son patrimoine, comme nous l’attestent ses lettres
et celles de son frère le cardinal; mais, passionné
pour les arts, pour les lettres et pour le luxe, il avait
toujours fait le plus noble emploi des sommes qu'il
avait obtenues des avides prêteurs. Nous traduirons
ici quelques vers de Salmon Macrin, qui nous prou-
vent que Guill. du Bellay prenait gaiement son parti
sur l’état de ses affaires, et ne se repentait pas d’avoir
dissipé son patrimoine : « Dernièrement, je me disais
en riant : — Les écus et Guillaume ne sont pas bien
ensemble ; il les prise si peu, qu'il en fait chaque jour
largesse, les jetant à quiconque lui tend les mains. —
Et vous m'avez répondu : — Sot que vous êtes, les écus
sont au mieux avec moi, puisque je les laisse courir
où il leur plaît, au lieu de les tenir, en avare, enfer-
més dans ma bourse (1). » Ces vers sont plaisants, et
nous semblent donner une exacte idée des mœurs li-
bérales de Guill. du Bellay.
Nous parlerons maintenant de ses ouvrages, et
comme il y a beaucoup d'erreurs accréditées à ce su-
jet, nous ne négligerons pas même les détails biblio-
graphiques , si fastidieux qu'ils puissent être, au
moyen desquels nous pourrons établir enfin un cata-
logue exact des écrits de cet illustre personnage.
De ces écrits, le plus important devait être son
histoire du règne de François I, à laquelle il
(1) Salm. Macrini, Ode, lib. 1.
404 GUILLAUME DE LANGEY DU BELLAT.
avait donné le titre d'Ogdoades. La Croix du Maine
distingue les Ogdoades d’un autre ouvrage sur lequel
il s'exprime en ces termes : « Il a escript en latin l’his-
toire des François, laquelle il a depuis traduicte en
nostre langue par le commandement du roy, et traitte
principallement des choses advenues durant le règne
dudict roy, non imprimée. » Mais cette distinction n’est
pas fondée : les Ogdoades et cette prétendue histoire
des Français n'ont jamais été que le même ouvrage.
Le témoignage de Martin du Bellay, frère de Guil-
laume, est sur ce point très-formel : « Feu mon frère,
messire Guillaume du Bellay... , avoit, dit-il, composé
sept Ogdoades latines, par luy-même traduites, du
commandement du roy, en nostre langue vulgaire, où
l'on pouvoit voir, comme en un clair miroir, non-seu-
lement le pourtraict des occurrences de ce siècle,
mais une dextérité d'écrire merveilleuse et à lui pé-
culière, selon les jugemens des plus sçavans (1). »
Bayle ayant déjà signalé cette erreur de La Croix du
Maine (2), nous n'insistons pas davantage sur ce point.
Scévole de Sainte-Marthe en a commis une plus grave
encore; il a supposé que les Ogdoades contenaient
toute Fhistoire de France, depuis les premiers âges
jusqu'au milieu du XVIe siècle : « Historiam de rebus
gallicis ab ipsa imperii origine usque ad sua tempora,
tum latinè, tum gallicè, gravissimo stylo persecutus
est (3). » Ce qui a trompé Scévole de Sainte-Marthe,
c’est qu'en effet l’auteur dissertait copieusement, dans
(1) Préface des Mémoires de Martin du Bellay.
(2) Dictionn. hist. et crit., au mot Guill. du Bellay.
(3) Elogia Scœvolæ Sammarthani, p. 16.
GUILLAUME DE LANGEY DU BELLAY. 105
la première de ses Ogdoades, sur les origines gallo-
françaises ; mais entre la première et la seconde, il y
avait la lacune qui sépare l'invasion romaine du règne
de François I‘.
Les Ogdoades et l’histoire des Français n'étaient
donc qu'un seul livre, livre inachevé sans doute,
puisque l'auteur se proposait d'écrire toute l'histoire
des faits accomplis sous le règne de François Ier, et
qu'il est mort quatre années avant ce prince. Or, voici
quelle a été l'étrange fortune des Ogdoades de Guil-
laume du Bellay : « Luy mort à St-Saphorin, sur le
mont de Tarare, à son retour d'Italie, ayant en ses
cofres ses œuvres, et lors estans absens monsei-
gneur le cardinal du Bellay, son frère, et messire
Martin du Bellay... , ses livres luy furent desrobez par
quelques-uns qui veulent, ainsi qu'il est à présuposer,
se vestir, comme la corneille ésopique, des belles
plumes d'autruy (1). » Si telle a été l'intention des au-
teurs du larcin commis sur le mont de Tarare, il est
à croire qu'ils ne l'ont pas remplic. Cependant, quel-
ques fragments des Ogdoades nous ont été conservés.
Au dire de Martin du Bellay, son frère avait composé
sept Ogdoades sur le règne de François ler. Mais ou
ce titre d'Ogdoades n'a pas de sens, ou il signifie que
l'ouvrage de Guillaume devait être distribué en huit
(octo) livres. Et, en effet, il l'était ainsi. Mais ayant
communiqué cet ouvrage à quelques-uns de ses amis,
Guillaume crut devoir, suivant leurs conseils, faire
de la première Ogdoade un opuscule séparé, parce
(1) Avertissement en tête de l'Epitome de l'Antiquité des
Gaules.
106 GUILLAUME DE LANGEY DU BELLATY.
qu'elle contenait une sorte de traité sur les anciennes
migrations des Gaulois et des Francs. C'est ce traité
qui a été publié, après sa mort, sous le titre de : Epi-
tome de l'Antiquité des Gaules et de France, avec une
préface sur toute son histoire; Paris, Sertenas, 1556,
in-4° , et Paris, Marnef, 1587, in-4o. Or, voici ce que
nous lisons dans la préface de cet Epitome : « Lequel
abrégé récit, pour ce qu'il sembloit à aucuns de mes
amys estre aliène en cest endroit et ne servant à mon
propoz, j'ay reséqué depuis et totalement osté. » C'est
Guillaume du Bellay qui s’exprime en ces termes : il
ajoute, pour qu'il n'y ait aucun équivoque, qu'il a fait
de ce livre de son histoire une « Ogdoade à part. »
Ainsi, nous avons la première des huit Ogdoades, et
cela est établi, non par des conjectures plus ou moins
graves, précises et concordantes, mais par le témoi-
gnage de l’auteur lui-même. A ce témoignage si décisif
ajoutons une preuve nouvelle qui nous est fournie par
un manuscrit provenant de la bibliothèque Colbert,
inscrit, sous Île n° 6205 , au catalogue de la bibliothè-
que du roi. Ce manuscrit a pour titre : Ogdoadis
prime liber primus, sive vita Francisci primi Fran-
corum regis , auctore Guillelmo Bellayo, domino de
Langey (1). Et que contient-il? Un fragment du pre-
mier travail de Guill. du Bellay. Au début, l’auteur
expose son opinion sur les origines gauloises ; puis il
commence l'histoire du règne de François [*", et la
continue jusque vers l’année 1536. C’est de ce pre-
mier livre de la première Ogdoade qu'il a, dans la
(1) I ne semble pas que ce manuscrit soit de la main de du
Bellay, car il s’y trouve une lacune. .
GUILLAUME DE LANGEY DU BELLAY. 407
suite, distrait tout ce qui concerne l'antiquité des
. Gaules. Si nous avons cru devoir entrer dans ces dé-
tails, c’est que la plupart des bibliographes, à l'ex-
ception toutefois de La Croix du Maine et de du Ver-
dier , nous paraissent avoir ignoré que l’Epitome fut
la première des Ogdoades. On possède encore un
fragment de la cinquième Ogdoade , retrouvé par
Martin du Bellay et publié dans ses Mémoires. Ce frag-
ment est considérable , puisqu'il forme quatre livres
des Mémoires, et sans contredit les plus intéressants ;
il commence à l’année 1536 et finit à l’année 1540.
La préface ou le prologue de l'Epitome est une œu-
vre digne de remarque : on y trouve de sages vues
sur la méthode que doit suivre un historien dans
l'exposition des faits accomplis. L'Epitome n’est qu'un
ingénieux assemblage des mille fables racontées par
Trithème, par Annius de Viterbe et par quelques au-
tres. On y voit qu'après le déluge , Samothès, fils aîné
de Japhet, et, ce qui est plus étrange encore, fonda-
teur de la secte des philosophes samothiens , vint s'é-
tablir sur le sol des Gaules, encore inhabité, et y fut
le père d’une nombreuse lignée, souche de la race gau-
loise ; que les descendants directs de Samothès, de
mâle en mâle, furent les huit premiers rois de cette
nation nouvelle, et qu’ils occupèrent pendant 400 ans
le trône fondé par leurs pères; qu'un de ces rois,
nommé Celtès, eut le premier la fantaisie de marquer
les frontières de ses États, et donna le nom de Cel-
tique à son vaste patrimoine ; que Galathea, fille de
Celtès, « belle dame à merveilles et de haulte stature »
eut des relations plus ou moins légitimes avec lil-
lustre Hercule Lybien (Hercules Lybius), de la race
108 GUILLAUME DE LANGEY DU BELLAY.
de Cham, et que celui-ci la rendit mère d’un fils
nommé Galathez ou Galatheus , auquel la Gaule doit
son nom ; que les Gaulois allèrent au siége de Troie
prendre parti pour l’Asie contre l'Europe, et qu'après
l'incendie de cette ville, quelques jeunes Troyens,
transportés dans les Gaules par leurs alliés, vinrent
fonder, sur les bords de la Seine, une colonie qu'ils
appelèrent en grec, « langue dont ils usoiïent alors, »
Lutetia, etc., etc. On nous épargne d'achever l’ana-
lyse de ce roman. Il faut sans doute rejeter de telles
fables ; il faut les placer, avec Fr. Hottmann, au
nombre des légendes héroïques, « Amadisicæ fabulæ, »
qui compromettent la gravité de l’histoire ; mais faisons
remarquer que du Bellay ne fut pas l'inventeur de ces
contes, et qu’il n’a pas été le dernier de nos historiens
qui les ait narrés avec cette naïveté.
En parlant des Mémoires de Martin du Bellay, nous
dirons quel a été le jugement porté par les critiques
sur le fragment de la cinquième Ogdoade, inséré dans
ces Mémoires. Ne quittons pas encore l'Epitome. Dans
l'avis au lecteur qui se trouve en tête de cet opuscule,
La Croix du Maine a vu que Guillaume du Bellay avait
écrit une relation encore inédite du voyage Charles-
Quint en Provence, et sur cette indication, il a cru
devoir lui attribuer un livre auquel il a donné ce titre:
Discours du voyage de l’empereur en Provence. Le
P. Lelong a reproduit, dans sa Bibliothèque, cette
note erronée de La Croix du Maine. Le Discours men-
tionné par ces bibliographes n’est pas un autre ou-
vrage que le récit de la campagne de Provence, re-
trouvé par Martin du Bellay dans les manuscrits de
son frère, et publié par le baron de La Lande, comme
GUILLAUME DE LANGEY DU BELLAY. 409
étant un fragment de la cinquième Ogdoade de Guill.
du Bellay. La première édition des Mémoires étant
de l’année 1569, et l’Epitome ayant été publié dès
l'année 1556, l'éditeur de cet opuscule a désigné la
portion des Ogdoades qui nous avait été conservée , en
indiquant ce qu’elle contenait de plus important. La
Croix du Maine se rend encore coupable de la même
inadvertance, quand il mentionne, au nombre des ma-
nuscrits laissés par Guillaume du Bellay, un Discours
sur les occasions qui remirent le roy et l'empereur en
guerre, depuis le traicté de Cambray : ce Discours,
qui se trouve, comme le précédent, dans les Mé-
moires , faisait partie des Ogdoades.
A la suite de l’Epitome ont été imprimés trois opus-
cules de Guillaume du Bellay. Le premier a pour titre :
Translation d'une oraison faite en la faveur du roy
Jean de Hongrie, de la guerre contre le Turc. Ce
plaidoyer en faveur de la dynastie de Jean Zapol
nous est donné comme une traduction, et, suivant
La Croix du Maine, cette traduction a été faite par
Guill. du Bellay. On ne possède plus le discours ori-
ginal , qui était en latin. Voici le titre de la deuxième
pièce, qui vient à la suite de l’Epitome : Translation
d'une lettre escrile à un Allemant , sur les querelles et
différens d'entre Charles cinquiesme et Françoys, pre-
mier de ce nom. La lettre latine doit avoir été publiée
par du Bellay vers l’année 1536; c’est un des factums
* qu’il fit alors distribuer dans les États germaniques
pour éclairer les esprits mal prévenus : la plupart des
faits qui s’y trouvent rapportés sont de cette date. La
troisième et dernière pièce jointe à l'Epitome par l’é-
diteur Sertenas, est une: Translation desletiresescrites
110 GUILLAUME DE LANGEY DU BELLAY.
par le très-chrestien roy de France, Francoys, premier
de ce nom, aux princes, villes et aux Estats d'Alle-
maigne, etc. Ces lettres, ou plutôt cette lettre, dans
laquelle François Ler est mis en scène par son ambas-
sadeur, et proteste avec des phrases sonores contre les
calomnies fabriquées par les émissaires de Charles V, est
du même temps que la précédente. Nous ne saurions,
‘toutefois, affirmer que du Bellay en soit l’auteur. La
Croix du Maine , parlant de François I‘, attribue à ce
prince « plusieurs épistres françoises , faites latines
par mess. Guillaume du Bellay, et plusieurs latines
qu’il a mises en françois. » Parlant ensuite de Guill.
du Bellay, le même bibliographe s'exprime ainsi : « Il
a traduit de latin en françois plusieurs épistres , orai-
sons , harangues et autres semblables choses, envoyées
par le roy François [°° aux protestants d’Almagne. »
Suivant La Croix du Maine, Guill. du Bellay n'aurait
donc fait que traduire la lettre insérée dans l’Epitome,
et cette lettre serait l’œuvre du roi lui-même. Mais il
ne faut jamais se fier au rapport de La Croix du Maine,
et la pièce dont il s’agit a moins le ton d’une lettre
royale que d'un écrit apologétique publié, sous le
nom du roi, par un de ses zélés serviteurs.
Nous n’avons pu mentionner, dans leur ordre chro-
nologique, les divers opuscules de Guill. du Bellay,
qui ont été publiés presqué tous après sa mort et dans
divers recueils : nous observerons, du moins, dans
ce compte rendu, l’ordre des matières , et, avant de
parler de ses œuvres poétiques, nous épuiserons la
liste de ses écrits qui appartiennent à la section de
l'histoire. Dans les Mémoires de Martin du Bellay, se
trouvent cinq pièces diplomatiques publiées, à diverses
GUILLAUME DE LANGEY DU BELLAY. 411
époques , par son frère Guillaume. La première est la
Lettre qu'il écrivit, en 1533, aux ambassadeurs du roi
Ferdinand, en faveur des ducs de Wurtemberg (1); la
seconde ct la troisième sont les deux Discours qu'il
prononça, la même année, dans la diète d’Augs-
bourg (2) ; la quatrième, de l'année 1536, est la Lettre
qu'il fit parvenir aux électeurs de l'Empire qui n’avaient
pas voulu l'entendre (3) ; la cinquième est le Discours
Ju devant les électeurs réunis à Ratisbonne , en 1541,
concernant l'assassinat des ambassadeurs français par
le marquis du Guast. L’étendue et le haut style de ces
pièces leur donnent une importance toute spéciale ;
ce sont de véritables traités sur diverses questions
historiques.
Nous trouvons, dans un des recueils manuscrits de
Ja bibliothèque du roi (4), la copie d’une de ces lettres
adressées par Guillaume du Bellay aux princes de
l'Empire ; et, à la suite de cette copie , nous lisons la
note suivante : « Ladicte lettre a été imprimée en latin
et en alemant ; et en alemant une autre plus longue
dont j'ay desjà envoyé le double au roy, et au bout de
laquelle est imprimé un arbre de consanguinité des
maisons de France, Bourgoigne, Milan et Savoye
depuis le temps du roy Jehan et des premiers ducs de
Milan. » Il s’agit ici d’un opuscule de Guill. du Bellay,
indiqué, par La Croix du Maine et par le P. Lelong,
(1) T.u, p. 318 de l’édit. publiée par l’abbé Lambert.
(2) Ibid., p. 327 et 352.
(3) T. ut, p. 261.
(4) MSS. de la biblioth. du roi, fonds Dupuy, sous le
n° 269.
419 GUILLAUME DE LANGEY DU BELLAY.
sous ce titre : Lettre d'un serviteur du roy à un secré-
taire allemand sur les différends entre le roy et l’empe-
reur; Paris, Sertenas, 1546, in-8°. Ce qui nous le
prouve, c'est que le P. Lelong mentionne une autre
édition du même opuscule ainsi intitulée : Double d'une
lettre écrite par un serviteur du roy, etc.; et au bout
d'icelle est ajouté un arbre de consanguinité d'entre les
maisons de France, Autriche, Bourgogne, Milan et
Savoye ; Paris, in-8° , sans date. Cette lettre a donc
été imprimée en allemand et en français. Nous n’avons
pu nous procurer un seul exemplaire des deux édi-
tions désignées par le P. Lelong, et vérifier si cette
Lettre d'un serviteur du roy à un secrétaire allemand,
publiée par Sertenas en 1546, ne serait pas le même
opuscule que la Lettre à un Allemant insérée dans
l'Epitome par cet éditeur, en 1556. La Croix du Maine
et le P. Lelong nous donnent ces deux lettres comme
distinctes l’une de l’autre.
Voici maintenant toute une série d'ouvrages histo-
riques attribués par La Croix du Maine à Guill. du
Bellay, sur lesquels nous n’avons guère d’autres ren-
seignements que ceux qui nous sont fournis par ce
bibliographe, 1° Les Dits, Faits et Choses mémorables
de la Gaule et de la France ; ouvrage inédit et perdu.
— 20 Recueil ou Vocabulaire, par ordre d'AB C, de
toutes les provinces , ciîtez, villes, chasteaux, mon-
tagnes, vallées, etc., etc. Suivant du Verdier, Guill.
du Bellay avait formé le projet de ce Vocabulaire, mais
il ne l'a pas exécuté. — 30 Recueil d'exemples des Dits et
Faits mémorables des François. — 4° La conférence et
comparaison des Vies et Gestes d'aucuns roys, prin-
ces et capitaines avec celles d'aucuns autres gens,
GUILLAUME DE LANGEY DU BELLAY. 113
Latins, etc., etc.; œuvre achevée, mais inédite, suivant
La Croix du Maine : « à quoy, selon du Verdier, il
avoit desjà bien travaillé et advancé ; mais prévenu
de mort, l'œuvre est restée imparfaicte, et, qui pis
est , en ont esté perdus les fragments. D — 5° Eptire
au roy François I:r du nom, lorsqu'il étoit prisonnier
en Espagne. — 6° Epiître à madame la duchesse sœur
de François I°'. Ces deux lettres se trouvaient manu-
scrites, au témoignage de La Croix du Maine, dans le
cabinet de René du Bellay, baron de La Lande. Elles
ont été perdues, mais il y en a beaucoup d'autres qui
ont été conservées et dont La Croix du Maine ne parle
pas. Nous allons ici remplir une lacune qui existe dans
les catalogues de du Verdier, de La Croix du Maine
et de dom Liron.
Outre les épitres diplomatiques éditées dans les
Mémoires de Martin du Bellay, il n'a été publié que
trois lettres de Guill. du Bellay : l’une, adressée à
Mélanchthon, citée par Seckendorf, dans sa polémique
contre le P. Maimboursg ; les deux autres extraites par
Le Grand des manuscrits de Béthune , et insérées parmi
les Preuves de l'Histoire du Divorce.
Ce qui nous a été conservé des lettres manuscrites
de Guill. du Bellay est dispersé dans divers recueils de
la bibliothèque du roi. De ces recueils, celui qui en ren-
ferme un plus grand nombre appartient à la collection
Dupuy et porte le n° 269 ; il s’y trouve environ trente-
cinq lettres originales, ou missives diplomatiques,
de Guill. du Bellay, adressées au roi , au maréchal de
Montmorency et au cardinal du Bellay. On ne peut
toutes les lire , car celles qui sont à l'adresse du car-
dinal sont , pour la plupart, intégralement ou partiel-
III 8
414 GUILLAUME DE LANGEY DU BELLAY.
lement écrites en chiffres. Ces lettres sont des années
1536, 1537 et 1538 ; on y voit le détail des négociations
suivies par G. du Bellay avec les princes allemands, et
ses embarras financiers dans le Piémont. Un manuscrit
provenant de la bibliothèque Coislin , inscrit sous le
n° 1832, contient des copies du plus grand nombre
de ces lettres.
Cinq manuscrits de la bibliothèque de Béthune,
inscrits sous les n°° 8502, 8511, 8545, 8604 et 8605,
renferment encore diverses lettres originales de Guill.
du Bellay, adressées au roi , au sieur de Villandry et
au maréchal de Montmorency. On en lit douze dans
le n° 8604, et neuf dans le n° 8605. Elles ne sont pas
de la même date que celles de la collection Dupuy,
mais des années 1530, 1531, 1532, et concernent,
pour la plupart, l’ambassade en Angleterre près de
Henri VIII.
Parmi les œuvres de Guillaume du Bellay, du Verdier
compte des Jnstructions sur le faict de la Guerre,
extraictes des livres de Polybe, Frontin, Vegèce , Cor-
mazan, Machiavel, publiées à Paris, in-4° et in-8°,
par M. Vascosan , en 1553; à Lyon, en 1592, in-8, et
traduites en italien par Mambrino Roseo, sous ce
titre : Della Disciplina militare libri tre; Venise,
Borelli, 1571, in-8°. Brantôme parle en ces termes de
cet ouvrage : « Le livre qu'a fait M. de Langeay sur
J'art militaire le fait connoistre autrement capitaine que
ne fait Machiavel , qui est un grand abus de cet homme
qui ne sçavoit ce que c'estoit de guerre, etc. » Du
Verdier et Brantôme se sont trompés : les Instructions
sur le faict de la Guerre ne sont pas de Guill. du
Bellay. Mais, s’ils se sont trompés , c'est avec l'éditeur
GUILLAUME DE LANGEY DU BELLAY. À 1 d
de ces {nstructions, qui les a publiées , en effet, sous
le nom de G. du Bellay. Or, l'auteur de ce livre nous
apprend qu'en l’année 1528, étant simple gendarme
dans la compagnie du sieur de Negrepelisse, il servit,
en Italie, sous le commandement de Lautrec ; il ajoute
qu’en 1536, capitaine d'une seule bande de gens de
pied, il reçut l’ordre d'assister le sieur de Roberval à
la saisie du défilé de Saint-Martin de Lucerne. Or,
ces détails biographiques ne peuvent s’appliquer à
Guill. du Bellay, qui, dès l’année 1528, occupait
une haute position dans les conseils du roi, et qui
remplissait, en 1536, les fonctions d'ambassadeur près
des Etats d'Allemagne. Au témoignage de La Croix
du Maine, qui donnait sa Bibliothèque en l'année 1584,
les Instructions sur le faict de la Guerre, publiées
sous le nom de Guill. du Bellay, étaient attribuées par
aucuns au connétable Anne de Montmorency; mais
cette attribution est encore moins fondée que toute
autre , le connétable n'ayant jamais eu la moindre con-
naissance ni de la langue de Polybe ni de celle de
Vegèce. Dans ses Vies de plusieurs capitaines Fran-
çois, publiées en 1643, le baron Pavie de Forquevaulx
a réclamé les Jnstructions sur le faict de la Guerre
pour un de ses proches, Rémond de Forquevaulx, de
l’antique famille des Beccaria de Pavie. Le gendarme
de la compagnie du sieur de Neprepelisse, le capi-
taine chargé d'occuper, en 1536, le val de St.-Martin,
est bien, en effet, ce Rémond de Forquevaulx, et si
le manuscrit de ses Znstructions fut trouvé dans les
papiers de Guill. du Bellay, c’est qu’étant un de ses
amis , il lui avait demandé sur cet ouvrage un avis et
des conseils. Bayle ayant rapporté ces faits d'après le
116 GUILLAUME DE LANGEY DU BELLATY.
baron de Forquevaulx, dont les dires méritent ici
toute confiance, nous ne comprenons pas que MM. Pei-
gnot (1) et Beuchot (2) aient de nouveau mis les Znstruc-
tions sur le faict dela Guerre au nombre des ouvrages
laissés par Guill. du Bellay.
Quelques mots maintenant sur les œuvres poétiques
de Guill. du Bellay. La Croix du Maine lui attribue plu-
sieurs Dialogues, Epigrammes , Elégies, Sylves, Epis-
tres, sur les événements contemporains: ces poëmes ne
sont pas parvenus jusqu'à nous. Nous ne connaissons
pas non plus les Poésies françoises, amoureuses et
autres, qu’il composa, dit-on , dans sa jeunesse. Nous
n'avons de Guill. du Bellay d’autres vers que ceux qu'il
fit publier, chez Gilles de Gourmont, in-4°, sans date,
sous ce titre : Peregrinatio humana ; item de beatæ
Virginis Mariæ nativitate Elegia, etc., etc., et qu'il
appelle lui-même, dans sa dédicace à Louis de Bourbon,
« les prémisses de son petit esprit, ingenioli mei pri-
milias. » Le poëme qui a pour titre Peregrinatio
humana, est le plus considérable de ceux que contient
le volume. On y trouve des vers bien tournés, mais
un plus grand nombre de médiocres. Le passage le
plus remarquable de cette complainte en trois chants
sur la destinée humaine , est le récit des infortunes de
saint Eustache et de ses enfants. Du Bellay raconte
encore plusieurs autres de ces légendes, entre autres
celle de Théophile , si célèbre dans le moyen âge :
Theophilus summos quum forte ambiret honores,
Omine se magicas lævo convertit ad artes,
(1) Dictionnaire historique. *
{2) Biographie universelle.
JEAN DU BELLAY. 117
Catholicamque miser legem sanctumque negavit
Chrisma, sed optatum provectus ad usque cacumeu
Infandum novit facinus scelerisque poposcit
Patrati veniam. Tum deliquisse fatenti
Omnipotens Christus, genitrice precante, pepercit.
Cette citation, si courte qu'elle soit, suffit pour faire
comprendre que si Guillaume du Bellay a laissé la
renommée d’un habile diplomate , d’un orateur élo-
quent et d’un historien recommandable , on ne saurait
le placer, parmi les poëtes , qu’au rang le plus humble.
DU BELLAY (3EAN).
JEAN DU BELLAY, né au château de Glatigny, vers
l’année 1492, frère puîné de Guillaume, entra dans les
ordres moins pour obéir à une vocation secrète que
pour se conformer à l'usage. C’était un homme fier,
impétueux, remuant, qui eût mieux porté l'épée que
la crosse épiscopale; mais il devait céder à son frère
aîné le droit et l’honneur de représenter dans lescamps
la noble race des du Bellay. Arrivant à la cour avec
l’habit ecclésiastique, jeune, bien appris et jaloux de
parvenir, Jean du Bellay fut bientôt dans les bonnes
grâces de François [°", et son frère osa réclamer pour
lui, dès l’abord, un des plus hauts emplois de l'Église :
mais il avait si peu d'inclination pour le sacerdoce,
son naturel ardent protestait avec tant d'énergie contre
la rigueur des vœux ecclésiastiques, qu’il était bien
difficile d'obtenir de lui même le simple respect des
418 JEAN DU BELLAY.
convenances. Cependant, depuis qu'en France les rois
nommaient aux évêchés , les anciennes prescriptions
étaient bien tombées en désuétude ; on n’exigeait plus
d’un candidat aux fonctions épiscopales que la régula-
rité constante de ses mœurs fût attestée par la voix du
peuple et par celle des clercs : quelle que fût donc la
mondanité de ses goûts et de ses habitudes, Jean du
Bellay fut, en l’année 1526, placé par le roi sur le siége
de Bayonne (1). Personne n'étant moins disposé que
ce gentilhomme à subir la contrainte des règles cano-
niques, ilaccepta volontiers tous les priviléges, mais
non pas toutes les obligations du ministère épiscopal ;
pour ce qui regarde Îa résidence, il ne quitta pas la
cour, et, suivant la coutume des prélats de bonne mai-
son, il employa les revenus de son évêché à faire noble
figure dans les antichambres de Fontainebleau.
Au mois de septembre 1527, le maréchal de Mont-
morency, Jean Brinon, premier président du parle-
ment de Normandie, d'Humières et le nouvel évêque
dé Bayonne furent envoyés ambassadeurs en Angle-
terre. Leurs lettres de créance sont du 25 septembre (2);
au mois d'octobre, ils étaient rendus à Londres. On se
demande quelle mission allait remplir un évêque, un
héritier du pallium apostolique, près de Henri VIII
séparé de Catherine d'Aragon et manifestant le dessein
d'élever jusqu’au trône la fille d’une de ses premières
maîtresses, sa propre fille peut-être, qui, par son li-
bertinage précoce, avait acquis déjà, sur les deux
(1) Gallia christiana, t. 1, col. 1320.
(2) Ces lettres se trouvent aux manuscrits de la bibliothèque
du roi, dans le MS. de Béthune qui porte le n° 8506, et dans
les Preuves de l'Histoire du Divorce, de Le Grand, p. 13.
ee ne
JEAN DU BELLAY. 419
rives de la Manche, une triste célébrité. Très-prompt
à composer avec ses devoirs épiscopaux, lorsqu'il
s'agissait d'un intérêt grave , l’évêque de Bayonne allait
à la cour de Henri VIIT n'ayant aucun parti pris sur
l'affaire du divorce , mais prêt à tout faire, à tout dire,
suivant les circonstances, pour maintenir en bon ac-
cord les deux rois unis contre Charles V. Le maréchal
de Montmorency ne séjourna pas longtemps en Angle-
terre, et, comme il étaïît chef de l'ambassade, Jean
du Bellay lui envoya de Londres les rapports les plus
étendus et les plus curieux sur l’état des affaires. La
bibliothèque du roi possède toute cette correspon-
dance. La première lettre de Jean du Bellay au maré-
chal de Montmorency est du 2 janvier 1528. II lai
écrivait le 9 du même mois :
Une des filles de chambre , Monseigneur, de Mademoiselle de
Boulan, se trouva mardy actainte de la suée ; à grant haste le
roy deslogea et alla à douze miles d'icy; et m’a-t-on dict que la
damoyselle fut envoyée pour le suspect au viconte son frère , qui
est en Cainet {1}. Jusques icy, Monseigneur, l’amour n’a point
prins de diminution. Je ne scay si l'absence , avec les difficultez
de Rome, pourroyt engendrer quelque chose. Ce mal de suée
dont je parle, c’est, Monseigneur, une maladie qui est survenuë
icy depuis quatre jours , la plus aisée du monde pour mourir. On
a ung peu de mal de teste et de cueur ; souldain on se met à
suer , il ne fault point de médecin, car qui se descouvre le moins
du monde ou qui se couvre ung peu trop, en quatre heures,
aulcunes fois en deux ou troys, on est dépesché sans languir.….. -
Hier, estant allé pour jurer à la trefve, on les veoyt dru comme
mousches se jetter des ruës et des boutiques dedans les maisons,
prendre la suée incontinent que le mal les prenoyt. Je trouvay
(1) Le pays de Kent.
420 JÉAN DU BELLAY.
l'ambassadeur de Milan sortant à grant haste de son logis, pour
ce que deux ou troys souldainement en estoient prins. S’il fauldra,
Monseigneur, que tous les ambassadeurs en ayent leur part,
au moins en mou endroict n’aurez-vous pas gaigné vostre cause,
car vous ne pourrez vous vanter que m’ayez faict mourir de faim,
et d'avantage le roy aura gaigné neuf moys de mon service qui
ne luy auront rien cousté ; ce ne luy aura esté fait peu de prouf-
fict. Par Dieu de paradis! Monseigneur, quant la suée et la
suerye me viendra veoir, et qu’il me fauldra passer la carrière et
la suée, je n'y auray pas si grant regret que ceulx qui sont
plus à leur aise que moy. Mais Dieu les y maintienne (1)!
On voit, dans cette lettre, que, dès le mois de jan-
vier de l’année 1598, J. du Bellay désespérait déjà de
la cause de Catherine d'Aragon, mais que cette affaire
le touchait peu, moins que la suette, moins que l’état
de ses finances. On devait lui compter quinze livres par
jour (2), somme insuffisante puisqu'il ne dépensait pas
moins de quatre cents écus par mois en vins de toute
espèce (3), et encore ne lui envoyait-on pas les termes
échus de ses appointements. Dans la pitoyable situation
où 8e trouvait alors le trésor public, François Ier avait
converti le plus grand nombre des charges ecclésias-
tiques en autant de sinécures dont il attribuait les reve-
nus à ses ministres, à ses ambassadeurs, clercs ou
laïques, et même à ses poëtes et à ses courtisans; mais
comme les deniers des bénéficiaires devaient d’abord
passer par Îles mains de leurs suppléants, de leurs
économes et de leurs banquiers, ils n'en recevaient,
(1) MSS. de Béthune, et Le Grand, Preuves de l’Hist. du
Divorce.
(2) Lettre du 27 nov., dans Le Grand.
(3) Lettre du 21 juillet.
JEAN DU BELLAY. 494 :
cela va sans dire, qu'une très-faible part. Importuné
par des créanciers exigeants, J. du Bellay se rappela
sans doute plus d’une fois qu'avant de l’envoyer à
Londres te roi lui avait donné l'évêché de Bayonne :
mais vainement alors il réclamait, sur le ton le plus
impérieux, l’excédant de recettes qui devait se trouver
dans la caisse épiscopale ; il était loin, on feignait de
n'avoir pas entendu ses cris de détresse, ou bien,
comme il nous Île raconte, on le payait « en belles
gambades (1). » Les jours succédant aux jours et les
mois au mois, sans que personne eût égard aux pres-
santes remontrances de Jean du Bellay, il déclara
qu'il ne pouvait plus subvenir aux frais de sa maison
et demanda son rappel. On trouva peu convenable sans
doute qu’un évêque fit tant de bruit à propos d'écus,
et sa demande fut mal accueillie : « Par Dieu de para-
dis! Monseigneur , écrivait-il le 8 juin au maréchal de
Montmorency, si je n'ay mon congé, je m'en iray sans
lavoir, et qui me voudra foüetter n'estant point mon
maistre, trouvera que je crains moins cent mors que
une honte. Si Job estoit en ma place , il n’auroit tant
actendu à perdre patience. » Ce sont là des propos
lestes, vifs et peu séants dans la bouche d’un évêque.
Cependant les menaces de Jcan du Bellay n'eurent pas
plus de succès que ses humbles prières, et il ne fut
déchargé ni de son ambassade ni de ses dettes.
Pour surcroît d’ennuis , il fut atteint par le mal ré-
gnant. Nous lisons dans une lettre du 21 juillet : « Quant
au dangier, Monseigneur, qui est en ce pays, il com-
mence à diminuer decza, età augmenter ez lieux où il
(1) Lettre du 27 nov.
122 JEAN DU BELLAY.
n'avoit esté ; en Cainet est à ceste heure fort. Made-
moiselle de Boulan et son père ont sué, maïs sont es-
chapez. Le jour que je suay, chez M. de Cantorbery
en mourut dix-huit en quatre heures : ce jour-là ne
s'en saulva guères que moy, qui n'en suis pas encore
bien ferme; le roy s’est eslongné plus qu'il n’estoit, et
espère qu’il n’en sera nul mal... » La fin de cettelettre
contient encore une très-vive requête, et c’est toujours
de l'argent que demande Jean du Bellay. On lui répon-
dit par le même silence, car le 27 novembre, c’est-à-
dire après un an passé de séjour à Londres, il n'avait
pas encore touché le premier écu de ses gages. C’est
alors qu'il prit parti de venir les réclamer en personne,
et on le vit à la cour de Fontainebleau dans les pre-
miers mois de l’année 1529 ; mais il n’y séjourna pas
longtemps, puisque, le 2 mai, il était de retour à Bou-
logne , attendant le navire qui devait le transporter à
Douvres. Îl arrivait à Londres le 22 de ce mois.
Avait-il obtenu, dans ce voyage, ce qu'il était venu
solliciter, ce qu'il semblait avoir plus à cœur que tout
le reste, le règlement de ses comptes avec le trésor
royal? Rien ne l'indique ; mais comme nous le voyons,
de retour à Londres , parler de ses vignes de Saint-
Cloud, nous supposons que, touché de ses remon-
trances , le roi lui avait abandonné les revenus de ce
fief ecclésiastique, compensation bien insuffisante,
comme J. du Bellay ne tarda pas à le déclarer au ma-
réchal de Montmorency : « À dire vray, les jardins de
Saint-Clou ne sont bien assez en perfection, s'ils ne
sont accompagnez de la garenne de Saint-Mor (1). »
{1} Lettre du 4 octobre, dans Le Grand.
JEAN DU BELLAY. 123
Le roi, qui l’aimait et avait besoin de lui, lui donna
bientôt cette baronnie de Saint-Maur qu’il convoitait
avec tant d'ardeur.
Jusqu'à la fin de l’année 1528, Jean du Bellay de-
meura près du roi d'Angleterre qui déjà l’avait adopté
pour son confident. Il était de toutes les fêtes que le
roi donnait en l'honneur de sa maîtresse. Aussi, quand
à fut question du divorce, le pressa-t-on de donner
son avis sur cette affaire délicate. Il se garda bien de
l’examiner en canoniste, et répondit, en courtisan,
que le royal amant de la marquise de Pembrock n'avait
pas à s'inquiéter des scrupules de la cour de Rome (1).
Ce fut un conseil qu'Henri VIII n’oublia pas. Dans les
premiers mois de l’année 1529, Jean du Bellay vint en
France. Il était à Blaye le 6 mars, le 17 juin à Bor-
deaux et, le 15 août, à Paris, quand son frère aîné
partait pour l'Angleterre avec les articles du traité de
Cambray. Tous les historiens disent quelle part Jean
du Bellay prit alors à la fondation du Collége de France.
Plein de zèle pour tout ce qui pouvait contribuer à la
gloire des lettres françaises, il appuya de toute son
influence les démarches déjà faites au sujet de cet
établissement par le célèbre Guillaume Budée, et ils
obtinrent enfin les lettres patentes qui constituèrent
le Collége Royal , en l’année 1530.
Vers le mois de juin de l’année 1532, Jean du Bellay
accompagnait en Angleterre son frère Guillaume. Ils
allaient tout préparer pour l'entrevue de Calais. Une
lettre de l’évêque de Bayonne , du 22 juillet 1532, con
(1) J. Lingard, Hist. d’Angl., t. it, p. 172 de la trad. de
M. Léon de Wailly.
4294 JEAN DU BELLAT.
tient les plus intéressants détails sur cette négociation.
Nous lisons dans cette lettre, qui est à l’adresse du ma-
réchal de Montmorency :
MONSEIGNEUR ,
Je scay véritablement et de bon lieu que le plus grant plaisir
que le roy pourroit faire au roy son frère et à Madame Anne,
c’est que le dit seigneur m’escripve que le requiere le roy son dit
frère qu’il veüille mener la dicte dame Anne avec luy à Callais,
pour la veoir et pour la festoyer, affin qu’ils ne demeurent en-
semble sans compaignie de dames , pour ce que les bonnes chères
en sont tousjours meilleures. Mais il fauldroit que, en pareil cas,
le roy menast la royne de Navarre à Boullongne pour festoyer le
roy d'Angleterre. Je ne vous escriray de là où cela vient, car j’ay
fait serment... Quant à la royne, pour riens ce roy ne vouldroit
qu’elle vint. Il haït cest habillement à l’espaignolle tant qu’il luy
semble veoir un diable.
Ainsi, même avant la célébration de son mariage
secret avec Anne de Boleyn, Henri VIII désirait la
présenter à François Ier dans une circonstance solen-
nelle, et il avait chargé l’évêque de Bayonne de confier
discrètement ce désir à la cour de France. On voit,
du reste, que celui-ci était homme à remplir, sans
aucun trouble de conscience, l’étrange commission qui
lui avait été donnée. Il n’était pas seulement l'ami du
roi, ilétait encore un des familiers de sa maîtresse. Il
faut l’entendre raconter, avec son abandon habituel,
en quels termes il vivait, à Londres, avec ce couple
abhorré par l'Église et par le peuple d'Angleterre. Voici
un autre fragment de la lettre du 22 juillet :
JEAN DU BELLAY. 195
MONSEIGNEUR,
Ï1 me semble que je ne ferois un homme de bien, si je vous
cellois la bonne chère que ce roy et toute la compaignie m'a faict,
et la privaulté dont il use envers moy. Tout du long du jour je
suis seul à seul avec luy à la chasse, là où il me compte privé-
ment de tous ses affaires, prenant autant de peine à me vouloir
donner plaisir en sa chasse comme si je feusse un bien grant per-
sonnaige. Quelquefois il nous mect, Madame Anne et moy, avec
chacun son arbaleste pour actendre les daings à passer, comme
vous entendez leur façon de chasser. Quelqu’autrefois sommes,
elle et moy, tous seuls en quelque aultre lieu pour veoir courir
les daings; et comme nous arrivons en quelque maison des
siennes , il n’est pas si-tost descendu qu’il ne me veüille monstrer
et ce qu’il a fait et ce qu’il veult faire. Ceste dicte dame Anne
m'a faict présent de robbe de chasse, chappeau, trompe et
lévrier. Ce que je vous escripts, Monseigneur, n’est pas pour
vous cuider persuader que je soye si honneste homme que je
doyve estre tant aymé des dames , mais affin que vous cognois-
siez comment l’amitié de ce roy s'accroist et continue avec le
roy (1).
On nous épargne de commenter cette lettre. Pour
faire connaître Jean du Bellay, il suffit de le laisser
parler de lui-même. Que l’on nous permette, toute-
fois , de placer ici ce que Gargantua nous apprend du
célèbre frère Jean des Entommeures : « Chascun lesoub-
haïite en sa compaignye. Il n'est point biguot, il n’est
point dessiré { déchiré, misérable, gueux }; il est hon-
neste, joyeulx, délibéré, bon compaignon. Il travaille,
il laboure , il deffend les opprimez, il conforte les
(1) MSS. de Béthune , n° 8598, et dans Le Grand.
126 JEAN DU BELLAY.
affigez, il subvient aux souffreteux, il guarde le clouz
de l’abbaye. — Je foys, dist le moyne, bien dadvan-
taige. Car en dépeschant nos matines et anniversaires
au cueur, ensemble je foys des chordes d’arbaleste,
je polyz des matras et guarrotz, je foys des retz et des
poches à prendre les connins. Jamais je ne suys oisif. »
Or quel est, suivant les interprètes de Rabelais, le
véritable frère Jean ? Quel est le prototype de ce rude
compère , qui, sous le froc du moine, n'a pas moins les
allures que les mœurs d’un gendarme ? On s'accorde
à nous dire que l’auteur de Pantagruel, recherché
par Jean du Bellay, admis à la table de ce prélat très-
peu scrupuleux dans le choix de ses familiers, l’a fait
paraître en scène, dans son roman, sous le nom de
frère Jean des Entommeures. Qu’en faut-il croire? Il
est incontestable que l’évèque et le moine ont de com-
mun autre chose que le nom : ils ont l’un et l’autre
l'humeur gaie, le cœur brave, et ne s'inquiètent guère
plus l’un que l'autre des versets que l'on chante au
chœur, tandis qu’ils préparent leurs engins de chasse
ou de guerre. Oui, sans doute , ils se ressemblent,
autant qu'une bouffonne caricature est l’image fidèle
de la réalité. Encore, oserait-on dire que l’évêque de
Bayonne, vêtu d’une robe de chasse, ayant sur sa tête
le chapeau retroussé, sur ses épaules la trompe aux
joyeuses fanfares, à ses côtés le levrier au pied rapide,
et poursuivant le dain, dans un bois de Windsor, avec
la digne maîtresse du plus effronté libertin de la cour
d'Angleterre , ait joué, sous ce costume, en ce lieu,
dans cette compagnie, un personnage moins burlesque,
moins facétieux, moins profane, que notre frère Jean
vidant les pots ou devisant avec Panurge sur les in -
JEAN DU BELLAY. 497
convénients du mariage ? Mais fermons ici cette paren-
thèse, et continuons notre récit.
Deux mois après avoir écrit l'étrange épitre que
nous venons de reproduire , Jean du Bellay était de
retour en France. François de Poncher, qui avait reçu
l'évêché de Paris des mains de son oncle Etienne , sous
forme de résignation , était mort le 12 septembre, etle
roi, voulant donner au conseiller intime de Henri VIIL
une preuve éclatante de son affection et de sa recon-
naissance, l'avait appelé, dès le 20 septembre, à la
possession de ce riche bénéfice. Il conserva , suivant
l'usage , l'évêché de Bayonne, et n’attendit pas même
les bulles du pape pour s'établir dans lévêché de Paris.
Ces bulles ne lui furent remises qu’au cours de l’année
suivante, car elles portent la date du 2 mai 1533, et
le roi ne les confirma que le 1er octobre 1534. A cette
époque, il y avait un an déjà qu'il acquittait, avec les
revenus de l’évêque de Paris, les dettes de l’ambassa-
deur près le roi d'Angleterre. Un de ses premiers soins
fut de faire joindre l’abbaye de Saint-Maur à la manse
de l’évêque de Paris, dont les revenus, dit-il, étaient
insuffisants : il obtint cette faveur de Clément VII, au
mois de juin 1533 (1). Il y avait six cent soixante-cinq
ans que le célèbre monastère de Saint-Maur était gou-
verné par des abbès réguliers; il possédait vingt-trois
bénéfices, dans l’archevêché de Sens et dans les évé-
chés de Chartres, de Paris et de Meaux : c'était une
grande affaire que de confisquer ce riche domaine, et
de le convertir en un doyenné épiscopal. François Ier,
adhérant aux motifs allégués par l’évêque de Paris,
(1} Gallia christ.,t. vn, coll. 160,
198 JEAN DU BELLAT,
avait lui-même appuyé sa requête auprès du saint-
siége. Les moines murmurèrent , mais on ne les écouta
pas (1).
Au mois d'octobre de cette année 1533, J. du Bellay
se rendait à Marseille, avec la cour, pour assister à l’en-
trevue de Clément VII et de François Ler. Il ne devait
pas remplir un rôle actif dans cette célèbre conférence;
mais un incident fort singulier l’appela sur la scène
pour occuper l'emploi d'autrui. Le 4 octobre, parut
en vue de Marseille la flotte qui portait le pape et ses
cardinaux ; le maréchal de Montmorency les reçut dans
un des faubourgs de la ville, et il fut convenu que la
cérémonie de la réception aurait lieu le lendemain.
C'était le président Poyet qui devait haranguer le saint-
père; mais comme ce personnage ne s'exprimait pas
facilement et correctement dans la langue de Cicéron,
il avait fait composer un discours latin du plus bel
effet par quelque docteur émérite, et n'avait pas sans
beaucoup de peine confié à sa mémoire une longue
série de phrases sonores qu'il entendait à demi. Quel
fut donc son embarras, quand il apprit que le pape,
voulant demeurer en de bons termes avec l’empe-
reur et les princes alliés à la cause de l'Empire, avait
chargé son maitre des cérémonies de faire entendre
sur quels points il ne lui convenait pas d’être entretenu
publiquement par l'orateur du roi de France. Toute la
harangue du président était à refaire. Il prit un détour
pour dissimuler sa déconvenue, et, s'étant rendu pré-
cipitamment auprès du roi, il lui dit que le pape, ne
voulant entendre parler que des affaires de la religion,
(1) Le Théâtre des Antiq. de Paris, de du Breul , p. 1179.
JEAN DU BELLAY. 129
il convenait mieux de lui donner pour interlocuteur,
dans cette circonstance, un évêque qu'un président.
On le comprit, et Jean du Bellay fut chargé de faire à
Ja hâte le discours officiel ; si bref que fut ce discours,
tout le monde admira la facilité, la présence d'esprit
et l’éloquence de l'évêque de Paris (1). Il a été publié
par les frères Sainte-Marthe (2).
Avant de quitter Marseille, le pape avait promis à
François [°" d'agir avec ménagement , pendant quelque
temps encore, à l'égard du roi d'Angleterre et de sus-
pendre l’exécution des menaces dont celui-ci parais-
sait, d’ailleurs , s'inquiéter peu. Aussitôt après la
rupture de la conférence de Marseille, Jean du Bellay
se rendit en Angleterre et fit tous ses efforts pour tem-
pérer le ressentiment de Henri VIIT. Il lui représenta
qu’il valait mieux entrer en accommodement avec la
cour de Rome que l'irriter par des coups d'État; qu’il
s'agissait uniquement d'envoyer des députés à Clé-
ment VII, de produire pièces sur pièces à l'appui du
divorce, et de traîner ainsi l'affaire en longueur i que
ce gage de déférence devait être favorablement accueilli
par le saint-siége et compromettrait la cause de Cathe-
rine d'Aragon. Quelle que fût sa violence naturelle,
quels que fussent ses griefs contre la cour de Rome,
Henri VIII se laissa persuader par l’évêque de Paris,
et le pria d'aller lui-même à Rome faire au pape des
propositions d'accord. Malgré la rigueur de la saison
{ on était aux approches de Noël ) du Bellay traversa
(1) Mémoires de Martin du Bellay, t. 1, p.279. — Montaigne,
Essais, liv. [, chap. 10.
(2) Gallia christiana, t. vit, coll. 161.
nr 9
430 JEAN DU BELLAY.
le détroit, et courut en Italie. Les cardinaux étant as-
semblés, il prit devant eux la défense du roi, leur
déclara que ce prince n'était animé d'aucun sentiment
hostile à l'égard de la cour romaine , et les exhorta
vivement à prévenir par de bons procédés le scandale
d’une rupture qui devait consterner la chrétienté tout
entière. Ces remontrances furent écoutées : on prit
l'engagement de suspendre, jusqu’au 23 mars, le juge-
ment des actes de Henri VILL. Mais, en l'absence de
l'évêque de Paris, ce prince n'avait pour conseillers
que les parents et les courtisans d'Anne de Boleyn ;
négligeant donc de mettre à profit le délai qui lui était
accordé, il manifesta , plus fermement qu'il ne l'avait
fait encore, la volonté derompre avec l'Église de Rome;
et, le 23 mars 1534, la sentence d’excommunication
fut prononcée contre l'adultère époux de Catherine
d'Aragon, à la majorité de 19 voix contre 5. Du
Bellay n'ayant reçu de Londres aucune dépêche,
aucune nouvelle, avait de nouveau sollicité, mais
n'avait pu, cette fois, obtenir un sursis de quelques
jours (1).
La malheureuse issue de cette négociation ne com-
promit en rien l'évêque de Paris près de la cour ro-
maine. Clément VII lui témoigna souvent qu'il eût été
plus sage de retarder encore la conclusion de cette dé-
plorable affaire, mais que les agents de l'Espagne et
de l'Autriche avaient entrainé la majorité des cardi-
naux. Bien placé dans la confiance de Clément VIL,
Jean du Bellay ne fut pas moins considéré de Paul IL,
(1) Lingard, Hist. d’Angl., p. 991 et suiv. — Mémoires de
Martin du Bellay, t. 1, p. 390 et suiv. — Fleury, Hist. eccl.,
liv. CXXXIV. :
JEAN DU BELLAY. . 131
qui le nomma cardinal-prètre, au titre de Sainte-
Cécile, le 21 mai 1535 (1). Il y avait longtemps déjà
qu'on lui avait promis le chapeau, mais on avait jus-
qu’alors ajourné l’exécution de cette promesse. Dans
une de ses lettres qui porte la date du 9 janvier 1534 (2),
il se plaint vivement de n’avoir pas été compris dans
la dernière promotion. Et à qui cette plainte est-elle
adressée? au pape lui-même. Jean du Bellay le pre-
pait sur ce ton avec toutes les puissances.
Il était de retour en France, à Paris, quand, en
l’année 1536, François E°r se rendit dans la Provence,
menacée par les armes impériales. Connaissant l’hu-
moeur du cardinal, et sachant qu’on ne pouvait pas moins
compter sur son aptitude à commander une garnison
que sur l'énergie de son caractère, François lui confia
la garde de Paris, et lui donna le titre de lieutenant-
général des provinces de Picardie et de Champagne.
Jean du Bellay ne refusa ni ce titre ni cet emploi:
les circonstances exigeaient que chacun s’employât de
tous ses moyens à secourir la patrie menacée. Quand
l'arrivée des bandes ennemies sous les murs de Pé-
ronne vint jeter l’épouvante dans tous les esprits,
l'évêque de Paris se montra le premier citoyen de
cette ville :
..... Regni dubiis hisce tumultibus,
Quos flagrans Caroli Cæsaris excitat
In Francos odiumque et violentia
Et vindex animi insania lividi,
(t) Il le fut ensuite aux titres de Saint-Vital, de Saint-Pierre-
aux-Liens , de Saint-Adrien et de Saint-Chrysogone.
(2) MSS. de la biblioth. du roi, fonds Dupuy, n° 269.
132 JEAN DU BELLAY.
Ostendis procerem te memorabilem
Cedentem eximio robore nemini
Terrorum et jaculis impenetrabilem (1).
Ayant d'abord réuni le prévôt des marchands et les
échevins, il leur fit comprendre quela prise de Péronne
devait avoir pour conséquence inévitable le siége de
Paris. Il fallait donc se préparer à recevoir prochai-
nement les troupes impériales, et, si faire se pouvait, à
leur donner bonne chasse. Les magistrats municipaux
s’engagérent à mettre sur pied une armée de dix mille
hommes, à fournir les munitions de guerre avec un
train d’artillerie et à soudoyer cinquante mille pion-
niers que l’on envoya sur-le-champ travailler aux fortifi-
catious de la ville. Les-vivres manquaïent : le cardinal
fit partir, dans toutes les directions, d'actifs émissaires
qui allèrent réclamer au nom du roi, chez tous les
fermiers de l'Ile-de-France, le tiers des grains entassés
dans leurs greniers ; en huit jours, la ville fut approvi-
sionnée, et les Parisiens, encouragés par l’exemple
de leur évêque, attendirent, pour se porter aux ram-
parts, la nouvelle de la prise de Péronne. Mais Péronne
fut vaillamment défendue, et, battu sous les murs de
cette place, le comte de Nassau fit une prompte re-
traite (2).
Le roi loua beaucoup la conduite héroïque de l’évé-
que de Paris. Lorsque, l’année suivante, il prit le
(1) Salmonis Macrini Hymni, lib. I, hymn. 1.
(2) Mémoires de Martin du Bellay, t. 1v, p. 217 et suiv. En
lisant ces détails sur la défense de Paris par Jean du Bellay, ne
se rappelle-t-on pas, sans le secours des annotateurs de Pen-
tagruel, les exploits de frère Jean exterminant avec un bâton de
croix les ennemis qui ravageaient le clos de l’abbaye de Sévillé?
JEAN DU BELLAY. 433
parti de traverser les Alpes avec son armée, il parta-
gea l'administration du royaume entre Charles, duc
d'Orléans, le duc de Guise et Henri, roi de Navarre,
et donna pour conseil au duc d'Orléans le cardinal
du Bellay (1). Quels que fussent les embarras de la
situation , Jean du Bellay sut administrer le diocèse de
Paris, contrôler de loin la gestion financière de l'évêché
de Bayonne , et gouverner l'Ile de France, sous le nom
du duc d'Orléans, sans se sentir accablé par le poids
des affaires. Il trouvait même assez de loisir pour pas-
ser aux champs, dans son château de Saint-Maur, des
semaines, des mois entiers. C’étaient ses vacances, et
il les employait bien, non pas en évêque, mais en
gentilhomme. Il u’aimait ni les cartes, ni les spectacles,
ni les danses, aucun des passe-temps recherchés par
les esprits paresseux; il dédaignait même, dit-on {mais
c’est un de ses flatteurs qui dit cela), d'appeler à ses
fêtes de Saint-Maur cet aimable troupeau de nobles
courtisanes qui étaient l’ornement de la cour de Fran-
çois Ier :
Quænam transigitur digna per otia
Hæc secura quies, optime pontifex,
Mauri ad cœlitis æ&dem
Indulget quam tibi Deus ?
. Non ludo ancipitis conteris alæ
Tempus, non choreis, irrevocabile,
Nec te putrida mollit
Blandis illecebris Venus.
(1) Mémoires de "Martin du Bellay, t. 1V, p. 360.
134 JEAN DU BELLAY.
Et quæ plurima mimi -
Effundunt jocularia ;
mais il employait volontiers son temps à chasser à
courre dans ses riches garennes,
..... Lepores canum
Vexas alite cursu (1);
à lire les vieux poëtes, à faire des vers; ou bien en-
core, et c'était une de ses principales occupations, à
greffer ses rosiers, à tailler ses arbres fruitiers, à
semer des graines nouvelles en France, qu'il avait ac-
quises à grands frais de divers voyageurs. Le soir, une
société nombreuse se réunissait au château. Curieux
de la bonne chère, le cardinal traitait honorablement
ses conviés. C’étaient les poëtes en renom, qui tous
s’accordaient à le nommer leur Mécène; c’étaient ses
familiers, ses amis, Michel de L’Hospital, qui avait
déjà, dans les chambres du Parlement, la renommée
d'un grand jurisconsulte, et le docte André Tiraqueau,
qui joignait au savoir l'expérience acquise par Îles
années (2); c’êtaient les principaux officiers civils de
la province de Paris, les hauts fonctionnaires de l’évé-
ché, et une foule de jeunes gens de qualité, entre les-
quels on remarquait le cadet d’une maison de la Bresse,
gentilhomme de grande espérance, nommé Gaspard
de Coligny. Rien n’était brillant comme les réunions
de Saint-Maur.
Puisque nous venons de parler de la vie privée de
(1) Salmonis Macrini, Ode, lib. III.
(2) Dans une ode, publiée par Salmon Macrin, Ad amicos qui
in laureti satione occupato venerant.
JEAN DU BELLAT. 43%
Jean du Bellay, de ses habitudes, de ses goûts, de ses
mœurs, c’est ici que nous devons enfin aborder une
question grave, délicate , à l’occasion de laquelle nous
avons fait plus d’une recherche vaine. On lit dans un
chapitre de Brantôme : « J’ay ouï raconter à une dame
de grande qualité et ancienne, que feu M. le cardinal
du Bellay avait espousé, étant évesque et cardinal,
Madame de Chastillon et est mort marie. Et le disoit
sur un propos qu'elle tenoit à M. de Manne, Provençal,
de la maison de Seulal et évêque de Fréjus, lequel
avoit suivi l’espace de quinze ans en la cour de Rome
ledit cardinal et avoit été de ses privés protonotaires :
et, venant à parler dudit cardinal, elle lui demanda
s’il ne lui avoit jamais dit et confessé qu'il fût marié,
Qui fut étonné, ce fut M. de Manne de telle demande.
Il est encore vivant, qui pourra dire si je mens, car
j'y étois. Il respondit que jamais il n’en avoit oui par-
ler, ny à lui ny à d’autres. — Or, je vous l’apprends
donc, dit-elle, car il n'y a rien de si vrai qu'il a été
marié et est mort marié réellement avec ladite dame
de Chastillon (1). » Tel est le récit de Brantôme. Qu'en
faut-il croire? Pour ne pas émettre une opinion témé-
raire sur un fait aussi problématique, devons-nous
dire simplement que les habitudes peu rigides de Jean
du Bellay purent autoriser et même accréditer diverses
hypothèses de cette nature, qui, les unes etles autres,
manquaient de fondement? Si pourtant Jean du Bellay
étant évêque, étant cardinal, avait recherché, sans
l'obtenir, la main de quelque autre dame que la veuve
du sieur de Châtillon, et si ce fait singulier nous était
(1) Dames galantes, t. 11.
156 JEAN DU BELLAY.
attesté par un témoinirrécusable, on pourrait accepter
comme vraie, ou, du moins, comme vraisemblable
l'anecdote racontée par Brantôme. Or, au nombre des
lettres manuscrites de Guillaume du Bellay, que con-
tient le numéro 269 de la collection Dupuy, il en est
une qui est conçue dans ces termes :
De la Coste-Saint-André, jeudi saint 1537.
Mon FRÈRE,
Depuis la response que je vous fis à la longue lettre que m'avez
escripte, j'ay parlé à Monsieur de Laval des tors et entreprinses
que vous font ses officiers, qui me promit de y mettre tôt ordre,
que j'en demoureray content, remettant à la venue de M. de
Chasteaubryant, qui s’attend icy après la feste, de y mettre une
conclusion. Mais, depuis, j'ay sceu par un gentilhomme du
Poictou qu'un sien voisin, qu'il m’a nommé , se vante que vous
luy faictes grande poursuitte d’avoir sa fille en mariage , disant
que il ne tient que à quelque argent comptant, aussi qu'il ne
veut assez bailler de terre, que non soyez d'accord ensemble.
Vous scavez, mon frère , que ce ne sont les derniers propos que
vous me tinstes , et trouve bien estrange que me mettez en peine
de demander au roy des bénéfices pour vous, ce qu’avez faict
n’a pas encore quinze jours , et si vacation fust escheutte , vous
en aviez un de plus de deux mille livres de rente, et cepen-
dant j'aille recepvoir cette honte et mocquerie que j'aye pour-
chassé des bénéfices pour homme marié , qui ne seroit tel conten-
tement envers luy que vous pouvez penser. Voyant cela , je me suis
délibéré de vous en demander la vérité, et attendant vostre res-
ponce ne me mesler d'affaire qu’ayez , non plus que je ferois pour
le plus grand ennemy que j'aye en ce monde ; car entendez que
là où feriez ce que dessus , je vous tiendrois à jamais pour autre.
Aussi , au contraire, là où vous me tiendrez vostre parolle et me
JEAN DU BELLAY. 137
donnerez à connoistre par effect que ne vous serez moequé de
moy, vous ne trouverez en ce monde tel amy, ni qui plus ayt
vos affaires en recommandation que moy.
Cette lettre est-elle bien de Guillaume du Bellay?
elle n’est pas originale et ne porte aucune signature ;
mais Dupuy n’a pu la mettre au nombre des lettres de
Guillaume sans y être autorisé par des motifs suffi-
sants. Elle a d’ailleurs été copiée par la même main
que plusieurs autres lettres du même recueil, qui ne
peuvent être que de Guillaume et auxquelles sa signa-
ture manque pareillement. Mais auquel de ses frères
Guillaume a-t-il adressé cette missive curieuse ? Le
copiste ne nous l’apprend pas. Est-ce à Martin du
Bellay? en cette année 1537, il commandait, dans le
nord , une compagnie de chevau-légers, et s’occupait
de toute autre chose que de solliciter des bénéfices.
Est-ce à Louis du Bellay? il était chevalier de Malte,
et dès sa jeunesse, dès sa dixième année, il avait êté
transporté loin du sol natal (1). Est-ce à René du
Bellay ? depuis l’année 1535, il occupait le siège
épiscopal du Mans. Est-ce enfin à Jean du Bellay? nous
n’émettons pas nous-même cette hypothèse, mais nous
ne pouvons ne pas tenir compte d'un renseignement
qui nous est fourni par un autre manuscrit de la biblio-
thèque du roi. Dans ce manuscrit, inscrit sous le
n° 1832 , provenant de la bibliothèque Seguier ou
Coislin, se trouve une seconde copie de la lettre qui
nous cause tant d'embarras. Or , voici ce qu'il y a de
remarquable dans cette copie : à défaut de signature,
(1) Voir une lettre de Jean du Bellay, citée précédemment.
Hist. litt. du Maine, t. 111, p. 73.
438 JEAN DU BELLAY.
elle porte un titre, et ce titre désigne Jean du Bellay
comme celui des frères de Guillaume auquel fut adressée
la lettre dont nous avons publié le texte. Mais si nous
avons à dessein rapporté toutes les preuves qui peuvent
être alléguées à l’appui de cette désignation, disons enfin
quel est notre sentiment à cet égard. Îl est impossible
que Jean du Bellay, doyen de Saint-Maur, évêque de
Bayonne, de Paris, et cardinal-prètre, ait publique-
ment demandé la main de cette jeune fille du Poitou
dont nous parle la lettre de Guillaume. Rien, d'ailleurs,
dans cette lettre, ne se rapporte à l'un des prélats les
plus éminents et les mieux dotés de l'Église de France.
Si donc il est vrai que Guillaume l’ait écrite à sou frère
Jean, il faut nécessairement qu’une erreur de date ait
été commise dans l’une et dans l’autre copie. Substi-
tuons , en effet, l'année 1517 à l’année 1537, Jean du
Bellay n’est plus ni doyen de Saint-Maur, ni cardinal-
prêtre, ni recteur des églises de Bayonne et de Paris ;
c’est un jeune et brillant seigneur, que l’on destine à
l'Église, mais qui voudrait bien suivre une autre car-
rière, et quise laisse aller, avant d'avoir prononcé ses
vœux, jusqu'à convoiter la fille ou les écus d’un gen-
tilhomme du Poitou. Cela n’a rien d’invraisemblable.
Mais si l’on prétend maintenir la date qui est donnée
par les deux manuscrits, il faut rejeter comme une
frivole hypothèse l'indication fournie par le registre
provenant de la bibliothèque Coislin , et chercher en-
core à qui peut être adressée la lettre de Guillaume.
Voilà ce que nous avions à dire à ce sujet. Si dans les
manuscrits par nous consultés rien ne nous semble
confirmer le dire de Brantôme , ajoutons que rien ne
l'infirme. Le cardinal du Bellay fut-il ou ne fut-il pas
JEAN DU BELLAT. 139
uni secrètement à Ja dame de Châtillon. ? Notre dernier
mot sur cette affaire est que nous ignorons la vérité.
Au mois de janvier de l’année 1640, le cardinal du
Bellay put faire valoir, dans une circonstance solen-
nelle, les grâces de sa personne et la magnificence de
sa maison. Pressé d’aller châtier les Gantois rebelles,
et n’osant traverser l'Allemagne où il y avait plus d’un
motif d’agitation , Charles V avait fait demander à
François Ier le passage à travers ses États, et celui-ci
s'était empressé d'accéder à cette requête. Les deux
fils de France et le connétable de Montmorency allèrent
jusqu’à Bayonne au-devant du vainqueur de Pavie; le
roi lui-même courut à sa rencontre jusqu'à Châtelle-
rault et ils s'accordèrent réciproquement les marques
de l'affection la plus vive. Charles V ayant fait son
entrée dans la ville de Paris le 1er janvier , le cardi-
nal du Bellay eut l'honneur de le recevoir en son palais
épiscopal (1).
Ce fut sans doute pour acquitter les frais de cette
réception qu’il obtint du roi, au mois d’août de l'année
suivante, un troisième évêché, celui de Limoges, caril
était admis que l'Église devait payer les dettes de l’État.
Jean du Bellay prit possession, par procureurs, du siége
vénéré de Saint-Martial, le 22 septembre 1541 (2). Mais
ce n’était pas assez encore : Paris, Limoges et Bayonne,
le fief de Saint-Cloud, les abbayes de Saint-Maur,
de la Fontaine-Daniel (3), et divers autres bénéfices
(1) Gallia christ., loco citato.
(2) Gallia christ., t. 11, coll. 539.
(3) M. Cauvin, Géographie ancienne du diocèse du Mans,
pag. 205.
140 JEAN DU BELLAY.
de moindre importance , qu'était-ce que cela pour le
plus libéral des cardinaux? Déjà possesseur de nous
ne savons combien de domaines, il sollicitait encore,
mais non plus un simple diocèse; il voulait une pro-
vince entière, et une des plus considérables. Le roi
l’aimait assez pour lui accorder cette nouvelle faveur,
mais il fallait attendre une vacance. Sur ces entrefaites,
mourut l'abbé du monastère d’Aniane, au diocèse de
Montpellier, maison bénédictine de grand renom ; pour
complaire à l’insatiable solliciteur et modérer son im-
patience, François s'empressa de mettre en commande
cette abbaye et de lui en faire présent (1). Enfin, dansles
derniers mois de l’année 1543, le siége de Bordeaux
perdit son archevêque. L'administration de cette riche
province fut aussitôt donnée au cardinal du Bellay,
qui en prit possession le 25 janvier 1544 (2). Il faut
entendre Salmon Macrin applaudir à cette largesse de
François Ier. « Réjouissez-vous, prêtres des Muses,
habitants du mont à la double crête, car voici que du
Bellay, le tuteur des poëtes et des arts, chargé par le
roi de gouverner la pieuse milice des fidèles borde-
lais, va ceindre sa tête de la plus haute de toutes les
mitres..… La vertu est estimée ce qu’elle vaut, le me
rite obtient sa juste récompense (3). » Salmon Macrin
était le courtisan domestique du cardinal; celui-ci
l'avait pris, pour ainsi parler, à son service, et lui
avait donné pour emploi de chanter ses louanges sur
(1) € Joh. du Bellay, primum commendatarius a rege no-
minatus, cæteris quibus toto vitæ suæ tempore ditatus est sacer-
dotiis Anianam quoque adjunxit. » Gallia christ., t. vi, col. 851.
(2) Gall. christ., t. 11, col. 848.
(3) S. Macrini Ode.
JEAN DU BELLAY. | 441
tous les modes, dans tous les rhythmes. Aussi, que
d’épîtres congratulatoires a-t-il reçues de cette muse
gagée! Que de paraphrases adulatrices accompagnent
son nom dans les odes, et jusque dans les hymnes de
Salmon Macrin :
Bellai, pater et patrone vatum. ...
..... tutela præsens vatibus. ...
Vatum fautor et artium. ..... se
Magne, Bellai, citharæ arte pollens. etc., etc!
Après avoir pris note de tous les vers adoniques, saphi-
ques, trochaïques, asclépiades, composés et publiés
par Macrin en l’honneur de Jean du Bellay, nous ne
savons dire lequel des deux demeure l'obligé de l’autre.
Ronsard n'hésite pas à déclarer que le poëte a payé
même avec usure le loyer du plus honorable entretien,
et que le cardinal lui doit encore de la reconnaissance.
Nous lisons, en effet, ces vers dans une ode à Jean du
Bellay :
... Celui qui acquiert la grace
D'un bienheureux escrivant,
De mortel se fait vivant
Et au rang des célestes passe,
Comme toy, que la muse apprise
De ton Macrin a chanté,
Et t'a un los enfanté
Qui la fuitte des ans mesprise ;
Elle a perpétué ta gloire
En logeant là haut aux cieux,
Et a fait esgale aux dieux
L’éternité de ta mémoire.
442 JEAN DU BELLAY.
En l'année 1544, tandis que Charles V formait à
Spire une nouvelle coalition contre la France, Fran-
çois Ler crut devoir envoyer dans cette ville quelques
ambassadeurs chargés de démentir, auprès des grands
vassaux de la couronne impériale, les propos calom-
nieux au moyen desquels l'Espagnol réussissait trop
bien à se concilier des partisans. Le cardinal du Bellay
partit pour l'Allemagne avec cette mission, ayant en
sa compagnie le président Olivier et le bailli de Dijon.
Mais ils ne purent pénétrer au sein de la diète ; le hé-
raut envoyé près de l'empereur revint sans avoir ob-
tenu le sauf-conduit réclamé pour les ambassadeurs
français : ils protestèrent, du moins, dans un écrit
rédigé par Jean du Bellay, contre les perfides décla-
mations de Charles V (1). Cette protestation est élo-
.quente; on doit croire qu'elle produisit quelque effet :
mais les princes d'Allemagne n osèrent pas se pronon-
cer en faveur dela meilleure cause; et, aussitôt après
la clôture des séances de la diète de Spire , les armées
coalisées de l'Espagne , de l'Autriche, de l'Angleterre
envahirent à la fois le nord, l’est et l’ouest de la France.
Ce grand effort eut, on le sait, un très-médiocre ré-
sultat. S'étant rendus maîtres de quelques places, les
rois confédérés se virent contraints à prendre eux-
mêmes l'initiative des propositions pacifiques. L’amiral
Annebault traita de la paix avec Charles V : le car-
dinal du Bellay fut envoyé vers le roi d'Angleterre,
qui tenait Boulogne assiégée; mais cette négociation
n'eut pas de suites, et, la paix conclue avec l'Em=
pire, la guerre continua sous les murs de Boulogne,
(1) Mém. de Mart. du Bellay, t. v, p. 319 et suiv.
JEAN DU BELLATY. 143
et dans la Manche, avec les bataillons et les navires
anglais. |
L'évêché du Mans fut le dernier présent que Jean
du Bellay reçut de François Ier. Il en fut pourvu en
l’année 1546. Quand, en l'année 1547, mourut ceprince,
que tant de regrets accompagnèrent dans la tombe, le
cardinal du Bellay célébra ses obsèques dans la cathé-
drale de Paris, en compagnie de neuf autres cardinaux
et de quarante évêques. Se voyant ensuite desservi
près de Henri IT par le cardinal de Lorraine, il quitta
la France et se rendit à Rome où, par le privilége de
l'âge, il fut évêque d'Ostie et tint rang de doyen des
cardinaux en l'absence de ceux de Tournon et de
Bourbon, ses anciens. S'étant démis successivement
des évêchés de Paris(1), de Bordeaux et du Mans en fa-
veur d'Eustache du Bellay, son cousin, de François
de Maulny et de Charles d'Angennes de Rambouillet,
il fit bâtir, avec ses épargnes, un splendide palais sur
la place des Saints-Apôtres.
C'est là qu’il donna rendez-vous à tous les beaux
esprits de Rome; c’est là qu’en l’année 1549 il célé-
bra la naissance du duc d'Orléans avec une magnifi-
cence dont le souvenir se perpétuera d’àge en âge. Ces
termes ne sont pas emphatiques, car le récit des jeux,
des combats, des festins qui, dans cette journée so-
lennelle, remplirent d’admiration et de contentement
la noblesse et le peuple de Rome, a été fait par le
médecin du cardinal, et ce médecin était maître
François Rabelais! Ainsi, comme l'a bien dit Ronsard,
(1) « Retentis fructibus episcopatus et collatione beneficio-
rum, » Gallia christ., t. VII.
4144 JEAN DU BELLAY.
... Celui qui acquiert la grace
D'un bienbeureux escrivant,
De mortel se fait vivant
Et au rang des célestes passe!
Il faut lire, dans les éditions de Rabelais, ce récit
vraiment curieux (1). Le cardinal du Bellay, ayant
appris la délivrance de Catherine de Médicis, pré-
pare , avec les seigneurs Horace Farnèse , Robert
Strossi, de Castres et de Maligni, les plus somptueuses
réjouissances. Au jour fité , la fête commence par un
simulacre de combat. Sur la vaste place des Saints-
Apôtres , s'élève un château fort quadrangulaire,
flanqué de tourillons, et ayant pour ceinture un fossé
large de quatre pas, profond d’une demi-toise.
Attaqué par une nombreuse milice, défendu par de
vaillants capitaines, le château tient pendant un jour
entier, vomissant des torrents de fumée de ses batte-
ries inoftensives ; enfin il est pris d'assaut, et les com-
battants, vainqueurs et vaincus, se rendent alors
dans les salons du cardinal où les attend une table
richement servie. Qu'on ne parle plus des « célèbres
banquets de plusieurs anciens empereurs romains et
barbares ; » qu’on oublie désormais « la patine et
cuysinerie de Vitellius tant célébrée, qu'elle vint en
proverbe; » aucun de ces festins historiques n’est
comparable à celui dont nous avons la description.
« Je ne parleray point, dit le narrateur , du nombre
et rares espèces des poissons ici serviz; il est par trop
-
(1) La Sciomachie et Festins faits à Rome au palays de mon
Seigneur révérend. cardinal du Bellay. Dans les éditions Eloi
Johanneau et Ledentu { 1837 ). |
JEAN DU BELLAY. 445
excessif. Bien vous diray que, à ce bancquet, furent
servies plus de mille cinq cens pièces de four, j’en-
tendz pastez, tartes et dariolles. Si les viandes furent
copieuses, aussi furent les beuvettes numereuses. Car
trente poinsons de vin et cent cinquante douzaines
de pains de bouche ne durèrent guères, sans l’autre
pain mollet et commun. » Douze cardinaux occupent
la première table ; plus loin on voit les ambassadeurs,
les évêques, les ducs, et toute la foule des seigneurs
italiens. Les grâces dites, on introduit un chanteur
qui récite une ode latine composée pour la circon-
stance par le cardinal du Bellay. Après le repas, les
dames envahissent les salons, le bal commence et se
prolonge jusqu'au lendemain. On dut s’entretenir long-
temps, à Rome, dans toute l'Italie, des détails de
cette grande fête. Il ny avait qu'un gentilhomme
français qui püt se montrer aussi libéral , aussi
prodigue.
A la mort de MarcelIl, en 1555, les cardinaux réu-
nis en conclave formèrent le dessein de lui donner
Jean du Bellay pour successeur; mais il ne parait pas
avoir recherché cette haute fonction. Se rappela-t-il
qu'il avait, en d’autres temps, entretenu d'intimes
rapports avec Melancthon, et qu'il n'avait pas été bien
loin d’abjurer la créance catholique ? ou se dit-il
que les clefs de saint Pierre devaient être un poids
bien lourd pour ses mains énervées par l’âge et par
une voluptueuse indolence? Il paraît constant qu'il eût
obtenu la tiare, s’il ne l’eût refusée. Il mourut à Rome
le 16 février 1560, âgé de soixante-huit ans, et fut
enseveli dans l'église de la Trinité-du-Mont, au cou-
vent des Minimes français, auxquels il léguait, par
JIl 10
146 JEAN DU BELLAY.
testament, la moitié de sa riche vaisselle et 3,000 écus
d'or (1).
Il nous reste à parler de ses écrits.
En 1542, le premier des Robert Estienne publiait un
libelle politique, contenant les deux pièces suivantes :
Pauli III, Pontificis Max., ad Carolum V, Epist.
hortat. ad pacem; — Francisci, Fr. regis, adversus
ipsius Caroli calumnias Epist. Apologetica ad Pau-
Lum III scripta; Paris, in-8. Tous les bibliographes s’ac-
cordent à dire que la seconde de ces pièces est de Jean
du Bellay. Une traduction française en fut publiée, l'an-
née suivante, chez le même libraire, in-4° et in-8°. Cette
sorte de factum paraît avoir eu beaucoup de succès.
Nous avons parlé de la protestation rédigée au nom
des ambassadeurs français envoyés à la diète de Spire,
en 1544. Elle fut publiée sous divers titres par Robert
Estienne. Nous avons d’abord : Oratio de sententia
Christianissimi regis scripta ad ser., rev., illustr.,
excell., magn., spectabiles viros, universosque sacri
imperii ordines Spiræ conventum agentes ; Parisiis,
Rob. Estienne , 1544, in-4°. Comme il importait
beaucoup de faire comprendre, en France, que l'ini-
tiative des mauvais procédés avait été prise par les
Impériaux, cette protestation énergique, éloquente,
(1) Gallia christ., t. vn. Suivant quelques historiens calvi-
nistes , Jean du Bellay ayant été chargé, comme évèque de Paris,
de juger Anne du Bourg, et l’ayant condamné, fut puni par la
main du Seigneur, qui le retira du monde « quarante jours après
l'exécution de cet illustre martyr.» (Teissier, Addition aux Éloges
des hommes savants.) Ce rapprochement, d’ailleurs inexact, entre
la date du supplice d'Anne du Bourg et celle de la mort de Jean
du Bellay, est fondé sur une autre erreur. Le procès d'Anne du
Bourg commença le 19 avril 1559, et, depuis l’année 1550, Jean
du Bellay n’était plus évêque de Paris.
JEAN DU BELLAY. 147
fut sur le champ traduite. En voici le titre français :
Oraison escripte, suivant l'intention du roy très-
chrestian, aux Seigneurs et Etas du S' Empire assem-
blez en la ville de Spire ; Paris, R. Estienne, 1554,
in-4o et in-8°. Elle a été reproduite dans les Mémoires
de Martin du Bellay (1). C'est la même pièce, avec
des additions considérables, qui fut publiée sous ce
ütre : Joannis card. Bellaii, Francisci Olivarti,
Africani Mallei, Orationes duæ, de sententia christ.
Regis ad seren. Imperii ordines Spiræ conventum
agentes, nec non pro eodem rege Defensio adv. Jac.
Omphalii maledicta; Parisiis, Rob. Estienne, 1544,
in-4° (2). La Défense de François I‘ contre les invec-
tives d'Omphalius est, comme le discours des ambas-
sadeurs, l'œuvre de Jean du Bellay. Elle fut traduite
et publiée séparément sous ce titre : Défense pour le
roy de France très-chrétien à l’encontre des injures
et détractions de J. Omphalius, faite naguèëres en latin
par ung serviteur du roy, el maintenant traduite en
françois, par Simon Bunel; Paris, Rob. Estienne, 1544,
et Ch. Estienne, 1554, in-4°.
Les lettres diplomatiques de Jean du Bellay sont
plus importantes encore que ses discours et ses li-
belles. La bibliothèque du roi en possède beaucoup.
Dans le n° 269 de la collection Dupuy , nous en lisons
pouf qui se retrouvent dans le n° 1832, prove-
nant de la bibliothèque Coislin. Vingt-trois recueils
du fonds de Béthune contiennent une longue suite
(1) T. v, p. 333 de l’édit. de l'abbé Lambert.
(2) La protestation des ambassadeurs a été publiée par Gol-
daste, partie 20 des Ordonn. politig. de l'empire, p. 951; Fran-
cofurti, 1614, in-fol.
4148 JEAN DU BELLAY.
de lettres de Jean du Bellay, de l'année 1528 à
l'année 1559. Ceux de ces recueils où l'on en lit un plus
grand nombre, portent les numéros 8601 , 8602,
8603, 8604 et 8605 (1) ; ce sant ses dépêches de
Londres, adressées au maréchal de Montmorency.
Cinquante-deux de ces lettres ont été publiées par Le
Grand dans ses Preuves de l’Histoire du Divorce de
Henri VIII et de Catherine d'Aragon. On en lit, en
outre, quelques-unes dans les Lettres et Mémoires,
édités, en 1666, par Guill. Ribier. Le style de Jean du
Bellay est, à vrai dire, moins diplomatique que litté-
raire; il raconte les événements auxquels il assiste,
auxquels il prend part, même les plus graves, sur un
ton leste, dégagé, qui trahit sans doute la légèreté de
son caractère, mais qui fait valoir son esprit, et il en
a beaucoup.
Parmi les Lettres de Melancthon, publiées par Jean
Maolius , à Bâle, en 1565, in-8°, se trouve une lettre
de Jean du Bellay, adressée à cet illustre réformateur.
Dans les Annales de l'imprimerie des Estienne de
M. Raynouard, nous trouvons l'indication suivante :
Messire Jean du Bellay, cardinal. Harangues, Oraï-
sons, Epistres et autres choses, tant en latin qu'en
françois; Paris, R. Estienne, 15#4, in-4°. Nous n'a-
vons pu nous procurer ce volume. Est-ce le même
qui est désigné par M. Desportes sous ce titre : Odes
recueillies par Robert Estienne ; Paris, 1549, in-8°?
Cela n’est pas vraisemblable ; cependant, M. Ray-
(1) Voici, d’après le catalogue spécial des MSS. de Béthune,
les numéros des autres recueils qui renferment des lettres du
cardinal du Bellay : 8587, 8641, 8664, 8670, 8531, 8558,
8596, 8566, 8587, 8615, 8636, 9368, 8530, 8535, 8540, 8565,
8606, 8639.
JEAN DU BELLAT. 4149
pouard ne nous apprend pas qu'aucun des Estienne
ait édité , soit en l’année 1549, soit avant, soit après,
un recueil in-8° contenant des odes de Jean du Bellay.
Salmon Macrin a recueilli quelques poëmes latins de
Jean du Bellay, et les a publiés, en 1546, à la suite de
ses Odes. Dans une préface surabondamment lauda-
tive, il nous dit qu’il a pris sur lui-même de livrer à
la presse les compositions lyriques de son illustre pa-
tron , « se insciente atque inconsulto. » Nous n'en
croyons rien; mais cela importe peu. Nous avons été
curieux de lire les poésies latines de Jean du Bellay,
et cette lecture nous a causé la plus agréable surprise.
Rien n'est, en effet, plus ordinaire que de voir les
sérénissimes protecteurs des lettres prendre eux-
mêmes, dans leurs loisirs, la lyre aux cinq cordes,
et en tirer des sons vulgaires ; mais, par exception à
la coutume, le Mécène de Salmon Macrin est vraiment
un poëte , un poëte digne de l'estime des gens de
goût. On ne s'attend pas sans doute à trouver , dans
les œuvres du cardinal du Bellay, un grand nombre
de ces vers dogmatiques inspirés aux théologiens par
la muse chrétienne : indifférent aux choses de la reli-
gion , il ne chante que des sujets profanes. Mais avec
quelle verve il fait appel aux généreux instincts de la
jeunesse française, lorsqu'il s’agit de jeter dans la
Manche ies troupes anglaises, maîtresses de Boulogne
et déjà campées sous les murs de Montreuil! Qu il y a
de noblesse dans son langage, lorsqu'il s’entretient,
avec le cardinal de Lorraine, des grands intérêts de
la patrie! On nous accordera, sans doute, que les
poëtes latins du XVI: siècle ont laissé peu de vers
supérieurs à Ceux-ci :
MERS CA de ans ee
130
JEAN DU BELLATY.
Macrine, musis dedite dulcibus,
Quo vel canoram non alius chelyn
Tractare doctus sit magis, vel
Imparibus numeris jocari ;
Cur me vocando frangeris.....
2002000000 0 ee ©
Nescis propinquos Sequanidum ad lacus
Atram mephytim fervere, quæ piis
Vix mentibus jam sit bonorum
Îngenuisque animis ferenda ?
Fortuna, rerum perpetuo vices
Versare solers, cogitat impetus
Duros, ab exemplis avorum
Terrificum sibi nacta nomen.
Quos longa planctus posteritas virüm
Quas et querelas pectoribus trahet
Imis, priores execrata
Immemores patrii decoris !
Me si quis istis annumeraverit
Olim nepotum, si tumulo grave
Adjecerit pondus notarum
Turpium, et invidia gravarit,
Me juverit nil Elysii domus,
Nil prata vernis consita floribus.
Nomen semel quisquis beatum
Perdidit, omnia perdidisse hunc
Verè putandum : persequitur scelus
Auctorem , in ipsis nec latebris sinit
Vel mortis atræ contineri
Fama agitatum hominem sinistra. .
JEAN DU BELLAY. 451
Nous n'avons pas voulu traduire ces vers , craignant
de leur Ôter quelque chose de leur énergie. On n’y
trouvera pas, nous Île savons, la langue pure et sé-
vère du chantre de Venouse , mais il ne faut pas exi-
ger de nos poëtes latins du XVI° siècle cette perfec-
tion de style qui n'appartient même, chez les anciens,
qu'à ceux du siècle d'Auguste. Ce qu'il faut remar-
quer , dans les vers que nous venons de citer , c’est la
noblesse de la pensée, la vigueur de l'expression,
l'harmonie pleine et sonore des strophes, qui s’en-
chaînent l’une à l’autre sans effort, sans contrainte:
la dernière est notamment du plus bel effet.
Toutes les poésies latines dè Jean du Bellay n'ont
pas été publiées par Salmon Macrin. Nous lisons à la
fin de la Sciomachie de Fr. Rabelais, l’ode en vers
saphiques qui « fust prononcée par Labbat, avec sa
grande lyre , » dans le festin donné par le cardinal
pour célébrer la naissance du duc d'Orléans. Nous
trouvons, en outre, dans un recueil manuscrit de la
bibliothèque du roi {1}, quatre ou cinq odes latines
de Jean du Bellay, insérées , par nous ne savons quel
copiste, parmi des pièces détachées de Jérôme Fra-
castor et de Jean Passerat (2).
(1) Sous le n° 8421.
(2) La Monnoye parle-t-il de ces petits poèmes , dans cette note
publiée par Rigoley de Juvigny : « J'ai vu quelques epistres en
vers latins de sa facon , non imprimées, qu'il écrivist de Rome
au chancelier de L’Hopital , dans lesquelles il y avoit des traits
hardis tant contre la cour de Rome que contre la France , où j'ai
été surpris de trouver quelquefois des fautes de quantité? »
152 MARTIN DU BELLAT.
DU BELLAY (MmarTIN).
MARTIN DU BELLAY,. troisième fils de Louis, sei-
gneur de Langey, d’Ambrières et de Lavenay, né
comme ses frères au château de Glatigny, vint à la
cour , en l’année 1513, prendre le ton d'un gentil-
homme et chercher un emploi.
L'expédition dans le Milanais ayant été résolue
en 1515, Martin du Bellay, qui devait avoir à peine
atteint sa vingt-deuxième année, obtint du Roi la per-
mission d'accompagner, en Italie, son frère Guillaume,
et il combattit aux batailles de Navarre, de Marignan
et de Pavie. Nous ignorons sous quels chefs il apprit
ensuite le métier des armes. En 1536, nous le retrou-
vons enfermé dans les murs de Fossan, avec Mont-
pezat et La Roche du Maine, se retirant de cette place
à la tête de la cavalerie, après une héroïque rési-
stance (1), et revenant en France défendre les fron-
tières menacées. Il commande alors, aux portes d’Aix,
deux cents chevau-légers et quelques enseignes de
gens de pied , harcèle constamment les Impériaux qui
battent en retraite sur la ville de Fréjus, et leur fait
éprouver des pertes notables (2). Quand la guerre
change de théâtre et s'engage vers les frontières du
Nord, Martin du Bellay est envoyé vers Térouane
avec ses deux cents chevau-légers , et pénètre dans
cette place après avoir forcé tous les passages gardés
(1) Ses Mémoires, t. 111, p. 337.
(2) Ibid., t. 1v, p. 212 et suiv.
MARTIN DU BELLAT. 153
par l'ennemi (1). Chargé de défendre Liliers (2), il
quitte bientôt ce poste, et court reprendre Saint-
Venant. Quinze cents fantassins et trois cents cava-
liers de la garnison impériale de Béthune , viennent
d'enlever un convoi considérable que les Français
attendaient au camp de Pernes : à cette nouvelle, du
Bellay court à la rencontre de l'ennemi, brusque
l'attaque avec cent cavaliers et dégage le convoi (3).
A la défense de Saint-Pol (1537), il voit tomber à ses
côtés cent vingt de ses chevau-légers ; il tombe bien-
tôt lui-même , et on le compte déjà parmi les victimes
de cette malheureuse journée , quand, à la fin du
combat, on le retrouve enseveli sous un monceau de
cadavres (4). Il est fait prisonnier , relâché sur sa pa-
role, et, guéri de ses blessures , il court ‘en Piémont
où il s'empare de Carignan et de quelques autres
places voisines de Turin (1542, 1543) (5).
Il était dans cette ville, où il remplissait les fonc-
tions de gouverneur , lorsqu'il apprit la mort de son
frère Guillaume, qui, ayant sacrifié toute sa fortune
au service de l'État, laissait à sa famille la charge de
payer ses dettes. Contraint de faire un voyage en
France pour mettre ordre à ses affaires, Martin du
Bellay s’éloigna de Turin; mais, avant la fin de
l'année 1543, il était à la tête de ses chevau-légers
aux portes d'Avesnes, où il se signalait par de nou-
(1) Ses Mémoires, p. 277.
(2) Ibid., p. 289.
(3) Ibid., p. 296.
(4) Ibid., p. 316.
(5) Id., t. v, p.127, 193. — Montaigne, Essais, liv. [, ch. 14
154 MARTIN DU BELLAY.
velles prouesses (1). Au mois d'avril 1544, il arrivait
près de Turin, où il s agissait d'introduire de prompts
secours (2). Ayant rejoint le corps d’armée commandé
par le comte d'Enghien, Martin du Bellay faisait les
fonctions d’aide-major général à la bataille de Céri-
soles (3); il contribuait, pour sa part, au succès de
cette bataille, et, après le combat, il empruntait
trente mille écus pour arrêter les Suisses , déjà prêts à
repasser les monts (#).
La campagne des Flandres, en 1545, fut la der-
nière à laquelle prit part Martin du Bellay. Après
avoir été reconnaitre le fort d'Outreau, près de Bou-
Jogne , et avoir rendu compte au roi de la situation des
troupes françaises employées contre les Anglais, il
rejoignit l’armée, se jeta dans Mézières avec deux
mille hommes, releva les fortifications de Villefran-
che , et fit beaucoup de mal aux milices anglaises
avant la conclusion du traité de paix qui fut signé,
entre Ardres et Guignes, le 8 juin 1546.
Martin du Bellay passa les dernières années de sa
vie dans le domaine de ses pères, au château de Gla-
tigny, où il mourut le 9 mars 1559. Il était lieutenant-
général en Normandie en l'absence du Dauphin et du
duc de Bouillon, et prince d'Ivetot. Il tenait ce der-
nier titre de son mariage avec Isabeau Chenu, héri-
tière de cette principauté d'Ivetot, dont l'origine a
(1) Ses Mémoires , t. v, p. 178, 181, 190.
(2) Ibid., p. 274 et suiv.
(3) Ibid., p. 29.
(4) Fd.,t. vi, p. 12.
MARTIN DU BELLAY. 455
semblé fabuleuse à Fauchet, aux frères Sainte-Mar-
the et à beaucoup d’autres historiens.
C'est durant son séjour à Glatigny que Martin du
Bellay rédigea ses Mémoires, dans lesquels il inséra
trois livres de la cinquième Ogdoade de son frère
Guillaume. Ces Mémoires commencent à l’année 1513,
et finissent à l’année 1547 : on y trouve le détail de
toutes les campagnes et de toutes les négociations
qui eurent lieu sous le règne de François I:". De tous
les annalistes contemporains , Martin du Bellay est
celui qui est encore le plus estimé. Sa manière est
grave, sobre, et il ne raconte jamais que ce qu'il a
pu bien savoir. Scévole de Sainte-Marthe a loué l'élé-
gance et la sincérité de ces Mémoires (1); le P. Daniel
nous apprend qu’ils ont été « ses plus sûrs guides ; »
la plupart des historiens modernes les ont fidèlement
suivis. Ils ont été, toutefois, l’objet de diverses criti-
ques. Après avoir reconnu que Guillanme du Bellay,
auteur d'une partie de ces Mémoires, eut « la plume
aussi bonne que la langue et l'épée, » Bayle se con-
tredit lui-même , en déclarant que le style des Mémoi.
res lui semble peu châtié. Mais doit-on exiger d’un
historien du XVIe siècle la pureté, la correction du
langage? La censure de Montaigne peut paraître mieux
fondée. En voici les termes : « Sur les Mémoires de
MM. du Bellay , c’est tousjours plaisir de voir les
choses escrites par ceux qui ont essayé comme il les
faut conduire ; mais il ne se peut nier qu'il ne se dé-
couvre évidemment en ces deux seigneurs icy un grand
(1} Francisci res gestas non minus ornate quam sincere et pru-
denter populari sermone prescripsit.
456 MARTIN DU BELLAT.
déchet de franchise et liberté d’escrire, qui reluit ès
anciens de leur sorte, comme au sire de Joinville , do-
mestique de Saint-Loys , Eginard, chancelier de Char-
lemaigne, et, de plus fresche mémoire, en Philippe
de Comines. C'est icy plustost un plaidoyer pour le
roy François, contre l’empereur Charles cinquiesme,
qu'une histoire. Je ne veux pas croire qu'ils ayent
rien changé quant au gros du faict, mais de contour-
ner le jugement des événements souvent contre rai-
son, à nostre avantage , et d’obmettre tout ce qu’il y
y a de chastouilleux en la vie de leur maistre, ils en
font mestier : tesmoing les reculemens de MM. de
Montmorency et de Brion, qui y sont oubliez, voire
même le seul nom de Madame d'Estampes, qui ne s'y
trouve point. On peut couvrir les actions secrettes,
mais de taire ce que tout le monde sçait, et les choses
qui ont tiré des effets publiques et de telle consé-
quence, c'est un défaut inexcusable. Somme, pour
avoir l'entière cognoissance du roy François, et des
choses advenues de son temps , qu'on s'adresse
ailleurs, si on m’en croit. Ce qu’on peut faire icy de
profit, c’est par la déduction particulière des batailles
et exploits de guerre où ces gentilshommes se sont
trouvez, quelques paroles et actions privées d’aucuns
princes de leurs temps, et les pratiques et négocia-
tions conduites par le seigneur de Langeay, où il y a
tout plein de choses dignes d’estre sçeues et des dis-
cours non vulgaires. » Tel est le jugement de Montaigne
sur les Mémoires. Il est trop sévère. S'il faut recon-
paitre, en effet, que le ton de l’apologie domine dans
cet écrit, et qu'on n’y rencontre aucun détail, ni
sur la cour brillante de François Ier ni sur les fai-
MARTIN DU BELLAY. 457
blesses de ce prince, qui en eut beaucoup, il ne faut
pas oublier que Martin du Bellay s’est moins proposé
de raconter tout le détail du règne de François Ier,
que de laisser des Mémoires pour servir à l’histoire de
ce règne.
Les Mémoires de Guillaume et de Martin du Bellay
ont été publiés pour la première fois en 1569, in-folio,
par les soins de René du Bellay, baron de La Lande,
gendre de Martin, qui en trouva le manuscrit dans la
bibliothèque de son beau-père. Cette édition, impri-
mée à Paris, a été suivie de beaucoup d’autres, parmi
lesquelles on nous désigne celles de Paris, 1570, in-8°:
d'Heidelberg, 1571; de Paris, 1572, in-fol. et 1573,
in-8°; de la Rochelle, 1573 et 1593; de Paris, 1589,
in-fol., 1586, in-8° et 1588, in-fol.; de Genève, 1594,
in-8°. Une édition ou plutôt une traduction en a été
faite, au dernier siècle, par l'abbé Lambert qui l’a pu-
bliée sous ce titre : Mémoires de Martin et de Guil-
laume du Bellai Langei, mis en nouveau style; Paris,
1753, 7 vol., in-12. On les trouve encore dans les
tomes 17, 18 et 19 de la collection publiée par M. Petitot.
Il ÿ en a une traduction latine de Hugues Sureau, sous
ce titre : Martini Bellaii Langæi Commentariorum de
rebus gallicis libri X; Francofurti, 1575, in-fol. Enfin,
on conserve à la bibliothèque du roi un exemplaire
des Mémoires de Martin du Bellay, chargé de notes
manuscrites de François de Noaiïlles , évêque d'Acqs.
Il ne nous reste que deux lettres écrites par Martin
du Bellay. Elles se trouvent aux manuscrits de la bi-
bliothèque du roi, l’une dans le n° 1832, provenant de
la bibliothèque Coislin, l’autre dans le n° 860%, du
fonds de Béthune.
158 RENÉ DU BELLAY.
DU BELLAY (RENÉ DE).
RENÉ DU BELLAY eut une fortune moins brillante
que ses aînés ; destiné dès son enfance à l'état ecclé-
siastique, il fut d'abord abbé commandataire de Saint-
Laurent du Gué-Launay, au diocèse du Mans, et vint
ensuite à Paris près de son frère Jean, chargé de le
produire dans le monde et de le rendre habile à gou-
verner un diocèse. Admis au parlement de Paris,
avec le titre de conseiller-clerc, il fut nommé , ‘le
8 juin 1532, à l'évêché de Grasse ; mais il ne s’éloigna
pas de Paris, et, en 1533 ou 1534, il se démit de cet
évêché en faveur de Benoît Taglicarne ou Taillecarne,
précepteur des enfants de France, abbé de Nanteuil-
en-Vallée, au diocèse de Poitiers (1). Durant le second
voyage que Jean du Bellay fit en Angleterre , vers la
fin de l’année 1533, René du Bellay prit en main, sans
mandat spécial, l'administration de l'Église de Paris,
et se trouva bientôt en présence de graves embarras.
Des missionnaires luthériens avaient prêché dans plu-
sieurs paroisses et s'étaient concilié des partisans :
René du Bellay ne pouvant agir contre eux, on parlait
à la cour de rappeler Jean de son ambassade , et l'on
procédait au préalable contre les hérétiques incar-
cérés, sans avoir égard aux privilèges de la juridiction
épiscopale. Mais il paraît que le maintien de ces privi-
léges n'était pas la seule affaire qu’eüt alors à cœur
Jean du Bellay : la lettre suivante , qui lui fut écrite
(1) Moréri, au mot Taglicarne.
RENÉ DU BELLAY. 159
dans ce temps par son frère , contient de si curieux
détails, que nous croyons devoir l’'exhumer des ar-
chives manuscrites de la bibliothèque du roi.
De Paris, jour saint Denis.
J'ai receu vos lettres des 3 et 7 de ce mois. Pour à ce estant que
touche Beda , nous sommes tous prets en nous mandant. Mon-
seigneur l’archidiacre m'a promis des chevaulz ; le procureur du
roy a piéca envoyé à M. le légat tous les noms des conseillers
qui sont en cette ville, pour prendre lesquels luy p'aira..…….
Laforest luy a mandé que le premier lieu où le roy sera de séjour,
on, nous mandera. Cependant je ne bougeray.... Touchant vos
vins de Barbeau, il les fauldra mettre icy, ou à la maison de
Barbeau ; laditte maison dont escrivez est louée dès l’an passé à
Magistri , qui y demeure. Je fis hyer taster de vos vins de Saint-
Cloud au gros Lhermitage, qui dist n’en avoir beu de cet an de
si bon nouveau. Je les vous feray bien garder. Touchant vostre
fauconnier, je feray ainsi que m’escrivez.... Il est vaqué cette
sepmaine une cure de quatre vingt à cent louis, je l’ay mise en
main seure. Si ne me mandez le contraire , je la bailleray à
Morelli ou à l’archidiacre de Brie, en récompense des leurs qu’ils
ont prestées. Mandez-moy vostre vouloir, s’il vous plaist (1).
Il faut, pour comprendre cette lettre , connaître les
mœurs du cardinal du Bellay. Chargé des plus graves
intérêts, et soucieux, nous n'en doutons pas, de
remplir la mission difficile qui lui avait été confiée, il
n’oubliait cependant, ni dans les antichambres de
Windsor, ni dans celles du Vatican, les petites affaires
de sa maison , et comme on le voit, il joignait volon-
tiers à ses dépêches diplomatiques quelque note confi-
dentielle touchant ses vins de Barbeau. René du Bellay
(1) MS. de la biblioth. du roi, sous le n° 1832.
460 RENÉ DU BELLAY.
eût assurément pu choisir un précepteur qui fût plus
austère et qui comprit mieux les obligations du minis-
tère épiscopal.
Louis de Bourbon ayant été promu à l’archevéché
de Sens, se démit de l'évêché du Mans en faveur de
René du Bellay. Nous n'avons pas d’autres renseigne-
ments sur les actes de son épiscopat que ceux qui
nous sont fournis par Le Corvaisier. Les voici : « René
ayant obtenu ses provisions en cour de Rome, presta
le serment de fidélité au roy, qui estoit alors à Fon-
taine-Françoise, le 27 de septembre de l’an 1535, et,
le huitième d'octobre ensuivant, Christofle Perot, sei- -
gneur de Pescoux , seneschal du Maine, luy fit déli-
yrance et main levée du temporel de son bénéfice.
Peu de temps après, il fit son entrée solennelle dans
Ja ville du Mans. Il gouverna paisiblement son diocèse,
y faisant sa résidence ordinaire dans son château de
Touvoye, où il menait une vie douce et tranquille,
s’addonant aux estudes convenables à sa profession,
et prenant ses divertissements innocents aux plaisirs
de l’agriculture , du jardinage et de la curiosité des
plantes rares, qu'il faisoit venir de toutes parts pour en
peupler son jardin , qui fut le premier qui fit voir que
les ébéniers , les pistachiers et la nicotiane pouvoient
se nourrir à l'air de cette province {1}... Le bon
(1) Au dire de Gesner, le jardin de Touvoye était alors le plus
beau , le plus riche , non-seulement de la France, mais encore de
l'Allemagne et de l'Italie. C’est ce que nous apprend aussi un
des Contes de Bonaventure Des Perriers, dont tel est le début :
€ Plusieurs ont vu le nom de messire René du Bellay, dernière-
ment décédé évèque du Mans, lequel se tenoit sur son évêché
studieux des choses de la nature , et singulièrement de l’agricul-
ture , des herbes et du jardinage. {l avoit en sa maison de Touvoye
un baras de jumens, et prenoit plaisir à avoir des poulains de
GEOFFROI DE GORRAN. 161
évesque fut député de son peuple pour aller à Paris
remontrer au roy François Ier les misères de cette
province, et demander quelque soulagement et dé-
charge des subsides et des gens de guerre. Il obtine
ce qu'il demandoit par la faveur de ses frères, et,
comme il estoit sur les termes de son retour, une
maladie l'arresta, dont il mourut À Paris, dans l’hostel
épiscopal, au mois d’aoust de l'an 1546... Son corps
fut enterré en l’église de Nostre-Dame, et son cœur
porté au Mans et déposé en la chapelle de Nostre-Dame
du Chevet (1). »
On a de René du Bellay deux lettres Manuscrites
adressées à son frère le cardinal. Elles se trouvent à
la bibliothèque du roi, dans le ne 269 de la collection
Dupuy et dans le n° 1832 Provenant de la bibliothèque
Coislin. Il a donné un nouveau Missel à l'église du
Mans : Missale ad usum ecclesiæ Cenomanensis ;
Parisits, 1541, in-8; ibid., 1546 » in-fol., et 1548.
En —
GORRAN (GEorFRoI DE).
On attribue à GEOFFROI DE GORRAN , né à Gorron
en 1070, mort, en 1146, abbé de Saint-Alban en Angle-
terre, un Tractatus de Sacramento, adopté , dit-on,
par l’université de Cambridge, et sur lequel nous
n'avons aucun renseignement.
belle race. I1 avoit un maître d'hôtel qui mettoit peine de lui
entretenir ce qu’il aimoit..…. » Nouvelle XXIX, p. 195 de l'édit.
de 1848.
(1) Le Corvaisier, Hist. des Év. du Mans
ITT II
102 __ NICOLAS DE GORRAN.
GORRAN (nicoras DE).
Il y a quelque incertitude sur le pays natal de
NICOLAS DE GORRAN. Suivant divers auteurs, il serait
né dans le Poitou ; suivant d’autres , près de Tournai;
Leland , Bale, Pits, tous les bibliographes anglais,
lui assignent l'Angleterre pour patrie. Ces conjectures,
toutes mal justifiées , ont été combattues avec succès
par Échard, dans ses Scriptores ordinis prædicat. (1).
L'opinion de ce docte bibliographe , adoptée par
M. Lajard (2), est que Nicolas de Gorran, de Gor-
rham, de Gorram, de Gorhan, de Goron, de Gorrain »
de Gorrenc, de Gorrena, de Guorran, de Guerrant,
de Gorgant, car on lui donne tous ces noms , est ori-
ginaire du bourg de Gorron, près de Mayenne. On
ajoute que le château de la Tannière, dont on voit
encore des ruines , était, au XIII: siècle, possédé par
l’ancienne et noble famille à laquelle appartenait Ni-
colas de Gorran, et qu’il est né dans ce château (3).
Tout ce que nous apprenons sur les premières années
de sa vie, c’est qu'il se fit admettre dans la maison
conventuelle que les dominicains possédaient au Mans,
et qu’il fut ensuite envoyé, suivant l'usage, au col-
lége de la rue Saint-Jacques, à Paris , où il acheva
(1) T.i, p. 438.
(2) Hist. litt. de la France, t. xx, p. 324.
(3) Collectanea topographica et generalia ( Additionnal parti-
culars relating to the family de Gorram) T. vu.
NICOLAS DE GORRAN. 463
ses études théologiques. Or, les dominicains ne
s'étant établis au Mans que vers l'année 1230 (1), il
est à croire que la date de la naissance de Nicolas
de Gorran n'est pas de beaucoup antérieure à cette
année.
La fonction de lecteur au collége de la rue Saint-
Jacques fut donnée à Nicolas de (Gorran dès qu’il eut
passé par les épreuves scolaires. En l'année 1276,
nous le trouvons prieur de cette maison. Mais il avait
au dehors une grande renommée comme prédicateur
et comme interprète des saintes Écritures. Cela nous
est attesté non-seulement par les annalistes de l’ordre
de Saint-Dominique , mais encore par un contempo-
rain, dans la familiarité duquel il a dit-on vécu, par
Pierre de Limoges. Dans une sorte de Lexique à l'usage
des prédicateurs , que nous a laissé ce théologien,
nous trouvons, en effet, des fragments de sermons
prononcés par Nicolas du Mans, Nicholaus Cenoma-
nensis, qui sont recommandés comme des morceaux
choisis de littérature parénétique (2). Quelques auteurs
supposent qu'il fut élu provincial de son ordre; mais
cette opinion est combattue par M. Lajard. Ce qui est
incontesté , c'est que Philippe le Hardi le donna pour
confesseur à son fils aîné, le jeune roi de Navarre.
Quand ce prince hérita de la couronne, frère Nicolas
sollicita vivement le cœur du feu roi pour son église
de la rue Saint-Jacques. Philippe IV consentait à lui
faire ce présent à jamais mémorable , et le lui avait
(1) M. Cauvin, Géogr. anc. du diocèse du Mans, p. 227.
(2) Ce Lexique, qui porte le titre de Distinctiones, était ma-
auscrit à la Sorbonne ; il est inscrit aujourd'hui sous le n° 782
( fonds de Sorbonne |, parmi les MSS. de la bibliothèque du roi.
164 ._ NICOLAS DE GORRAN. |
promis, mais des difficultés nombreuses s’opposaient
à l'exécution de cette promesse. « L'ordre de la no-
blesse se joignit au cardinal-légat Jean Cholet, pour
représenter au jeune prince qu’une pareille promesse
était contraire aux usages suivis jusqu'alors. L'affaire
devint le sujet d'une violente querelle. Tandis que les
frères prêcheurs agissaient pour se faire mettre en
possession du don royal qui leur avait été promis,
plusieurs docteurs de la faculté de théologie soute-
naient publiquement, d'accord avec l'ordre de la no-
blesse et le cardinal-légat, que , sans une permission
expresse du pape, le roi régnant ni les bénédictins de
Saint-Denis n'étaient en droit de disposer du cœur du
roi, pas plus que les frères prêcheurs ne pouvaient
en devenir les dépositaires. Philippe le Bel fit pré-
valoir son autorité ; conformément à sa volonté royale
et à la parole qu’il avait donnée à frère Nicolas de
Gorran , le cœur de Philippe le Hardi fut déposé à
Paris dans l’église du couvent de Saint-Jacques, et
l’on inhuma le reste de la dépouille mortelle de ce
prince dans l’église de l’abbaye de Saint-Denis (1). »
Nicolas de Gorran eut pour successeur, dans sa charge
de confesseur du roi, Nicolas de Fréauville, parent du
ministre Enguerrand de Marigni. Il y a beaucoup d'o-
pinions sur la date de sa mort ; il y en a même de fort
singulières, puisque certains bibliographes prolon-
gent le cours de sa vie jusqu'au delà de l’année 1400.
M. Lajard adopte, d'après Echard, l'année 1295.
Nous ne pouvons mieux faire que d'abréger ici la
notice fort étendue publiée par M. Lajard sur les
(1) Hist. litiér. de France, t. XX, p. 398.
NICOLAS DE GORRAN. 465
nombreux ouvrages de Nicolas de Gorran, qui, pour
la plupart, sont restés manuscrits.
Postillæ in Pentateuchum; on en compte trois ma-
nuscrits, un à Venise et deux en Angleterre. — Post-
illæ in Josue, Judices , Ruth, libros IV Regum, Para-
lipomenon, Esdræ, Nehemiæ, Tobiæ, Judith, Esther,
Job; manuscrit conservé en Angleterre. Suivant Échard,
une copie des postilles sur le livre de Job se trouvait
à la bibliothèque des bénédictins de Rodez. — Post-
illæ in Psalterium, imprimées à Francfort en 1617,
au témoignage de Lipenius. La bibliothèque du roi en
possède deux copies manuscrites, dont l’une provient
de la Sorbonne, l’autre de Saint-Victor. — Postillæ
in Proverbia; on n’en connaît qu’un manuscrit in-
complet, en Angleterre. — Postillæ in Ecclesiasten :
ces postilles , attribuées à Nicolas de Gorran par Sixte
de Sienne, doivent, suivant Échard, être restituées à
Hugues de Saint-Cher. — Postillæ in Cantica Canti-
corum; on en désigne trois copies manuscrites : une
à Venise, une autre à Leipsig, la troisième à Bâle. —
Postillæ super librum Sapientiæ; il en existe un ma-
nuscrit à la bibliothèque du roi, provenant de Saint-
Victor. — Postillæ in Ecclesiasticum ; on mentionne
de nombreuses copies de ce commentaire sur l'Ecclé-
siastique ; il y en a trois à la bibliothèque du roi. —
Postillæ in Isaiam; manuscrit de Saint-Victor qui se
trouve aujourd'hui à la bibliothèque du roi.— Postillæ
in Hieremiam et in Baruch; ce commentaire, signalé
par Échard dans la bibliothèque de Saint-Victor, n'a
pas été retrouvé par M. Lajard parmi les manuscrits
de la bibliothèque du roi. La bibliothèque de Saint.
Jean-Saint-Paul , à Venise, possédait, au rapport de
#
466 NICOLAS DE GORRAN.
Sixte de Sienne , une copie de la postille sur Jérémie.
— Postillæ in Ezechielem et Danielem;: deux exem-
plaires de la postille sur Daniel, qui se trouvaient au
collége de Navarre et chez les augustins du Pont-
Neuf, n'ont pas été conservés. Un manuscrit d’Angle-
terre contient à la fois les commentaires de Gorran sur
Ézéchiel et sur Daniel. Dans le même volume se trou-
vent deux autres commentaires de Nicolas de Gorran,
l’un ayant pour titre : Postillæ in XIT Prophetas, et
l’autre : Postillæ in Machabæos. — Commentaria in
quatuor Evangelia. Presque tous les commentaires de
Gorran sur le Nouveau Testament ont été fréquemment
imprimés : on connaît diverses éditions de ses Com-
mentaires sur les quatre Évangiles : la première, de
Cologne, 1472, in-folio, très-rare ; la seconde, d’'Ha-
guenau, 1502, in-fol. ; la troisième, de Cologne,
1537, in-fol., publiée par le dominicain Pesselius, chez
P, Quentel ; la quatrième, d'Anvers , Keerberg, 1617-
1620, 2 vol. in-fol. ; enfin, la cinquième, de Lyon,
1692, 2 vol. in-fol. M. Lajard nous fait connaître , en
outre, plusieurs copies manuscrites de ce commen-
taire. — Postillæ in Actus Apostolorum ; Haguenoæ ,
1502; Parisiis, 1521; Antuerpiæ , Keerberg, 1620,
in-fol. Ces postilles ont été encore imprimées sous le
nom de Hugues de Saint-Cher. Échard et M. Lajard
s'accordent à dire que Nicolas de Gorran en est le
véritable auteur. — Postilla multum solennis super
Epistolas Paul: ; Coloniæ , J. Kælhoff, 1478, in-fol. ;
Haguenoæ , J. Rynman, 1502, in-fol., sous le titre de
Postilla Elucidativa et Magistralis rev. patris fr.
Nicol. de Gorran, par les soins de Henri Gran;
Parisiis, Bonnemène et Jean Petit, 1521, in-fol. ;
NICOLAS DE GORRAN. 467
Parisiis, Guill. Le Bret et Jean Le Petit, 1531, in-fol. :
Antuerpiæ, Keerberg, 1617-1620, sous le titre de
In omnes divi Pauli Epistolas Elucidatio; Lugduni,
1692, in-fol., sous le titre de In omnes divi Paul:
Epistolas Enarratio. Quoique dans toutes les éditions
de ces postilles, elles soient attribuées à Nicolas de
Gorran , il se pourrait que Pierre de Tarentaise en fût
l'auteur. M. Lajard n'ose rien affirmer à ce sujet. —
Postilla in Epistolas Canonicas. septem; Antuerpiæ,
1620, in-fol. Cette postille avait été imprimée à Paris,
dès l’année 1543, in-8, sous le nom de saint Thomas
d'Aquin, avec ce titre : D. Thomæ Aquinatis in sin-
gulas apostolorum Jacobi, Petri, Joannis et Judæ
canonicas Epistolas syncera, etc., etc., Commentarta ;
elle se trouve aussi dans le recueil des œuvres d'Albert
le Grand. Échard a prouvé que Nicolas de Gorran en
est l’auteur. — Postilla in Apocalypsin; Antuerpiæ,
Keerberg , 1620. Il en existe une copie manuscrite à
la bibliothèque du roi.
Sermones. Les sermons de Nicolas de Gorran ont
été publiés , suivant Aubert Le Mire, dès 1502.
M. Lajard n’en connaît pas d'édition antérieure à celle
qui fut faite, en 1509, par Robert de Bonmont, sous
ce titre : Fundamentum aureum omnium totius anni
sermonum; Paris, N. de La Barre , in-8°. Ilyena
deux autres éditions : Paris, Marnef, 1523, in-8 ; et
Anvers, Keerberg, 1620 , in-fol. Les manuscrits des
Sermons de Gorran sont très-nombreux.
Les Distinctions, Distinctiones, de Nicolas de Gor-
ran, dont on rencontre plusieurs copies à la biblio-
thèque du roi, sont, comme les Distinctions de Pierre
168 NICOLAS DE GORRAN.
de Limoges, de simples extraits de sermons disposés
selon l’ordre alphabétique.
Enfin , Nicolas de Gorran est l’auteur reconnu d’un
Commentaire imparfait sur le livre des Sentences,
inscrit dans le catalogue des manuscrits d'Angleterre,
et de divers Opuscules mentionnés par M. Lajard, qui
les a considérés comme étant sans importance.
Nous venons d'analyser sommairement la notice fort
étendue de l'Histoire Littéraire. Quand il s'est agi
pour nous de rechercher les divers manuscrits de
Gorran que possèdent les bibliothèques de Paris, et
de les compulser à nouveau, le courage, nous en
faisons l’aveu, nous a manqué. Un article savant,
conseciencieux , était entre nos mains, et nous ne
pouvions recommencer l'examen fait par M. Lajard
avec l'espoir de découvrir quelque mystérieux trésor.
Les travaux exégétiques de Nicolas de Gorran ont
aujourd’hui si peu de valeur, qu’il importe à peine de
savoir s’il est vraiment l’auteur de toutes ces postilles
inscrites au catalogue de ses œuvres ; on ne les lit
plus, et l’on a mieux à faire. Comme le remarque judi-
cieusement M. Lajard, Nicolas de Gorran ne fut qu'un
laborieux compilateur, et si l’on veut savoir quel était,
au XIIF siècle , l'esprit de la critique sacrée, il n’est
pas besoin de recourir aux manuscrits attribués à
Nicolas de Gorran ; il vaut mieux interroger les grands
ouvrages de ses maîtres, Hugues de Saint-Cher ,
Albert le Grand, Thomas d'Aquin.
— fo —
JEAN BROULLIER. 469
BROULLIER (3EAN).
. La Croix du Maine parle de lui dans ces termes :
« JEAN BROULLIER , chanoine de l'église cathédrale
de Saint-Julien du Mans. Il a escrit un Recueil des Vies
des Evesques du Mans, lequel n’est encores imprimé.
Il florist au Mans en cette année 1584, et s’estudie de
tout son pouvoir de remettre en leur entier et pre-
mière splendeur les choses ruinées en laditte église
aux premiers troubles et séditions advenues l’an 1562,
pour le faict de la religion. » Nous ajouterons quelques
mots à cette courte notice. Jean Broullier, reçu cha-
noine le 9 novembre 1563, fut un des bienfaiteurs de
l'église du Mans, comme le témoigne un acte de fon-
dation conservé dans les archives manuscrites de
cette église (1). Il avait pris parti contre Henri IV ;
mais quand la cause de la ligue fut perdue, il prêta
serment au vainqueur, le 7 décembre 1589. Il mourut
le 9 novembre 1591.
Son Histoire des Évêques du Mans a été perdue.
Il ne faut pas le confondre avec un autre Jean
Broullier, archidiacre de Passais , chanoine, vicaire
général et curé de Coulans , mort dans les derniers
mois de l’année 1549. C’est à celui-ci qu'il faut rap-
porter la fondation du collège de Goulans (2).
(1) MSS. de la biblioth. du Mans, n° 244 ad calcem.
(2) M. Gauvin, Établissem. de charité, p. 135.
AE 2 De SO De ie on
470 AMBROISE SERGEANT.
SERGEANT (AMBROISE ).
On lit dans La Croix du Maine : « AMBROISE SER-
GEANT, natif de la ville du Mans, protonotaire du
saint-siége apostolique , l’an 1516. Il a traduit de latin
en françois un Traité de Peste, composé autrefois en
grec par Atila, médecin et astrologue, imprimé l’an
1516. » Cet Atila, dit La Monnoye, est un auteur apo-
cryphe , semblable à ceux que cite en grand nombre
le livre intitulé Lumen animæ. Mais quel que soit le
véritable auteur du Traité de la Peste, traduit par
Sergeant, connaît-on , du moins, un texte grec de ce
traité? Fabricius n’en désigne pas, et Mercier de Saint-
Léger a fait de vaines recherches pour en découvrir
quelque chose à la bibliothèque du roi (1). Ce n’est
qu’un livre latin , fabriqué durant le moyen âge. Il
n'est pas vraisemblable qu'il y ait eu deux éditions de
la traduction de Sergeant ; cependant le n° 1716 du
catalogue de La Vallière en indique une de Paris,
Gaspard Philippe , 1510, in-8, goth. Nous n'avons pu
rencontrer ni l'une ni l'autre.
(1) Notes manuscrites de Mercier de Saint-Léger sur un exem-
plaire des Biblioth. françoises de La Croix du Maine et de du
Verdier. Cet exemplaire est aux imprimés de la biblioth du roi.
JACQUES TROUILLARD. 471
MASSUAU (cLAuUDE).
Du Verdier lui attribue : Stratagêmes, c'est à dire
prouesses et ruses de querre du preux et très célèbre
chevalier Langey, au commencement de la tierce guerre
césariane; Lyon, Gryphius, 1542, in-8. Cet ouvrage,
suivant du Verdier, n’est que la traduction d'un traité
écrit en latin par Fr. Rabelais. Si cette indication est
exacte , il faut ajouter le livre des Stratagêmes au
catalogue des œuvres de Rabelais ; mais ce livre n’a
jamais été imprimé , et le manuscrit n'en est pas
connu. La traduction de CI. Massuau est assez rare
pour que Niceron, Lelong et Fevret de Fontette en
aient ignoré l'existence ; nous n'avons pu nous la pro-
curer. Il est à remarquer que La Croix du Maine ne
parle pas de ce Claude Massuau. Cependant, on croit
qu'il était du Maine et qu’il suivit dans le Piémont
Guill. du Bellay.
TROUILLARD (rACQuEs).
JACQUES TROUILLARD, sieur de La Boulaye , né
au Mans, frère de l'avocat Guillaume Trouillard,
sieur de Montchenu, étudia la médecine et fut reçu
docteur en la faculté de Montpellier. Antoine de
Bourbon, duc de Vendôme et roi de Navarre, l'eut
pour médecin. Au témoignage de La Croix du Maine,
472 ANTOINE LEROY.
il avait traduit en français un dialogue de Paracelse,
intitulé : La Défense de la Chrisopoie. Dans son His-
toire de la fac. de mëêd. de Montpellier (1), Astruc
reproduit l'article de La Croix du Maine, et ne nous
apprend pas que cette traduction ait été imprimée.
Jacques Trouillard vivait encore en 1584, et il exerçait
la médecine dans une ville d'Anjou qui ne nous est
pas désignée.
LEROY (ANTOINE).
Au temps des croisades, un gentilhomme nommé
Louis Leroy, arrivant du siêge de Jérusalem, vint
s'établir dans la paroisse de Céton, près de la Ferté-
Bernard. Il amenait avec lui, de la terre sainte,
une noble captive, élevée dans la religion de Mahomet,
qui ne tarda pas à désavouer le Dieu de ses pères
pour adopter celui de son amant. Cette abjuration eut
lieu dans l’église de Céton ; puis fut célébré solennel-
lement, dans la même église , le mariage du chevalier
français et de la belle Sarrazine , en présence de la
multitude qui était venue de toutes parts pour assister
à ce spectacle non moins étrange qu'édifiant (2).
(1) Pag. 345.
(2) « Unde nostra domus propria stemmata equis albis fre-
natis et crucibus hierosolymitanis quas cruciatas vel potentiatas
vocant , insignita. » Antoine Leroy, Meudonium sub Rabelæso,
en tête du Floretum philosophicum. M. Cauvin ne parlant ni de
Louis Leroy ni de ses descendants dans son Armorial, nous
avons cru devoir donner ici ce renseignement, peut-être frivole et
saus intérêt, sur les armes de cette maison.
ANTOINE LEROY. 473
Cette alliance fut l’origine des Leroy de la Ferté-
Bernard. Au XVI: siècle, cette famille est représentée
par trois frères que recommandent leur savoir et leur
piété , « tum pietate, tum doctrina (1) : » René Leroy,
mort en 1579, docteur en théologie, chanoine théo-
logal , maître d’école en l'Église du Mans, auteur de
plusieurs écrits latins et français dont parle La Croix
du Maine , mais qui n’ont jamais vu le jour; Antoine
Leroy, sieur de la Rigaudière, jurisconsulte, cha-
noine, etc., etc. :; et Michel Leroy, docteur en méde-
cine. Il paraît que ces Leroy se succédaient dans la
charge d’écolâtre de la cathédrale. Après René Leroy,
son frère Antoine, sieur de Rigaudière, exerça cet
emploi dans les premières années du XVIL° siècle;
un autre René Leroy, neveu des précédents, chanoine
et archidiacre de Laval, occupait après eux la même
chaire , et toute la jeunesse du Maine venait s’asseoir,
pour l'entendre, sur les bancs de la grande école
diocésaine ; « cujus ludo, tanquam ex equo trojano,
multi principes et insignes sæculi hujusce viri prodi-
erunt (1). » Ce René Leroy mourut le 28 avril 1628,
laissant à deux de ses neveux, engagés l’un et l'autre
dans les ordres , l'héritage d’un nom célèbre dans les
fastes du diocèse. L’aîné de ces deux frères, qui
portait aussi le surnom de René, fut chanoine de
l'Église de Tours, recteur de Coulaine au diocèse du
Mans, et bachelier en droit canonique ; il mourut le
9 septembre 1645. L'autre est notre ANTOINE LEROY,
né à la Ferté-Bernard, curé de la Chapelle-du-Bois,
(1) Voir la note ci-dessus.
(2) Ibid.
474 ANTOINE LEROY.
chanoine, licencié en droit, régent de philosophie au
collége d'Harcourt, et auteur de divers écrits qui n'ont
pas tous été perdus.
On connaît une oraison latine d'Antoine Leroy en
l'honneur de la basilique de Saint-Pierre. En voici le
titre : Romanæ D. Petri, apostolorum principis, in
Vaticano basilicæ penegyricus ; Cenomanis, 1621,
in-4o. Nous n'avons pu retrouver ni cet opuscule ni le
suivant : Discours funèbre sur le trépas de très-illustre
princesse Charlotte-Anne de Bourbon, prononcé dans
l’église de Bonnétable ; le Mans, 1623, in-8°. Le prin-
cipal ouvrage d'Antoine Leroy a pour titre : Floretum
philosophicum seu ludus Meudonianus in terminos
totius philosophiæ ;: Parisiis , Dedin, 1649, in-4°. On
ne comprend guère ce titre. Avant d’en donner l’expli-
cation, nous parlerons de la préface du livre. Cette
préface est un panégyrique très-étendu de Meudon et
de Rabelais, en prose latine et en vers latins. Antoine
Leroy ayant, nous ne savons pour quelle cause,
quitté sa cure de la Chapelle-du-Bois, était venu
résider à Meudon, dans le presbytère jadis habité par
la muse gaillarde de Rabelais. En cette année 1649,
le curé de Meudon se nommait Michel Moncler, et,
comme il était du Maine, il avait fait bon accueil à
Leroy ; celui-ci, de son côté, crut devoir, en témoi-
gnage de sa reconnaissance, célébrer sur tous les
modes la gloire de Meudon, du Val-Fleury, de l’é-
glise paroissiale , du presbytère antique, et, spécia-
lement , de l'hôte le plus illustre de ces lieux, M° Fran-
çois Rabelais. Il ya, dans ce libre discours , beaucoup
plus de bizarreries que de renseignements utiles. On
y voit notamment vingt-quatre distiques, dans lesquels
ANTOINE LEROY. 175
le nom de Meudon est deux fois répété , comme dans
celui-ci :
Meudonium ut vidi, rapuit me tanta voluptas
Ut mea tunc fieret patria Meudonium ;
et, à la suite, vingt-quatre autres distiques dans
lesquels se trouvent accouplés le nom de Meudon et
celui de Rabelais , de cette étrange façon :
Meudonium ad risus, Rabelæse , jocosque petisti ;
Aptum est ad quævis ludicra Meudonium.
Meudonium ignotas Rabelæsi prodidit artes ;
© Ut ridere scias, tu pete Meudonium.
Meudonium, prisca vix notum ætate, celebre
Fit Rabelæseo nomine Meudonium.
Ce sont des jeux d'esprit ou plutôt des tours de force
lyriques que beaucoup de lettrés prisaient encore au
XVII: siècle ; aujourd'hui cela flatte peu notre goût.
Mais parlons enfin du Floretum philosophicum. Flo-
retum, c'est le Val-Fleury ; en d’autres termes, le
parterre frais et verdoyant où naissent et s’épanouis-
sent , sous un ciel toujours pur, les aimables fleurs de
la philosophie : quant au ludus Meudonianus, c'est
l'école , l'académie du presbytère de Meudon, dont le
chanoine Antoine Leroy eut plus d’une fois l'honneur
d'occuper la chaire , après François Rabelais ; « ca-
thedram nonnunquam conscendimus Rabelæsi rec-
toris , doctoris ludum frequenter colaimus ; » enfin,
et voici le dernier mot de l'énigme , le Floretum phi-
losophicum , seu ludus Meudonianus, est tout simple-
ment un dictionnaire du langage philosophique , dic-
tionpaire fort abrégé qui est bien loin de valoir le
Lexicon d'Étienne Chauvin.
476 ANTOINE LEROY],
I! fallait que la passion d'Antoine Leroy pour Ra-
belais fût bien vive, car après avoir amplement célébré
ses mérites dans Ja longue préface du Floretum philo-
sophicum , il ne crut pas encore avoir assez fait. On
conserve à la bibliothèque royale un manuscrit d'An-
toine Leroy, inscrit sous le n° 8704, qui contient une
nouvelle apologie de Rabelais, en six livres. Il y a lieu
de croire que ce manuscrit fut remis à la bibliothèque
royale aussitôt après la mort de l’auteur, puisque , dès
l'année 1697, il nous est signalé comme appartenant
au fonds du roi, dans l'ouvrage de J. Bernier qui a
pour titre : Jugement et nouvelles observations sur les
œuvres de Mc François Rabeluis. Telle est la division
des six livres qui composent les Elogia Rabelæsiana
d'Antoine Leroy : dans le premier, il s'agit de la patrie
- de Rabelais, et l’auteur reproduit quelques pages de
la préface du Floretum ; il parle aussi de lui-même,
et des événements graves qui vinrent le troubler dans
sa retraite, lorsque le bourg de Meudon fut dévasté
durant les troubles de l'année 1648 : le second livre
est l’éloge du savoir de Rabelais ; dans le troisième,
il est traité de ses écrits ; dans le quatrième , on rap-
porte les passages des auteurs qui ont parlé de Rabe-
lais ; le cinquième a pour objet les censures qui ont
été faites de ses ouvrages, les invectives qui ont été
adressées à sa mémoire par les moines de toute robe,
et notamment par les cérdeliers ; enfin, le sixième
livre contient la vie de Rabelais, curé de Meudon.
NICOLAS DENISOT. 477
DENISOT (nicoras),
NICOLAS DENISOT est une des gloires du Maine : il
fut également célèbre, de son temps, comme peintre et
comme poëte ; mais quand nous relisons aujourd’hui
ce qui reste de ses œuvres poétiques , il nous semble
que sa renommée fut supérieure à son mérite. On ne
manquait pas en France, au XVI° siècle, de lettrés
gens d'esprit et de goût ; et il est permis de supposer
que si Nicolas Denisot ne se fût recommandé que par
ses compositions littéraires , on eût fait moins grand
état de sa personne. Mais c'était, en outre, un cour-
tisan du plus haut ton, élégant dans ses mœurs, dis-
tingué par les grâces de son visage, admis dans la
familiarité du prince et recherché par les femmes,
plus puissantes que le prince lui-même à la cour de
François Ier. Un gentilhomme aussi parfait ne pouvait
faire que de bons vers , que des tableaux dignes des
plus grands éloges. On ie pensait du moins, et les
témoignages de respectueuse estime, si libéralement
accordés à Nicolas Denisot par tous ses contemporains,
par ses rivaux, par ses maîtres, ne prouvent-ils pas
qu'il pouvait être utile de l'avoir pour protecteur,
pour ami?
Nous ne manquons pas de renseignements sur l’o-
rigine et sur la vie de Nicolas Denisot. I] est né au
Mans , en l’année 1515, de Jean Denisot, bailli d'Assé,
qui remplissait alors, près du siége présidial du Mans,
les fonctions d'avocat. Sa famille, plus illustre dans
les annales du Perche que dans celles du Maine, était
III 12
478 NICOLAS DENISOT.
de Nogent-le-Rotrou ; on prétend même que, d'après
une généalogie manuscrite, les Denisot de Nogent
avaient pour lointains ancêtres des Bretons insu—
laires (1). Le bailli d'Assé vint le premier s’établir au
Mans, comme nous l’atteste son épitaphe , autrefois
gravée sur une plaque de cuivre dans l’église de Saint- .
Pavin-en-la-Cité. Cette épitaphe est assez curieuse, et,
comme elle nous a été conservée par M. Boyer, nous
croyons devoir la reproduire ici :
Frère humain, visitant ce saint temple,
Approche-toi de ce tableau , contemple
Où mon corps gît, en cendres résolu,
Tu apprendras qu'il faut, à mon exemple,
Finir tes jours, payant le tribut ample
Qui a été en mon endroit solu.
Le dard de mort, trop triste et dissolu ,
Est tant certain qu'il est inévitable ;
Mais si l’esprit par le corps est pollu,
Là , prie pour moi que tel mal soit solu :
Le vivant doit être au mort charitable.
Or, recevez l’oraison lamentable
Que maître Jean Denisot , jà passé,
Ouiïr vous fait sous la pierre funèbre.
Lorsqu'il vivait, prudent bailli d'Assé,
Patron fameux, causidique célèbre,
Du sien fonda , par legs testamentaire ,
En cette église , un tel anniversaire,
De messe haute, à diacre servie,
De saint Michel quand la fête on férie.
Au mont Tuba pour acquérir merci,
{1} M. Boyer, Notice hist. sur la vie, les ouvrages et la famille
de Nic. Denisot. (Annuaire de la Sarthe, 1812.) Un René Denisot .
avocat au Mans, passe pour être le Ragotin du Roman Comique.
NICOLAS DENISOT. 479
À la fabrique et au prieur d’ici,
Donna six francs par an, à toujours mais,
Dont le prieur en prend quatre et plus ; mais
Après la messe , à chaque jour fêté,
Trois fois il dit le chant en bas noté.
À Notre-Dame , à Nogent-le-Rotrou,
À fait tel legs, à semblable charge , où
Naissance prit. Jésus , pour tel partage,
Lui donne ès cieux tel héritage ! [1)
Il est à croire que ces vers sont de Nicolas Denisot :
a-t-il pu confier à une lyre étrangère la mission de
célébrer la gloire du bailli d'Assé, lui qui, dès sa
première jeunesse, prétendait être compté parmi les
poëtes? cela n’est pas vraisemblable. .
Est-ce comme peintre ou comme poëte qu'il se fit
d'abord connaître? nous l'ignorons. On ne nous désigne
aucun de ses tableaux, ou plutôt de ses dessins » Car,
au témoignage de La Croix du Maine , il se servait
mieux encore du crayon que de la brosse ; tout ce que
nous apprenons à ce sujet, c’est qu'il prit part à la
confection de la célèbre carte du Maine, publiée
en 1539. Le trait de cette carte est d'Androuet du
Cerceau , mais le nom des lieux a été écrit par Nicolas
Denisot (2). [l avait alors vingt-quatre ans. Son pre
mier recueil de poésies ne vit le jour que six ans
après, en 1545. Ce recueil n’est pas considérable; il
(1) On remarque sans doute que l'orthographe originale de cette
épitaphe a été altérée par M. Boyer ; mais si nous avons pour
habitude de reproduire exactement les anciens textes , nous
sommes prêt d'ailleurs à reconnaître que cette règle peut n’être
pas observée , et que le délit commis par M. Boyer n’est pas grave.
(2) La Croix du Maine, Biblioth. française.
180 NICOLAS DENISOT.
se compose de dix noëls, rassemblés sous ce titre :
Noelz par le conte d’Alsinoys, présentez à Madamoy-
selle sa Valentine (le Mans), goth., petit in-12. Conte
d'Alsinoys est l’anagramme de Nicolas Denisot ou
Denysot ; c'est à l’occasion de cet anagramme, gaillard
selon du Verdier, maussade selon M. Nodier {comme,
suivant les temps, les avis diffèrent sur les petites
ainsi que sur les grandes choses!), que François Ier dit
un jour : « Ce conté d'Alsinoys n'est pas de grand
revenu, puisqu'il n’est que de six noix (1). » On
admirait de tels jeux d'esprit , alors même qu’ils
ne venaient pas d’un prince. Pour ce qui regarde
Denisot , il nous est signalé par ses contemporains
comme ayant excellé.dans les anagrammes. C’est lui
qui travestit ainsi le nom d’Étienne Jodelle : Jo! le
Délien est né! (2) Mais parlons de ses Noelz. M. Boyer,
qui s'est montré fort indulgent pour Denisot, a loué
son premier recueil et en a reproduit quelques pièces.
Nous voudrions être de l'avis de M. Boyer, mais nous
ne le pouvons : parmi les poëtes les plus obscurs du
XVI: siècle, nous pourrions en désigner plusieurs,
dont les noëls, ou cantiques sacrés, méritent assuré—
ment plus d’estime que ceux de Denisot. Il nous semble
même que M. Boyer n’a pas cité les meilleurs vers du
(1) La Croix du Maine, Biblioth. francoise. « Le sieur de
Montaigne , en ses Essais, dit que Nicolas Denisot a changé toute
la contexture des lettres de son nom, pour en bastir le comté
d’Alsinoys, qu'il a estrené de la gloire de sa poësie et peinture. »
Du Verdier, Biblioth. franc., p. 904. — Montaigne, Essais,
p. 225 de l’édit. de 1625, in-4°.
(2) Bigarrures du sieur des Accords, p. 19, verso. Dans les
Odes, Sonnets et autres poésies de Tahureau, nous trouvons une
ode à Jodelle sur cet anagramme.
NICOLAS DENISOT.
recueil de 1545 ; pour notre part, nous
ceux-ci :
Chantons tous, je vous en prie,
En ce temps deuotieux,
Chantons ung chant glorieux,
Délaissons mélancolye :
Chantons !
Car la princesse des cieulx
Produyt l'enfant précieux
Le digne et sainct fruict de vie ;
Chantons!
Dessus l’aspic venimeux
Et basilic maculeux
Sa puissance embellye ;'
Chantons !
Le dracgon est souffreteux,
Le lyon baisse les yeulx
Par ceste vierge Marie ;
Chantons!
Car ce iourdhuy tant heureux
A produyt le Dieu des Dieux;
Ainsi le certifie ;
Chantons!
Anges en l’aer gracieux,
En leurs chants armonieux
Ont gringoté leur partie:
Chantons !
Et les pasteurs curieux
Veoir l'enfant délicieux,
Sont sortis de la prarye ;
Chantons!
481
citerons
182 NICOLAS DENISOT.
Je m'en allay avec eulx,
En menant, de-cueur joyeux,
Ma Valentine iolye ;
Chantons !
Par œuvre miraculeux
Trois roys sont de diuers lieux
Venus en cette partie :
Chantons!
Prions le Dieu vertueux
Et misericordieux
Qu'’ayons sa gloire infinie!
Le style de ces vers est commun, mais le tour en
est assez heureux. On compte d'ailleurs les Noelz de
Denisot parmi les livres les plus rares ; nous devions
donc faire connaître au moins une pièce de ce recueil.
En quelle année Nic. Denisot s’éloigna-t-il de sa
ville natale pour se rendre à la cour, sur l'invitation
du prince? Nous ne l’apprenons pas, mais puisqu'il
obtint une charge d'honneur parmi les officiers de la
maison du roi, du temps de François [°" (1), il est
prouvé qu'il ne demeura pas longtemps dans le Maine
après avoir publié ses premiers vers ; peut-être même
avait il déjà fait, avant cette année 1545, plus d'un
séjour à Paris et à Fontainebleau. M. Nodier nous le
représente à Paris vers l’année 1530, admis déjà dans
l'académie galante de Marguerite de Valois, et contri-
buant, pour sa part, avec Pelletier, avec Bonaventure
des Periers, à la rédaction de cet aimable livre qui
(1) M. Boyer, Notice, p. 5.
NICOLAS DENISOT. 183
doit s'appeler un jour l’'Heptaméron (1). Pelletier attei-
gnait, en 1530, sa douzième année, et Denisot avait
quinze ans ; et à cet âge ils auraient été les favoris de
Marguerite, les complices de l’auteur du Cymbalum
mundi! Si nous ne croyons pas à ce déréglement pré-
coce, nous voulons bien qu'avant l’année 1545,
Denisot, déjà connu sans doute par des vers ou des
contes inédits, ait été favorablement accueilli par une
princesse amie zélée de tous les beaux esprits ; nous
tenons toutefois pour vraisemblable qu’il ne vint pas
s'établir à Paris avant les dernières années du règne
de François I‘. Encore ne fit-il que paraitre à la cour.
Tous les poëtes sont inconstants; au témoignage
d'Anacréon , ils sont chose légère ! En quittant les murs
de sa ville, en voyant s’effacer à l'horizon la grande
ombre de l’antique cathédrale, Denisot avait oublié
tout ce qu'il abandonnait en ces lieux, et la maison
de son père, assise non loin du fleuve, sur le versant
du mont (2) ,et les compagnons de son enfance, et sa
Valentine iolye : à peine avait-il connu la cour, à
peine avait-il pris rang dans la poétique brigade, com-
mandée par Joachim du Bellay, qu'il se laissait en-
traîner au delà des mers par de nouvelles amours, à
la suite d’une dame de haut rang, dont nous regrettons
bien de ne connaître ni le titre ni le nom. Tandis
qu'il habitait Londres, il fut choisi pour diriger, ou
plutôt pour achever l’éducation littéraire d'Anne, de
Marguerite et de Jeanne Seymour, filles d'Édouard
(1) M. Ch. Nodier, Notice sur Bon. des Periers, en tête de
l'édit. des Contes ; Paris, Gosselin , 1843.
(2) M. Boyer, Notice, p. 23.
184 NICOLAS DENISOT.
Seymour, protecteur du royaume. Nous ne pouvons pas
rapporter ici tous les éloges décernés à ces illustres
sœurs, dont les poésies latines, traduites par du
Bellay, par Antoine de Baïf , par Dorat, par Denisot,
sont encore jugées dignes d’estime ; nous ne citerons
que ces strophes de Ronsard :
Par vous, vierges de renom,
Vrais peintres de la mémoire,
Des autres vierges le nom
Sera clair en vostre gloire ;
Et puisque le ciel benin
Au doux sexe feminin
Fait naistre chose si rare
D'un lieu jadis tout barbare,
Denisot se vante heuré
D'’avoir oublié sa terre,
Et, passager, demouré
Trois ans en vostre Angleterre,
Et d’avoir cogneu vos yeux |
Où les amours gracieux
Doucement leurs flèches dardent
Contre ceux qui vous regardent ,
Voire et d’avoir quelques fois
Fant levé sa petitesse ,
Que sous l'outil de sa voix
Façonna vostre jeunesse ,
Vous ouvrant les beaux secrets
Des vieux Latins et des Grecs
Dont l'honneur se renouvelle
Par vostre muse nouvelle.
Comme ces vers nous le disent, Denisot ne séjourna
que trois ans en Angleterre. Quand il revint en France,
LL
NICOLAS DENISOT. 485
Henri II occupait le trône et s’efforçait de continuer
le règne brillant de François Ier. Denisot reparut à la
cour et s'y fit bientôt remarquer. Ce fut alors qu'il
prit une part plus active à cette « guerre entreprise
contre l'ignorance , » dont Pasquier nous raconte,
dans ses Recherches, les rapides et glorieux succès.
Ami et compagnon d'armes de Ronsard , de du Bellay,
de Pontus de Thiard, de Belleau, de Jodelle, de
Baïf, d'Olivier de Magny, de Passerat et de ses
compatriotes Pelletier et Tahureau , Denisot ne se
montra pas un des moins ardents réformateurs du
vieux langage, un des novateurs les moins auda-
cieux {{).
Parmi les nouveautés qu’osa Nic. Denisot, nous
rappellerons qu’il fut un des premiers, parmi les poëtes
de la pléiade , auquel vint la fantaisie de supprimer
la rime et de mesurer les vers français par syllabes
longues et syllabes brèves. Lorsque Joachim du Bellay
publiait, en 1550, son livre de l’Illustration de la
langue françoise ; il s’exprimait dans ces termes :
a Quant aux pieds et nombres qui nous manquent, de
telles choses ne se font pas par la nature des langues.
Qui eût empêché nos ancêtres d’allonger une syllabe
et accourcir l'autre , et en faire des pieds et des mains?
et qui empèchera nos successeurs d'observer telles
choses, si quelques savants et non moins ingénieux de
cet âge entreprennent de les réduire en art? » Ces
savants et non moins ingénieux créateurs de la nou-
velle prosodie , de laquelle du Bellay veut ici parler,
(1) Pasquier , Recherches. — M. Sainte-Beuve, Tableau de la
poësie française au XVI° siècle, édit. de 1843, p. 52.
486 NICOLAS DENISOT.
sont notre conte d’Alsinoys , Jodelle, Passerat, Baïf et
plusieurs autres. On a souvent attribué le mérite pro-
blématique de cette innovation plus ou moins heureuse
au galant Delien, au docte sieur du Lymodin, à
Étienne Jodelle. Du Verdier semble dire, en effet,
que, dès l’année 1549, on connaissait plusieurs sonnets
de cet auteur en vers blancs et mesurés , bien que,
suivant Pasquier, Jodelle n'ait pas tenté cette auda-
cieuse réforme avant l’année 1553, Mais que l'essai
de Jodelle soit de l’année 1553 ou de l'année 1549,
d’Aubigné nous raconte , dans la préface de la seconde
partie de ses Petites OEuvres meslées, qu'un certain
Mousset avait, dès l’année 1530, traduit, en vers me-
surés de six pieds , l’Iliade et l'Odyssée d'Homère (1).
Ces traductions n'avaient pas été publiées ; il paraît
même que, de son temps, d'Aubigné seul avait eu
l’occasion de les connaître, car ni Fauchet, ni Pasquier,
ni La Croix du Maine, ni du Verdier, ni Soret , ne
nous parlent de ce Mousset. Si donc il n’est pas permis
de rejeter comme fabuleux ce qu’on lit au sujet de
cet auteur mystérieux dans les Petites OEuvres de
d'Aubigné , il faut croire néanmoins qu'il était mort
sans avoir confié son secret au public , et que Jodelle
ou tout autre inventa de nouveau, vers l'année 1550,
je vers blanc et scandé.
Ici se présente cette question : est-ce bien Jodelle
qui fut cet inventeur? Fauchet et Scévole de Sainte-
(1) D’Aubigné, Petites OEuvres meslées, p. 126 de l’édit. de
Genève , 1630, in-8. — Pasquier, Recherches, liv. VIT, ch. 15.
— Biblioth. françoise de l'abbé Goujet , t. x, p. 4. — Baillet,
Jugement des savants, t. IV, p. 24. — La Croix du Maine, édit.
de Rigoley de Juvigny, au mot Nicolas Denisot.
NICOLAS DENISOT. 487
Marthe (1) nous désignent Jean Antoine de Baïf ; mais
ils se trompent, Baïf n'ayant publié ses vers mesurés
que vers l’année 1565. Tabourot nomme , avant Baïf,
Bonaventure des Periers , et nous lisons dans l'Art
poétique de Thomas Sébillet : « Peu de poëtes françois
liras-tu qui ayent osé faire vers sans ryme : toutesfois,
afin que tu ne me penses parler par cœur, tu liras,
aux œuvres de Bonaventure des Periers la satyre
d'Horace qui commence :
Qui fit, Mœcenas, ut nemo quam sibi sortem,
tournée en vers de huict syllabes non rymez, lesquels
sont imprimez en forme de prose, sans linéale dis-
tinction de vers, quasi comme non méritans de ce nom
de carmes. » Cependant, Prosper Marchand, dont
Bonaventure des Periers était l’auteur favori, déclare
qu’il n’a pas rencontré de vers mesurés dans le Recueil
de ses œuvres (2). Il est donc vraisemblable que les
vers non rimés attribués par Sébillet à des Periers
n'étaient que des vers blancs; et, en effet, si nous
n'avons pas sous les yeux ce précieux et introuvable
Recueil , publié par Jean de Tournes en 1544, nous
apprenons de M. Nodier que , pour faire montre d'un
esprit facile, des Periers écrivait souvent, même sa
correspondance, en vers déguisés , c'est-à-dire privés
de la rime (3); mais on lit, dans ses Discours, cette
(1) Fauchet, Recueil de l’origine de la langue et poésie fran-
çoise. — Scæv. Sammarth. Lyricorum, , lib. 11, p. 140.
(2) Dictionn. de Prosper Marchand , au mot Housset.
(3) Notice déjà citée, p. 24.— M. Sainte-Beuve comprend aussi
que Sébillet attribue à des Periers des vers blancs et non des vers
mesurés. ( Tableau de la poésie française, pag. 85 de l'édit,
de 1843.)
ES de RE ne À OR RÉ RS
188 NICOLAS DENISOT.
phrase très-significative : « Puisque nostre langage
actuel est sans quantité { je diray quelque jour ce qu'y
en trouve, s'il plaist à Dieu)... » C’est vers l’année
1539 que des Periers, convaincu d’athéisme, chercha
dans une mort volontaire un refuge contre le bûcher;
il avait donc, paraît-il, avant Jodelle et peut-être
avant Mousset, formé le dessein d'une nouvelle pro-
sodie française : c'est toutefois un projet qu'il n’a pas
réalisé, et comme la première édition de ses Discours
est de l'année 1557, il est possible qu'il n’ait rien
appris à l'inventeur de l’année 1550.
Disons enfin pourquoi nous recherchons avec tant
de curiosité quel est cet inventeur. La Croix du Maine
ne nous donne-t-il pas à entendre que c’est Nicolas
Denisot? « Il a escrit, lisons-nous dans la Biblio-
thèque françoise, quelques vers mesurez à la forme
des élégiaques grecs et latins, desquels il s’en voit
quelques-uns imprimez avecques l'Art poétique de
Thomas Sébillet. » Or, la première édition de l'Art
poëtique de Sébillet étant de l’année 1548, il est prouvé
que Nicolas Denisot a fait et publié des vers mesurés
deux ou trois ans avant son ami Jodelle , si toutefois
il y a de ces vers dans l'édition de l'Art poétique que
nous venons de désigner. Mais voici que nous prenons
encore une fois La Croix du Maine en flagrant délit
d’imposture. Deux éditions de l’Arf poétique sont sous
nos yeux; la première de l’année 1548, la seconde de
l'année 1555, et il ne s’y trouve aucune pièce en vers
mesurés, soit de Denisot, soit de tout autre; dans
l'édition de 1555, est joint à l’Art poétique de Sébillet
un Recueil de poésie françoyse prinse de plusieurs poëtes
les plus excellents de ce regne , et, dans ce Recuet
NICOLAS DENISOT. 139
même, nous ne rencontrons pas un seul vers mesuré.
Cette longue et laborieuse enquête nous ramène au
septième livre des Recherches de Pasquier : c’est là
que nous lisons ce qui peut se dire de plus satisfaisant
et de plus vrai, sinon sur le mérite, du moins sur
l'origine de cette réforme du rhythme français tentée
au XVIe siècle par quelques contempteurs outrecui-
dants de Marot et de Saint-Gelais. « Je ne dispute
point, ainsi s'exprime Pasquier, si la forme des vers
latins, avecques pieds longs et courts, est meilleure
que nos rimes. Ce que j'entends maintenant déduire
est de sçavoir si nostre langue françoise en est capable.
Quant à cela , il n’en faut point faire de doubte. Mais
je souhaitte que quiconque l'entreprendra soit plus né
pour la poësie que celuy qui, de nostre temps, s'en
voulut dire le maistre (1). Cela a esté autrefois attenté
par les nostres et peut-être non mal à propos. Le
premier qui l’entreprint fut Estienne Jodelle, en ce
distique qu’il mit, l’an 1553, sur les OEuvres poëtiques
d'Olivier de Magny :
Phœbus , amour, Cypris veut sauver, nourrir et orner
Ton vers et chef d’umbre, de flamme, de fleurs ;
voilà le premier coup d'essay qui fut fait en vers rap-
portez et mesurez, lequel est vrayement un petit chef-
d'œuvre. Ces deux vers ayant couru par les bouches
de plusieurs personnages d'honneur, le comte d’AI-
sinoys, en l’an 1555, voulut honorer la seconde im-
pression de mon Monophile de quelques vers hendé-
(1 Jean-Ant. de Baif.
190 NICOLAS DENISOT.
casyllabes , dont les cinq derniers couloient assez
doucement :
Or quant est de l’amour, amy de vertu,
Don céleste de Dieu, je t’estime heureux,
Mon Pasquier, d'en avoir fidellement faict
Par ton docte labeur, ce docte discours,
Discours tel que Platon ne peut refuser. »
Jodelle inventa la nouvelle prosodie, et Denisot fut
le premier imitateur de Jodelle : voilà ce que Pasquier
nous témoigne, et son témoignage est confirmé par
les recherches que nous avons faites. On sait, d’ail-
leurs , quelle fut la fortune de cette innovation. Ron-
sard ne l'adopta pas , mais Rapin , Passerat , Pasquier,
Baïf, d'Aubigné , Sainte-Marthe, renouvelèrent l’é-
preuve après Jodelle, après Denisot, et n’eurent pas
grand succès près des oreilles françaises. Vers le
milieu du siècle dernier, Turgot fit aussi quelques vers
métriques, mais ne réussit pas mieux (1).
Marguerite de Valois étant morte en 1549, tous les
poëtes contemporains s’empressèrent de chanter ses
louanges. Les trois élèves de Denisot, Anne, Margue-
rite et Jeanne Seymour se firent entendre dans ce
concert, et leurs cent distiques latins sur le trépas
lamentable de la dixième Muse , de l’imprudente amie
de Clément Marot, obtinrent l'approbation de tous les
experts. On les traduisit aussitôt en vers français,
grecs et italiens. Ronsard, Dorat , Joachim du Bellay,
Jean-Antoine de Baïf, s’exercèrent sur ces distiques.
Plus que tout autre, Nic. Denisot devait être jaloux
(1) On peut lire à ce sujet l’article Mousset, de Prosper
Marchand.
NICOLAS DENISOT. 191
de faire connaître l’œuvre poétique des trois sœurs
anglaises ; non-seulement il traduisit leurs cent dis-
tiques en cent quatrains français, mais ayant joint à
ces quatrains divers autres chants funèbres, composés
en l'honneur de la reine de Navarre, il publia ce
recueil en 1551, sous le titre de : Le Tombeau de
Madame Marguerite ; Paris, M. Fezendat , in-8.
Deux ans après, parurent les Cantiques du premier
Advénement de Jésus-Christ ; Paris , veuve M. de La
Porte, 1553, in-8 , avec les airs notés. Ces Cantiques
ne sont pas moins rares que les Noëls publiés en 1545.
La bibliothèque du roi ne possède ni l'un ni l’autre
volume , et on ne trouve que les Noëls à la biblio-
thèque du Mans. Du Verdier, qui avait en grande
estime la suffisance du comte d'Alsinoys, ne s’est pas
contenté de nous recommander le hault son des Can-
tiques ; il en a publié deux dans sa Bibliothèque , les
plus loués sans doute. C’est dans l’un de ces cantiques
que se trouve cette description curieuse de la maison
de Bethléhem :
O saincte et saincte maison!
O maison dignement saincte!
O bien-heureuse maison
Qui a veu la Vierge enceinte !
Icy je veuil maçonner
De ce bastiment l'exemple
Et de mes vers façonner
Le projet de ce beau temple.
Ça la reigle et le compas!
Ça le papier et la plume!
Muse avant! qu’on mette bas
192
NICOLAS DENISOT.
Quatre fourches en quarré
L'une sur l’autre penchantes,
Sous un plancher bigarré
De tous costez chancelantes,
Estoient les quatre pilliers
De ce tant heureux repaire
Où les anges à milliers
Ont veu la Vierge estre mère.
Sur ces fourches tout au long
Quatre perches à l'antique
Deseignoient le double front
D'un double et double portique.
Tout le plancher de rozeaux
Et de paille ramassée
De torchiz et de tuilleaux
D'herbe seiche entrelassée,
Estoit tout entièrement
Lambrissé en telle sorte
Qu'on eust dit facilement
Le tout n’estre qu’une porte.
Les postres et soliveaux
Estoient petites perchettes,
Plus pour nicher les oiseaux
Que pour servir de logettes.
L’entour estoit façonne
D'une claye demi-rompue
Où le vent avoit donné
Tant, qu'il l’avoit corrompue.
Sur le dessus my-passoit
L’herbe penchant de froidure,
Qui ses cheveux hérissoit
Teiats encores de verdure.
NICOLAS DEMSOT. 193
Quatre gaulles de travers ,
Desjà seiches de vieillesse,
Ouvertes de mille vers,
Bout sus bout faisoient l’addresse.
Pour eslever tout autour
Une bien mince closture,
Qui eut remparé l’entour
De ceste pouvre ouverture;
Mais tout estoit descouvert,
Le vent, la pluye et la gresle
Trouvoient toujours l’huis ouvert
Pour s’y fourrer pesle-melle..….
Ce sont bien là des vers d'un peintre, et d’un peintre
du XVI° siècle : en les transcrivant ici, nous croyons
copier quelque ancienne description d’un tableau du
maréchal d'Anvers. Quel luxe de détails! quelle re-
cherche des petites choses! Recherche puérile , luxe
de mauvais goût. Nous savons que tel n’est pas le
sentiment de tous les critiques : il s’en trouve qui
sont curieux de voir un poëte, un peintre, compter
exactement le nombre des brèches pratiquées par la
vermine sur une gaule rustique , et que rien ne touche,
n'émeut plus que cette frivole analyse des accidents
imperceptibles. Pour notre part, autant nous préférons
la manière large et puissante des grands'maitres dans
l'art de peindre au parti pris enfantin des émules de
Quintin-Metzis, autant nous mettons les stances sa-
crées de Malherbe , et même de quelques poëtes de la
pléiade, au-dessus des vers précieux que nous venons
de citer. Ils ont été déjà signalés comme étranges et
bouffons par l’auteur des Observations sur les erreurs
Ill 13
194 NICOLAS DENISOT.
des peintres, l'avocat Molé (1). Le même critique a
eité quelques vers encore d'un autre noël de Denisot,
et nous allons les reproduire après lui. On sait avec
quelle réserve, avec quelle sobriété de détails , les
évangélistes ont raconté la naissance de Jésus. Un
seul d’entre eux, saint Luc, ajoutant quelque chose
aux dires de saint Mathieu , à parlé d'une crèche
dans laquelle l'enfant qui venait de naître fut, dit-il,
déposé « parce qu’il n’y avait pas de place dans l'hô-
tellerie » de Bethléhem; et il s'est bien gardé de faire
la description de cette crèche. Les peintres , les poëtes
l'ont placée dans une étable, et dans cette étable ils
ont introduit des animaux bêlants ou ruminants. Mais
ce n’est pas tout, car voici Denisot qui nous repré-
sente deux de ces animaux, les plus intelligents sans
doute, le bœuf et l'âne, transportés par l'enthou-
siasme que leur cause la venue du Christ, et faisant
toutes sortes de mines pour manifester la joie qu'ils
éprouvent :
Voyez l’une et l’autre beste
A son Seigneur faire feste!
Voyez que l’asne à genoux
Par-dessus l'oreille braye,
Et. selon son pouvoir, paye
L'honneut que nous lui devons tous (2).
Ces vers seraient peut-être à leur place dans cer
tains poëmes où l'on a tout osé : mais dans un Can-
tique ?.… est-il permis de travestir ainsi les Évangiles
(1) T.n, p. 35 et 36. (Note manuscrite de Mercier St-Léger.)
(2) Ibid., p. 67.
NICOLAS DENISOT. 193
dans un cantique ? Nous ne le croyons pas. Rappelons
cependant que les œuvres spirituelles du comte d’Al-
sinoys ont été louées par Rémi Belleau , dans le sonnet
suivant :
Ce double traict, dont l’un industrieux,
Ravist nostre œil , l’autre , doux, nostre oreille,
De ta main docte annonce la merveille
Et de tes vers l'accent laborieux.
Mais ton esprit, ,sainctement curieux
À desseigner la beauté nompareille
De cette nuict {1}, plus que le jour vermeille,
Sur ton pinceau reste victorieux.
Car tes tableaux mourront , et la mémoire
Des plus saincts doigts emportera la gloire
De nostre temps, à l'antique égalé ;
Et ton sujet plus divin et plus stable,
Que n’est l'amour, le créon ou la table,
Rompra les coups du vieil faulcheur ailé.
Comment le sage Belleau pouvait-il promettre un
renom immortel à ces vulgaires facéties? Denisot était
de la brigade, comme on disait alors; il était du parti
des modernes, des novateurs, et, dans tous les partis,
on se rend de tels services, on s'adresse , devant le
public , des congratulations emphatiques que souvent
la conscience désavoue. Aux vers de Belleau, que nous
venons de reproduire , nous pourrions joindre d’autres
épitres non moins flatteuses adressées à notre comte
d’Alsinoys par Ronsard , Muret , Jodelle , Antoine de
(1) La nuit de la nativité.
196 NICOLAS DENISOT.
Baïf, Joachim du Bellay, Richelet, Sébillet, et par
plusieurs autres ; Ronsard lui disait :
La vertu fist en partie
Le lieu qui nous joignit
Et la mesme sympathie
Celle qui nous estreignit.
C’est donc l’heureuse folie
Dont le ciel folastre en nous,
Non le pays qui nous lie,
D'un affolement si doux.
Quoy! celuy que la nature
À dès enfance animé
De poésie et de peinture
Ne doibt-il pas estre aimé?
Car où est l'œil qui n’admire
Tes tableaux si bien pourtraicts
Que la nature se mire
Dans le parfaict de leurs traicts ?
Où est l'oreille bouchée
De telle indocte espaisseur
Qui ne rie, estant touchée
De tes vers pleins de douceur ? etc., etc. (1).
Mais ces citations sont plus que suffisantes. Si nous
devions parler de l'accueil fait aux vers de Denisot par
les premiers poëtes du temps, nous ne saurions prendre
au sérieux tous ces compliments immérités,
(1) Il ya d’autres vers de Ronsard à Denisot. Dans le sonnet 1x
du livre Î de ses Amours, Ronsard parle du portrait de sa mat-
tresse fait par Denisot.
Hors de mon sein je tire une peinture,
De tous mes maux le seul allegement,
Dont les beautés par Denisot incloses.…
NICOLAS DENISOT. 497
Thomas Tanner, dans sa Bibliotheca Britannico-
Hibernica (1), décrit un manuscrit latin de la biblio-
thèque de Westminster, auquel il donne le titre de :
Liber Carminum ad regem Eduardum VI. Tout ce que
contient ce volume est de Nicolas Denisot. Après une
acclamation, qui est en prose, sur les actes du règne
de Henri VIII, se placent une églogue et un poëme
funèbre { Epicedium) sur le trépas prématuré de ce
prince ; puis deux autres poëmes sur l'avénement
d'Édouard VI. Nous ne connaissons ce manuscrit que
par la description qu’en fait Thomas Tanner; mais le
titre des pièces qu’il renferme nous indique assez qu’il
dut être envoyé par Denisot à Édouard VI, vers la fin
de l’année 1558. Or, par une étrange coïncidence,
quand, pour mériter les bonnes grâces du nouveau
roi d'Angleterre , Denisot s’occupait à chanter en vers
la louange du prince méchant et vicieux qui venait de
descendre dans la tombe , il travaillait dans le même
temps, au péril même de ses jours, à restituer à la
France la ville de Calais , occupée par une garnison
anglaise. Voici les renseignements qui nous sont fournis,
sur cette chevaleresque équipée, par l’auteur de la
notice insérée dans l'Annuaire de la Sarthe de 1812.
Le comte d’Alsinoys, dissimulant son nom et sa qua-
lité, était venu s'établir à Calais, dans un modeste
logis, avec son chevalet, ses toiles et ses brosses,
feignant d’être un de ces peintres nomades qui, sui-
vant les saisons , ou plutôt suivant leur fantaisie,
vont dresser leurs tentes aux lieux les plus divers.
Mais quelle était sa principale occupation ? mathéma-
(1) Londini, 1748, in-fol., p. 224.
198 NICOLAS DENISOT.
ticien et dessinateur habile, il étudiait les fortifications
de la place et en levait le plan , avec l’aide d’un sien
neveu, nommé Langlois, sieur du Vivier, qu’il put
bientôt envoyer vers le roi, porteur des pièces dont
l’arrivée était impatiemment attendue. Cependant, les
Anglais, qui étaient sur leurs gardes, arrêtèrent le
messager de Denisot, saisirent les papiers entre ses
mains, et ne tardèrent pas à trouver son complice,
qui fut jeté dans les prisons de la ville, comme pré-
venu d’un crime d'État. Il ne s'agissait plus que de
hâter le jugement de Denisot, et de lui infliger le der-
nier supplice, lorsque cet aimable chevalier français,
ayant daigné trouver quelques charmes à la femme-de
son geôlier, obtint d'elle les moyens de fuir. Hors de
sa prison , Denisot courut par les champs : il était à
quatre lieues de Calais, quand, voyant accourir sur
ses traces les soldats enyoyés à sa poursuite , il entra
dans une métairie et s'y cacha ; mais il fut découvert
dans cette retraite. Par qui, bon Dieu? racontons ce
détail à demi-voix : il fut découvert par la fille du
métayer, et, comme la femme du geôlier de Calais,
celle-ci ne tarda pas à se laisser attendrir par les douces
prières, par les larmes feintes, et (c’est le manuscrit
généalogique qui nous l’atteste) par les galants stra-
tagèmes du bel aventurier : non-seulement elle le cacha
dans un lieu sûr, mais elle veilla sur lui durant sa
fuite, jusqu’à ce qu'il fût rendu dans les murs de Bou-
logne. Dans cette ville, Denisot fit, avec ses souve-
nirs, un nouveau plan, et s’empressa de l'envoyer au
roi, qui le transmit au duc de Guise. Le duc consi-
dérait comme une folle entreprise l'attaque d’une place
aussi bien défendue que Calais semblait l’être. Cepen-
NICOLAS DENISOT. 499
dant, après un examen attentif du plan tracé par
Denisot , il ne désespéra pas tout à fait de surprendre
l'ennemi ; et, se mettant à la tête de quelques troupes
rassemblées à la hâte , il arriva , le 1°° janvier 1558,
sous les murs de Calais. L'attaque fut aussitôt com-
mencée , et, après huit jours de siège , cette ville, qui
depuis deux cents ans avait une garnison anglaise,
voyait le drapeau de la France flotter de nouveau sur
ses tours réputées imprenables. On dut à Denisot ce
glorieux, ce prodigieux succès (1).
Une mort trop prompte ne permit pas à Henri If de
lui témoigner sa reconnaissance , et lui-même ne sur-
vécut pas longtemps à ce prince , puisqu’en l’année
1559, atteint d’une fièvre violente, il mourut à l'âge
de quarante-quatre ans, dans Ja maison qu'il occupait
à Paris, au faubourg Saint-Marcel. Il fut inhumé dans
l’église de Saint-Étienne-du-Mont (2).
Nous n’avons pas encore terminé cette notice : il
nous reste à parler de quelques œuvres attribuées à
Nic. Denisot par divers bibliographes, et de plusieurs
pièces de vers de cet auteur qui se trouvent éparses
dans les recueils du temps ou insérées' dans les qu-
vrages de ses amis.
« Ila escrit, lisons-nous dans la Bibliothèque de La
Croix du Maine, un Livre de Prières à Dieu, imprimé
à Paris et autres lieux. » Nous ne connaissons pas ce
volume; du Verdier ne le mentionne pas.
Nous trouvons encore, dans le catalogue de ses
opuscules publié par La Croix du Maine , des Annota-
(1) Notice de M. Boyer, p. 19 et suiv.
(2) Ibid., p. 22.
200 NICOLAS DENISOT. :
tions sur une ode de Pierre de Ronsard. Il se propo-
sait, nous dit ce bibliographe , de commenter toutes
les œuvres de ce poëte. Rien de cela n’est parvenu
jusqu’à nous.
On ne s'accorde pas sur la part de collaboration
qui lui appartient dans les Contes ou Nouvelles Récréa-
tions de Bonaventure des Periers. La Croix du Maine
dit que Denisot et Pelletier sont auteurs de la plus
grande partie de ces Contes, dont la première édition
est de l’année 1558 (1). Le Duchat, au témoignage de
Falconnet, a cru devoir les attribuer tous à Denisot.
Dans l’élégante notice qu'ä a publiée sur Bonaventure
des Periers, M. Ch. Nodier répond à cette question dans
les termes suivants : « Je suis loin de penser, comme
Ea Monnoye , que cette coopération de Pelletier et de
Denisot ait été fort considérable, Plus j'ai relu les
Contes de des Periers, plus jy ai trouvé de simulta-
néité dans la forme , dans les tours, dans les mouve-
ments du style. Quoiqu'il y ait des exemples nombreux,
dans les lettres comme dans les arts, de cette aptitude
à l'imitation, je ne l'accorde pas sans regret, et
surtout sans réserve, à Pelletier et à Denisot, qui
n’ont jamais eu le bonheur de ressembler à des Periers,
si ce n’est dans les écrits de des Periers où l’on veut
qu’ils aient pris part. Je conviens très- volontiers
cependant que des Periers, mort en 1544, et selon
moi en 1539, n’a pas pu parler de la mort du président
(1) A l’art. Jaques Pelletier. « Je ne veux pas nier, dit La
. Croix du Maine , qu'il n’y ait quelques contes en ce livre de l'in-
vention dudit Bonaventure, mais les principaux autheurs de ce
gentil et plaisant livre de facéties, sont les susdits Pelletier et
Denisot. »
NICOLAS DENISOT. 201
Lizet , décédé en 1554, et de celle de René du Bellay,
évêque du Mans, qui ne cessa de vivre qu’en 1556. Il
en est de même de deux ou trois faits pareils que
La Monnoye a recueillis avant moi, et probablement
de quelques autres qui nous ont échappé à tous deux.
Mais qu'est-ce que cela prouve? Ces phrases : naguëres
décédé, décédé évesque du Mans , etc., ne sont autre
chose que des incises qu’un éditeur soigneux laisse
volontiers tomber dans son texte, pour en certifier
l'authenticité ou pour en rafraichir la date. Il ne serait
même pas étonnant que les noms propres auxquels
des Periers aime à rattacher ses historiettes , eussent
été souvent remplacés par des noms plus récents,
plus populaires, plus capables de prêter ce qu’on
appelle aujourd'hui un intérêt piquant d'actualité aux
jolis récits du conteur. L'auteur même qui publierait
son ouvrage après l’avoir gardé vingt ans en porte-
feuille , ne négligerait pas ce moyen facile de le rajeu-
nir, et il est tout simple que l'éditeur de des Periers
s'en soit avisé; car, à son défaut, l'idée en serait
venue au libraire. Laïissons donc à Denisot et à Pelle-
tier, puisqu'on en est convenu , l’honneur d’une colla-
boration modeste dans les ouvrages de leur maitre.
Mais gardons-nous bien de pousser cette concession
trop loin. Si Pelletier et Denisot avaient pu s'élever
quelque part à la hauteur du talent de des Periers , ils
n'auraient pas caché cette brillante faculté dans les
Contes et dans les Discours de des Periers , eux qui
ont vécu assez longtemps pour la manifester dans leurs
livres , et qui ont fait malheureusement assez de livres
pour nous donner toute leur mesure. Il n’y a qu'un
Rabelais, qu’un Marot, qu’un Montaigne , qu un des
202 NICOLAS DENISOT.
Periers dans une littérature. Des Denisot et des Pelle-
tier, il y en a mille. » Nous voulons bien souscrire à
ce jugement, si peu flatteur qu'il puisse être pour la
mémoire de deux Manceaux renommés. Cependant
n'est-il pas permis de supposer encore, même avec
: l’assentiment de M. Nodier, que Denisot et Pelletier
ont inséré quelques-uns de leurs contes dans le recueil
publié par eux sous le nom de leur ami? L’objection
qu'on fait à cela, c'est qu’on ne trouve pas de ressem-
blance entre le style des Contes et le style des ouvrages
authentiques et analogues de Pelletier, de Denisot.
Mais qui a fait cette comparaison et qui l'a pu faire?
De la prose de Pelletier on connaît à peine quelques
graves discours, et il ne reste pas uno seule ligne de
Denisot qui ne soit en vers, Mais si M. Nodier réduit
à peu de chose la part prise par Denisot et Pelletier aux
Contes publiés sous le nom de des Periers , il croit
qu'ils ont l'un et l’autre , ainsi que des Periers , fourni
quelques nouvelles à l'Hepcaméron. Cette hypothèse
“n'est pas à rejeter. Si, comme nous l'avons établi,
M. Ch. Nodier a nécessairement antidaté les relations
de Marguerite et des deux poëtes du Maine, nous
accordons volontiers qu'ils ont fréquenté l'académie
présidée par cette princesse, et qu'ils ont pu con-
tribuer à la rédaction de l'Heptaméron.
Nous n'avons pas lu de vers mesurés de Denisot
dans le Recueil de Poësie françoise, publié, en 1555,
par la veuve Regnault, pour faire suite à l'Art Poétique
de Sébillet ; mais comme le nom des auteurs manque
à la plupart des vers de ce Recueil, nous pouvons
croire qu’il contient des vers rimés de Denisot. Gilles
Corroset a inséré, dans son Parnasse des Poëtes fran-
ABEL FOULON. 203
çots modernes, une sorte d'élégie da Denisot sur les
misères de la vie humaine ; cette pièce de vers est
dédiée à Pierre Boistuau.
Ce Pierre Boistuau, sieur de Launay, était le secré-
taire de l’académie de Ja reine de Navarre. On a de
lui plusieurs ouvrages qui ont été fort estimés; en tête
d’un de ces ouvrages , le Théâtre du Monde, se lit une
pièce de vers encomiastique signée par le comte d’Al-
sinoys, « valet de chambre du roy. » Il s'en trouve une
autre en tête de l'Histoire des Oiseaux, de P. Belon.
Ce sont des vers mesurés à l'imitation des phaleuques
grecs et latins. M. Boyer a reproduit cette pièce; mais
il ne paraît pas avoir connu l'hexastique français de
Denisot, qui précède les Amours d'Olivier de Magny.
Enfin des vers de Denisot à Ronsard ont été publiés
dans quelques éditions des œuvres de ee poëte ; nous
les Jisons au tome 11 de l'édition de 1633, p. 1081.
FOULON (age).
Il nous suffira d'annoter la notice publiée par La
Croix du Maine sur ABEL FOULON. En voici les
termes :
« Abel Foulon, natif de la paroisse de Loué, au
Maine , poëte françois , philosophe, mathématicien et
ingénieur, valet de chambre du roi Henry IL. Il a escrit
de son invention J’Usage et Description de l'Holomètre,
pour scavoir mesurer toutes choses qui sont soubs
l’estendüe du ciel , tant en largeur qu’en hauteur et
204 ABEL FOULON.
profondité , imprimé à Paris, chez Pierre Beguin,
l'an 1567. Il a escrit un Traicté des machines , engins,
mouvements, fontes mettalliques et autres telles inven-
tions ; non encores imprimé. La Description du mou -
vement perpetuel, non imprimé. Voylà quant à ses
inventions, et, touchant ce qu'il a traduict, voicy ce
que j'en ay peu voir. Les huit livres d'Architecture de
Marc Vitruve, lesquels, pour les avoir communiquez
à ses amis, les ont mis en leur nom , et les ont fait
imprimer, sans faire mention de luy, qui en estoit le
traducteur. Le Poëme d'Ovide in Jbin, ou contre Ibis,
non imprimé. Les Satyres de Perse, traduictes par
ledit Foulon en vers françois, imprimées, l'an 1544, à
Paris. Il a peu composer de son invention et traduire
plusieurs autres choses desquelles je n’ay pas cognois-
sance. Îl est inventeur des testons forgez au moulin,
du temps du roy Henri II du nom, roy de France. Sa
devise est : Moyen ou trop. Il mourut à Orleans , non
sans soupçon d’avoir esté empoisonné pour la jalousie
de ses belles inventions , l’an 1563, âgé de 50 ans ou
environ. » |
Voici maintenant nos remarques sur cette notice.
Le livre d’Abel Foulon qui a pour titre : l’Usage et
Description de l’Holomètre, eut un grand succès. On
le trouve traduit dans plusieurs langues. En latin, par
Nicolas Stoup, Stupanus, professeur de médecine à
Bâle, sous ce titre : De Holometri fabrica et usu,
instrumento geometrico ab Abele Fullonio olim invento,
nunc vero Stupani opera sermone latino explicato;
Basilæ, Pet. Perna, 1577, in-fol. En italien, par un
traducteur inconnu ; Venise , Z. Ziletti, 1564, in-4°.
Mais comment la traduction italienne aurait-elle été
ABEL FOULON. 205
publiée en 1564, si l'original français n'avait été mis
en vente par P. Beguin qu'en l’année 1567? Il faut, en
outre, remarquer ce mot olim, dont Nic. Stoup se sert,
en 1577, pour désigner la date de l'invention de l'ho-
lomètre par Abel Foulon. Il est donc évident que
l'ouvrage de Foulon fut publié longtemps avant
l'année 1567.
Comme le fait observer La Monnoye (1), le traité
de Vitruve sur l'Architecture ne se compose pas de
huit, mais de dix livres. Nous ne savons ni à quelle
date ni sous quel nom fut publiée la traduction de
Foulon.
La traduction des saÿres de Perse fut éditée à Paris,
in-4°, par J. Gazeau ; en 1544, suivant La Croix du
Maine ; en 1514, suivant Fabricius. Mais Foulon étant
mort en 1563, Agé de 50 ans environ , avait dû naître
en 1514. Il y a donc une erreur chez Fabricius, Cette
traduction française des satires de Perse par A. Foulon
est la plus ancienne que l’on connaisse. L'abbé Goujet
ne l’a pas estimée. «a Il a, dit-il, en parlant d’Abel
Foulon , il a employé les vers de dix syllabes, mais
sans y observer ni les règles les plus communes de la
versification , ni l’alternative des rimes masculines et
féminines , ni souvent même les préceptes les plus
indispensables de la grammaire. Du reste, on sent
qu'il a entendu son auteur et qu'il l’a traduit le mieux
qu'il lui a été possible (2). » | :
Falconnet a lu, dans l'Histoire des Eglises réfor-
(1) Notes de l’édit. de La Croix du Maine et de du Verdier,
publiée par Rigoley de Juvigny.
(2) Biblioth. francaise, t. v1, p. 126.
206. LOUIS AUBERY DU MAURIER.
mées (1), qu’'Abel Foulon était un excellent ouvrier,
employé à Orléans par les calvinistes pour y forger
de la monnaie au coin du roi ; il avait ea, dit-il, à
Paris, la charge de maître à monnoïie (2).
Mercier de Saint-Léger se demande si Joseph Fou-
lon , abbé de Sainte-Geneviève , qui remplit l'office
de diacre ou de sous-diacre dans la cérémonie du
sacre de Henri IV, n'était pas quelque proche parent
de notre Abel Foulon (3). Nous ne saurions répondre à
cetté question. L'abbé de Sainte-Geneviève appartenait
peut-être à la famille des Foulon d’Anjou. Ménage
nous désigne un Jean Foulon, contrôleur en l'élection
de Saumur, père de Marie et de Renée Foulon (4).
AUBERY DU MAURIER (Louis).
LOtIS AUBERY, fils de Benjamin Aubery, sieur du
Maurier, est-il né dans le domaine seigneurial de sa
famille , à la Fontaine-Saint-Martin ? Nous ne saurions
l'affirmer, mais nous avons lieu de le croire. Nous
Jisons, dans ses Mémoires, qu'il fit ses premières
études en Hollande, près de la Haye , dans une maison
de campagne nommée Ingelbourg. Benjamin Aubery
(1) T.u,liv. V, p. 37.
(2) Notes de l’édit. de La Croix du Maine, etc., etc., publiée
par Rigoley de Juvigny.
(3) Notes manuscrites sur un exemplaire de la Biblioth. fran-
coise de La Croix du Maine.
(4) Hist, de Sablé, Ie part., p. 128.
LOUIS AUBERY DU MAURIER. 207
avait loué cette maison, qüi appartenait à la famille
Batneveldt, pour y établir la résidence de ses enfants.
Nous trouvons encore , dans les Mémoires de Louis
Aubery, quelques renseignements curieux sur Ben-
jamin Priolo, qui fut un de leurs précepteurs , et sur
sa méthode. Il ne se servait ni de Priscien , ni de
Clénard, ni de Despautère ; il négligeait de faire con-
naître à ses élèves les règles grammaticales, déclarant
qu'il avait appris ce qu’il savait , et il savait beaucoup,
sans avoir fait usage des livres de ces auteurs, sans
avoir chargé sa mémoire de tous ces termes barbares
de supin, de gérondif, etc., etc., auxquels personne
n'entend rien. Nous devons tenir ces détails pour
exacts. Or, Benjamin Priolo ou Prioleau, étant né,
suivant tous les bibliographes , le 17 janvier 1602, il
né doit pas avoir été chargé de l'éducation des fils du
sieur du Maurier avant d'avoir lui-même achevé ses
études, c’est-à-dire avant l’année 1620 ou environ.
Mais que lisons-nous dans une lettre de Grotius du
8 juillet 1621 ? Benjamin Aubery lui ayant fait savoir
qu'il avait choisi Gérard Vossius pour précepteur dé
ses enfants , il le félicite de ce choix : « Vous ne pou-
viez mieux faire , lui dit-il, que de les confier à Vos-
sius. » Îl ajoute : a Je ne manquerai pas de lui recom-
mander la tutelle de vos enfants quand il viendra dans
ces lieux avec ses jeunes élèves, mais je ne l'ai pas
encoré vu (1). » Cette lettre de Grotigs est de Paris ;
il écrit à Benjamin du Maurier qui habite la Haye.
Le #4 août , il lui fait parvenir une autre lettre, dans
laquelle nous lisons : a Je suis persuadé que l’excellent
(1) Epistolæ Grotii, ad ann. 1621.
208 LOUIS AUBERY DU MAURIER.
Vossius aura le plus grand soin de vos enfants, et je
n’ai pas oublié de stimuler son zèle , bien que cela ne
fût pas nécessaire. Vous avez fait le meilleur choix
que vous pussiez faire lorsque vous avez pris le
parti de mettre vos enfants entre les mains de cet
homme dont la délicatesse égale le savoir. » Enfin,
le 19 août, il lui écrit : « Je sais heureux d'apprendre
que vos enfants sont rendus près de vous en parfaite
santé {1}. » Ces passages des lettres de Grotius éta-
blissent clairement , il nous semble , que Gérard Vos-
sius fut le premier précepteur des enfants de Benjamin
Aubery; que ceux-ci restèrent en France jusqu'en
1621, et qu'en cette année ils furent conduits à la
Haye, près de leur père, par l'illustre personnage
auquel ils avaient été confiés. Il est parlé pour la pre-
mière fois de Priolo dans la lettre de Grotius qui
porte la date du 19 août 1621, et voici dans quels
termes : « Placet et is juvenis cui secundas operas
assignasti. » Benjamin Priolo , âgé de dix-neuf ans, ne
fut donc alors admis dans la maison de Benjamin
Aubery qu'avec le titre modeste de sous-précepteur ;
à Vossius appartenait la charge principale. Il est cepen-
dant à remarquer que Louis Aubery ne rappelle, dans
aucun endroit de ses Mémoires , qu'il ait eu Vossius
pour maitre.
Quand celui-ci, engagé dans une vive controverse
avec les théologiens catholiques, ne put donner tous
$es soins à l'éducation des fils de l'ambassadeur fran-
‘çais, Priolo les conduisit à l’université de Leyde , et
resta près d’eux jusqu’au mois d’août de l'année 1628.
{1) Epistole Grotii, ad ann. 1621.
LUUIS AUBERY DU MAURIER. 909
C'est alors seulement qu'il les quitta, comme nous l’ap-
prend une lettre de Grotius, du 43 août de celte année.
Louis Aubery avait achevé ses études littéraires; il
pouvait êlre âgé de dix-sept ans environ. Il revint en
France, avec son père, en 4630. En 4632, il était à
Paris, où il étudiait le droit, mais avec si peu de zèle,
que plus d’une fois Grotius se vit contraint de lui adres-
ser à ce sujet de respeclueuges remontrances (4). C'était
un jeune homme indocile, emporté, qui n'écoulait pas
volontiers les conseils d'autrui; mais comme il avait
d'ailleurs l'intelligence prompte et ouverte, on espérait
beaucoup de lui.
Il existait alors de telles différences entre les cou-
tumes, les mœurs et le gouvernement des diverses na-
lions européennes, que, pour se rendre propre aux
affaires, il fallait voyager et acquérir, par l'observa-
tion, cetle science des faits contemporains que nous
fournissent aujourd'hui les journaux et les livres des
économistes. Desliné par son pêre à la diplomatie,
Louis Aubery parcourut d'abord l'Allemagne, la Suisse
et l'Italie. Il était à Rome en l'année 1630, et à l’en-
droit de ses Mémotres où il parle de son séjour dans la
ville sainte, il raconte qu'il vit, dans la chapelle Pau-
line, un tableau de la Saint-Barthélemy au bas duquel
était cette légende: Poniifex Colonti necem probat. Bien
que son père l'eût fait élever dans la religion catholi-
que, Louis Aubery ne put lire sans effroi cette cruelle
sentence; cinquante ans après, il se rappelait encore
(1) Dans l'édition des Lettres de Grotius, de l'année 4687, in fol.,
il y a sept lettres de celui-ci à Louis Aubery; ce sont celles qui
portent les numéros 290, 804, 882, 486, 786, 880, 891.
HI L°
210 LOUIS AUBERY DU MAURIER,
l'émotion douloureuse que lui avait causée la rencontre
de ce tableau dans un lieu consacré, sur l’autel même
du Dieu clément et pacifique. L. Aubery était de retour
au Maine en l'année 1636, et il assistait aux derniers
moments de son père. Au mois de mai de l'année sui-
vante, il était à Paris, où il obtenait de Claude de Mes-
mes, comle d'Avaux, la permission de l'accompagner
dans cette grande ambassade qui eut pour résultat la
trêve de vingt-six ans, conclue entre la Suëde ct la Po-
logne. Ils partirent vers la fin de mai, et se firent d'a-
bord transporter dans le Holstein, puis à Hambourg, où
le comte d'A vaux séjourna, tandis qu'Aubery alla visi-
ter Lubeck et Kiell. Ils se rendirent ensuite en Dane-
marck et en Suède, où Louis Aubery, bien reçu par la
noblesse de toutes les cours, contracta des relations
presque familières avec le jeune Charles-Gustave. En
se quittant, ils se firent des présents mutuels. Aubery
reçut des mains du prince palatin un très bel atlas, et
lui donna les Mémoires de Commines, in-fol., édition de
Vascosan, exemplaire réglé, relié magnifiquement en
marocain et doré sur tranche; en outre, il célébra les
mérites précoces de son royal ami dans une série de
strophes héroïques qui furent louées, nous dit-il, par
les experts les plus renommés, Conrart, Chapelain et
d’Ablancourt; mais nous avons le regret de les trouver
fort peu dignes d'éloges. Vers la fin du mois d'août 1637,
ayant appris que Wladislas, roi de Pologne, préparait
de grandes fêtes pour célébrer son mariage avec la prin-
cesse Cécile-Renéce d'Autriche, sœur de l'empereur
Ferdinand 111, Aubery se rendit en toule hâte en Var-
sovie. En ce lieu, nous perdons la trace de notre voya-
LOUIS AUBERY DU MAURIER, 9211
geur; ce que nous savons, c'est qu'il revint en France
avant le comte d’Avaux.
Il était à la cour en l'année 1642, quand il fut chargé
par le comie de Rantzaw, retenu prisonnier dans le
château de Gand, de communiquer à la cour de France
une nouvelle importante. La citadelle de Gand était
dégarnie de troupes, et avant que l'ennemi pût la
secourir, elle devait tomber au pouvoir des Hollandais,
alliés de la France, si l'on envoyait de ce côté le prince
d'Orange avec son infanterie Aubery transmit à la hâte
cel avis au conseil du roi; mais comme il venait du
comte de Rantzaw, quiétail dans les plus mauvais ter-
mes avec le ministre de Noyers, on n'en profila pas.
C'est en cette année 1642 que Louis Aubery perdit son
protecteur, le cardinal Richelieu. Il était admis, même
dans les jours solennels, à la table ronde de ce ministre,
qui lui avait plus d'une fois promis de l'employer dans
quelque ambassade, et ne l’avait pas fait. Or, quand il
n'avait rien obtenu sous le ministère de Richelieu, si ce
n’est les titres d'aide-de-campdu roi el de maître des re-
quêtes enser vice ordinaire, que pouvait-il espérer de son
successeur ? Aubery prit alors le parti de la retraite, et,
après avoir prononcé quelques dures paroles sur la
cour et les courlisans, il alla se renfermer dans son
domaine du Maurier, où il ne voulut plus avoir d’autre
occupation que celle de réparer les brèches qu’il avait
faites à son bien. |
Cependant, il n'était pas né pour le repos ; empèché
de prendre part aux affaires, il ne put se défendre
d'exprimer son avis sur les choses qu'il avait apprises,
sur les évènements auxquels il avait assisté, durant
219 LOUIS AUBERY DU MAURIER.
ses voyages et durant son séjour à Paris. Il écrivit ses
Mémoires, et s'occupa de préparer une édition noùvelle
du plaidoyer prononcé par son grand-oncle, Jacques
Aubery, dans l'affaire des hérétiques de Cabrières et de
Mérindol. Nous avons parlé de cet ouvrage qui parut
en 4645, in-4° (4). Louis Aubery devait avoir atteint sa
Soixante-dixième année, quand, en l'année 1680, il
publia le premier volume de ses Mémoires sous ce titre :
Mémoires pour servir à l’histoire de Hollande et des
autres Provinces Unies, par Mess. Louis Aubery, cheva-
lier, sieur du Maurier; la Flèche, Laboë, 4680, in-8 (2).
ll y a eu de nombreuses éditions de cet ouvrage; nous
mentionnerons celles de Paris, 4687, 4688, 4703, in-42;
en 4754, l'abbé Sépher en donna une édition nouvelle,
avec des notes inédites d'Amelot de la Houssaye, sous
ce titre : Histoire de Guillaume de Nassau, prince
d'Orange ; Londres (Paris), 4754, 2 vol. in-12 (3). Ces
Mémoires sont une suite de biographies rédigées avec
une liberté d'opinion qui en a fait le succès. Le style en
est lâche et peu correct; mais l'auteur nous avoue
qu'ayant « corrompu » sa « langue naturelle par une
longue demeure dans les païs étrangers et par une plus
longue station dans le Mayne, où l’on parle très mal, »
il ne sait pas écrire comme il convient. Les notices que
contiennent ses Mémoires concernent Guillaume de
(4) Hist. litt. du Maine, tu, pe 446,
(2) 11 y a des exemplaires de cette édition qui portent, avec la
même date, le om des libraires de Paris chez lesquels ils furent mis
en vente.
(3) Dans quelques exempl. de celle édit. l’ancien titre est con.
servé. Louis Aubery y est nommé Aubry du Mouriez.
LOUIS AUBERY DU MAURIER, 913
Nassau, Louise de Coligny, Philippe-Guillaume, prince
d'Orange, Henri-Frédéric de Nassau, Jean de Barne-
veldt, François Aersens, Hugues Grotius. Comme ces
notices ne sont pas loujours très équitables, car il s’agit
de contemporains, d'amis el d’ennemis, les critiques
n'ont pas manqué d’en signaler les passages plus ou
moins défectueux. Bayle, Baillet, Levassor, Jennet, le
Clerc, doivent être comptés au nombre des censeurs
des Mémoires de L. Aubery. Ch. Ancillon les a jugés
plus favorablement et avec plus d'équité (1).
Cet illustre bibliographe, né en 41659, a pu con-
naître, dans sa jeunesse, Louis Aubery: il a, du moins,
entendu souvent parler de lui, et quelques gens lui ont
tenu sur son comple les propos les moins flatteurs. Il
les rapporte en ces termes: « Ils disent qu'il étoit malin,
et que, tout accablé de goute et d'années qu'il étoit, ne
pouvant agir, il vouloit écrire; qu'ila tiré les mémoires
qu'il a publiés des mains de Maximilien, son frère aîné,
à qui le père les avoit laissés, et qu'il leur a donné la
forme qu'ils ont ; de sorte qu'encore qu'il dise souvent
que son père lui a dit, ou qu'il lui a ouï dire, et qu'il ne
parle que par mémoire, la vérité est qu'il n'a fait que
suivre les Mémoires que son frère lui a communiquez,
et qu'il ne saitrien de ce quil écrit que par ce moyen.
Ces personnes ajoutent que s'il n'a pas publié tout ce
qu'il avoit promis, ce n'est pas sa faute. Il a fait tout
ce qu'il a pu, pour tirer des mains de son frère des Mé-
moires par le moyen desquels il espéroit de pouvoir
(1) Mémoires concernant les vies et les ouvrages de plusieurs
modernes,
914 LOUIS AUBERY DU MAURIER.
exécuter sa promesse; mais son frère, le connoissant
trop bien, et craignant qu'il ne se ser vit de ses Mémoires
pour chagriner bien des gens, sous prélexte de faire
les véritables peintures des princes, des grands et des
minislires dont il y est parlé, lui a refusé les Mémoires
qu’il a demandés; de sorte qu'actuellement, ils sont en-
core entre les mains de M. du Maurier, son petit-fils, et
petit-neveu de notre du Maurier, le seul rejetton de
celte illustre famille. » 11 y a peut-être dans ces propos
quelque vérité, mais assurément il ÿ a plus d’une er-
reur. Il est possible, il est même vraisemblable que le
possesseur des papiers laissés par Benjamin Aubery
élait son fils aîné Maximilien. Nous voulons bien croire,
en outre, que celui-ci, moins audacieux que son frère,
ne lui sut pas bon gré d'avoir pris ouvertement, dans
ses Mémoires, le parti des républicains hollandais, et
d'avoir rappelé que Benjamin Aubery avait été l'ami, le
confident, le défenseur de Grotius, de Barneveldt, et
l'adversaire de leur ambitieux et cruel persécuteur.
Mais ce qui est inadmissible, c'est que Louis Aubery ait
copié dans les manuscrits de son pêre tout ce qu'on lit
dans les Mémoires pour servir à l'histoire de Hollande.
Parmi les faits intéressants qui sout racontés dans ces
Mémoires, combien n'en pourrait-un pas désigner sur
lesquels Benjamin Aubery n'a pu laisser de renseigne-
ments particuliers, puisqu'ils ont eu lieu vingt ou (rente
ans aprés sa mort ?
Ch. Ancillon n’eût peut-être pas accueilli, comme il
l'a fait, ces dires malveillants, s'il eût appris que la
fille unique de Louis du Maurier possédait en manuscrit
un ouvrage de son père non moins important que ses
LOUIS AUBERY DU MAURIER. 9145
Mémoires pour servir à l'histoire de Hollande. Cet ou-
vrage ne fut publié qu'en 1735, vingt ons après la mort
d’Ancillon, par Louis-Léonor-Alphonse d'Orvaux du
Maurier, sous le titre de : Mémoires de Hambourg, de
Lubeck et de Holstein, de Danemarck, de Suède et de
Pologne, par feu mess. Aubery du Maurier; Blois, Mas-
son, 4735, in-42 (1). Ces Mémoires nous sont donnés par
l'auteur lui-même comme la suite des premiers, et,
bien qu'ils ne soient pas rédigés sur le même plan, ils
sont du même style. On y trouve d’ailleurs des rensei-
gnements géographiques et historiques qui ne man-
quent pas d'intérêt. Ils se terminent par la phrase sui-
vante : « Comme je songeois à mettre la dernière main à
ces Mémoires, des affaires plus importantes m'en ont
détourné. Je prie ceux de mes enfants entre les mains
de qui tomberont ces Mémoires, de les transmettre, s'ils
le jugent à propos, à la postérité, ou de les conserver
en mémoire d'un père qui n'a de cœur que pour eux.
Délivré du tumulte et des embarras du monde, un soin
plus précieux va occuper tout mon loisir, que je consa-
cre à une heureuse immortalité. » Louis Aubery mou-
rut, dans sa terre du Maurier, en l’année 4687.
Les Mémoires de Hambourg sont l'ouvrage qu’Ansart
mentionne sous ce titre : Trailé du commerce de la Bal-
lique, ou Mémoire sur les royaumes du Nord. Ils eu-
rent, il est vrai, peu de succès, mais Ansart, qui pu-
bliait sa Bibliothèque du Maine en 1784, aurait toutefois
dû savoir que le manuscrit possédé par MM. d'Orvaux
avait été publié dès l’année 4735. D'anciens catalogues
(1) Une autre édition porte la date de Leyde, 1748.
216 LOUIS AUBERY DU MAURIER.
Jui attribuent un libelle anonyme que nous ne connais-
sons pas, et qui ne se trouve mentionné ni dans la Bi-
bliothèque d’Ansart, ni dans la notice de Ch. Ancillon,
ni dans les articles de Moréri et de la Biographie Uni-
verselle, ni dans le Diclionnaire de Barbier. En voici le
litre, tel qu'il est rapporté par M. Desportes (4) : Super
velere Austriacorum proposilo de occupando mare Bal-
thico, omnibusque Poloniæ et seplentrionalis Germaniæ
mercaturis ad se attrahendis in Galliarum et fœderati
Belgii detrimentum; Parisiis, 4644, in-4&°. Cette disser-
tation, qui doit être intéressante à plus d'un titre, se
place à côté des traités de Grotius de Selden, de Gras-
winckel : nous regrettons vivement de n’avoir pu la
rencontrer. Louis Aubery avait formé le projet d'écrire
une histoire des dernières années de Louis XIII, mais il
ne l'a pas exécuté. Costar, qui le comptait au nombre
de ses correspondants, lui a adressé quatre de ses let-
tres (2). 11 suffit de les lire pour se convaincre que l'au-
teur des Mémoires pour servir à l'histoire de Hollande
ne jouissait pas d'une moindre considération parmi
les lettrés que parmi les courtisans. Aux qualités de
l'homme d'affaires il joignait, ce qui les accompagne ra-
rement, un noble cœur et une intelligence éclairée.
(1) Bibliographie du Maine. Il est aussi désigné à la page 484 de
la Bibliotheca Bultelliana,
(2) Lettres de Costar,
LAMBERT. 217
LAMBERT.
Le livre Pontifical du diocèse nous fait connaître que
LAMBERT occupa le siêge laissé vacant par Robert, et
qu'après avoir, durant six années, éprouvé de grandes
contrariélés, « multis perturbationibus oppressus, » il
mourut, sans laisser aucun souvenir de son administra-
tion : « nullam actuum suorum memoriam posteris
dereliquit. » C'est pour cela sans doute que le collabo-
rateur d'Antoine de Mouchy, Pierre Lebret (1), ainsi
que les annalistes Robert et Chenu, ont ignoré même le
nom du vingl-cinquième évêque du Mans. Tout ce que
nous apprenons de Le Corvaisier, c'est que Lambert
mourul le 23 décembre de l'année 892.
Un manuscrit de Colbert, inscrit aujourd’hui sous le
n° 4837 parmi les manuscrits de la Bibliothèque du roi,
nous fournit sur cet évêque un renseignement très pré-
cieux et que nous devons recueillir, puisqu'il s'agit d'un
monument lilléraire. Ce volume, qui paraît être du
ix° siècle, conlient les capitulaires de nos premiers rois ;
mais au verso du dernier feuillet, une main, peut-être
plus récente, a reproduit une missive épiscopale adres-
sée par Lambert à Hildebrand, évêque de Séez. Voici
l'objet de cette missive. Un certain Rainon s'est rendu
coupable de divers délits à l'égard de l'Église du Mans,
el Lambert, l'ayant excommunié, prie l'évêque de Séez
de ne pas admettre à la table sainte, dans son diocèse,
ce sacrilége impénitent.
(4) Hist, litt, du Maine, t. x, p, 183.
218 GUNTHIER.
Baluze a connu cette lettre de Lambert, et dans l'édi-
tion qu'il a donnée, en 1674, des livres de Reginon,
abbé de Prum, sur la Discipline ecclésiastique, il l'a
publiée d'après le manuscrit de Colbert ; elle se trouve
dans l'Appendice, aux Notes, p. 625.
GUNTHIER.
Dans le catalogue des manuscrits de la Bibliothèque
du roi, est inscrit, sous le n° 6404 (ancien fonds), un
manuscrit sur vélin provenant de la bibliothèque Col-
bert, où l’on nous signale une lettre de Gunthier, évè-
que du Mans, à Raoul, évêque de Laon. Ce manuscrit
étant en partie du x:° et en partie du xu° siècle, l’évè-
que du Mans, auteur de la lettre à Raoul de Laon, ne
_peut être que le vingt-sixième de nos évêques, le suc-
cesseur de Lambert, GUNTHIER ou GauTien, qui gou-
verna le diocèse de l’année 890 à l’année 913. Bien que
l'on ignore quel fut le lieu natal de Gunthier, nous élions
curieux de rechercher cette lettre à Raoul de Laon, dans
le n° 6404 des manuscrits du roi; maïs le manuscrit
_ désigné n'en reproduit que les premières lignes, et le
reste a été perdu. Nous mentionnons toutefois cette
lettre, pour qu'une omission grave ne nous soit pas re-
prochée.
Tandis que Mabillon faisait transcrire le Pontifical des
évêques du Mans, pour l'insérer dans ses Analecla,
Baluze lui communiqua le manuscrit de Colbert que
nous venons de décrire, et ce docte bénédictin s'em-
GUNTHIER. 919
pressa d'en extraire la lettre inachevée de Gunthier à
Raoul. On peut donc lire ce fragment dans les Analecta,
à la suite des Actes des évèques du Mans.
On possède un écrit de Gunthier bien plus important
que la lettre du manuscrit de Colbert : cet écrit est une
relation animée, quelquefois éloquente, des dévasta-
lions commises dans le diocèse du Mans par un chef de
milices normandes, nommé Rotgaire ou Ratgaire. Cette
relation se trouve dans le Pontifical, d'où Mabillon l'a
tirée. Elle commence par cetle invocation : « Apprenez,
serviteurs du Christ, amis de la justice, apprenez, rois
et princes de la terre, apprenez les cruels et nouveaux
attentats accomplis sur la personne de moi, Gunthier,
indigne pasteur de l'Eglise du Mans, et sur l'Eglise qui
m'a été confiée, par le plus pervers des hommes, Rot-
gaire et les gens de sa bande... » La lecture de cette
déclamation historique n'est pas sans intérêt.
Puisque nous avons sous les yeux le catalogue im-
primé des manuscrits latins de la Bibliothèque du roi,
corrigeons une des erreurs commises par les auteurs de
ce catalogue. On y distingue un Halitgaire, évêque du
Mans, d'Halitgaire, évêque de Cambrai, théologien
du x° siècle, et deux manuscrits de l’ancien fonds du
roi (n‘% 2373, 7561) sont indiqués comme renfermant
un Pontifical et des Fragments d'Halitgaire du Mans.
Mais cet évèque est supposé, et les ouvrages qu'on lui
attribue doivent être restitués à Halitgaire de Cambrai.
Il est vraisemblable qu'on aura lu Cenomancnsis episco-
pus, où il y a Cumeracensis episcopus.
220 ROBERT DE CLINCHAMP.
CLINCHAMP (ROBERT DE).
Pourvu d'abord d'une simple prébende dans l'église
cathédrale, roserr DE CLINCHAMP remplit ensuite les
fonctions de chantre, puis celles de doyen. A la mort de
Denis Benaiston, de Falaise, cinquantième évêque du
Mans, il fut élu successeur de ce prélat, par voie &e
scrutin, per viam scrulini; el tel était son crédit dans
le diocèse, telle était sa bonne renommée, qu'il obtint
l'unanimité des suffrages (1). La date de sa promotion
paraît être le mois d'avril de l’année 1298. Robert s’é-
tait concilié tous les esprits non par ces libéralités
clandestines qui déshonorent celui qui donne et celui
qui reçoit, mais par un grand acte de charité publique.
Lorsqu'il était doyen, une famine avait désolé le dio-
cèse durant trois années consécutives : il avait alors
distribué ses blés aux pauvres; ses greniers épuisés, il
avait vendu ses vases d'argent et lout ce qu'il possé-
dait, même ses chevaux de prix, equos quos habebat
pulcherrimos, pour acheter du grain et subvenir aux
besoins de la population nécessiteuse.
Voici dans quels termes l'auteur de la notice nécro-
logique insérée dans le Martyrologe de l'Eglise du Mans,
s'exprime sur les actes de l’épiscopat de Robert. « Orné
de la mitre pontificale, il gouverna pacifiquement le
diocèse. La plupart des abbayes de l'un et de l'autre
sexe s'étant trouvées Yacantes, l'élection des supérieurs
(1) Martyrol, eccl, Cenom, MS. codex membr, biblioth. Cenoa-
manensis,
ee
ROBERT DE CLINCHAMP. 994
de ces communautés se fit sans troubles, par son inter-
vention ; il réussit à écarter toute cause de débats. Juge
loujours équitable entre ses sujets clercs ou laïcs, il
déclarait sans subterfuges quel était le droit de chacun,
et, lorsqu'il était obligé de sévir, il tempérait la rigueur
de la justice avec l'huile de la miséricorde. Inaccessible
aux séductions du mensonge et de la flatterie, il n'avait
rien plus en horreur que de voir ou d'entendre des or-
gueilleux, des fourbes, des menteurs et des médisants;
aimant et se plaisant à élever les simples et les hum -
bles, il avait voué une haine profonde à ces agitateurs,
qui, en outrageant une famille /nationi alicuidetrahendo),
les armaient toutes les unes contre les autres. Pour ce
qui regarde ses devoirs spirituels, il les remplit sui-
vant ses forces, et le jour et la nuit, envers Dieu et
tous les saints, célébrant avec pompe, quand il le pou-
vait, l'office divin aux fêtes solennelles et même aux
moindres fêtes. Quant à son administration temporelle,
il fit relever le manoir de Touvoye, dont il ne restait
plus que les murs, car il avait été brûlé et dévasté du-
rant les dissensions autrefois survenues entre l'évêque
Jean de Challe (Johannem de Chanleyo) et les seigneurs
ses ennemis; à l’ancien édifice qu'il rétablit, Robert fit
ajouter une salle haute et commode, près de la chambre
épiscopale. Dans les autres manoirs , à Yvré, à Ceaulcé,
il releva des ruines et changea la disposition des bâti-
ments. Il fit construire, à Ceaulcé, le portail qui était
détruit, ainsi que la métairie, et creuser un étang à
Parigné-l'Evèque..… Il gouverna celte église pendant
neuf ans, cinq mois el trois jours. »
Cette notice nécrologique est une des plus étendues
»
229 ROBERT DE CLINCHAMP.
du Martyrologe; elle ne contient pas néanmoins le récit
de tous lesactes de l'épiscopat de Robert. Quelle que fût,
dit-on, la facilité de son caractère, il eut procès avec le
prévôt el le chapitre de Saint-Martin de Tours, au sujet
du patronage des églises de Moïet; il fut aussi en contes-
tation avec l'abbé de Rivoa, qui lui disputait le droit de
présider et de donner le premier suffrage aux élections
des abbés de la Pelisse. Nous voyons dans le Cenoma-
nia qu'il obtint du roi Philippe-le-Bel une ordonnance
concernant la discipline ecclésiastique. Ayant en outre
porté plainte devant ce prince contre les agents du fisc,
qui avaient osé porter la main sur les dimes et les pen-
sions de quelques églises du diocèse, il fit condamner cet
abus.
Le Corvaisier veut que Robert ail occupé le siége
du Mans pendant douze années (1); Bondonnet réduit à
onze ans et demi la durée de son épiscopat (2) : nous ne
pouvons que signaler le dissentiment qui existe à ce
sujet entre ces deux historiens et l’auteur de la notice
insérée au Martyrologe. Ce que l'on sait, c'est que Ro-
bert mourut le 29 septembre 1309. On rapporte, en effet,
ces vers d'un de ses chapclains :
Anois millenis ter centum nonis Cenomanis
Præsul decessit Robertus, cui requies sit
Perpes in cœlis, festo sancti Michaelis.
Le tombeau qui recut les restes mortels de cet évêque
fut placé dans le chœur de la cathédrale, au côté droit
(4) Hist, des Evcsques du Mans, p. 553.
(2) Les Vies des Evesques du Mans restituées ct corrigées, Ps 599,
ROBERT DE CLINCHAMP. 293
du grand autel; il fut dévasté par les religionnaires
en 1562.
On à de Robert de Clinchamp deux pièces d'un mé-
diocre intérêt : l’unc a été extraite du Livre Blanc de
l'évêché par M. Cauvin, et se-trouve dans les Jnstru-
menla de la Géographie ancienne du diocèse, sous ce ti-
tre : Decretum Roberti episc. Cenoman. de novalibus
nemoris de Blaveto (1). Quelques parties de la forêt de
Blavon ayant été défrichées et les terres mises en cul-
ture, les nouveaux habitants de ces lieux se trouvaient
placés en dehors des circonscriptions paroissiales et de-
mandaient à quel pasteur ils devaient appartenir. Par
son décrel, qui est de l'année 1309, Robert divise en
deux parts le territoire dccupé par ces colons, et donne
les uns à la paroisse de Lignières-la-Carelle, les autres
à la paroisse de Saint-Rigomer.
L'autre pièce de Robert a été extraite par dom Mar-
tène d'un manuscrit du Mont-Saint-Michel, et publiée
au tome 41°" du Thesaurus novus Anecdoltorum. C'est un
réglement par lequel il est interdit aux moines de Saint-
Vincent de manger de la chair dans leur réfectoire, l'u-
sage de la viande ne pouvant être accordé qu'aux ma-
lades, dans l'infirmerie du monastère. Cette pièce a
pour titre : Compostlio amicabilis inler episcopum Ce-
nomanensem et abbatem de Sancto Vincentio. Rien n'in-
dique qu’elle soit de Robert de Clinchamp, si ce n'est
celtenote marginale de Martène : « Circa annum 4300.»
{ (4) Page 93 des Instrumenta, Au folio 31, verso, du Livre Blanc
de l'Evêché.,
991 PIRRRE DE BOURÈRE.
BOUIIÈRE (PIERRE DE).
La terre et seigneurie de Bouère, près Sablé, en la-
tin Bariacus, Beoria, Boueria magna, Bouerium, a
prêté son nom à une ancienne famille, depuis long-
temps éteinte, connue par ses libéralités à l'égard des
moincs de Marmoutiers (1). C’est vraisemblablement à
celte famille qu'appartenait -pEnüe be BOUHÈRE, Sa-
bolien, Petrus Bouherius Sabulensis, éditeur du livre
suivant : Mag. Conradi Thuricensis magnum Elucida-
rium, omnes historias et poeticas fabulas continens, quæ
super monles, valles, lacus, urbes el omnia in poelarum
monumentis loca famigerabilia. Parisiis, Gormont, 4543,
in- 4°. Cet Elucidartum est ce qu'aujourd'hui nous ap-
pelons un dictionnaire historique; il contient la plupart
des noms d'hommes et de lieux qui se rencontrent
dans les auteurs grecs et dans les latins. Une élégie la-
tine de Pierre de Bouhère nous apprend qu'il ne fut pas
seulement l'éditeur, mais, en outre, le correcteur du
manuscrit laissé par Conradus.
Malleo at interea debetur gratia nostro
Vindice quo tersus prosilit iste liber.
A la fin du livre se trouvent quelques hendécasyl-
labes qui.sont aussi de Pierre de Bouhère, et l'on peut
le croire auteur des nombreuses additions séparées
et distinguées du texte par le mot appendix Il faut
compter l'Elucidarium de Conradus Thuricensis au
“ nombre des livres les plus rares; la Bibliothèque du
; (1) M. Couvin, 4rmorial, p. 37, — Géograph. ancienne, au mot
uriacus,
HiCHEL DOURRÉE. 295
roi n’en possède qu’un exemplaire mulilé qu’elle a reçu
de Falconnet. Gilles Ménage l’avait entre les mains lors-
qu'il s'occupait de la seconde partie de l'Histoire de
Sablé (1). |
BOURRÉE (mIicHez).
On lit dans la Bibliothèque de La Croix du Maine :
« Micuec BOURRÉE, sieur de la Porte , avocat au siége
présidial et seneschaussée du Maine, poële latin et
françois. Il a escrit plusieurs poëmes en l'honneur de
saint Julien, premier evesque du Mans, imprimez à
Angers et au Mans. Il a escrit plusieurs Noels ou Canti-
ques sur l'advènement de Jésus-Christ, imprimez au
Mans. 1l a davantage composé, en vers françois, le
paranymphe du mariage du roy Charles neufiesme
avec Madame Elizabeth d'Austriche, Ode Panegyri-
que du Maine, imprimé à Angers; elle contient l'é-
loge des Manceaux , etc., etc. Elégie sur le trespas de
Madame d'Averton au Maine, nommée Francoise de
La Chapelle, femme de messire Réné de Bourré, cheva-
lier de l'ordre du roy, seigneur de Jarzé, Cherniré
et Avrillé, etc., etc., imprimée au Mans. Il a escrit
plusieurs autres poëmes françois en la louange de
MM. de Rambouillet, et entre-autres de M. le révéren-
dissime cardinat de Rambouillet, Charles d’Angennes,
evesque du Mans, tant alors qu'il faisoit son entrée én
la dite ville qu autrement. Il a escrit plusieurs tragé-
dies et comédies françoises, desquelles je ne sçay pas lés
liltres. J’ay autres fois veu celle qu'il feist en latin, sur
(1) Sec. partie de l'Hist, de Sablé, le Maïs, Monnoÿer, 4844,
pug, 62.
ll. | 15
996 MICHEL FOUCÔLÉ.
t9-
la mort de M. de Guise, tué par le sieur de Merav, sur-
nommé Poltrot, mais elle n'est encore imprimée, non
plus que ses autres œuvres. Il florist au Mans cette
année 4584, s'adonnant du tout à sa principale profes-
sion, qui est la jurisprudence. Son grand-père s'appe-
Joît Jean Ory, advocat au Mans, l'an 1530 ou envi-
Ton. » | ee
1 semble y avoir, dans cette notice, une contradiction
manifeste. Après avoir indiqué les lieux divers où fu-
rent, dit-il, imprimés les poèmes de Michel Bourrée, La
Croix du Maine déclare que les œuvres de cet écrivain
fécond n'avaient pas encore vu le jour en 1584. Mais
nous devons chercher à mettre La Croix du Maine d'ac-
cord avec lui-même, et peut-être ces mots autres œu-
vres signifient-ils des poèmes autres que ceux dont il a
été précédemment parlé. Il n'y a pas de note sur cet
article dans l'édition de Rigoley de Juvigny, et aucun
des ouvrages attribués à Michel Bourrée par La Croix
du Maine ne se trouve dans les catalogues que nous
avons consultés. On peut donc aussi croire qu’ils sont
demeurés manuscrits. |
FOUCQUÉ (micteL).
Ce Micaez FOUCQUÉ, vicaire perpétuel de Saint-
Martin de Tours, poète français digne d'estime , est né,
suivant La Croix du Maine, à Sainte-Cécile, près le
Port-Gauthier, c'est-à-dire à Sainte-Cécile-sur-Loir ,
commune réunie, en 4807, à celle de: Flée. Le nom
qu'il tenait de ses pères paraît bien avoir élé celui de
Foucqué : cependant La Croix du Maine lui donne , en
MICHEL FOUCQUÉ. 297
oûtre, celui de Fouques, et Du Verdier ne l'a connu
que sous les noms encore plus bizarres de Fourque et
de Phoque. Plusieurs de ses ouvrages ayant été perdus,
nous ne saurions vérifier s'il a pris, en effet, tous ces
homs ; cé que nous pouvons toutefois témoigner, c'est
qu'il est appelé Phoque dans un manuscrit de La
Vallière que possède aujourd'hui la Bibliothèque du
” Roi, et Foucqué dans le titre d’un de ses poèmes édité,
en 4574, par J. Bienné.
Suivant La Croix du Maine, « il mourut âgé de
soixante ans environ, et florissoit du temps de Fran-
çois I". » Ne comprenant pas bien cette indication, un
bibliographe, d’ailleurs peu scrupüleux, l'abbé Prévost,
au tome XV de son Pour el Contre, suppose que La vie
de Jésus , poème de Michel Foucqué, vit le jour peu de
temps après la mort de François I‘, et celte première
erreur lui en fait commettre ensuite plusieurs autres.
Il est vrai que l'approbation de cet ouvrage, publié,
comme nous l'avons dil, en 4574, porte la date du 24
août 4564 : mais François I‘* était mort depuis l'an
née 4547. Rigoley de Juvigny déclare qu'il tient pour
suspect le renseignement d'ailleurs exact fourni par
La Croix du Maine ; mais il n y substitue que des hypo-
thèses. Voici la vérité. C'est Foucqué lui-même qui
nous la fait connaître dans une épitre dédicatoire, Tels
sont les premiers vers de cette épitre, qui est à ae
dresse de Charles IX :
Sacré j'avoic à vostre père, Ô Sire,
Ce mien labeur, et ce pendant qu'escrire
Je le faisoie en lettre d'excellence,
Pour luy offrir, la, pleine d’insolence,
Fatale sœur, qui à nul ne pardonne;
928 MICHEL FOUCQUE.
Quand son office à faire elle s'addonne,
Par un secret d'humain sens non compris,
Saisir le vint au martial pourpris,
Ne le laschant, tant qu'el’ luy eut la vie
À grand désastre et grand trouble ravyc,
Ce néanmoins ne laissay passer oultre,
Et au second roy Françoys, frère vostre,
Le consacraÿ : qui, de seraine face,
Aïant oùy le titre et la préface,
Le cardinal de Lorraine y lisant;
Et de l'ouvrage avec luy devisant,
Sur ce requis donna permission
De l’imprimer, avec condition,
| Que recogneu il fust, et aresté
Par les docteurs, ce qui faict a esté
Par deux sacrez en la sainte Sorbonne...
Le père de Charles IX, étant non pas François I°",
mais Henri Il, c'est donc sous Henri II que Foucqué
mit au net le poème auquel cette épître sert de préface :
ce poëme fut soumis à l'approbation des docteurs sous
le règne de François IE, c'est-à-dire avant le 5 dé-
cembre 1560 , date de la mort de ce prince ; il ne fut
approuvé qu'au mois d’août de l'année suivante , et
enfin, pour des causes de nous ignorées, il ne fut
édité qu en l'année 41574.
En voici le titre: La Vie, Faits, Passion, Mort,
Résurrection et Ascension de notre Seigneur Jésus-Christ
selon les quatre saintz euangelistes , sans quelconque
omission de tous les mots y contenuz, en sens ou en lettre,
mys en vers françois heroïques , par Michel Foucqué,
prestre et vicaire perpétuel de Saint-Martin à Tours ;
Paris , J. Bienné , 4574 , in-8. Du Verdier.a connu cet
ouvrage. La Croix du Maine ignorait qu'il eût été pu-
MICHEL FOUCQUEÉ. 299
blié, et n'en désigne qu'un manuscrit. Comme La Croix
. du Maine livrait sa Bibliothèque Françoise aux presses
d’Abel Langelier dix années seulement après la publi-
cation du poème de Foucqué, on doit croire que ce
poème, ayant eu peu de succès, avait fait peu de bruit.
Cependant il ne contient pas moins de seize mille vers
de dix syllabes, et ces vers sont, pour la plupart, cor-
rects et faciles. C'est vraisemblablement le parti-pris
de l’auteur qui ne fut pas approuvé ; car, ainsi que le
titre l'annonce, le poème de Foucqué est une traduc-
tion littérale, sans quelconque omission, des quatre
_ évangiles. Labeur ingrat et puéril ! Pour exécuter une
telle entreprise , il fallait assurément avoir les gras
loisirs d’un chanoine ou d’un vicaire perpétuel : mais
qu'avait-on affaire de cette verbeuse paraphrase ?
Et ce n'est pas seulement sur les évangiles que s’é-
tait exercé ce bel-esprit. La Croix du Maine attribue à
Michel Foucqué d'autres versions poétiques des Actes
des Apôtres, de la Vie de Notre-Dame, de la Vie de
saint Martin. Elles nous sont inconnues : mais nous
avons entre les mains un élégant manuscrit sur vélin,
porté sous le n° 3,092 dans le Catalogue de La Vallière,
inscrit aujourd'hui sous le n° 459 parmi les manuscrits
de ce fonds acquis par le roi, dont le titre est ainsi
conçu : Les Cantiques de Salomon translatez en rithme
françoyse quant à nostre lettre ecclésiastique , par Mi-
_chel Phoque, martinopolitain. Il est vraisemblable que
c'est le volume écrit en lettre d'excellence, et adressé
par l'auteur à Madame Catherine, dauphine de France
et duchesse de Bretagne, à laquelle il dédia ce poème,
achevé au mois d'avril de l’année 1541. Le renseigne-
ment fourni par La Croix du Maine est donc confirmé :
230 MICHEL FOUCQUÉ.
Michel Foucqué, déjà connu comme poète du temps de
François 1°", a vu rapidement passer sur le trône
Henri IT, puis François II, et est mort dans les pre-
mières années du règne de Charles IX.
On est curieux sans doute de connaître quelques
vers de cette traduction inédite du Cantique des Can-
tiques. Voici d’abord le quatrième chapitre :
L'ESPOUX.
O que tu es belle, ma bien aymée,
O'que tu es en beaulté estimée !
Columbins sont tes beaux et rians yeulrx,
Sans ce qui est caché ès-secrets lieux,
Tes beaulx cheveulx aux cheuvrettes ressemblent
Qui sur le mont de Galaad s’assemblent.
Telles tes dents sont comme les tondues
Du lavouer nouvellement venues,
Toutes ost fruict double, opime ct fertile,
Et n'est aucune d’entre elles inutile.
Oaitre plus est à tes lcbvres semblable
Mittre de pourpre, et ton langage affable.
Tes joues sont ainsi que la fracture
D'une grenade, en première ouverture,
Ton col ressemble à tour Davidique,
Bastie avec sa deffense bellique.
Mille bouclers sont pendans en icelle,
Et d'hommes forts armeure universelle,
Tout ainsi sont tes deux telins jollis
Que deux dainneaulx paissans entre les lys.
Jusques à tant que le beau jour aspire,
Et que la nuict s'incline et se retire,
Droict au grand mont de mirrhe m'en iray
Et au petit d'encens chemineray.
Toute belle es, sans corruption nulle,
Ma bien aymée, en toy n'y a macule,
-
MICHEL FOUCQUÉ, 251
Viens du Liban, mon espouse ordonnée !
Viens du Liban, tu seras coronnée
Du chef du mont qui Amana a nom,
Et du sommet de Sanir et d'Hermon,
Des haultains lieux et d'habitations
Où habitans sont lespardz et lyons !
Tu m'as navré (6 mon espouse et sœur),
Tu m'as navré au parfons de mon cœur,
En contemplant ung seul de tes deux yeulx
Et de ton col ung crin solatieux,
O qu'ils sont beaulx tes tetins, et plus belles
Que n'est le vin sont tes rondes mammelles!
De tes unguens l'odeur est si très doulx
Qu'odoremens aultres excède tous,
Tes lebvres sont distillant bresche (espouse) ;
Soubz ta langue est laict, et miel y repouse,
De tes habitz l'odeur sent ct redole
Ainsy qu'encens, quant au temple on l'adole,
Jardin clos es (à ma sœur espousée)
Jardin clos es et fonteine scellée;
Un paradis est ce que tu produiz
De grenadiers et plusieurs autres fruictz,
Cypre avec nard, nard, saffran et cannelle,
Casse, et toute autre espèce universelle
Des boys du mont Liban, aloe, mirrhe,
Et tous unguens, les meilleurs qu’on peut dire!
Des beaulx jardins es fonteine excellente,
Le puyz parfond de vive eau, découllante
Du mont Liban impétueusement,
Nous citerons encore la première partie du chapitre
huitième :
L'ESPOUSE,
Qui me fera ce grant bien (ô mon frère
Qui les tetins seul suças de ma mère)
Pal LT à 6e QU ee ©
932
MICHEL PFOUCQUÉ.
Que scullet hors je te trouve ct te baise,
Et qu'à aulcun désormais ne desplaise,
Appréhender te veulx et L’introduyre
En la maison de ma mère, où m'instruyre
Te conviendra, et je te donneray
Du vin condit, duquel t’abbreuveray,
Et de bon moust de mes pommes grenades,
Lesquelles sont franches meures et sa:les,
Sa gauche main soubz ma teste sera |
Et de sa main dextre m'embrassera,
L'ESPOUX.
Or entendez, de Jérusalem filles,
Je vous adjure, et vous toutes, ancilles,
De par les dains et cerfz qui sont aux champs,
Ne suscitez par parolles ou chantz
La micnne amye, afin qu'el' ne s’esveiile
Jusques à tant que plus dormir ne veille!
LES FILLES,
O qui peult estre icelle
Qui les aultres excelle
Par le désert montant,
Abondante en délices
S'appuyant sur les lices
De celluy qu'ayme tant ?
L'ESPOUX.
Je, des loyaulx en amitié premier,
T'ay esveillée estant soubz le pommier...
Dessus ton cœur metz moy comme signacle,
Dessus ton bras, signe de propugnacle...
CHARLES CURRE, 233
Ces vers en valent beaucoup d'autres envers lesquels
on s'est montré, dans ces derniers temps, prodigue
d’épithètes louangeuses. Si M. Richelet avait connu le
précieux manuscrit du poëte manceau , il nous aurait
sans doute donné sa traduction du Cantique des Can-
tiques avec celle du trouvère Landry.
Du Verdier nous désigne encore d'autres traductions
de Michel Foucqué. Dans un volume imprimé à Tours,
en 4550 ,in-8, par Matthieu Chercelé, se trouvent, au
témoignage de ce bibliographe, traduits « en rime fran-
coise , les opuscules suivants : De Prière Divine, au-
teur saint Jean Chrysostôme ; De la Passion de Jésus,
par Lactance Firmian , avec une Complainte de Jésus
aux pécheurs périssans par leurs propres fautes.» Nous
n'avons pu nons procurer ce volume.
CURRE (cHARLES).
Cuanzes CÜURRE, né à Mamers, Carolus Currus
Mamertinus, doit être compté parmi les poëêtes latins
les plus recommandables du XVI: siècle. En l’année
4508, Guillaume Eustace publiait : Les triumphes de
France, translaté de latin en françois, par maistre Jean
d'Yvry, bachelier en médecine , selon le texte de Charles
Curre, Mamertin ; in-4°, gothique, avec fig. sur bois.
A la marge de la traduction de Jean d'Yvry se trou-
vent les vers latins de Chorles Curre; mais nous
n'apprenons pas qu'ils aient été publiés antérieu-
rement et à part. La Croix du Mafne mentionne les
Triumphes de France, à l'article Jean d'Yvry : Du
RE PP SR ER
234 CHARLES CURRE.
Verdier n'a pas connu ce poème. En lisant l’article de
La Croix du Maine, on pourrait être induit en erreur, et
attribuer à Ch. Curre « les autres poësies sur le mesme
subjel et de pareil argument, » imprimées par Guillaume
Eustace à la suite des Triumphes : ces autres poésies
sont l'Exil de Génes la superbe, de Jean d’Auton {1},
et quelques chants héroïques du lauréat Faustus An-
drelinus, traduits par Jean d'Yvry.
Le poème de Charles Curre a pour introduction des
distiques assez Lien tournés. Voici les premiers :
Surgite Pierides, properet facundus Apollo;
Linquite Parnsssi vos juga et antra Deæ :
Calliope libros insigni carmine seribe ;
Euterpe calamos percute docta tuos !
Te saltare decet nostrosque docere poelas,
Altisonans Eratho, quæ tua plectra geris!
Melpomene valeat, sed cœtera turba venite :
Missus adest cœlo gallicus ecce Deus !
Nunc linguæ, nunc ora sonent, nunc carmina dictent
Carmina quæ possunt digna Marone loqui.
. Solvite, scriptores, naves, date carbasa ventis,
Jmplebit totos aura secunda sinus...
e
Vient ensuite une lettre en prose, adressée par
Charles Curre à Messire Berault-Stuart, sieur d’'Au-
bigny, l’un des plus vaillants chefs de cette armée qui
franchit la frontière française, en 4499, marchant à la
conquête de l'Italie. Ch. Curre se reconnait l'obligé du
sire d'Aubigny, et annonce qu'il va chanter ses prou-
(1) Réimprimé dans les Chroniques de Jean d’Auton, publiés par
M. P. Lacroix, au t. 1v, p. 454. :
FRANÇOIS ARNOUL, 255
esses pour lui témoigner sa reconnaissance. En effet,
ses Triumphes sont un poème en vers hexamètres, dont
ce capitaine est le héros. L'exemplaire de la Biblio-
thèque du Roi, que nous avons sous les yeux, n'est pas
complet : il finit avec le chant onze, à la conquête du
royaume de Naples, et nous ignorons combien d'autres
chants manquent à cet exemplaire. La date de la nais-
sance de Ch. Curre est incertaine, aussi bien que la
date de sa mort ; mais il n’a pu mourir, comme le sup-
pose M. Desportes, en l’année 4500 (1), puisque la
plupart des faits relatés dans son poème ont eu lieu les
années suivantes.
ARNOUL (FRANÇOIS).
François ARNOUL,, né à Laval, embrassa l’Institut
de Saint-Dominique dans le Couvent des Frères Prè-
cheurs de cette ville, vers l’année 4625. 11 a laissé la
réputation d'un habile homme, qui s'avança moins par
le talent ou la vertu que par l'intrigue. Etant parvenu
jusqu'auprès de la régente Anne d'Autriche, il gagna
ses bonnes grâces et devint son chapelain ordinaire.
C'est alors qu'il forma le projet:bizarre d'établir un
ordre de chevalerie pour les femmes, sous les auspices
de la régente, et dans l'intérêt du culte de la Vierge.
On trouve le prospectus de cet établissement, dans
un petit livre d'Arnoul, qui porte ce titre : Institution
de l'Ordre du Collier céleste du Sacré-Rosaire, par la
(1) Bibliog. du Maine, p. 26ÿ.
236 FRANÇOIS ARNOUL.
reine régenlte, mère du roy, avec une instruction pour
cinquante filles dévotes et toutes les âmes vertueuses ;
Lyon, J. Carteron, et Paris, J. Gost, 4647, in-12. Ou
l'on ne rechercha guère le collier proposé par notre
Jacobin, ou les postulantes ne furent pas jugées dignes
de porter les célestes insignes ; toujours est-il que ce
projet d'un nouvel ordre n’eut pas de suites. Dédaignant
alors ou laissant à d’autres la direction des âmes qu'il
avait trouvées rebelles à sa voix, Arnoul s'occupa des
soins que réclame le corps, étudia les vertus secrètes
de quelques végétaux et plus spécialement celles de
quelques déjections animales, et vint ensuite s'offrir au
public comme possesseur d'onguents merveilleux, sou-
verains pour la guérison de toutes les maladies connues
et de plusieurs autres. Ce fut un vrai tour de char-
latan. On a de lui : Révélation charitable de plusieurs
remèdes souverains contre les cruelles et périlleuses
maladies qui puissent assaillir le corps humain, par
le R. P. F. Arnoul, chapelain de leurs Majestez ; Lyon,
P. Bailly, 4651, in-42. C'est une brochure de quarante-
cinq pages, qui contient diverses prescriptions médi-
cales dans le genre de celle-ci : Pour étancher le sang
qui vient par le nez, « prenez une poignée d'orties
noires, froissez-les entre vos mains, mettez-en dans
vos deux narines, ou bien mettez de la fiante de porc :
masle toute fraische dans un linge, et faut en souffrir
tant soit peu l'odeur. » Il s'agit surtout, dans ce livre,
d'une certaine toile de Jacob, composée par maitre
Arnoul, au moyen de laquelle on guérit infailliblement
toutes les affections névralgiques, et les fluxions, ca-
tharres, etc, etc. Dans toutes ses préparations, c'est,
nous le remarquons, la fiante de porc mâle (sauf le
+ +
CHARLES BRISEBARRE. 237
respect dû au lecteur) qui joue le principal rôle. Il se
fit huer, nous dit Ansart {1}. Suivant Echard (2), il
obtint quelques succès. Il est vrai qu’il se rencontra
deux ou trois médecins pour attester qu'il avait opéré
diverses cures merveilleuses. Nous avons sous les yeux
leurs certificats. Les faut-il croire ?
BRISEBARRE (CHARLES).
CHarLes BRISEBARRE , né au Mans , en 4650, était
fils de ce Louis Brisebarre, avocat aü siége présidial ,
qui fut procureur de la commune en 1682 (3). Charles
Brisebarre s'étant destiné lui-même à l’état ecclésiasti-
que, recut tous les ordres pendänt son cours de théolo-
gie. Atteint d'un mal incurable, qu'il supporta durant
vingt années avec une héroïqüe constance (4), il em-
ploya ses loisirs à composer un petit livre sur les con-
ditions du bonheur : L'art de devenir heureux dans la
Soctélé ; Paris, Barbin, 4690, in-12, sans nom d'auteur.
Dans la première parlie de ce traité, il s’agit du désir,
considéré comme le principe qui détermine toutes les
actions humaines : l'hoiïnme désire un objet, et, comme
cet objet est dans la possession d'autrui, l'art d'être
heureux consiste à obtenir des autres ce qu’on souhaite
pour soi. Mais jusqu'où ces souhaits peuvent-ils s’é-
(4) Biblioth, littér,
(2) Script, ord, Prædicat, t 11. p. 565.
(3) M. Cauvin, De l'administration municipale dans la proriñce
du Maine, p. 55.
(4) Ansart, Biblioth, littér, du Muine,
238 MAUR LE MAŸ.
tendre ?‘de quels biens peut-on convoiter la possessioil,
Sans manquer aux préceptes de la loi divine? c’est là
l'objet de la seconde partie du livre de Brisebarre. Il
nous suffit d'en faire celte analyse.
ROUSSEAU (FRANçÇoIs).
Nous n'avons pas d'autres renseignemeri{s sur
Francors ROUSSEAU, que ceux qui nous sont fournis
par l'Histoire littéraire de la Congrég. de Saint-Maur.
Né à Savigny en Vendomois, au diocèse du Mans, il
fit profession , chez les Bénédictins de Vendôme, le 29
avril 4680. Il fut ensuite régent de rhétorique à Pont-
levoy, et mourut en l'abbaye de Saint-Michel de
Tonnerre , le 8 août 1731. Il a laissé : Oraison funèbre
de Madame Polixène de Vibraye, prononcée dans
l'église de Vibraye , et imprimée à Vendôme, chez Se-
bast. Hip.; sans date (4),
LE MAN (maur).
Maur LE MAN, ou Le Maxs, né dans la ville dont il
portait le nom, se fit admettre chez les Carmelites de
l'étroite obsérvance, au couvent de Rennes, le 22 fé-
vrier de l’année 1624, et prit, en religion, le nom de
Maur-de-l'Enfant-Jésus. En l'année 4647, le frère
Marc de la Nativité ayant été chargé par le chapitre
(4) Dom Tüssin; ist, lrtt, de la Cong: de S, Maur, p. A99
MAUR LE MAN. 239
de Poitiers de l'éducation des novices, Maur-de-l'En-
fant-Jésus lui fut adjoint dans cct emploi. Ils publièrent
alors en commun quatre petits livres, approuvés et
recommandés, en 1651, par le chapitre de Tours,
mais dont on ne nous fait connaître que lés titrés la-
tins : le premier, Præparalio ad vitam religiosan; lé
second, Instructio Christiana , seu Catechistica ; le
troisième, Vita regularis, seu Dieta Religiosa, le qua-
trième, De Oralione mentali et aspiraliva. En 1650;
Maur-de-l'Enfant-Jésus ayant été commis pour assister
le commissaire général Avertan de Saint-Jean, au cha-
pitre de la province de Gascogne, fut nommé mai-
tre des novices du couvent de Bordeaux. On nous le
montre en l'année 1653, remplissant par délégation
les fonctions de commissaire-général au chapitre de
Gascogne, élu dans ce chapitre prieur du couvent de
Bordeaux, et enfin parvenant, en 4655, à la dignité
de Provincial de Gascogne. 1l mourut le 49 avril 4690,
après avoir été appelé trois fois par les suffrages de ses
confrères à l'administration de la maison de Bordeaux, .
et trois fois au gouvernement de sa province. Il fut
enterré au milieu du chœur de l'église conventuelle
de Bordeaux, devant le maltre-autel.
Il s'était acquis une si bonne renommée parmi les
membres de l'ordre, par son zèle pour la réforme de
l'observance régulière et par son ardente piété. Recher-
cherchant la solitude à toute heure du jour, il s’y
livrait à ces exercicés violents qui fatiguent, et, pour
ainsi parler, anéantissent le corps, mais ajoutent à
l'énergie de l'âme et lui procurent ce qu'on appelle le
saint délire. Aussi dit-on que, plus d'une fois, la grâce
le transporta dans les régions pures de la vérité, ct lui
210 MAUR LE MäN.
fit connaitre la succession mystérieuse des choses à
venir; « prophetiæ gratia donatus, plurimos cventus
longe ante prædixit (4). »
Les historiens de l'ordre du Mont-Carmel ne s'ac-
cordent pas dans la désignation du lieu de sa naissance.
Le Speculum Carmelitanum lui donne Blois pour pa-
trie ; suivant d'autres annalisles, il serait né dans la
ville de Tours. Mais l’auteur de la Bibliothèque Carme-
lite, publiée à Orléans, en 4782, le P. Cosme de
Villiers, dit François de Saint-Etienne, qui apparte-
nait lui-même de la province de T'ouraine, a rectifié
l'une et l'autre assertion, et a désigné le Mans comme
le lieu natal de Maur-de-l'Enfant-Jésus.
On a de lui :
La Crèche de l'Enfant Jésus ; Bordeaux , in-12. Il
n'y a pas d'autre indication sur cct ouvrage dans la
Bibliothèque de Cosme de Villiers, et nous n'avons pu
nous le procurer ;
Entrée à la divine sagesse, comprise en plusieurs
traittez spirituels, qui contiennent les secrets de la Théo-
logie Mystique, composez par le R. P. Maur-de-l'Enfant-
Jésus, prieur des carmes réformez du grand couvent
.de Bordeaux ; Bordeaux, 1652, in-12. Nous n'avons
pas sous les yeux la première édition de l’Entrée à la
divine sagesse, mais nous en trouvons la date dans le
privilége de la seconde. Il se peut mème que celte pre-
mière édition ait porté le titre de La Théologie Mystique
ét chrestienne ; car c'est sous ce titre que l'ouvrage fut
approuvé, en 4651, par le docteur-régent de la faculté
de théologie de Bordeaux , ainsi que par le docteur et
(4) Biblioth. Garimelitana ; Aurelianis, 1752, inefl, & 11, p, 426:
PIERRE PICHARD. 941
lé professeur chargés de l'examen. Nous allons miain-
tenant corriger une assez grave erreur commise par lé
P. Co$me. Il a désigné deux éditions de l'Entrée à là
divine sagesse , celle de 1652, et une autre, qu'il ap-
pelle la Seconde, de Paris, 1672. Mais celle-ci n'a jd-
mais existé. La seconde édition, que nous avons sous
les yeux, est de Paris, A. Padelou , 4655, in-8. En
voici une troisième ; Paris, A. Padelou, 4661 , in-8° :
puis uné quatrième , revue et corrigée , comme Îles
précédentes, par l'auteur, et publiée à Paris, chez
Warin, 1678, petit in-12 : enfin, une cinquième; Paris,
Warin, 4692, in-12. L'Entrée de la divine sagesse , ou-
vrage dédié à madame Madeleine Molé, abbesse de
Saint-Antoine-des-Champs, est une de ces composi-
tions burlesques dont nous avons déjà fait connaitre
l'esprit et la forme en parlant du P. Boucher (4); pro-
duits d'une imagination surexcitée par l'ivresse de
l'extase :
Le Royaume de Jésus-Christ dans les âmes, par le
R. P. Maur-de-l'Enfant-Jésus, ex-provincial de la pro-
vince de Gascogne ; Paris, veuve Denys Thierry,
1664, in-12. L'approbation de cét ouvrage, dédié à
Jésus-Christ, est de l'année 4662. Il est dañis le goût
du précédent.
PICHARD (PIERRE).
« Pierre PICHARD, licentié es loix, natif de Silhé-
le-Guillaume, au pays et comié du Maine. Il à traduit
(1) Hist, litt, du Maine, L 11. p. 889,
111. 16
249 PIERRE GUEURET.
de latin en vers françois un petit livre escrit en vers
latins , intitulé de Lubrico temporis curriculo, autre-
ment appelé La Mer du temps qui court , etc., etc.,
imprimé au Mans, l'un 4556, chez Gaingnot. Il floris-
soit en la ville de Fresnay, au Maine, l’an 45355.» Tels
sont les termes de La Croix du Maine. Nous n’avons
-pu retrouver cette traduction de Pichard, publiée chez
Gaingnot. L'original latin, dont il y a eu plusieurs édi-
tions, est de Simon Nanquier , dit du Coq : c'est une
complainte sur la mort de Charles VIIL, qui parut,
pour la première fois, à Paris, en 4505, in-8.
CUEURET (PIERRE).
Pierre CÜEURET , et non Curer ou CuEuvRET (1),
chanoine de l'église du Mans , dans les premières an-
nées du XVI° siècle, sous le pontificat du cardinal
Philippe de Luxembourg , entreprit, à la demande de
son évêque , une traduction des sermons de saint
Ephrem , et cette traduction fut publiée chez Antoine
Verard , sous ce titre : La Fleur de prédication selon
saint Ephrem translatée de grec en latin et translatée de
latin en françoys ; petit in-fol. goth. s. date. Nousavons
entre les mains un exemplaire de ce livre, qui est fort
rare ; il ne porte pas de date, mais, au frontispice, on
voit les armes de Philippe de Luxembourg, et ce car-
dinal étant mort en 1549, il est prouvé que La Fleur de
(4} La Croix du Maine, au mot Simon Greban. —
PIERRE CUBURET. 358
Prédication fut publiée avant cette annéc. Corneille de
Beughem compte cet ouvrage au nonibre des éditions
du XV: siècle , mais peut-être à tort : il est plus vrai-
semblable qu'il est des années 14509 ou 14510.
Voici ce que nous lisons dans la dédicace de P.
Cueuret : « Lesquelz (il s’agit des Sermons de saiut
Ephrem), très révérend père en Dieu et mon très ho-
noré seigneur, Monsieur Philippe, cardinal de Luxem-
bourg , évesque du Mans, moult souvent, moy estant,
de vostre grace, familiérement en vostre compaignie,
où vous preniés double réfection, spirituelle c’est assa-
voir et corporelle, j'ay ouy volentiers et y prenoye
grant plaisir. » Ainsi le cardinal de Luxembourg avait
un goût particulier pour les sermons de saint Ephrem
et se les faisait lire, pendant ses repas, non pas sans
doute en grec, mais en latin, car il n'en existait pas
de traduction française Cuüeuret continue dans ces
termes : « Et à ceste cause , de vostre bon gré, déli-
beray de les veoir à loysir , et, pour ce que les dictz
sermons faictz par celuy bon père Effrem estoient en
langue grec, ung très autenticque orateur, estant reli-
gieux , nommé Ambroise, Florentin {4}, les a mis en
langue laline ; et moy , considérant que chaccun n'en-
tent pas latin, et que ces beaux et singuliers sermons
peuvent estre prouffitables à plusieurs... j'ay prins le
(1) Cet Ambroise, non pas Florentin, mais Romain, est Ambroise-
le-Camaldule, général de son ordre en 1431. Né à Portico, dans les
Etats de Rome, il mourut à Florence en 4439. Cueuret pouvait con-
naître trois éditions de sa traduction des Sermons de saint Ephrem :
la première, de Florence, 1481, in-foi.; la scconde, de Brixen , au
Tyrol, 4490 ; la troisième, de Paris, 4505, in-4°. Il est le premier,
suivaut Tabaraud (Bioz. univ.) qui ait traduit des fragments de
saint Ephrem.
DA4 MARTIAL.
loysir et le lemps, avecques l'ayde de Dieu, de les
mettre en françoys, très révérend père en Dieu... Telz
qu'’ilz sont je vous les présente pour en user et départir
où bon vous semblera , et vous plaise les prendre en
gré de vostre très humble et très obéissant serviteur
Pierre Cueuret, chanoine de votre église du Mans...»
Les Sermons de saint Ephrem, traduits par P. Cueu-
ret, sont au nombre de vingt.
On doit à P. Cueuret la première édition du Triom-
phant mystère des Actes des Apostres , d'Arnoul et de
Simon Greban, publiée, en 4537, à Paris, chez Nic.
Couteau, deux vol. in-fol. Au rapport de La Croix du
Maine, Cueuret à fait quelques corrections à l’œuvre
des Greban.
MARTIAL.
MARTIAL, connu sous le nom de Martial du Mans,
né dans cette ville, se fit admettre, jeune encore, dans
le tiers-ordre de Saint-François. Si nous ignorons la
date de sa naissance, celle de sa mort nous est connue :
un avertissement placé en tèle de la huitième édition
de ses Pratiques de l'année Sainte, nous apprend qu'il
mourut en 1680, lorsqu'il surveillait l'impression de
ce livre. Nous lisons encore, dans cet avertissement ,
qu'après avoir été deux fois élu provincial, et avoir,
pendant environ vingt années, enseigné la philosophie
et la théologie, il était, en 4680, définiteur de la pro-
MARTIAL. 945
vince de Saint-Ives. Dès l'année 41650, il prenait le
titre d’ancien lecteur en théologie (1).
Le plus important de ses ouvrages a pour titre :
Les Pratiques de l'année Sainte, tirées des plus belles
actions des saints de chaque jour, par le R. P.
Martial du Mans; Rouen, 1644, 2 volum. in-42. Les
docteurs de la faculté de Théologie ayant approuvé ce
livre dés l'année 14641, nous avons lieu de croire que
l'édition de 4644 n'est pas la première. Nous pouvons
en désigner deux autres de Rouen;4654,in-12, et 4667,
in-8°: celle que nous avous déjà mentionnée, la hui-
tième , est de Paris, G. Josse, 4680, 2 vol. in-8°. Les
quatre au:res nous sont inconnues. C’est ce livre que
Luc Wadding a inscrit dans son Catalogue, sous ce titre
latin : Praxes anni sancti in vitam sanclorum (2). II
contient des réflexions morales, ou plutôt ascéliques,
sur les actes principaux de la vie des saints.
Sous le titre d'Almanach spirituel pour la ville et
faubourgs de Paris, le P. Martial publia, dès le mois
de janvier 1645, une Série de petitslivres contenant le
détail des fêtes, des prédications solennelles, des con-
férences, des assemblées qui devaient avoir lieu dans
le diocèse de Paris, pendant le cours de chaque année.
Il est fait mention de l'Alnanach de 1645 dans la Biblio-
thèque de Luc Wadding : nous avons sous les yeux
ceux des années 1650, 4654, 4652, 4653, 4654, 4667,
4670 ; Paris, G. Josse, in-8°.
En 4658, G. Josse donnait au public La Bonne Philo-
(4) Approbation des Pratiques par les théologiens de l’ordre de
Saint-François.
(2) Scriptores Ordinis Minorum, a Luca Wadding, 1650, in-fol.
946 NICOLAS COCQUELIN.
sophie et l'Art de Salut , comprise en trois préceples par
N.S. P. le pape Alexundre VIT, et traduite du latin en
françois par F. Martial; Paris, in-24. A cette époque,
le P. Martial était provincial de la province de Saint-
lves, et, dans l'exercice de cette fonction, il appr'ou-
vait lui-même son propre ouvrage. Luc Wadding, qui
publiait sa Bibliothèque, en 1650, n'a pu parler ni de
cet ouvrage, ni du suivant : OEuvres spirituelles du
séraphique P. saint François, traduites en françois,
Paris, G. Josse, 1667, in-24. Mais nous ne pouvons
trouver les notes de Martial sur la Philosophie de
l'Amour, de Raymond Lulle, ainsi désignées par
Wadding : Annotationes in traclatum Raymundi Lulli
de Amico et Amato. Aucune édition séparée du livre
De Amico et Amato ne nous est connue, et les recueils,
édités par Lefebvre d'Etaples, où se lit ce traité, sont
des années 1505 et 1516. 11 est donc vraisemblable
que les Notes de Martial sont demeurées manuscrites et
oni été perdues.
COCQUELIN (nicozas).
Nicouas COCQUELIN , né à Corberie, près Lassay,
en 4640, mort à Paris, en 4693, docteur en Sorbonne,
chancelier de l'Eglise et Université de Paris, a eu, de
son temps, quelque célébrité : aujourd'hui l’on ne
connait plus ni son nom, ni ses œuvres ; injuste oubli,
car Nicolas Cocquelin a bien parlé la langue du grand
siècle, et l'on remet chaque jour en lumière d'anciens
traités qui ne valent pas les siens.
NICOLAS COCQUELIN. 947
1 publia d’abord une simple version des Psaumes,
sous ce titre : Interprétation des Psaumes de David, et
des Cantiques qui se disent tous les jours de la semaine
dans l'office de l'Eglise; Paris, Frédéric Léonard, 1686,
in-42 et in-8°. Outre ces deux éditions de la même
année, nous en connaissons deux autres; l’une de
Bordeaux, Chappuis, 1731, in-12, et l’autre de Limoges,
Barbou, in-8°, sans date. L'interprélation des Psaumes,
de Nic. Cocquelin, a été loug-temps fort estimée.
Le plus remarquable, sans contredit, de ses ouvrages,
est son commentaire sur le Manuel d'Epictête, publié
sous ce titre : Le Manuel d'Epictète, avec des réflexions
tirées de la morale de l'Evangile ; Paris, Barbin, 1688,
in-142. Cet ouvrage a pour préface une dissertation sur
la morale stoïcienne, que l’on peut comparer à celle
que Thomas Gataker a placée devant les OEuvres d'An-
tonin. Viennent ensuite les Réflexions de Cocquelin, que
recommande un style toujours correct, toujours élé-
gant. Quelquefois le commentateur, s'écartant beau-
coup du texte d'Epictète, censure avec liberté les
mœurs relâchées de l'Eglise et de la cour, au temps de
Louis XIV. La plupart de ces vives satires sont en vers,
et comme les vers de Nic. Cocquelin nous semblent
mériter d’être lus, nous en citerons quelques-uns,
ceux-ci entre autres :
Les emplois, les devoirs, les rangs sont confondus,
Les hommes par l'habit ne se distinguent plus;
Un haubereau venu du fond d’une province,
Paroist, même à la cour, équipé comme un prince,
Le duc et pair surpris voit le petit bourgeois
Briller par le brocard dont il avait fait choix...
948 NICOLAS COCQUELIN.
Un autre, né laquais, formé dans l'esclavage,
Cache la trahison dont il trame l'ouvrage,
Et sous l'air emprunté d’un confident discret
Cherche à faire profit de quelque grand secret ;
Puis valet travesty, sans trop cesser de l'estre,
Travaille à s'élever en supplantant son maistre,.…
Ce sont là des vers qu’on pourrait attribuer à Scar-
ron, à Sarrasin, sans leur faire aucune injure. Les sui-
vants sembleront encore mieux tournés :
NX
Partout jeunes gens déguisez
Jeunes abbez, muguets frisez,
Renversent toute la droiture
Du fond de la cléricature.
Chacun fait voir sa vanité
Au dépens de la vérité,
Tout homme qui porte soutane
Se dit docteur, fut-il un asne:;
Tout petit clerc se dit sbbé;
Le moindre petit prébendé
D'un prélat afecte la mine...
De mille laquais retournez
Les équipages couronnez
Font les embarras de la ville,
Mille marquis de Mascarille,
Mille comtes de Jodelet,
En quittant l'habit de valet,
Sous une fortune énivrée
Gardent l'esprit de la livrée.
Tel, issu de quatre sabots,
Se fait tirer à six chevaux,
Suivi de fourgon de litière,
Et, par une impudence entière,
Croit qu'il serait deshonnoré
NICOLAS COCQUELIN. | 249
Si i'on ne le servait en son vermeil doré...
Pour soutenir ce rang et faire sa figure,
Un autre à cent moyens sçait ajouter l'usure,
Prester au taux du roy ce serait estre un fat,
On ne pourrait pas vivre avec assez d'éclat,
À cinq sols pour écu l'on preste par semaine,
Et, par là, tous les jours on accroist son domaine;
Le tout par charité, pour cinq cens malheureux
Que ce pieux secours empesche d’estre gueux,
Et qui, pour appaiser l’usurier qui les berce,
Font mille méchauts tours dans un horteux commerce...
Ces portraits sont tracés avec énergie et vérité. Nous
rencontrons à chaque pas quelques-uns de ces par-
venus sots et vains, et de ces officieux spoliateurs :
ils sont de tous les temps. La race des faux dévots est
aussi, paraît-il, de celles qui ne meurent pas; cepen-
dant il faut reconnaître que les courtisans de Madame
de Maintenon ont été de grands maîtres dans cet art de
la dévotion feinte, et que leurs imitateurs, leurs disci-
ples, n'ont encore su parvenir à les égaler :
Urbain nous dit qu'il est content du nécessaire,
Que, par pure dévotion,
Il r. nouce à l'ambition
Pour penser à sa conscience :
Mais, par un coup de prévoyance,
Faisant de ses biens cession,
Il met à part un million;
Puis, dans la piété dont son zèle se picque,
Fait un bâtiment magnifique
Pour loger avec lui de semblables dévots
Qui ne cherchent que le repos,
Car, dans l’heureux siècle où nous sommes,
On a fait des dévots de toutes sortes d'hommes,
950 NICOLAS COCQUELIN.
Qui sur la piété, comme sur un pivot,
Font tourner l'agrément de leur luxe dévot.
Ce luxe à ses clicuts donne un fort bon carosse,
Et parmi leurs chevaux ne souffre point de rosse,
Le drap et ‘e duvet y sont du plus haut prix;
Maïs, pour eitr: dévot, le drap doit estre gris.
Cette couleur en est : l’on s’y promène à l'aise
Comme en un canapé, ou comme en une chaise,
Et Dieu le veut ainsi; car ce que veut dévot
Dieu l’a voulu toujours ct voulu comme il faut...
Nous ne réclamons, pour Nicolas Cocquelin, qu'une
place parmi les poètes du second ordre : mais n'y au-
rait-il pas une injustice véritable à la lui refuser ?
Nous rapprochons ici, parce qu'ils ont l’un et l'autre
le même objet, deux opuscules de Cocquelin, publiés,
le premier, en 4686 ; le second, en 4690. Il s’agit de la
révocation de l'édit de Nantes.
JL était d'usage, dans la faculté de théologie de
Paris, que tous les nouveaux licenciés fussent présentés
par un docteur au chancelier de Notre-Dame.Le docteur
chargé de cette présentalion prononcait un discours,
auquel répondait le chancelier. En mars 1686, quelques
mois après la révocation de l'édit de Nantes, Nic.
Cocquelin, chancelier de l'Eglise de Paris, prit pour
texte de son discours aux licenciés cette mesure cruelle
et insensée, et célébra, d'abord en prose latine, ensuite
en vers latins, la sagesse des confesseurs et des minis-
tres du roi qui l'avaient conseillée. Nous trouvons cette
déclamation dans le Journal des Savants de l’année 1686,
sous le titre suivant : Oratio percelebris habita X Calen-
dar. Marti a CI. V. D. Cocquelin ; p. 172-479 de lé. .
dition in-4°. L |
D + —_
PIERRE OLIVIER, 951
C'est encore contre l'édit de Nantes qu'a été composé
cet autre ouvrage de Nic. Cocquelin : Trailé de ce qui
est deu aux puissances et de la manière de s'acquitter de
ce devoir, pour servir de réponse générale aux égare-
ments du ministre Jurieu; Paris, Coustelier, 4690,
in-12. Ce pamphlet est écrit avec plus de véhémence
que de bon goût; on y trouve ce portrait de Jurieu :
« Un vilain sac, que le démon a rempli de toutes sortes
d'injures, d’invectives , de calomnies et d'ordures, pour
les répandre à son gré sur tout ce qu'il y a de plus
saint, de plus sacré et de plus vénérable parmi les
hommes. » Au plus fort de sa controverse avec le docte
exilé de Rotterdam, Bossuet lui-même le traitait avec
plus d'égards. |
Les continuateurs de Moréri attribuent à Nic. Cocque-
lin, d'après les Mercures, un Recueil de pièces sur la
dignité et les droits du chancelier de l'Université de
Paris. Nous ne connaissons pas ce Recueil, qui vrai-
semblablement a été publié sans nom d’auteur.
OLIVIER (PIERRE).
Je lis dans La Croix du Maine :
« Pierre OLIVIER, sieur du Bouchet, aduocat au
siège présidial du Mans, natif de la Suze , au Maine. Il
a escrit une Oraison funébre sur la mort de messire
Chrestofle Pérot, seneschal du Maine , baron de Ver-
nie , etc., etc. , non encores imprimée ; un Recueil de
ce qui s’est passé au Maine touchant les derniers trou-
bles, non encores imprimé ; Histoire Tragique d'un gen-
9259 PIERRE BELUN.
tilhomme d'Auvergne , non encores imprimée ; Traicté
de la dignité et excellence de Mariage , non imprimé :
Memoires et Recueils touchant l'antiquité et noblesse
de MM. les contes de la Suze, au Maine , surnommez
de Champagne , lesquels il a présentés à messire Loys
de Champagne, conte de la Suze, chevalier de l'ordre du
Roy, etc. Ils ne sont encores imprimez. Il a fait im-
primer plusieurs Cantiques et Noels et autres menues
poësies chez Hiérosme Olivier et autres imprimeurs du
Mans. Il florist en cette année 1584. Je ferois plus
ample mention de luy, si ce n'estoit qu'il sçait assez
que ie luy suis amy par autre-part. » Les Cantiques
d'Olivier du Bouchet ne nous sont pas plus connus que
ses œuvres manuscriles, et, comme nous avons lieu de
tenir pour suspect le témoignage de La Croix du Maine,
nous hésitons à croire qu'ils aient été imprimés.
BELON (PIERRE).
Un des hameaux les plus humbles du Maine, le ha-
meau de la Soultière, dépendant du bourg d'Oizé, a
éié, par un jeu bizarre du sort, la patrie de deux hom-
mes également célèbres, mais à divers titres, de PierRE
BELON et du P. Mersenne {1). L'année 1517 parait être
la date de la naissance de Belon ; un portrait qui se
trouve en tête d'un de ses livres, publié pour la pre-
mière fois en 4553, nous le représente âgé de trente-
six ans. Son premier protecteur fut René du Bellay,
(1) Hist, littér, du Maine, t I Pe 8324,
PT —
tt
PIERRE BELON. 253
ptélat de belle humeur et de mœurs douces, dont nous
avons fait connaître la passion pour les jardins (1). Les
goûts de cet évêque étaient ceux du jeune Belon, qui
commençait alors, dans les campagnes du Mäine, les
recherches d'histoire naturelle qu'il devait conduire
si loin.
Du Mans, Belon se rendit à Paris, où il étudia la mé-
decine, et fut recu docteur : il partit ensuite pour Wit-
temberg, appelé dans cette ville par les succès d'un
Jeune professeur de botanique et de pharmacie, Vale-
rius Cordus, fils du docte Euricius. Comme ils étaierit
du même âge et avaient le même zèle pour l'étude, ils
s’attachérent bientôt l'un à l’autre, et entreprirent en-
semble une excursion scientifique dans les différentes
parties de l'Allemagne. C'est au retour de ces voyages
que Belon fut arrêté dans les murs de Thionville, qui,
faisant alors partie du duché de Luxembourg, était aux
mains des Espagnols : jeté dans un cachot, comme pri-
sonnier d'état, Belon en fut tiré par un gentilhomme:
nommé Duhamme ou Dehamme, qui lui prèta la somme
réclamée comme prix de sa rançon. Qui lui avait en-
voyé ce libérateur ? On raconte, et ce récit mérite
créance, que Duhamme, partisan enthousiaste de la
jeune école française, ayant appris qu'un des compa-
triotes, un des amis de Ronsard et du comte d’Alsinois,
venait d'être incarcéré, s’empressa de lui aller offrir sa
bourse, jaloux de se recommander par ce service à
l'estime des réformateurs. « Ainsi, dit un biographe,
après la désastreuse expédition de Sicile, plusieurs
Athéniens durent leur liberté aux pièces d'Euripide,
(1) Hist, lütér, du Maine, t, ur, p. 460,
954 PIERRE BELOW.
dont ils récitaient les plus beaux morceaux à leurs mai-
tres (1). » Ce n'est pas tout-à-fait ainsi que Belon sortit
Ues prisons de Thionville, et ce rapprochement n'est
pas moins inexact que précieux : cependant il faut ici
lenir compte, avec M. de Mussey-Pathay, de cet hom-
mage rendu par un étranger, dans les premières années
du XVI: siècle, à la science et aux lettres françaises (2).
Rendu à la liberté, Belon revint à Paris, où les cardi-
haux de Tournon et de Lorraine, ainsi que l'évêque de
Clermont, Guill. Duprat, lui firent un excellent accueil.
Mais c'est le cardinal de Tournon qui lui témoigna le
plus d'intérêt. Belon était pauvre ; il lui fit donner un
logement à l'abbaye de Saint-Germain-des-Prés, et le
traila comme un client distingué dont il avait à cœur
d'être appelé le Méceène (3). Quand Belon eut formé le
projet de ce long et périlleux voyage aux rives orien-
tales, dont il se promettait et qui devait avoir de si
grands résultats, les frais de cette entreprise scientifi-
que furent couverts par le généreux Cardinal (4). Il
partit en l’année 1546.
Il alla d'abord à Candie, où il séjourna quelque
temps ; il se fit ensuite transporter à Constantinople, où
la France était représentée par un ambassadeur, depuis
\4) Eloges historig. par M. Poté, 1816.
(2) Biogr. univ. au mot Belon.
(8) C'est ce que Belon nous apprend lui-même dans plusieurs de
ses dédicacrs adressées au cardinal de Tournon. Nous lisons dans
celle du traité De admirabili operum antiquorum præstantia : « Ego
in tuam familiam accersitus ab ineunte adolescentia, ita sum apud
te educatus, quo potissimum tempore in aula Francisci, non minus
sapientis quam magnauimi regis, versabaris, ut non longe a te dis-
cedens, aliquem ego ex tuis illis pene divinis sermonibus fructum
refcrre possum.
(4) Dédicace des Obscrvalions.
PIÈBRE BELON. 955
tue Soliman II avait accepté l'alliance de François I<'.
Recu dans cette ville avec l’accueil que l’on devait au
protégé des principaux seigneurs de la cour, Belon n'y
demeura pas long-temps : il était impatient d'aller vi-
siter Lemnos, l'île des volcans, le mont Athos, qui pro-
jette jusqu'à cette île, au déclin du jour, l'ombre de ses
cimes glacées, et les nobles ruines de l'antique Salone.
De là il se rendit en Egypte, visita la cité d'Aléxandre,
et le Caire, où il se trouva dans la compagnie de geti-
tilshommes et de savants français ; puis il parcourut la
Terre-Sainte, la Syrie, et revint à Constantinople par
l'Anatolie. 11 était de retour en France en l'année
1549 (4).
C'est à l'occasion de ce voyage, que Belon recut de
Ronsard une épitre en vers, dont nous devons citer
quelques strophes :
Hardy qui premier le sapia
Vid ès montaignes et le pin
Inutiles sur leur racine,
Et qui, les tranchant en maint tront,
Les laissa seicher de leur long
Dessus le bord de la marine ;
Puis secs des ra yons de l'esté,
Les scia d’un fer bien denté,
Les transformant en une lune,
En rhast, en tillac, en carreaux,
Et les envoya sur les eaux
Servir de charrelte à Neptune...
Sous la conduite de Tiphys
L'entreprise, Ô Jason ! tu fis
(4) Dédicace des Observations,
256
PIERRE BÉLUN.
D'acquérir la laine dorée,
Avec quarante chevaliers
En force et vertus les premiers
De toute la Grèce honorée.
: Les Tritons qui s’esbahissoient
De voir ta navire, poussoient
Hors de la mer leurs testes blondes;
Et les Phorcydes, d'un loug tour;
En carolant tout à l'entour,
Conduisoient ta nef sus les ondes.
Orphé dessus la proue estoit,
Qui des doïgts son luth pincctoit
Et respondoit à là navire,
Laissant des aiguillons ardans
Aux cœurs de ces preux, accordans
L'aÿiron au son de la lyre. |
Or si Jason à tant receu
De gloire, pour avoir deceu
Une jeune infante amoureuse,
Pour avoir d'un dragon veillant
Charmé le regard sommeillant
Par une chanson monstrueuse :
Et pour n'avoir passé sinon
Qu'un fleuve de petit renoin,
Qu'une mer qui va de Thessale
Jusqu'aux rivages Médéens,
À mérité des anciens
Un honneur qui les dieux égale ;
Combien Belon, au prix de luÿ,
Doit avoir en France aujourd'huy,
D'honneur, de faveur et de gloire,
Qui a veu ce grand univers
Et de longueur et de travers;
Et la gent blanche et La gent noire ;
PIERRE BELON. 257
Qui de près a veu le soleil
Aux Indes fuire son réveil,
Quand de son char il prend les brides;
Et l’a veu de près sommeiller
Dessous l'Occident, et bailler
Son char en garde aux Néréidés ?
Qui lui a veu faire son tout
En Egypte, au plus haut du jour;
Puis l’a reveu dessous la terre
Aux Antipodes esclairer,
Quund nous voyons sa sœur errer
Dedans le ciel qui nous enserre ?... (4)
Renouard prétend que Belon, ayant traduit en fran-
çais les traités de Dioscoride, reconnut alors l'insuffi-
sance des livres anciens, et partit pour l'Orient, dans
le dessein d'étudier, de comparer et de recueillir les
plantes décrites par cet auteur (2). Nous apprenons de
Belon, qu'en l’année 1553 il se préparait à publier une
traduction de Dioscoride qui n’a jamais vu le jour, et
dont la perte est regrettable (3); cependant rien ne
prouve qu'il ait fait cetle traduction avant son voyage.
1l n'est pas d’ailleurs exact de dire que l'étude des
plantes de l'Egypte, de la Grèce et de l'Arabie ait été
l'objet spécial du voyage entrepris par Belon. Jaloux
de pénétrer bien plus avant dans les secrets de la na-
ture, il ne devait négliger, dans ses laborieuses recher-
ches, aucune des branches de l’histoire naturelle. Aussi,
(1) Œuvres de Ronsard, p. 564 de l’édit, de 1623, in-fol,
(2) Annuaire de la Sarthe, 1809, pag. 30.
(8) Dédicace des Observations. Il avait aussi fait une version de
l'Hist, des Plantes de Théophraste, qui a été également perdue.
Ill, 17
958 PIERRE BELON.
dés qu'il fut de retour en France, crut-il devoir d’abord
donner au public un mémoire sur les poissons : L'His-
toire naturelle des estranges poissons marins, avec la
vraie peinture et description du Daulphin et de plusieurs
autres de son espèce ; Paris, R. Chaudière, 4551, in-4°,
fig. Ce mémoire, si curieux qu'il soit, n’est pas le plus
estimé des ouvrages de P. Belon; il le considéra lui-
même comme très incomplet.
Deux années après, il publia: Les Observations de plu-
sieurs singularitez et choses mémorables trouvées en
Grèce, Asie, Judée, Egypte, Arabie et autres pays es-
tranges, rédigées en trois livres; Paris, G. Cavellat,
4553, in-4°., fig. Le privilége, au nom de G. Corrozet,
est à la date du 45 mars 4552. Il n'y a pas, même de
nos jours, un naturaliste qui ne parle avec estime des
Observaiions de Belon; iln'y a pas un géographe, pas
un historien, qui n'y puisse trouver d'utiles renseigne-
ments sur la topographie, les usages, les mœurs des
pays divers explorés et décrits par notre célèbre voya-
geur. Cet ouvrage a été souvent réimprimé; Paris,
1554, 1555 et 1588, in-4°; Anvers, Plantin, 4555, in-8°.
Le scrupuleux abbé de Saint-Léger ne croit pas, il est
vrai, à l'existence des éditions de Paris 4554 et 1565,
quelque crédit que méritent le témoignage du P. Nice-
ron et celui de David Clément ; il suppose que G. Cor-
rozet ou G. Cavellat ont, en 4554 et 1555, au lieu de
donner deux éditions nouvelles, changé le titre et la
date de l'édition de 1553 (14). N'ayant sous les yeux
qu'un exemplaire des Observations, nous ne pouvons
à (2) Notes manuscrites sur la Croix du Maine, à la Biblioth. du
O0. : ; à :
PIERRE BELON. 959
intervenir dans ce débat entre bibliographes également
estimables. Les Observations ont été traduites en latin
par Ch. de l'Ecluse (Clusius), et cette traduction, publiée
d'abord à Anvers, chez Plantin, en 1589, in-419, a été
insérée dans le volume des OEuvres de Ch. l'Ecluse qui
parut à Anvérs, en 1605, in-fol. On en trouve encorë
une traduction allemande dans le Recueil de Paulus qui
porte ce titre : Sammlung der merkwurdigsten Reisen
in der Orient (Recueil des plus célèbres voyages en
Orient.) Un extrait des Observations concernant les mi-
nes de Siderocapsa, en Macédoine, a été publié par
Gobet, dans ses Anciens minéralogisles du royaume de
France, t. I, p. 53.
Un des ouvrages les plus curieux de Belon est son
Traité sur les monuments funéraires des anciens, sur
les usages observés dans les sépultures et sur les subs-
tances employées en Egypte pour conserver les cada-
vres. En voici le titre : Petri Bellonti, Cenomani, de ad-
mirabili Operum antiquorum et rerum suspiciendarum
præstantia liber ; Parisiis, G. Cavellat, 4553, in-4°. Le
privilége, au nom de G. Corrozet, est du 24 juin 1553.
Gronovius a réimprimé ce Traité dans le tome VIII de
ses Antiquités grecques. Belon raconte qu'il forma le
dessein d'écrire ce livre, quand il entendit un jour lé
cardinal de Tournon, allant assister aux obsèques de
Paul III, recommander à son apothicaire de lai pro-
curer au plus vite de la momie. On appelait ainsi cer-
taine composition de poix et d'asphalte, qui avait, di-
sait-on, la propriété de rendre les chairs incorruptibles.
Ayant déjà lu, dans Pline et dans Pomponius Mela, que
les Arabes désignaient par ce terme de momie ou mum-
mie, non pas un onguent, mais un cadavre desséché,
260 PIERRE BELON.
conservé, Belon n'oublia pas, lorsqu'il fut en Egypte,
dé recueillir tous les renseignements que les gens du
pays purent lui fournir à ce sujet; à ces renseigne-
ments il ajouta, lorsqu'il parcourut la Grèce et l'Italie,
d’autres observations non moins intéressantes, à l'aide
desquelles il put redresser beaucoup d'erreurs accré-
ditées par les interprètes des anciens auteurs. Voilà la
matière de son ouvrage. On le lit encore, et avec fruit.
On consulte moins souvent son traité sur les arbres
conifères : De arboribus coniferis, resiniferis, alisque
nonnullis semptterna fronde virentibus ; Parisiis, G. Ca-
vellat, 4553, in-4°, fig. — Belon a dédié cet ouvrage au
chancelier François Olivier, sieur de Leuville, l'un de
ses bienfaiteurs. ; :
Les critiques au long nez (nasutuli (1)) ne manque-
rent pas de signaler les lacunes qui se trouvaient dans
le traité de Belon sur les Poissons. Il leur fit la plus
modeste et la plus sage des réponses ; il reprit ce traité,
pour le rendre au public complet et corrigé, sous ce
litre : De Aquatilibus libri duo, cum iconibus ad vivam
ipsorum effigiem quoad ejus fuerit potuit ; Paris, Ch.
Estienne, 1553, in-8°, oblong. Réimprimé à Zurich,
chez Froschover, en 4858, in-fol., et à Francfort, en
1604, avec le livre IV de l'Historia animalium de Con-
rad Gesner (2). Il y a trois éditions de cet ouvrage tra-
duit en français, et ces trois éditions sont de la même
(4) Dans la dédicace du livre De admirabili operum antiquorum
præstantia
(2) Conradi Gesneri Historiæ animalium fiber IV, qui est de
piscium et aquatilium netura... Gulielmi Rondeletii quoque et Petri
Bellonii, Cenomani, medici hoc tempore Lutetiæ eximii, de Aquati-
lium singulis scripta; Francofurti, À. Cambierus, 1604, in-fol.
PIERRE BELON. | 261
année : il ne faut pas les confondre, car, entre les unes
et les autres, il y a des différences notables. En voici les
titres : La nature et diversité des Poissons, avec leurs
pourtraicts représentez au plus près du naturel, en 2
livres ; Paris, Ch. Estienne, 1555, in-8*, oblong : De la
nature et diversité des Poissons, avec leurs descriptions
et naïfs pourtraicts, en 7 livres; Paris, 4555, in-fol. :
L'Histoire des Poissons, traitant de leur nature et pro-
_ priétez, avec les pourtraicts d’iceux ;. Paris, 4555, in-4°,
en français et en latin.
Après avoir suffisamment traité des poissons, Belon
s'occupa des oiseaux : L'Histoire de la nature des Oy-
seaux, avec leurs descriptions el naïfs pourtraicts reti-
rez du naturel, escrile en sept livres ; Paris, G. Cor-
rozet, 4555, in-fol. (4). Dans la dédicace de ce livre,
adressée par l’auteur à Henri IL, nous lisons la phrase
suivante : « Et maintenant, Sire, que par vostre grâce
m'octroyez que soye nombré entre voz escoliers, dé-
sirant m'acquitter de mon devoir envers vous... ay
entreprins vous faire voir à part, en sept livres, ce
qu'ay trouvé ès oyseaux digne de récit, l'ayant rendu
en nostre langue presque en mesme ordre et sentence
de ce que (Dieu aidant) vous présenteray en latin. » I]
y a deux notes à faire sur cette phrase. Belon nous dit
ici qu'il était au nombre des écoliers de Henri Il ; ail-
leurs, il s’applaudit d'être, en outre, compté parmi les
écoliers du garde-des-sceaux, François Olivier (2) :
cela signifie qu'il était pensionnaire de la chancellerie
de France et de la cassette du roi. Il recevait du roi
(4) Il y a des exemplaires au nom de Benoist Prévost,
(2) Dédicace du livre De admirabili, etc,, etc,
262 PIERRE BELON.
deux cents écus de gages (1). L'autre nofe est relative
au texte latin de l'Histoire de la nature des oyseaux :
il n’a jamais été imprimé et parait être perdu. Buffon
faisait le plus grand cas de cette Histoire, et il l’a sou-
vent citée.
Vient ensuite le livre intitulé : Pourtraicts d'oyseaux,
animaux, serpens, herbes, arbres, hommes et femmes
d'Arabie et d'Egypte ; Paris, G. Cavellat, 4557, et 1648,
in-4°. C'est l'abrégé du précédent. On a lieu de croire
que cet abrégé n’est pas l’œuvre de Belon, mais d'un
de ses éditeurs, Cavellat ou Corrozet. Cavellat semble
se l’attribuer dans une épiître dédicatoire qu’il a signée
de son nom : s'adressant au roi Henri II, il s'exprime
en ces termes : « Et combien que les oyseaux soient
assez amplement descripts ès sept livres qu'avons jà
imprimez, toutesfois, en si grande variété de volontez
et esprits, il s'en trouve une partie qui aime brièveté ;
auxquels voulant donner occasion de se contenter,
avons rédigé cest abrégé en moindre volume... Et en
attendant le retour de leur autheur, maintenant enserré
au prochats de son instauration de l’agriculture, par
les plaines et montagnes d'estrange païs où l'avez en-
voyé, avons escript aucuns quatrains françois... »
Quelquefois, il est vrai, les éditeurs prenaient sur leur
compte ces sortes de compilations, afin que l'auteur ne
parût pas avoir lui-même mutilé son livre pour le
mieux vendre. Tels étaient les scrupules du vieux
temps.
Le dernier, mais non pas le moins célèbre des ou-
vrages de Belon qui aient vu le jour, est son traité sur
(4) La Croix du Maine, au mot P, Belon,
PIERRE BELON. 263
l'agriculture : Les Remonstrances sur le défault du la-
bour et culture des plantes, et de la connoissance d’icelles,
contenant la manière d'affranchir et apprivoiser les ar-
bres sauvages ; Paris, 1558, in-8°. Ch. de l'Ecluse l'a
traduit en latin, pour le publier à la suite des Observa-
tions. C'est dans ce livre que Belon donne la liste des
arbres étrangers qu'il était curieux de voir acclimater
en France, et invite le collége des médecins de Paris à
fonder un établissement pour l'éducation des plantes.
L'évèque du Mans, René du Bellay, avait déjà réalisé,
dans ses jardins de Touvoye, sous la direction de Belon,
quelque chose de ces grands projets (1); mais c'était à
Paris, dans la métropole des sciences, qu'il importait
surtout de donner au public des leçons de culture, et
de faire connaître les produits des plages lointaines,
dont la naturalisation devait procurer tant d'avantages
au prix des moindres efforts. Le cardinal de Lorraine
recommanda le plan de Belon à Henri IL, et peut-être
eût-il été dès lors exécuté, si les finances de l'état s'é-
taient trouvées dans une situation meilleure. C'est
Richer de Belleval qui ouvrit, à Montpellier, le premier
établissement public consacré à la culture des plantes.
À la mort de Henri II, Charles IX, appréciant l'in-
telligence et le savoir de Belon, l'avait accueilli dans
son château de Madrid, ou, comme on disait alors, de
Maldric, au bois de Boulogne. C'était un somptueux
édifice, bâti par François I°' sur le plan du palais ha-
bité par les rois d'Espagne. Belon était donc un des
(4) « C’est aux bienfaits de Belon et de du Bellay que les provinces
du Maine, de l’Anjou et de la Touraine ont dû le bonheur d'être les
premières en France qui aient cultivé avec succès les arbres à fruits
de toute espèce, » Renouard, Annuaire de 4809,
964 PIERRE RELON.
hôtes privilégiés de cette royale demeure, lorsqu'au
mois d'avril de l'année 1564, revenant de Paris, où il
avait été rendre visite à son ami Jacques du Breul, re-
ligieux de Saint-Germain, et traversant, vers le soir,
les hautes futaies du bois de Boulogne, il fut assassiné
par une main inconnue.
Georges Abraham Mercklin, dans son Lindenius Re-
novatus, attribue à notre P. Belon, d'après Vander
Linden, deux volumes in-fol. de Consultations médi-
cales, Consiliorum medicinalium, qui sont d’un autre
Pierre Belon, médecin, lequel n'était pas inconnu à
Dom Liron (1). Corrigeons une autre erreur bibliogra-
phique. M. Quérard met au compte de P. Belon, du
Mans, des OEuvres de chiromancie dont il désigne une
édition nouvelle, publiée à Liége, chez Streel, 1705,
in-42. Cette attribution est une erreur. Nous avons
lieu de croire que l'ouvrage indiqué est une réimpres-
sion de l’Instruction pour apprendre les sciences de Chi-
romancie, etc., elc., ouvrage de Jean Belot, publié pour
la première fois à Paris, en 4649, in-8°.
Pierre Belon, l'ami de Ronsard et de César Scali-
ger (2), le protégé des personnages les plus considéra-
(4) Singularités hist, et litt, t, 1, p. 455,
(2) Dom Liron rapporte les vers suivants de César Scaliger, adres-
sés à Pierre Noel :
Est multa dignus commendatione, qui
Diu malto labore perfunctus, modum
Nostræ expectationi statuit, ac spei
Confertis commentariis, puro stylo,
Compendiosa mole, sincera fide,
Velut fecit Bellonius; qui dum suæ
Vitæ, suisque commodis tua commoda
Meaque anteponit, genium defraudans suum,
Haud parcens sumpiui, haud metuens periculi,
Evertit maria, effodit aridas Syrtes,
PIERRE BELON. 265
bles du royaume, le client, le pensionnaire du roi, fut
accusé, quelque temps après sa mort, de n'avoir été
qu'un misérable plagiaire, et d’avoir acquis, par un
larcin, des titres frauduleux à la célébrité. Aprés ce
qu'ont dit à ce sujet, pour justifier sa mémoire, Dom
. Liron et le P. Niceron, nous pouvons nous abstenir de
développer les preuves qui confondent la calomnie.
Dans sa préface de l'Histoire des animaux d'Elien,
Gesner avait raconté que Pierre Gilles, d’'Alby, célèbre
voyageur, mourant à Rome en 4555, passait pour avoir
laissé d'intéressants manuscrits : et qu'étaient-ils de-
venus ? on disait qu'ils avaient été dérobés par des
gens curieux de se faire valoir sous les plumes d'au-
trui : « Ab hominibus ambitiosis substractæ sunt,
quos aliena pro suis usurpare, dum gloriam sibi aucu-
pentur, non pudet. » Voilà le texte : voici maintenant
le commentaire. De Thou {1}, prêtant une oreille trop
facile à de méchants propos, dit qu'étant valet de Gil-
les, et l'ayant accompagné dans ses voyages en cette
qualité, Belon avait été l'auteur du vol dénoncé par
-Gesner. Scévole de Sainte-Marthe, dans son éloge de
Pierre Gilles (2), ajouta quelque chose encore aux mé-
chants caquets recueillis par de Thou. De là cette ca-
Jomnie passa dans le livre de Thomasius De Plagio
litterario, dans l’Appendice de Corneille Tollius à l’ou-
vrage de Pierius Valerianus De Infelicitate litteratorum,
et dans divers autres traités bibliographiques. Pour
Arabiæ monstra pinxit, et rerum novas
Efligies nobis, veteres quæ fuerant, facit :
Digaus cui magaam debeamus gratiam.
(4) Hist, univ, liv, 46,
(2) Elogia,
266 FKANÇOIS LORYOT,
enlever tout crédit à cette fable, il suffit de rappeler
que Pierre Gilles était mort en 4555, et qu'à cette épo-
que Belon avait déjà publié le plus grand nombre des
ouvrages qui ont immortalisé son nom.
LORYOT (FRANÇOIS).
François LORYOT, né à Laval, en l’année 1571, se fit
recevoir en 4592 dans l'institut des Jésuites , et prêta
les quatre vœux. Appelé par ses supérieurs à occuper
les chaires de philosophie, de théologie et de morale
en diverses maisons de l'ordre, il s’y fit remarquer. II
se rendait à Rennes, en 4642, quand il fut pris, à An-
gers, d'un mal subit qui l'emporta, le 40 juin de cette
année. Suivant Alegambe , il a laissé un assez grand
nombre d'ouvrages. Nous n'en connaissons qu'un, mais
il nous fait peu regretter les autres. Cet ouvrage, dédié
au roi, a pour titre: Les Secreilz moraux concernanis
les passions du cœur humuin, divisez en cinq livres,
par Françoys Loryot, de Laval; Paris, Cottereau, 1643,
in-4°, et Paris, Chappelet, 4614 4, in-4° (1). C'est, vrai-
semblablement , la même édition avec des frontispices
différents. Une introduction étendue nous apprend que
ce titre Secrets correspond à celui de Problémes, ou
questions ; et les questions que l'auteur se propose sont
au nombre de cinquante. Elles nous sont données
comme appartenant à la théologie morale ; mais cette
(1) Suivant Alegambe, il y a une autre édition ou un abrégé de
cet ouvrage sous ce titre ; Fleur des secrets moraux ; Paris, Guyot,
sans autre indication,
FRANÇOIS LORYOT. 267
classification est ambitieuse : si elles appartiennent vé-
ritablement à un genre quelconque, c’est à la théologie
burlesque. Au nombre de ces cinquante questions,
dites morales, se {rouvent, par exemple, celles-ci: Pour-
quoi le sexe féminin est-il honoré, recherché par l'au-
tre sexe? Pourquoi a-t-on pris l'étrange habitude d’in-
viter ses amis à diner? Pourquoi, la nappe mise, boit-on
aux bonnes grâces les uns des autres? Pourquoi les
femmes sont-elles si curieuses de toujours passer pour
jeunes? Pourquoi les domestiques sont-ils si difficiles
à contenter, etc., etc.? Voilà quant aux objets traités.
Voici maintenant quant à la méthode. L'auteur déclare
qu'il s'est fait un système du désordre, un plan de la
confusion : « Un œuvre à la Mosaïque n'a ses pièces
plus industrieusement rapportées, quand l'industrie s'y
descouvre le moins... C’est donc pourquoy j'ai telle-
ment ordonné toutes ces matières que je leur ay osté
tout ordre, pour les faire trou ver beaucoup plus agréa-
bles au lecteur ; puisque à la queüe d'une question, il
trouvera la teste de l’autre du tout différente, qui luy
fera un nouveau goust, pour luy r'aiguiser son appetit,
peut-estre jà émoussé de l'ennuy, que la précédente
lecture luy auroit causé. Et pour en venir plus heureu-
sement à bout, j'ay tissu ces discours de force poésie
françoise, qui leur servira de saulpoudrure et comme de
saupicquet de haut goust, puisqu'elle n'est que pour
resveiller les esprits les plus endormis...…. etc., etc. »
C'est la méthode de Montaigne ; mais nous doutons
qu’en l'année 4643, trente-trois ans après la publication
des premiers Essais, on ait beaucoup goûté ce pastiche
sans esprit, sans originalité, sans style, d'un des plus
beaux ouvrages de notre langue.
268 FRANCOIS LORYOT.
Le chapitre le plus curieux des Secretz moraux est le
premier. Les Jésuites étaient, on le sait trop, plus que
soupçonnés de professer les maximes les plus sédi-
tieuses en matière de droit public. François Loryot
croit donc devoir commencer par faire une déclaration
très explicite touchant le temporel des rois. Les sujets
sont tenus de servir et de respecter leurs princes : ce
n'est pas, il est vrai, ce que disent les auteurs de la
Société ; mais Loryot en connaît, en cite d’autres qui,
dit-il, plaident énergiquement la cause de l'autorité
royale : ce sont Hippocrate, Platon, Aristote , Xéno-
phon, Cicéron, et les Pères grecs et les Pères latins : il
n'est pas d'ailleurs embarrassé de prouver que toutes
les sciences politiques, la métaphysique, la physique et
la psychologie, recommandent également le pouvoir d'un
seul. En logique, la démonstration est d'une saisissante
clarté : qu'est-ce en effet, que ce principe ? — Chaque
partie du composé tient son être du tout et périt avec
lui? — Cela confond évidemment tous les méchants
systèmes, toutes les fausses maximes des monarchoma-
ques. D'ailleurs, pour ce qui regarde les rois de France,
Jean Lemoine, en son commentaire des Décrétales,
chap. 2, de Prœæbendis; Antoine Corcet, en son traité de
Regia potestate; Jean Tagault, au livre 4 de ses Institu-
tions chirurgicales, chap. 13; Jacques Bonard, dans son
Panégyrique de François I°"; Papire Lemasson, au livre
3 de ses Gesta francorum; Vincent Sigonius, dans ses
Allegationes de bello Italico; Guillaume de Nangis, en sa
Vie de Louis IX, et une foule d’autres docteurs, non
moins véridiques, attestent d’une commune voix que les
rois de France sont donc doués du pouvoir d'opérer des
miracles, puisqu'ils guérissent par l'imposition des
FRANÇOIS LORYOT. 269
mains, les gens affectés des écrouelles. Or, s'ils font des
miracles, c’est qu ils sont fort bien vus du Seigneur : et
si le Seigneur a pour eux cette considération spéciale,
c'est, à n'en pas douter... On nous dispense de con-
clure. Ainsi argumente François Loryot. Veut-on main-
tenant savoir comment il versifie ? Les vers sui-
vants, contre la parure des femmes, traduits, dit-il, de
Naumachius, donneront l'exacte mesure de son talent
poétique :
Qui veut d'un bon conseil sage se prévaloir,
Il doit avoir tousjours au fonds de sa pensée
Ce propos résolu de mettre à nonchaloir
Une joliveté par trop d'ait amassée,
L'Hyacinthe empourpré, ou bien le jasne vert,
Ne rendront point ton col captif de leur enceinte;
Le fol tant seulement le tient sinsi couvert,
Ayant l'âme d'orgueil craellement atteinte,
Quant à toy qui emmusque et la terre et les cieux
Du doux bausme exhalé de ta fleur virginale,
Ne tiens point de surplus ton esprit soucieux,
Te voilà bien parée, Ô vierge, à la royale !
Ne te peine donc point de t’aller crayoonant,
En tl’epprochant de près sur le fonds d'une glace :
Ton lustre ira tousjours de tant plus rayonsant
Que de moins d'appareil tu chargeras ta face,
Pourquoy tous ces cheveux sont-ils airisi gehennez
Dans les plis figurez de ceste vaine tresse ?
Pourquoy ce front, ces yeux sont-ils si mal menex
Que le fart emprunté les oze mettre en presse ?
Qui voit, sans que l’effroy son cœur vienne ravir
Ton corps ainsi chargé d’un ornement si riche ?
C'est un autre et non toy ; tu ne peux plus servir
Et qu’au plastre et qu'au fart d’une puante niche,
270 RICHARD.
Outre les Secrelz moraux, le P. Alegambe {41} attri-
bue à notre François Loryot un Parullèle de l'amour
divin et humain, ouvrage publié, dit-il, à Paris, chez
Boulay, en 1620, et les Insignes et admirables effets de
l'amour divin; Paris, Libert, 4625, in-8°. Ces ouvrages
nous sont inconnus.
RICHARD.
Un certain RICHARD, né dans le Maine, Richardus
Cenomanus, docteur en Sorbonne, religieux franciscain
au couvent de Chartres, nous est signalé par Luc Wad-
ding comme auteur d'un opuscule liturgique publié sous
ce titre: Collatio diversarum translationum Psalterii et
ecclesiasticæ editionis vindicatio; Parisiis, 4541. C'est,
du moins, l'indication que nous fournit le bibliographe
de l'ordre de Saint-François, car nous avons vainement
recherché ce volume. Suivant Luc Wadding, ce Ri-
chard aurait, en outre, annoté les Commentaires de Ni-
colas Grandis, autre minime, sur les Epitres de saint
Paul. Il est vraisemblable que ce travail est demeuré
manuscrit. Nous ne connaissons qu une édition du com-
mentaire de Nicolas Grandis {In Divi Pauli Epistolas ad
Hebræos Enarratio), publiée en 1537, in-folio, à Paris,
chez Poncet Lepreux, et cette édition ne porte aucune
espèce d'annotation (2).
(1) Script, societ, Jesu, verbo Loryot.
(2) M. Desportes lui attribue « Une nouvelle édition des commen<
taires de Pierre Lombard (Petri Lombardi de Regno Hiberniæ, etc.
JULIEN DU BRETON. 371
GRUAU (Louis).
Louis GRUAU, curé de Saulges, inscrit par M. Des-
portes au nombre des écrivains nés dans le Maine, est
auteur d'un petit volume fort curieux dont voici le ti-
tre : Nouvelle invention de chasse pour prendre et oster
les loups de la France, comme les lables le démontrent,
avec trois Discours aux Pastoureaux français; Paris,
P. Chevalier, 1613, in-8° fig. sur bois. M. Desportes dé-
signe üne édition de 14614; maisil est à croire que cette
édition est celle de 4613 avec un titre nouveau. Nous
ne saurions analyser le contenu de ce volume, qui peut
n'être pas dépourvu d'intérêt: disons seulement que
l'invention de l’auteur consiste en certains engins et
filets, dont il décrit la forme et l'emploi.
DU BRETON (suLIEN.)
JuziEeN DU BRETON ou LE BRETON, comme l'appelle
La Croix du Maine, en latin Julianus Britonis, corde-
lier de la maison conventuelle du Mans et vraisembla-
blement né dans cette ville, fut confesseur de Marie de
etc. Commentarium) el de Nicolas Legrand. » Ces mots renferment
plusieurs erreur: que nous devons corriger, Le Pierre Lombard dont
il est ici question, n'est pas le célèbre auteur des Sentences, mais un
obscur évêque d’Armagh, auteur d’une histoire de l'Ile des Saints,
en Irlande, histoire dont M. Desportes rapporte exactement le titre.
Or, cette histoire fut publiée pour la première fois à Louvain, en
4632, in-4°, du vivant de l’auteur. Notre Richard ne peut donc en
avoir fait une seconde édition. Il semblerait d’ailleurs résulter de la
note de M. Desportes que les Commentaires de Pierre Lombard et de
Nicolas Legrand sont un même ouvrage. Or, le premier de ces cu-
vrages est une monographie historique ; le second, dont l’auteur se
nomme Grandis et non Legrand, est, comme on le voit, une glose
théologique.
9172 MATTHIEU PINEAU.
Brabant, femme de Philippe-le-Hardi. IImourut en 4291,
à Paris, et fut enterré au cloître des cordeliers de Paris.
La Croix du Maine lui attribue « plusieurs Sermons en
françois, non encore imprimés. » Comme il s’agit ici
d’un auteur mort trois siècles avant La Croix du Maine,
on peut croire que ce bibliographe n'a pas désigné ses.
Sermons, sans avoir du moins appris qu'ils existaient
dans quelques bibliothèques. Cependant il ne paraît
pas qu'ils aient été retrouvés, car les continuateurs de
l'Histoire Litiéraire de France ont parlé des auteurs
morts jusqu’en l'année 1296, sans mentionner même le
nom de Julien du Breton.
POULLARD (BARTHELEMY.)
BarTHELEMy POULLARD ne nous est connu que par
cette courte notice de La Croix du Maine : « Barthelemy
Poullard, natif de la ville de La Ferté, au Maine, advo-
cat au siége présidial du Maine, Jeune homme bien docte,
et lequel a beaucoup voyagé pour se rendre de plus en
plus instruit en la jurisprudence. Il a escrit en latin, et
depuis traduit en françois, une Oraison de l'Immorta-
lité de l’Ame et du Mespris de la Mort. Le latin a été im-
primé au Mans, chez Hiérosme Olivier, et le françois
n'est encores en lumière. Il florist en laditte ville du
Mans cette année 1584. »
PINAULT (MATTHIEU.)
Marruteu PINAULT, sieur des Jaunaux, né à Château-
Gontier, se fit d'abord admettre chez les Jésuites, puis
»
MÂTTHIEU PINEAU. 975
jes quitta pour entrer chez les Oratoriens. Mais il n'é-
tait pas fait, paraît-il, pour demeurer dans les ordres
religieux, car il ne fit pas un plus long séjour chez les
Oratoriens que chez les Jésuites, el se consacra dés lors,
sans faire l'épreuve d’une autre discipline, à l'étude de
la jurisprudence. |
Recu docteur en droit à l'université de Douay, il était
en 4694, avocat au parlement de Tournay et professeur
de mathématiques d'une compagnie de gentilshommes
cantonnés dans la citadelle de Cambray (1), quand il
publia : Coultumes générales de la ville et duché de Cam-
bray, pays et conté de Cumbrésis ; Douay, Mairesse,
1694, 2 vol. in-4°. Ce livre est un commentaire sur la
coutume de Cambray. A la mort d’un sieur Obert, pré-
sident à mortier du parlement de Tournay, il acheta sa
charge et en fut pourvu par le roi, le 3 décembre
4695 (2). Il écrivit alors: Histoire du parlement de Tour-
may, contenant l’eslablissement et le progrès de ce tribu-
nal, etc,; Valenciennes, Henry, 1701, in-4°. En tèle de
cet ouvrage se trouve un beau portrait de Louis: Fran-
çois de Boufflers, qui en avait accepté la dédicace. On
possède encore, de Matthieu Pinault : Recueil d'Arrests
notables du parlement de Tournay; Valenciennes, Henry,
1702, 2 vol. in-4°. Ces deux volumes furent suivis de
deux autres qu'il publia en 4745, sous ce litre: Suite
des Arrests notables du parlement de Flandres ; Douay,
Mairesse, 4745 in-4°. M. Quérard n'a pas mentionné ces
deux derniers volumes.
(4) Ces titres se lisent au privilége des Coutumes,
(2) Hist, du Part, de Tournay, p. 214;
lil, 18
97h THOMAS CORMIER:
CORMIER (rnomAs).
Né à Domfront-en-Passais, vers l'année 4523 (4),
luomas CORMIER. sieur de Beauvais (2), fut conseiller,
puis président (3) dé l'échiquier d'Alençon. IL était à
Blois, en 4576, assistant aux états avec le titre de dé-
puté. Il mourut en l'année 1600 (4). C'est tout ce que
fous apprenons de sa biographie. Quelques-uns de ses
ouvrages ont eu, de son temps, un grand renom.
Nous mentionnerons d'abord : Thomæ Cormerti, Alen-
conii, rerum Gestarum Henrico II, regis Galliæ, libri V,
Parisiis, S. Nivellius, 1584, in-4°. La dédicace de ce
livre est l'adresse de Henri III : l'auteur y raconte qu'il
avait entrepris d'écrire toute l'histoire des faits accom-
plis depuis le rêgne de Henri Il, et qu'il avait obtenu
de Charles IX l'autorisation de publier la première
partie de son travail; qu'après avoir lu les excellents
Commentaires de François de Rabutin (5), il avait cru
devoir renoncer à son entreprise; mais qu'enfin, il s’est
remis à l'œuvre, par l’ordre de lareine mére, Catherine
de Médicis. On peut encore lire cette histoire ; elle est
assez correctement écrite et contient un assez grand
nombre de faits. Après le récit des évènements du
(4) Suivant M. Desportes (Bibliogr, dtt Maine). Né à Alençon,
de Guy Cormier, médecin de Henri II d’Albret, roi de Navarre, sui-
vant M. Peignot (Dictionn. historique).
(2) Ce titre lui est donné dans le privilége de son Codex Henrici IP,
(3) « Apud Alenconios præsidi dignissimo, » Daus une épitre des
libraires placée en tête du Codex,
(4) M. Desportes, Bibliog, du Maine:
(5) Publiés à Paris en 4574, in-8°;
THOMAS CORMIER, 275
règne de Henri II, Cormier écrivit, sur le même plan,
les histoires de François IE, de Charles IX et de Henri Hi:
mais il ne jugea pas utile de les publier, ou la mort le
surprit avant qu'il y eût mis la dernière main. Le P.
Lelong a désigné les manuscrits originaux de ces traités
séparés sur les trois règnes qui suivirent celui de
Henri Il. Le premier, qui était en la posséssion de M. lé
comte de Retz, conseiller au bailliage d'Alençon, avait
pour titre : Thomæ Cormerti, Alenconi, Franciscarum
seu rerum în Gallia sub Francisco II gestarum, Histo-
riæ liber unus, in-4°; le second, qui, de la bibliothèque
de M. de Foucault, passa dans celle de l'abbé de Rothe-
lin, était intitulé : Rerum a Carolo IX in Gallia Gesta-
rum historia, in-fol. ; enfin, le troisième, qui se trou-
vait aussi chez le comte de Retz, renfermait l’histoire
de Henri IIL et le commencement de celle de Henri IV,
sous ce litre : Rerum gallicarum recentioris memoriæ
libri quinque, in-4°. Nous ignorons où se trouvent
maintenant ces trois manuscrits.
C'est surtout comme jurisconsulte que Thomas Cor-
mier s’est fait connaître. Son principal ouvrage est un
commentaire des Instilutes, expliquées et confirmées par
des décrets, ordonnances et arrêts modernes. En voici
le titre: Henrict1V, christianissimiet auqustissimi Gallia-
rum Navarræque regis, Codex juris civilis roman,
olim quidem à Justiniuno imp. descripii, etc., etc.:
Lugduni, Crispinus, 1602, in-fol. Cetouvrage a été, pen-
dant long-temps, le manuel des jurisconsulles. Il a été
traduit en français : Le Code de Henri IV; Paris, 14603,
in-fol., 4608, 4644 et 4645, in-4°; Genève, 1643, in-4°.
Le nombre des éditions indique assez quel fut le succès
de cet ouvrage.
276 BERTIN DIEUXIVOYE.
DIEUXIVOYE (BERTIN.)
BERTIN DIEUXIVOYE, né dans les premiérés années
du XVII: siècle, était du Maine, comme on l'apprend dé
son paranymphe, fait en 4638, par Robert Patin (4).
À yant obtenu le grade de docteur à la faculté dé Paris,
il exerça, dans cette ville, la profession de médecin, et
y mourut vers l'année 1683. Il étäit, én 1659, médecin
du roi, et, en 4682 et 1683, doyen de la faculté (2).
Ce qui nous le fait connaître, c’est la part active qu’il
prit, en 4658, à un débat fort orageux. Un bachelier
nommé Louis Gallais avait proposé la thèse snivante :
An febri quartanæ peruvianus cortex? A cette thèse,
qui devait être soutenue sous la présidence du docteur
Dieuxivoye, était joint un appendice sur le suc cyré-
naïque, et, parmi les médecins qui devaient parler sur
la question, se trouvait, outre notre CharlesBouvard (3),
un certain Philippe Douté adversaire très résolu des
opinions thérapeutiques du président. Ils se prirent de
querelle dans cette rencontre, au sujet des vertus du
suc cyrénaïque, et, comme il paraît, ils s'adressèrent les
mots les plus durs. C'est Douté qui, le premier, porta la
question devant le public, dans une brochure qui a pour
titre: Philippi Douté, D. M. P., De succo Cyrenaico Dia-
triba ad Bertinum Dieuxivoye; Parisiis, Boistet, 1658,
in-4o, Cet opuscule est un pamphlet violent. Dieuxi-
(1) Notes manuscrites de Falconnet, à la biblioth, du Roi.
Tu Ibid, M. Desportes se trompe donc lorsqu'il le fait mourir en
(3) Hists litt, du Maine, t, 1, p. 411,
SÉVERIN BERTRAND. 277
voye répondit à son adversaireavec non moinsd'aigreur
et de vivacité. Cette réponse est intitulée: Appendicis
de liquore Cyrenaico Defensio, authore Bertino Dieuri-
voye ; l'arisiis, Julien, 4659, in-4°. Lequel de ces belli-
queux joûteurs avait dans sa cause Galien et bon droit ?
Nous ne le savons trop; mais nous lisons dans une lettre
de Guy Patin: « Je vous dirai que, depuis ma dernière,
un de nos jeunes docteurs, nommé Douté, a fait impri-
mer un petit traité in-4°, de cinquante pages, du Sil-
phiumñ, ou suc cyrénaïque de Galien, contre un docteur
de la nation antimoniale, qui n'est ni scavant, ni hon-
nête homme, mais Manceau (1). » Ces terines sont peu
charitables: mais, qu'on le note bien, c’est comme rival
de Ch. Bouvard que Guy Patin abhorraitsans distinction
tous les gens du Maine.
Bertin Dieuxivoye eût un fils, Bertin-Simon Dieuxi-
voye, qui fut aussi médecin (2).
BERTRAND (SEVERIN.)
SéveriN BERTRAND, docteur en droit canon, curé
de La Ferté-Bernard, se fit un nom, au témoignage d'An-
sart (3), parmi les orateurs du dix-septième siècle. Il
le faut croire. Cependant, pour ne rien céler, nous goû-
(4) Lettres de Guy Paüin, t. 1, lettre 126 de l'édition de 1707.
(2) Ce qui nous l'apprend, c'est une de ses thèses : Quæstio me-
dica quodlibetariis disputationibus mane discutienda in scholis me-
dicorum..…., Proponebat Bertinus-Simon Dieuxivoye, Parisiuus, Bac-
calaureus medicus; 1684, in-A°.
(8) Bibl, litt, du Maine, au mot Bertrand,
978. SÉVERIN BERTRAND.
tons peu l'éloquence de Séverin Bertrand, et, si nous lui
reconnaissons quelques titres à la célébrité, c'est à la
célébrité du ridicule. Ses sermons , dont parle Ansart,
ne sont pas, il est vrai, parvenus jusqu’à nous, mais
nous connaissons quelques-unes de ses oraisons funé-
bres.
C'est d'abord l'Oraison funèbre sur le trespas de très
haulte, très illustre el très verlueuse princesse Anne d'Est’,
duchesse de Chartres, de Guyse, etc., etc. ; Paris, G.
Marette, 4607, in-8°. Les obsèques de cette princesse
ayant été célébrées à la Ferté, le 10 juillet 1607, Séverin
Bertrand, curé du lieu, crut devoir, en cettecirconstance
solennelle, adresser à ses paroïssiens un fort long dis-
cours. Mais ce discours est-il une facétie? L'exorde, qui
a pour objet l’histoire des cérémonies funèbres chez les
anciens, n'occupe pas moins de dix-huit pages : vient
ensuite la généalogie d'Anne d'Est, avec d'amples dé-
tails sur les armes de France, sur la blancheur, les ver-
tus, et les significations allégoriques du lys; enfin une
seule page est consacrée à célébrer les vertus de la dé-
funte, morte à l’âge de 76 ans, après avoir reçu les saints
sacrements des mains de M. Loppé, docteur en théologie,
grand maître de Navarre, son propre curé (1).
Nous connaissons, en oùtre, de Séverin Bertrand :
Oraison funèbre de haut el puissant prince Charles de
Lorraine, duc de Mayenne, pair de France, etc., etc.,
faite et prononcée à ses obsèques, le 46 octobre (1641);
(1) A la suite de l'Oraison de Bertrand, se trouvent six hexamètres
en l'honneur d'Anne d'Est, composés par Denis Gaudin, ancien offi-
cier civil, quondam præfecti, à la Ferté-Bernard. Nous ne saurions
ici que rappeler son nom. Le P. Hilarion de Coste a placé l'éloge de
la princesse Anne d'Est dans ses loges des Dames, t, x, p. 69,
JEAN DE LAUNAY. 279
Paris, Fouet, 46142, in-8°. Il s'agit ici de Charles de
Lorraine, fils de François de Lorraine et d'Anne d'Est (1).
Cette oraïison n'est pas moins burlesque que la précé-
dente : les lys y remplissent encore un rôle fort im-
portant. |
M. Desportes (2) attribue au même panégyriste :
Oraison funèbre de Henri IV ; le Mans, 1640, in-12. Nous
regrettons de n'avoir pu nous procurer cette pièce.
LAUNAY (JEAN DE).
JEAN DE LAUNAY, né dans le Maine, au XVI: siècle,
fit profession de la règle des Carmes, au couvent d’An-
gers, vint ensuite à Paris étudier la philosophie et la
théologie, et reçut les insignes du doctorat à l'acadé-
mie d'Angers. On nous le recommande comme très
habile dans les subtilités scolastiques. Ayant plusieurs
fois rempli la charge de prieur, il fut, en 1599, aux
comices tenus à Saint-Paul-de-Léon, élu provincial de
la province de Touraine, fonction qu'il exerça jusqu’en
l'année 1602. Nommé ensuite vicaire-général, il mourut
au couvent de Vannes, le 48 avril 4627. On lui attri-
bue un livre de Sermons, Conciones ad populum, et un
livre d’'Exhortations, Exhorlationes ad moniales : mais
ces ouvrages, qui n avaient jamais été imprimés, étaient
(4) Le P. Lelong mentionne trois autres oraisons funèbres du même
prince : la première de Pelletier, 4641, in-8°; la deuxième de Bere
nard de Nerveze, 4611, in-8°; la troisième du jésuite J. Goutheri,
4612, in-8°,
(2) Bibliog, du Mains,
980 JEAN AUBERT.
déjà perdus en 1752, comme nous l'assurent les auteurs
de la Bibliothèque des Carmes (1).
AUBERT (JEAN).
On lit dans La Croix du Maine : « JEAN AUBERT,
sieur de la Morelière, natif du pays et conté du Maine.
Ce seigneur de la Morelière, est l’un des plus renommez
advocats de tout le siège présidial du Mans; et quand je
diray de lout le Maine, je n'advanceray rien en cela pour
sa gloire, qu'il n'en mérite encore plus : car, si l'on
veut regarder combien il est docte et profond en lajuris-
prudence, et surtout bien façonné et apris aux consul-
tations, l'on me confessera que mesmes les voisins du
Maine, soit d'Anjou, Touraine et autres lieux, s'adres-
sent à luy en ce cas, pour recevoir son advis avant
qu'entreprendre des procès et autres affaires de sem-
blable conséquence. Il n’a encores fait imprimer aucuns
de ses œuvres, et, toutefois, j'ay bonne cognoissance
qu'il a fait plusieurs doctes et bien curieuses Observa-
tions sur le droit etencores sur les Coustumes du Maine.
N florist au Mans, cette année 1584, âgé de plus de cin-
quante ans. »
Sur la foi de cette indication, Ansart (2) a placé le
sieur de la Morelière parmi les écrivains du Maine. Elle
nous est suspecte ; il ne nous est pas bien prouvé que
Jean Aubert ait jamais écrit quoi que ce soit sur le drait
(4) Büiblioth. Carmelit, t, 11, p. 41,
(2) Biblioth, litt, au mot Aubert,
PIERRE CORBELIN. 281
ou les coutumes du Maine. Une note de Mènage, recueil-
lie par Ansart, nous apprend quil avait épousé Anne
Le Peletier, fille de Victure Lepeletier.
CORBELIN (PIERRE).
Né dans le Maine, peut-être au Mans, en 1480,
Pignne CORBELIN fit ses études au collége de Navarre,
puis y professa les belles-lettres (1). C'est tout ce que
nous apprenons de sa biographie. De ses ouvrages, le
premier qui nous soit connu, est un Dictionnaire de
proverbes dans le genre de celui d'Erasme ; en voici le
titre : PetriCorbelini, Cenomanensis, Adagiales Flosculi,
Parrhisiis, Chevallon, 1520, in-4°. En têle de cet ou-
vrage se trouvent une préface et trois lettres ; la pre-
mière, qui est l'épitre dédicatoire, est à l'adresse de
Jérôme de Hangest, vicaire du cardinal Louis de Bour-
bon, évêque du Mans; la deuxième à Geoffroi Suet, abbé
de Beaulieu, dit le Bon- Abbé ; la troisième à François
Briand, jurisconsulte, Nous ne connaissons que par leurs
titres les ouvrages suivants de Pierre Corbelin : De
divino missæ sucrificio, et De Hæreticorum confutatis
opinionibus libellus, vana et futilia Hæresiarcharum
refellens deliramenta ; Tolosæ, Maréchal, 1523, in-4°.
C'est Du Verdier qui mentionne cestitres : les ouvrages
ne se trouvent plus.
(1) Regii Navarræ Gymnasii hist. à J, Launoio, t, 11, p. 660, édit.
in-4°, — Bibliogr, du Maine au mot Corbelin,
982 MATTRIEU HUBERT.
HUBERT (MATTHIEU).
Marrmieu HUBERT, né à Châtillon-sur-Colmont,
paroisse de l’archidiaconé de Laval et du doyenné de
Mayenne , fit ses études littéraires chez les Oratoriens
du Mans, où il eut pour professeur le célèbre Jules Mas-
caron. Celui-ci, reconnaissant à son élève une rare
aptitude, le fitenvoyer, en 4661, à l'âge de vingt-un ans,
à l’institution de Paris. Il en sortit professeur de belles-
lettres, suivant l'usage. Appelé bientôt à exercer le
ministère de la parole, il obtint les succès les plus bril-
lants dans quelques villes, puis à la cour. Doué d’un
extérieur prévenant et d’un heureux organe, il n'igno-
rait d’ailleurs aucun des artifices de l’art oratoire, et
faisait admirer tour à tour un débit vif, facile, entrat-
nant et une déclamation solennelle et riche d'images.
On entendit Bourdaloue faire le plus grand cas de ses
mérites. Hubert mourut le 22 mars 1717, dans la mai-
son de la rue Saint-Honoré, après une courte maladie.
Quel qu'eût été le succès de ses sermons, il n'avait
pas voulu qu'ils fussent publiés de son vivant, mais,
par une disposition testamentaire, il avait fait remettre
tous ses manuscrits au P. Général de l'Oratoire. Dans
deux de ses assemblées, la Congrégation ayant demandé
qu'un de ses membres fût chargé d’en surveiller l'im-
pression, ce soin fut confié au P. de Monteuil (4). Les
Sermons du P. Hubert parurent, en 1725, en cinq vo-
lumes, in-4%, a Paris, chez Ganeau; le cinquième vo-
(4) Ces détails nous ont été transmis par le P. de Monteuil, dans
uue notice qui précède le 4°" volume des Sermons de M, Hubert,
NICOLAS DE RONSARD. 283
lume se divise en deux parties, qui furent publiées sé-
parément. Nous ne voulons pas louer tous les Sermons
du P. Hubert, car il y en a de médiocres ; mais nous
reconnaissons volontiers qu'on en pourrait attribuer
quelques-uns aux maîtres de la chaire : il n'est pas
aussi loin qu'on le pense peut-être de Bourdaloue et
de Mascaron.
RONSARD ( NicoLAs DE).
Nous lisons dans la Bibliothèque françoise de la Croix
du Maine : « Nicozas DE RONSARD, sieur de Roches,
gentilhomme du Maine, autrement appelé Nicolas Horace
de Ronsard, parent de Pierre de Ronsard. 1l a escrit
plusieurs poèmes françois, lesquels ne sont encores en
lumière. Il est excellent pour la musique et jeu du luth,
et autres parties requises à un gentilhomme. Il florist
celte année 1584. »
Ainsi, La Croix du Maine déclare expressément qu'a-
vant l'année 4584, aucune des œuvres de Nicolas de
Ronsard n'avait encore vu le jour. M. Paul Lacroix (1)
croit devoir néanmoins lui attribuer le Jugement de Pä-
ris, dialogue joué à Anguien-le-François, nommé par
cy-devant Nogent-le-Rotrou, à la naissance de Monse-
gneur le comte de Soissons, etc., elc., par N. deRh. t. ;
4567, in-8°. Les Ronsard, originaires de Hongrie (2),
(4) Bibliothèque Dramatique de M, de Soleinne, t. 4, p. 156,
(2) Or, quant à mon ancestre, il a tiré sa race
D'où le glacé Danube est voisin de la Thrace :
Plus bas que la Hongrie, en une froide part,
984 NICOLAS DE RONSARD.
signant quelquefois Ronsart et Rhonsart, celte attribu-
tion ne manque pas de vraisemblance,
On peut, il est vrai, faire valoir contre elle, outre le
témoignage de La Croix du Maine, celui de Du Verdier
qui, sans tenir compte des initiales portées au litre,
inscrit le Jugement de Pâris parmi les œuvres de Flo-
rent Chrestien, d'Orléans. Mais cette inscription doit être
erronée. Si Florent Chrestien a publié quelques poèmes
soubs noms desquisez, ces poèmes sont, comme nous
l'apprend La Croix du Maine, des invectives contre
Pierre de Ronsard, et le Jugemeni de Péris est une al-
légorie mythologique dans laquelle on ne voit figurer
aucun des astres de la pléiade.
Voici quelques vers de ce poème. Ce sont ceux que
Vénus adresse à Pâris pour le gagner à sa cause :
Ami, je ne te veux des royaumes promettre,
Des biens ny du sçavoir; aussi ne doibs-tu mettre
Là ton affection, toy qui es jeune et beau,
La peine et le chagrin mènent l'homme au tombeau:
La peine et le chagrin, dy-je, qui les monarques
Accompaignent tousjours, et qui servent aux Parques
De cousteau pour couper le beau fil de leurs ans,
Avant qu'ils soyent venus au bout de leur printemps ;
Tuans non seulement ceux-là qui portent sceptre,
Maïs les riches aussi, et les hommes de lettres ;
Dont les uns, insolens, arrogants, odieux,
Les autres, trop scavans, sont fols ou furieux,
Les premiers ne font cas des autres; méchaniques
Pour ce nommer les veux : les autres, fantastiques,
Est un seigneur nommé le marquis de Ronsart,
Riche d’or et de gens...
Ronsanp, Epître à Remi Belleau,
a SE
—
FRANÇUIS LE RÉES. O5
Cherchent la solitude, et ne traittent leurs corps
Qu'à regret, et sans cesse entretiennent les morts,
Bref, pour dire en un mot, amy, ce qu'il m'en semble,
Quand les riches, les rois et les doctes j'assemble,
Je trouve que les uns pour un poinct seulement
Vont cherchans leurs malheur, et volontairement
Changent leur liberté en une servitude,
Et les autres pour moins : quant aux hommes d'estude,
Ils se rompent la teste, et n’ont aucuu soucy
De leur propre santé, ny profit ; par ainsy
Ceux qui vont pourchassans des riches diadesmes,
Du sçavoir, ou des biens, sont ennemis d'eux-mêmes :
Coucluant que ne dois à nul d'eux ressembler,
Ny de chose qui soit ton jeune esprit troubler.
Donne-toy du bon temps, avant que la tempeste
De ton hyver chenu face blanchir ta teste :
Fay l'amour ! Est-il rien qui plus te rende heureux,
En ce monde, que d'être un gaillard amoureux ?...
_ Ces vers nous ont semblé dignes d'être reproduits.
LE RÉES (FRANÇOIS).
François LE RÉES, né à Domfront-en-Passais, dans
les dernières années du XV[° siècle, d’une famille noble
et très considérée dans la province, reçut sa première
éducation sous le toit de ses pères. Il fit ensuite un sé-
jour de cinq années au collége de Caen, où il étudia les 5
humanités et la rhétorique. | |
Il y avait alors à Paris, au collége d'Harcourt, un il-
lustre professeur de philosophie, nommé Padet, dont la
grande réputation n'a pas, hélas ! été durable, car l'école
286 FRANÇOIS LE RÉES.
a même oublié son nom. Mais il faut entendre un bio-
graphe contemporain célébrer les titres de ce Padet.
C'est, dit-il, le philosophe des philosophes ; la Sagesse
_est descendue sur ses lèvres et y a fait séjour (sessita-
vit), comme, autrefois, sur celles du divin Platon : si
cette fille de l'Olympe daignait se fairé entendre aux
mortels, elle ne s'exprimerait päs autrement que maitré
Padet, elle n'emploierait pas d'autres arguments que
les siens, et ne saurait les développer avec plus d’abon-
dance ; enfin, de l’une à l’autre extrémité de l’Europe,
on ne s’entretient que du génie de maître Padet et de
son immortelle doctrine (immortalis doctrinæ et inge-
ni) (4). Descendez donc dans la tombe le cœur satis-
fait, le front serein, espérant, sur de telles garanties,
une éternelle renommée ! Le Rées vint à Paris assister
aux leçons publiques de Padet, qui lui enseigna la
physique et la métaphysique. Il suivit ensuite, en Sor-
bonne, les cours de théologie et obtint le diplôme de
bachelier aux applaudissements de ses condisciples,
dans l'opinion desquels il s'était bien placé.
Nous voyons plus tard François le Rées occuper la
chaire de philosophie au collége de la Marche, puis,
atteint d’un rhumatisme compliqué d’une affection ca-
tarrhale, quitter sa chaire et mourir à la campagne, vers
l'année 1640. J. Jacquet, médecin, professeur d’élo-
quence grecque et latine, a fait en son honneur cette
épitaphe :
(1) In vita Fr, Le Rées, Operib, Præfixa. — 11 existe encore de ce
Padet un commentaire sur la Logique et l'Ethique d'Aristote, con-
servé manuscrit à la biblioth: du Roi. Ce manuscrit, de la main de
Gabriel Naudé, est passé de la bibliothèque de Mazarin dans celle
du roi (ancien fonds latin):
FRANÇOIS LE RÉES. 287
Franciscus Le Rées jacet hic, athleta sophorum ;
Fallor ego; a Sophia raptus ad astra fuit !
Ce qui recommande la mémoire de Le Rées plus qüé
le distique de J. Jacquet, c'est son cours de philosdphie,
publié par les soins d'uri de ses auditeurs, Malachias
Kelly, sous ce titre : Cursus philosophicus, authore Fr.
Le Rées, in tres tomos dislributus ; Parisiis, Guillemot,
41642, 3 foris volumes in-8° (4). Ce cours de philosophie
n'est autre chose qu'un commentaire des principaux
traités d’Aristote, si l'on peut appeler commentaire une
série de distinctions et de conclusions posées et déve-
loppées syllogistiquement, suivant la méthode de saint
Thomas. Une analyse rapide des trois volumes de Le
Rées fera comprendre quel était alors l'enseignement
philosophique des écoles de Paris.
L'auteur commence par l'examen des plus hautes
questions de l'ontologie ; il traite des principes, des
causes de l’être {entre lesquelles il distingue la cause
efficiente, la cause formelle et la cause finale), des es-
pèces, de Dieu et des substances spirituelles. Telle est la
première partie de son cours. On doit y trouver toute
sa doctrine, puisqu'il s'explique d’abord sur ce qu’il y a
de plus général ; nous voyons, en effet, qu'après avoir
traité de la nature des anges, Le Rées termine son ex-
position dogmatique par invoquer le témoignage d’Aris-
tote à l'appui de ses assertions. Mais le plus grave des
problèmes logiques, l'altissimum negotium de tous les
scolastiques, le problème de la réalité des genres et
(1) Autres éditions, 1648, 1660.
238 FRANCOIS LE RÉES.
des espèces, n’a été qu'incidemment traité par Aristoté :
c'est dans l'Isagoge de Porphyre qu'il faut aller recher-
cher quelle a été la distinction établie entre les choses
et les noms, par le maître de la secte péripatéticienne.
Âussi, après avoir parlé sommairement des livres divers
qui composent l’œuvre aristotélique, Le Rées prend-il
én mäin l'introduction éclectique du philosophe d'A-
lexandrie.
Les docteurs de l’école se divisant encore, dans les
premières années du XVII: siècle, en nominalistes et en
réalistes rigides ou relâchés, nous devons faire con-
naître ici les conclusions de Le Rées sur la thèse des
universaux. Les nominalistes, dit-il, considèrent l’uni-
versel comme naturel et comme arbitraire ; comme na-
turel, parce que l’idée de l'objet est connue nécessai-
rement par le sujet, l'intelligence humaine ne pouvant
pas se soustraire à la loi de nature qui lui impose
telles ou telles notions ; comme arbitraire, parce que les
noms communs dont on se sert pour exprimer ces no-
tions sont des signes créés arbitrairement, lesquels
n'ont qu'une valeur conventionnelle. Mais, outre l'uni-
versel naturel et l’universel arbitraire des nominalistes,
n'y a-t-il pas, au sein des choses, au-delà du domaine
de l'esprit, un universel réel, concret, substantiel. Le
Rées s'adresse cette question, et il y répond en ces ter-
mes : ce qui s'affirme de plusieurs est semblable en
plusieurs ; ce qui est semblable en plusieurs, comme
l'être humain dans Pierre et l'être humain dans Paul,
est vraiment une chose : or, la collection de ces choses,
de ces humanités distinctes en acte et en nombre, c'est-
à-dire l'espèce homme, est bien réellement l’universel
qui se manifeste sous la forme du multiple. Telle est,
FRANCOIS LE RÉES. 289
suivant Le Rées, l'opinion d'Aristote. L'auteur l'adopte
et la défénd contre les nominalistes, ou Occamistes, ri-
gides. II ne veut pas toutefois être compté parmi les
réalistes... Ceux-ci prétendent, en effet, que l’universel
n’est pas ce qui se trouve semblable en plusieurs, mais
que c'est une nature séparée du multiple, substan-
tiellement adéquate à l'idée même de l’un. On nous
épargne la peine de développer ici ces propositions sco-
lastiques. Cependant, pour assigner à Le Rées sa véri-
table place parmi les philosophes de la vieille école de
Paris, disons encore qu'il appartient au tiers-parti, c'est-
à-dire à la section de ces nominalistes mitigés qui, sans
admettre l'existence de l’universel hors du particulier,
ont néanmoins soutenu que les genres et les espèces
subsisteraient réellement au sein des choses, alors que
même que l'esprit serait inhabile à concevoir les es-
- pèces et les genres, et aucune des catégories. .
Nous pouvons maintenant achever en peu de mots
l'analyse des trois volumes du Cursus philosophicus.
Après l'Zsagoge de Porphyre, Le Rées explique les Caté-
guriës d'Aristote, les deux livres sur l'Interprétation,
les quatre livres des Analytiques, les traités moraux
adressés à Nicomaque, les quatre livres des Météores et
de l’Ame, et enfin la Physique, les quatre livres sur lé
Ciel et les deux livres sur la Génération et la Corruption.
L'auteur de ces commentaires eut, dans l’école, unë ré-
putation égale à celle de son maître, le docte Padet, ët
ils furent oubliés aussitôt l’un que l'autre. Au moment
où Le Rées quittait le collége de la Marche pour aller
chercher le repos exigé par sa santé compromise, Des-
. cartes publiait, à Leyde, le Discours sur la Méthode, et
fermait l’êre de l'enseignement scolastique. Quand finit
IL. 19
2390 PIERRE DU BOULAY.
l'empire d'Aristote, on ne parla plus qu'avec mépris dé
ses derniers interprètes : telle est l'ingratitude de toutes
les révolulions.
BLAISE D'EVRON.
BLAISE d'Evron a iraduit, au témoignage de Dü
Verdier et de la Croix du Maine, les Eloges et vies briefve-
ment descriles sous les images des plus illustres et prin -
cipaux hommes de querre, du latin de Paul Jove, et
cette traduction fut imprimée à Paris, par Galliot du
Pré, en 1559, in-4°. Quand La Croix du Maine et Du
Verdier se trouvent d'accord pour attester un fait, il
faut les croire : cependant, ui le P. Niceron ni les au-
tres bibliographes n'ont connu la traduction attribuée à
Blaise d'Evron, et elle manque à la Bibliothèque natio-
nale,
DU BOULAY (PIERRE ).
Pierre pu BOULAY, frère du célébre historien de
l'Université de Paris, né sans doute, comme lui, à Saint--
Elier (4), nous est connu comme professeur au collége de
Navarre et comme auteur d’un petit volume fort rare,
publié sous ce titre : Gemma poetarum ex Ovidio, Pro-
pertio et Tibullo ; Parisiis, 4662, in-8°.
(1) Hist, litt, du Maine, t, 1, p. 128,
ANDRÉ-RENÉ LE PAIGE. 291
LE PAIGE (ANDRÉ-RäNE).
Anpré-Rexé LE PAIGE, né à la Suze, dans les der-
nières années du XVII: siècle, fit ses premières études
chez les Oratoriens du Mans, qui l'envoyérent etisuile
à Paris achever son éducation. Entre les diverses car-
rières qu il pouvait librement embrasser, car les Pères
de l'Oratoire n’exigeaient aucun vœu de leurs élèves
et ne leur imposaient aucune condition, Le Paige choisit
le modeste emploi de pasteur des âmes, et fut d’abord
desservant de l'église d'Athenai, succursale de la pa-
roisse de Chemiré-le-Gaudin, au diocèse du Mans. La
cure de Chemiré était possédée par Claude Lecornu,
doyen de Vallon, oncle maternel de Le Paige, qui se
démit bientôt de ce bénéfice en faveur de son neveu,
et celui-ci l'administra pendant environ seize années.
En 41742, il fut nommé chanoine de l'église du Mans.
M. de Miromenil, intendant de la généralité de Tours,
ayant rédigé, pour l'instruction du duc de Bourgogne,
un mémoire statistique sur la province de Touraine,
Le Paige forma le projet de donner au public un ou-
vrage semblable sur le diocèse du Mans. A cet effet,
en l’année 4772, il fit parvenir aux curés et aux sei-
gneurs de toutes les paroisses du Maine une circulaire
dans laquelle il leur demandait divers renseignements
sur l’état des lieux, le revenu des cures, la production
agricole, etc., etc. Quand il eut recueilli toutes ces
pièces, il en forma son Dictionnaire topographique, his-
torique, généalogique et bibliographique de la province
ei du diocèse du Maine, publié au Mans, en 1777, en
2 vol. in-8°. On siguale dans ce livre plus d’une la-
902 | FRANÇOIS QUELAÏN.
cune (4); il est néanmoins encore estimé. C'était l'ou
vrage le plus complet, le plus exact que l'on eût sur le
diocèse du Mans, avant que M. Cauvin eût publié ses
Statistiques et sa Géographie ancienne.
‘Le Paige mourut au Mans, le 2 juillet 4784,
QUELAIN (FRANÇOIS).
Théodore Pétreiüs, dans sa Bibliotheca Carthusiana,
parle de ce François QUELAIN ; mais ignorant en quelle
chartreuseil avait passé sa vie, Pétreius n'avait puse pro-
cürer sur son compte aucun renseignement.Nous appre-
nons qu’il était prieur dela maison de Bonne-Fonis. C'est
ce que porte letitre de son principal ouvrage : Suvaroypa-
eux, Mortis Descriptio, per Franciscum Queluin, Cænoma-
num,religiosissimum jucxta ac doctissimum Carthusianæ
domus a Bono-Fonte priorem; Lutetiæ Parisiorum, Nic.
Dives, sans date, in-8°. Possevin, dans son Apparatus,en
désigne une autre édition; Gandavi, Gerardus Salensis,
1554 : nous ne l'avons pas rencontrée. Qu'est-ce que
cette Description de la mort? C'est un poème qui a pour
frontispice un archer tendant avec effort son arc ho-
micide, et cherchant la victime qu'il va frapper. En-
suite commence un monologue dans lequel la mort
célébre sa puissance. Ce monologue finit au recto du
cinquième feuillet, et à la suite se trouve un autre
poème qui a pour titre : Palma christiana, ab eodem
auctore. La versification de François Quelain est facile,
(1) fnnuaire de la Sarthe, 1825, art, de l’ubbé Ledru,
_
PIERRE LEVENIER. 293
mais un peu rude : mérite et défaut communs à tous les
poëles latins de son temps.
LEVENIER (PIERRE).
C'est le bourg de Troo, près de Montoire, réuni au
diocèse de Blois par le concordat de 4804, qui fut la
patrie de Pierre LEVENIER (1),
Vindocinæ telluris honos luxque altera; famæ
Quem nixum pennis Phœbus ad astra vehit ;
Æœula Ronsardo decorat quem laurea... (2)
La date de sa naissance paraît être l'année 1580.
Destiné, dès l'enfance, à la prêtrise, il acheva ses étu-
des à Paris et y obtint le grade de licencié en droit ca-
non (3); mais, ayant plus de goût pour l'enseignement
des lettres que pour le ministère ecclésiastique, il pro-
fessa pendant trente années la rhétorique; quinze ans
en divers lieux, quinze ans au collége de Navarre, à
Paris (4). Quand enfin il prit sa retraite, s'étant acquis
la plus grande renommée, il échangea la cure de Saint-
Georges-du-Rosay, dont il était titulaire, contre la pé-
nitencerie d'Auxerre, à laquelle il fut admis le 43 sep-
(4) L'abbé Lebeuf, Mémoires sur PHist. eccl, et civile d’ Auxerre,
t 1 P° 789,
(2) Vers de Nicolas Lemercier, dans la dédicace de son édition des
Colloques d’Erasme, ‘
(8) Lebeuf, ouv. cité,
(4) Note marginale des vers de Lemercier,
294 PIERRE LEVENIER,
tembre 4636 (1). 11 mourut dans l'exercice de cette
charge, le 414 décembre 1669, âgé de 83 ans, léguant à
l'église qu'il avait adoptée divers ornements et vases
sacrés dont on se servit pendant long-temps pour célé-
brer la messe de son anniversaire. Il fut inhumé dans
la nef, devant le crucifix (2). Voilà ce que nous appre-
nons sur sa vie. Parlons maintenant de ses œuvres.
Ce sont de petits poèmes latins d'un assez médiocre
intérêt. Le premier qui nous est connu est un éloge de
la Fumée, qu'il mit au jour lorsqu'il occupait la chaire
de rhétorique au collège de Sezanne : Fumus, ad Juris
justiliæque consultissimum virum Dominum Lebret; Pa-
risiis, Blanvileus, 16143, in-8°. Levenier n'a pas com-
posé moins de 567 hexamètres sur ce sujet burlesque ;
et il ne l'a pas épuisé, puisque nous avons encore une
autre dissertation facétieuse sur la fumée, de Martin
Schoock, d'Utrecht, imprimée, en 4677, dans les Admi-
randa rerum admirabilium Encomia. Que dirons-nous
du poème de Levenier”? il est obscur et sans agrément:
Nous n’en citerons que ces vers :
Si te dentis agat rabics, fumo utere, sodes ;
Nam præsens medicus plagas est fumus ad omnes.
Lumina se:vantur fumo, servantur ocelli,
Sanantur strumæ, gibboque tumentia colla.
Expellit fumus psoras, alvoque tumentes
Excludit ventos, inflataque viscera sanat,
Et semel exectum prohibet concrescere pilum (3).
(4) Lebeuf, ouv. cité,
(2) Ibid,
(3) Page 12,
PIERRE LEVENIER. 295
Il est vraisemblable que l’auteur célèbre ici les mer-
veilleux effets du tabac à fumer : il guérit des maux de
dents et des écrouelles ,conservela vue, chasse ces esprits
légers qui ont les entrailles pour séjour ordinaire, et
corrige enfin les difformités de la région dorsale. Mais
qu'est-ce que cela? Si l'usage du tabac eût été plus
commun en France du temps de Levenier, il en eût sans
doute mieux connu les vertus si diverses, si souverai-
nement efficaces, qui n’apportent pas un moindre allé-
gement aux maux de l'esprit qu'à ceux du corps!
Le poème de la Fumée est l'ouvrage le plus considé-
rable qui nous soit resté de Levenier. Il faut mention-
ner ensuite : Cænomana Alginodia ad tumulum V. P.
Malthæi Le Heurt; Cœnomani, Olivier, 4620, in-4°.
Nous avons publié quelques vers de cette complainte,
lorsque nous avons parlé de Matthieu Le Heurt (4).
Nicolas Lemercier éditant, en 4656, sa seconde édi-
tion des Erasmi Colloquia, crut ne pouvoir la dédier à
un admirateur plus compétent de l'esprit d Erasme que
notre Pierre Levenier. Il paraît, d'ailleurs, que celui-ci
l'avait aidé de ses conseils ; c’est ce que nous appren-
nent les premiers mots de la dédicace : « Quæ pluri-
mum, hortante te, crevit editio... » Nous y remarquons
encore que Lemercier s'exprime en ces termes en par-
lant d'Erasme : « Quem olim, cum rectè dicendi artem
tanto cum eruditorum applausu Parisiis doceres, e te-
nebris in quibus ignotus fere Academiæ nostræ jacebat,
in lucem protulisti, cujusque aureum De Utraque copia
omnium oculis legendum... proposuisti. » Ce rensei-
gnement n’est pas à négliger. Levenier avait-il donc pu-
(4) Hist, litt, du Maine, t, 1, p, 45,
296 PIRRRE LEVENIER.
blié, avant l'année 1656, une édition du traité De Utra-
que copia verborum? Nous ne la connaissons pas. A la
suite de la vie d'Erasme, en latin et en français, par
Lemercier, se trouvent soixante-douze hendécasyllabes
à la louange de l'éditeur. Ils sont de Levenier. C'est
sans doute pour se montrer reconnaissant de ces éloges,
que Lemercier a joint aux Colloques d'Erasme un poème
de Levenier qu'on lit à la fin du volume : Iter Parisiis
Autissiodurum. Nous lisons bien, il est vrai, dans une
note de l'imprimeur, G. Thiboust, qu'ayant à remplir
quelques pages blanches, il n’a pu mieux faire que
donner au public le très élégant poème du très docte
Pierre Levenier ; mais ce n'est là qu'un vain propos :
le poème de Levenier se retrouve, en effet, dans deux
autres éditions des Colloques données plus tard par Le-
mercier, en 4658 el en 4664. Voici le sujet du Foyage
de Paris à Auxerre : Levenier invite son ami Lemercier
à venir lui rendre visite aux fêtes d'automne, et, pour
l'encourager à faire ce voyage, il lui raconte ce qu'il y
a de remarquable dans les lieux qu'il doit traverser.
Ces vers sont assez médiocres.
L'abbé Lebeuf nous fait connaître que les nouvelles
Hymnes du Bréviaire d Auxerre, édition de 4670, sont
du pénitencier de la cathédrale (1). Les hymnes en l'hon-
neur de saint Just, de saint Prix, de saint Pélerin, et
autres saints honorés d'un culte spécial dans le diocèse
d'Auxerre, ont été, pour la plupart, supprimées dans
l'édition du Bréviaire de 1726.
Nous avons encore, de Levenier, d'autres hendéca-
syllabes à la louange de Lemercier, qu'on lit en tête des
(4) Lebeuf, ouv. cité, t 11, p. 520, 521.
MARIN CUREAU DE LA CHAMBRE. 297
livres de ce docteur De Officiis scolaslicorum ; Parisiis,
4657, in-12, et De Conscribendo Epigrammate; Parisiis,
4653, in-8° (1). Enfin, dans ce dernier ouvrage de Le-
mercier, parmi les Epigrammes qu'il recommande
comme modèles du genre, nous en trouvons cinq de
Levenier : De Horatiorum el Curiatiorum certamine;
De Horatiorum patre; ad Rosam; De SS. Amaiorum et
Marthæ nuptiis; De Herifridi, episcopi Autissiodurensis,
Corvo (2). Si quelques pièces de Levenier se trouvent
ailleurs, en d'autres recueils, elles nous ont échappé.
CUREAU DE LA CHAMBRE (marin).
Nous aurons bientôt raconté tout ce que nous savons
de la vie de Mann CUREAU DE LA CHAMBRE. Né au
Mans vers 1594, suivant le P. Niceron (3) et Taba-
raud (4), vers 4643 suivant Condorcet (5) (la première
de ces dates nous semble la plus exacte), il manifesta,
dès sa jeunesse, un goût fort vif pour les sciences, et
particulièrement pour la médecine. Quand il vint à Pa-
ris, le chancelier Seguier, qui recherchait les savants
(1) Suivant le Dictionnaire de Moreri, Levenier aurait fait la
meilleure part du traité de Conscribendo Epigrammate; mais, comme
le fait observer d’Artigny (Nouveaux Mémoires, t. vix, p. 354), cette
hypothèse est bien invraisemblable, la dédicace de ce traité étant à
l'adresse de Levenier, et Levenier félicitant son ami d’avoir doté l'é-
cole de ce travail excellent.
(2) Lebeuf, our. cité, p. 8, 116, 145, 148, 587.
(3) Hommes illustres, tome xxvir,
(4) Biogr, universelle de Michaud.
(5) Eloges des Académiciens de Académie royale des sciences,
Pe 44, |
298 MARIN CUREAU DE LA CHAMBRE,
et les beaux esprits, se l’attacha, et la protection de ce
Mécène lui ouvrit toutes les portes. S'il n'abusa pas de
cette faveur, il sut, du moins, en profiter et se rendre
utile à ses amis. Ses premiers écrits eurent beaucoup
de succès et lui ouvrirent les portes de l’Académie :
admis dans cette docte assemblée, il y parut, pour la
première fois, le 2 janvier 1635 (4). L'Académie devait
promulguer, dans un dictionnaire et dans une gram-
maire, les règles, les lois du beau langage ; elle devait,
en outre, en donner des exemples. Dans cette intention,
on dressa, dés le 2 janvier 14635, un tableau de tous les
académiciens, et l'on décida que chacun d'eux serait
successivement appelé par le sort à faire un discours
sur tel sujet qu'il lui plairait de choisir. Quand vint le
tour de Cureau de la Chambre, il lut une dissertation
ayant pour objet de prouver que les Français sont, de
tous les peuples, les plus capables d'atteindre la per-
fection de l'éloquence. On devait applaudir à un dis-
cours si flatteur. Cureau de la Chambre recueillit ces
applaudissements, qui d'ailleurs étaient dus à un style
pur, exact, vraiment académique. Quelques années
après, ses collègues lui offrirent une occasion de témoi-
gner jusqu'où pouvait s'élever l’éfoquence française.
Richelieu venait de mourir : l'Académie chargea Cureau
de la Chambre de faire son éloge (2). Quand fut fondée,
en 1666, l’Académie des sciences, un siége fut offert à
Cureau de la Chambre dans cette docte compagnie, el
il en fut un des membres les plus laborieux, les plus
éclairés.
(4) Pellisson, Hist, de l Acad. frans., t, x, p. 204.
(2) Pellisson, ouvr, cité, p. 174,
MARIN CUREAU DE LA CHAMBRE. 299
I avait été dans les bonnes grâces de Richelieu; il
jouit de la même faveur près du cardinal Mazarin. Ce
ministre lui donnait audience une fois par semaine {1},
et faisait le plus grand cas de son esprit. Le roi lui-
même, ayant appris à le connaître, le pensionna et vou-
lut l'avoir pour son médecin ordinaire (2), moins pour
lui poser des questions médicales que pour prendre son
avis sur les affaires de l'état (3). Aussi, dans le même
temps, l'admit-il dans son conseil privé. Marin Cureau
de la Chambre mourut le 29 novembre 4675, laissant
deux fils appelés eux-mêmes à quelque célébrité ; Fran-
çois Cureau, premier médecin de la reine, et Pierre
Cureau, curé de Saint-Barthelémy,' qui fut reçu, en
1670, membre de l'Académie française.
Chapelain a porté ce jugement sur Cureau de la
Chambre : « C'est un excellent philosophe et du pre-
mier ordre, et dont les écrits sont purs dans la langue,
(4) Recueil des Epttres, Lettres de M. de la Chambre, p. 58,
(2) Cette charge, aux appointements de 4800 livres, lui fut don-
née avec survivance pour son fils. La charge de médecin ordinaire du
roi était au-dessous de celle de premier médecin, mais au-dessus de
celle de médecin par quartier. Le premicr médecin de Louis XIIL
était alors Valot,
(3) C’est ce qu'on assure ; cependant, il paraît avoir été, de son
temps, un médecin renommé. Dans les Æpftres en vers de Boisrobert
(p. 39), il s'en trouve une dont voici le début :
La Chambre, Esculape nouveau,
Qui te règles sur le niveau
De ce Dieu dont la médecine
Tire son illustre origine ;
ù Esprit sans bornes et sans prix,
Fameux entre les grands esprits,
De qui l'adresse et la science,
Et la force et l'expérience
Peut d'entre les bras de Caron,
Du fonds de l’obscur Achéron,
Rappeler une âme ravie
Dans un corps dépouillé de vie...
200 MARIN CUREAU DE LA CHAMBRE.
justes dans le dessein, soutenus par les ornements, sub-
tils dans les raisonnements (1). » Nous ne pouvons donc
nous abstenir d'examiner en détail et avec soin ces
écrits que nous recommande le critique le plus re-
nommé du XVII: siècle. Le premier qui ait vu le jour a
pour titre : Nouvelles pensées sur les causes de la lu-
mière, du débordement du Nil et de l'amour d'inclina-
tion ; Paris, 1634, in-4°. Il est difficile de rassembler
sous Je même titre des pensées plus disparates. Ce
sont des morceaux séparés, que Marin Cureau pu-
bliait en même temps, pour faire valoir la variété de ses
connaissances. De ces traités si divers, celui qui fit le
plus de bruit a pour objet le débordement du Nil. On
s’en tient aujourd'hui, sur ce point, à l’ancienne hypo-
thèse ; on attribue l'exhaussement périodique des eaux
du fleuve aux pluies abondantes qui, chaque année, se
déversent sur les montagnes de la Nubie, voisines des
sources du Nil. Mais cette explication était trop simple,
pour convenir aux contemporains de Cureau de la
‘Chambre et à lui-même ; il préféra donc nier l'influence
des pluies, pour supposer que les eaux du Nil sont ex-
traordinairement nitreuses, et pour attribuer à la raré -
faction du nitre la crue périodique et tous les effets de
ce phénomène. Eh bien! cette hypothèse eut le plus
grand succès. Elle fut adoptée non seulement par un
sieur Burattini, gentilhomme de la chambre du roi de
Pologne, voyageur et physicien renommé, mais encore
par le docte Campanella, qui en prit la défense dans un
mémoire spécial.
| (4) Liste de quelques gens de lettres vivants en 1662, dans la con-
rc des Mémoires de littérature de M, de Saleugre, t, 1, part.
, Pe e
MARIN CUREAU DE LA CHAMBRE. 301
Le second ouvrage de Cureau de la Chambre a pour
titre : Nouvelles conjectures sur la Digestion ; Paris, Ro-
colet, 4636, in-4°. Il avait fait une chose inusitée, en
dissertant déjà dans l'idiôme vulgaire, plébéien, sur les
questions réservées à l'aristocratie des intelligences. Si
Dupleix et Bodin avaient déjà traité, dans cet idiôme,
diverses questions de métaphysique et de politique,
leur exemple n'avait pas été suivi, et Descartes devait
encore, trois ans après le nouvel essai fait par Cureau,
s’excuser de publier en français son Discours sur la
Méthode, sa Dioptrique, ses Météores et sa Géométrie (1).
Dans la préface des Conjectures sur la Digestion, Cureau
se défend contre les critiques qui ont blâmé le parti-
pris dans lequel il déclare devoir persévérer. Pourquoi
veut-on que le latin soit, à l'exclusion de toute autre
langue, la langue de la science ? La vieille Rome a sans
doute produit d'éminents orateurs, des poêtes incom-
parables ; mais combien de savants? Les savants, il
faut aller les chercher en Grèce, en Arabie. Les détrac-
teurs du langage vulgaire devraient donc, pour être
conséquents, demander que toute dissertation scientifi-
que fût faite dans la langue d'Aristote ou celle d'Aver-
rhces. Cureau ne supporte pas qu'on prétende le con-
traindre à faire usage du latin ; il dit de cette langue :
« À la voir estrangère et vagabonde, comme elle est
partout, à la voir, toute morte qu'elle est, usurper l'em-
pire des sciences et des lettres, je me suis souvent ima-
giné que ce devoit estre l'ombre et le phantôme de ces
vieux tyrans, qui sortoient de leurs tombeaux pour
triompher de la liberté de nos paroles et de nos pen-
(4) Discours sur la méthode, t, x, p, 210 de l’édit, de M, Cousin,
302 MARIN CUREAU DE LA CHAMBRE.
sées. » IL s'était formé, comme on le sait, au XVII: siè-
cle, deux partis littéraires et scientifiques : celui des
modernes et celui des anciens. Cureau était l'un des
athlétes les plus résolus du parti des modernes. Est-on
curieux de connaître ce qui l'avait entrainé dans ce
camp et lui avait inspiré tant d'animosité contre l’autre?
Ce ne sont pas, on va le voir, les plus mauvaises rai-
sons. Il s'explique en ces termes : « On ne sçauroit, à
mon advis, estre blâmé si l’on cherche de nouvelles
routes, si l’on prend d’autres guides, et si on laisse aussi
hardiment Aristote el Galien, comme ils ont fail ceux
qui les ont précédez. Aussi, quoy que l’on en veüille
dire, nous sommes dans la vieillesse du monde et de la
philosophie : ce qu’on appelle antiquité, en a esté l’en-
fance et la jeunesse; et après qu'elle a vieilly par tant
de siècles et tant d'expériences, il ne seroit pas raison-
nuble de la faire parler comme elle a fait dans ses pre-
mières années, el de luy laisser les foiblesses qui se
trouvent aux opinions qu'elle a eues en cet âge là. »
I! est difficile de mieux rendre une pensée aussi juste,
aussi vraie. Elle a été reproduite, de nos jours, sous la
même forme, et avec le plus grand succès, par des gens
qui certes n'avaient jamais lu ce passage de Cureau de
la Chambre.
I ne suffit pas, il est vrai, de s’annoncer comme no-
vateur, il faut l'être, l'être à propos, et, en outre, pro-
duire des nouveautés qui méritent créance. Or, il ne
paraît pas que les hypothèses physiologiques de Cureau
aient eu, de son temps, beaucoup de crédit, et elles fu-
rent bientôt, comme nous l'atteste Condorcet, absolu--
ment oubliées. Nous ne saurions, pour notre part, en
appeler de cet arrèl, l'affaire n'étant pas de notre com-
a
MARIN CUREAU DE LA CHAMBRE. 303
pétence. Mais tous ces travaux d'analyse l'occupaient
moins que le projet d'un grand ouvrage sur les questions
morales. Suivant la définition de l’ancienne école, la
nature humaine se compose de deux parties bien dis-
tinctes, la nature. affective et la nature intellectuelle :
pour connaître l'homme complet, il faut avoir à la fois
étudié ses passions et facultés actives de son entende-
ment. Quelques docteurs se sont rencontrés, auxquels
cette double étude n’a pas encore semblé suffisante, et
ils y ont joint la recherche des différences physiologi-
ques qui existent entre les individus du même genre,
de la même espèce ; ce sont les disciples de Roger Bacon
et de Raymond Lulle, que l’on peut appeler les natura-
listes enthousiastes du moyen-âge. Cureau de la Cham-
bre adoptera leur méthode : ayant à traiter de la nature
humaine, à exposer l'art de connaître les hommes, il
s'occupera tour à tour de l'homme sensible, de l’homme
intelligent, et de l'homme physique. C'est un vaste
plan : comment l'exécutera-t-il ?
Le premier ouvrage qu'il ait publié sur cette matière
a pour titre: Les Caractères des passions. Il se divise
en cinq volumes, dont le premier vit le jour en 1840,
à Paris, chez Rocollet, in-4°.Voici dans quel ordre se suc-
cédèrent les divers volumes qui composent cette édilion :
le premier parut, disons-nous, en41640; lesecond en 1645;
mais le libraire ne donna le troisième et le quatrième
qu'en 1659, et le cinquième qu'en 1662. Cependant, dès
l’année 46492, l'ouvrage complet était mis en vente à Pa-
ris, chez Jacques d’Allin, en 5 volumes in-12. Voici les
dates de deux autres éditions également complètes : Ams-
terdam, Michel, 4658 et années suivantes, in-12, édition
comparable, suivant M. Tabaraud, aux plus beaux Elze-
304 MARIN CUREAU DE LA CHAMBRE.
viers; Paris, d'Allin, 4663, & vol. in-12. En outre, il y a
eu des éditions séparées des traités spéciaux.
Le traité que Descartes composa sur les Passions
parut, pour la première fois, en 1649. On sait que Des-
cartes se proposa d'établir sur la physique les fonde-
ments certains de la morale, et ce dessein a semblé
nouveau (1). Ilne l'était pasautant qu'on l’a voulu croire,
Cureau de la Chambre ayant, avant lui, procédé de la
même manière, suivant le même plan. Ce plan est plus
simple, d'ailleurs, qu'il ne paraît l'être. Pour bien ap-
précier dans quel sens la science morale put être con-
sidérée par Cureau, par Descartes, comme ayant ses
origines dans la science physique, il faut savoir qu'au
xvu® siècle la morale avait pour unique objet l'analyse
des passions, et que la psychologie était considérée par
l'école dominante, l'école d’Aristote, comme une divi-
sion de la science naturelle ou physique. Cette expli-
cation donnée, il n’y a plus, ce nous semble, rien d'é-
trange et de vraiment nouveau dans le plan adopté par
l'un et l’autre docteur. Ils n'étaient pas théologiens, ils
étaient philosophes: la morale des théologiens se fonde
sur l'interprétation des écritures ; celle des philosophes
sur l'observation et la critique des faits de conscience:
voilà les deux méthodes. On a pu toutefois, nous
en convenons, reprocher à Descartes d'avoir exagéré,
dans son trailé des Passions, l'influence de ces mysté-
rieux agen!s, qu'il appelle les esprits animaux, sur les
facultés affectives de la nature humaine. Cureau de la
Chambre a-t-il évité cet écueil de la méthode physiolo-
(1) Thomas, Notes de l'Eloge de Descartes, t,1, p, 108 de l’édit. de
Descattes, par M, V, Cousin,
MARIN CUREAU DE LA CHAMBRÉ. 305
gique ? On ne le suppose pas: formé dans l'étude de
Gallien et d'Hippocrate, il devait être porté plus qu'au-
cun autre moraliste à rechercher dans les mouvements
de la vie organique les causes des phénomènes passion-
els, et, en effet, il a mérité plus que Descartes le re-
proche qui est fait à ce philosophe. Pour s'en convain-
cre, il suffit de savoir quelles sont, suivant Cureau de la
Chambre, les règles à suivre pour arriver à la connais-
sance parfaite des hommes. La première de ces règles
se fonde sur le caractère spécial des passions, des ver-
tus et des vices ; la seconde, sur la ressemblance des
hommes et des animaux; la troisième, sur la nature par-
ticulière de l’un et de l'autre sexe; la quatrième, sur la
configuration externe des individus, leur physionomie,
la différence des races et les similitudes que l'on peut
signaler entre les individus de telle race et ceux de telle
autre; la cinquième, sur la connexité naturelle et, pour
ainsi parler, syllogislique de certaines passions qui ne
vont jamais l'une sans l’autre. Nous ne disons pas quo
ces règles soient fausses; mais, évidemment, la science
qui a ces règles pour objet s'appelle aujourd’hui la phy-
siologie, et non pas la morale.
Nous ne voulons pas aborder le détail des thèses si
nombreuses et si diverses, développées par Cureau de la
Chambre dans les cinq volumes des Charactères. Qu'on
nous permette, toutefois, d’insister particulièrement sur
une question psychologique qui, de nos jours, semble à
jamais résolue, et n'a plus conséquemment une grande
importance, mais qui paraît avoir occupé beaucoup les
philosophes du xvu° siècle. Il s’agit des intermédiaires
hypothétiques de la perception et de l'intellection. Les
thomistes disaient que toute perception a deux causes
ll; 20
506 MARIN CUREAU DE LA CHAMBRE.
partielles, l'objet externe et le sujet, et que le concours
de ces deux causes suffit pour produire cette connais-
sance subjective de l'objet déterminé qu'on appelle la
perception de cet objet. Pour ce qui regarde l’intellec-
tion, ils déclaraient que toute perception laisse dans
l'esprit une idée; que celte idée, réalisée par l’imagina-
tion, devient une forme, une entité mentale, tenant lieu
de l'objet absent; et que l'intellection s’accomplit par le
concours effectif de cet objet intellectuel et de l'intellect
proprement dit du sujet intelligent. Ainsi, les thomis-
tes supposaient que les notions propres de l'intellect,
les notions générales des choses, se forment au moyen
d'intermédiaires, d'idées-images, d'entités représenta-
tives. Les scotistes allaient plus loin. Non seulement, gn
effet, ils admettaient les espèces mentales de saint Tho-
mas, les intermédiaires de l'intellection; ils soutenaient
encore que toute perception réclame trois éléments,
l'objet et le sujet, et, en outre, quelque atôme, quelque
corpuscule émané de l'objet sensible, et chargé de fran-
chir l'intervalle qui sépare cet objet du sujet sentant.
Eh bien ! cette dernière thèse est celle de Cureau de la
Chambre; el voici comment il la développe, vers la fin
du deuxième volume des Charactères :
« Jlest vrai que les yeux ne voyent point, s'ils ne reçoivent les
images des objets; mais, pour les recevoir, ils ne les voyent pas pour
cela; parce que pour voir il faut connoistre, et pour connoistre il
faut que l’âme agisse, C'est pourquoy nous expérimentons en nous-
mêmes, qu'en ouvrant les yeux, et recevant parfaitement l’image des
choses qui se présentent à eux, nous ne les appercevons pas quand
l’âme est distraite ailleurs, et qu’elle ne s'applique pas à faire ce qui
est nécessaire pour avoir cette connoissance,
« Or, parce que la connoissance ne se peut concevoir autrement
MARIN CUREAU DE LA CHAMBRE. 507?
que comme une certaine représentation des chose: qui se font dans
l’âme, puisque c’est l’âme qui agit dans la connoïssance, il faut, pour
les connoistre, qu'elle en fasse le pourtrait et la figure, car il n’y a
poiat d'autre moyen pour se les représenter que celuy-là, ny point
d'autre action qu'on leur puisse donner qui soit proportionnée à
l'excellence et à la perfection de sa pa'ure, Et si l’on dit qu’il est iau-
tile qu'elle en fasse le pourtrait, puisque les objets luy envoyent
leurs images qui peuvent les représenter, outre qu'il s'ensuivroit
alors qu’elle n’auroit point d’action, parce qu'il n’y en a point d’au-
tre qu'elle puisse faire que celle-là, il est certain que ces images
extérieures ne sont pas capables loutes seules de faire cette repré-
sentalion, d'autant qu'elles ne peuvent subsister qu'en la présence
de leurs objets, et que l'âme ne laisse pas de se les représenter quoy
qu'ils soient absens, En effect, toutes les espèces visibles qui se por-
tent aux yeux se perdent aussitôt que les objets se cachent, de sorte
que si l'âme n'avoit point d'autres images pour se les représenter
que celles-là, il faudroit que sa connoïissance se perdist avec elles, et
qu'elle cessal de connoistre les objets au moment qu'ils cesseroient
de se présenter aux yeux. Néanmoins il est certain qu'elle les con-
noist, non seulement en leur absence, maïs après mesme qu'ils ne
sont plus, et qu’elle en conserve les pourtraits dans sa mémoire long-
temps après que les sens les lui ont fait appercevoir. Il faut donc que
ces images soient différentes de celles qui viennent de dehors, et que
l'imagination se les forme à elle-mesme, afin du’elles soient pro-
portionnées à sa nature, ct qu’elle les puisse conserver dans sa mé-
moire, |
« De sorte qu'il faut croire qu'après qu’un objet a imprimé son
espèce dans l'organe de quelques sens, l'imagination, qui est excitée
par elle, forme en soy-miesme une autre image, et comme une nou<
velle copie de l'original qu'elle a devant soy, ou, pour mieux dire,
cette espèce luy sert de modelle sur lequel elle bastit une figure qui
a bien les mesmes traits, mais qui a encore un estré et une nature
plus noble et plus excellente qu’il n’a pas, et c’est ce qu’on appelle
communément phantosme.
« Et certes si l'on considère que l’entendement en fait de mesme
quand il veut concevoir les choses que l'imagination luy présente, et
que, sans se contenter de ces phantosmes, il forme souvent de nou-
708 MARIN CUREAU DE LA CHAMBRE.
velles idées qui sont d'une autre nature et d’un autre genre qu'eut,
parce qu'ils sont matériels, et qu'en cette considération ils ne peu-
vent subsister en un sujet qui est tout à fait spirituel comme est l’en-
tendement, ny représenter comme luy des choses universelles, tout
ce qui est matériel estant déterminé et singulier; si, dis-je, l’entende-
ment produit en soy d’autres images que celles que l'imagination
Juy propose, celle-cy en doit faire aussi qui soient différentes de celles
que les objets lui envoyent, ..»
Que cet extrait suffise : il contient, en effet, toute la
doctrine Le Cureau sur le double problème des images
externes el des imiages internes. Quand donc le docte
et sage Araauld prolestait avec tant de vivacilé contre
cetle fausse idéologie, ce n'est pas seulement à Malebran-
che qu'il avait affaire. Malebranche ne réalisait pas d’au-
tres abstractions que les espèces mentales, ne recon-
naissait pas d'autres intermédiaires que ceux de l'intel-
lection, et se maintenait ainsi dans la limite du réalisme
thomiste. Cureau de la Chambre, comme on le voit,
avait osé bien davantage, et son audace n'avait pas, il
paraît, causé le moindre scandale. Non seulement il lui
fut permis d'exposer et de développer sa théorie des
corpuscules sans avoir affaire à aucun contradicteur ;
mais à peine eut-il publié les premiers volumes de ses
Charactères, que le prince des lettrés le proclama le
prince des philosophes.
Dans les Lettres de Balzac, on en lil une, du 48 sep-
tembre 1645, dont nous reproduirons au moins quel-
ques passages :
« Après avoir bien considéré, examiné, étudié votre livre quinze
jours entiers, je conclus que jamais homme n’a connu l'homme à
l'égal de vous, Jamsis le dieu de Delphes n’a esté plus nettement, ni
MARIN CUREAU DE LA CHAMBRE, 509
plus ponctuellement obéi ; non pas mesme par celuy à qui il rendit
tesmoignage d'une parfaite sagesse, ni par celui qu’on appela autre-
fois l'Entendement, ui par cet autre qu'on appelle encore aujour-
d'hui le Démon de la nature, Ce démon est entré, à la vérité, dans
l'âme de l’homme, mais il s'est arresté à la porte : il n’a fuit que vous
ouvrir et vous faire le chemin; et si j’étois assez hardi, je dirois qu'il
n'est que de la basse-cour, et que vous estes du cabinet, 1] n'y a
coin ni cachette de l'esprit humain où vous n'ayez pénétré; il ne se
passe rien là-dedans de si viste ni de si secret, qui eschape à la sub-
tilité de vostre veuë, et dunt vous ne nous apportiez des nouvelles
très fidèles et très asseurées. Nos plus grands philosophes ne sont
que les scholiastes et les grammairiens d'Aristote, comme Eustachius
l’a esté d’'Homère «t de Virgile : nos meilleurs livres modernes ne
sont que les redites et les copies des livres anciens, ou, pour le plus,
que leurs gloses et leurs paraphrases, Je ferais tort au vostre, si
j'en parlais de la sorte; j'injurierois la première et la souveraine rai-
son, dont il est l'ouvrage, si je l’attribuois oux leçons que vous avez
prises, et aux lieux-communs que vous avez faits... On peut donc
dire, sans en dire trop, que vous estes philosophe en chef (4). »
Voilà, certes, de l'emphase! Mais n'est-il pas permis
de tenir ces choses là pour vraies, quand on se les en-
tend dire à soi-même ?
Nous avons emprunté le fragment sur les espèces à
une dissertation spéciale qui a pour objet la connais-
sance des bestes. Cette dissertation ayant provoqué quel-
ques débats, nous devons nous y arrêter encore. Voici
la thèse que soutient notre docteur : Il y a deux ordres
de connaïssances, parce qu'il y a deux ordres de facul-
tés. Au degré suballerne, se place la connaissance des
choses individuellement déterminées; au degré supé-
rieur, la notion des formes universelles. Ce sont les dis-
(4) Lettres de Balzac, t, 1, p. 538 de l'édit, in-fol,
510 MARIN CUREAU DE LA CHAMBRE.
tinctions scolastiques; et tous les philosophes de l'école,
saint Thomas à leur têle, affirment que le propre dela
raison est de percevoir ces universaux. Aussi, disent-
ils que l’homme ayant seul, entre toutes les substances
composées, reçu du créateur la faculté d'abstraire les
qualités de leurs sujets et de concevoir de cette manière
les genres, les espèces, est à bon droit défini, à cause
de ce privilége, unanimal raisonnant, raisonnable. C'est
contre cette définition que s'élève Cureau de la Cham-
bre. Non seulement, dit-il, l'âme raisonne quand elle
pense; elle raisonne encore quand-elle sent, quand elle
forme, au moyen de l'imagination, ces fantômes dont,
plus tard, l'entendement doit faire usage Or, si les bè-
tes ne pensent pas, celles sentent, elles imaginent; donc
elles raisonnent : donc la raison n'est pas la dernière
différence de l'homme. Telle est la thèse de Cureau de
la Chambre.
Elle fut vivement attaquée (1). Un médecin de La
Rochelle, nommé Pierre Chanet, publia, pour la com-
battre, un ouvrage sous ce titre : Traité de l'instinct
et de la connoissance des animaux, avec l'examen de
ce que M. de la Chambre a escrit sur celle matière;
La Rochelle, 1646, in-8°. Cureau s’empressa de lui ré-
pondre. Voici le litre de cette réponse : Traité de la con-
noissance des animaux, où lout ce qui a esté dict pour et
(1) Maïs entendons Balzac sur ce chapitre. Le Discours sur la
Connaissance des Animaux est, écrit-il, « une nouveauté qui eust
fait secte à Athènes et vous eust donné rang parmi les Fondateurs
des Ordres Philosophiques. Si Aristote luy-mesme revenoit au mon-
de, une si excellente nouveauté exciteroit la jalousie dans son esprit;
elle ne l’affligeroit pas moins qu'elle l'instruiroit... » Lettres de Bal-
gac, À, 1, pe 539,
nn
MARIN CUREAU DE LA CHAMBRE. 11
contre le raisonnement des bestes est examiné; Paris, Ro-
colet, 4648, in-4° (1). Il paraît que notre docteur suppor-
{ait mal la contradiction : les premières pages de son
nouvel écrit sur les facultés mentales des bêtes contien-
nent, en effet, peu d'arguments contre le sieur Chanet,
mais un assez grand nombre de propos injurieux. En
apprenant que les rives de la Charente Jui envoyaient
un adversaire, il aimait, dit-il, à se persuader qu'il al-
lait se trouver en face de « quelque héros des escholes, »
de quelque thomiste exercé : mais quand il eut entre
les mains le livre de Chanet, il le trouva si faible, si dé-
pourvu de raisons sérieuses, qu'il en fut véritablement
affligé. En effet, ne pourrait-on pas l'accuser d’avoir
lui-même suscité ce chétif adversaire, et de l'avoir
chargé de combattre ses opinions, afin de leur donner
plus d'éclat? Aussi doit-il déclarer, pour écarter ce
soupçon, qu'il n’a jamais vu, qu'il ne connaît pas son
interlocuteur. A la suite de ce préambule hautain, dé-
daigneux, vient l'examen des propositions de Chanet.
Cureau les combat avec assez de vivacité, mais sans
ajouter un argument de quelque poids à ce qu'il a déjà
dit touchant l'imagination, les fantômes, l'entendement
et la juridiction de la raison sur les deux ordres de fa-
cultés. Sans intervenir dans ce débat, faisons remar-
quer qu’il s’agit ici plus de mots que de choses. Des-
cartes changea les termes de cette question : il ne se
demanda plus si, lorsqu'elles sentent, imaginent, les
bêtes raisonnent; mais, allant bien plus loin que M: Cha-
net, il prétendit qu'elles sont de simples automates
(1) Autres éditions : Paris, 4648, in-42; Paris, Jac, D'Allin, 1662,
in-4°, Traduction anglaise; Londres, 4657, in-8°,
312 MARIN CUREAU DE LA CHAMBRE.
dont le moteur est au dehors (1). Cette opinion ne
s'accrédita pas. Leibnitz ayant réclamé pour les bè-
tes l'âme sensitive qu'Aristote leur avait attribuée,
que toute la philosophie du moyen-âge leur avait re-
connue, cette opinion, longuement et vivement diseu-
tée, prévalut enfin dans l'école. C'est tout ce que nous
dirons à ce sujet.
Les études morales de Cureau de la Chambre ne lui
faisaient pas négliger ses autres éludes. Quand sa que-
relle avec le sieur Chanet fut apaisée, il s'occupa de
mettre sous les yeux des savants quelques nouveaux
travaux sur la lumière. Voici le titre de ce traité : Nou-
velles observations et conjectures sur l'iris ; Paris, Ro-
colet, 4650, in-4°; Paris, J. d’Allin, 4662, in-4°. La
même année, il donnait au public un livre bien diffé-
rent. On sait le bruit qu'avait fait l'Optatus Gallus de
Ch. Hersent. Zélé partisan des antiques prérogatives du
Saint-Siége, Hersent avait osé prétendre que les ré-
serves gallicanes étaient schismatiques. Par un arrêt
du 23 mars 1640, le Parlement de Paris avait fait livrer
aux flammes, par la main du bourreau, le livre qui
contenait le développement d'une proposition aussi mal
sonnante. Mais comme brûler n'est pas répondre, le
cardinal de Richelieu pensa que la sentence du Parle-
ment réclamait un commentaire, et ce fut Cureau de la
Chambre qu'il pria de le rédiger. Nous ne savons guères
à quel titre celui-ci fut chargé d'une semblable com-
mission. Reconnaissons qu'ils’en acquitta fort mal. C'est
sans doute ce qui fit dire à Chapelain : « Je ne le tiens
pas fort dans les politiques, et je doute qu'il füt propre
(4) Lettres; Lettres 26, 40, 41,
MARIN GURKAU BK LA CHAMBRE. 313
à écrire l’histoire, quoique fort judicieux (4). » La ré-
ponse de Cureau au livre d'Hersent fut publiée sous le
titre de : Observations de Philalèthe sur un libelle inti-
tulé Optatus Gallus, à la fin des OEuvres posthumes ex-
cellents et curieux de M. Guy Coquille; Paris, 4650,
in-4°,
Nous ne parlerons pas avec plus de détails de son
Discours sur les principes de la Chiromancie; Paris, Ro-
colet, 14653, in-8°. Dans cet ouvrage, où l'on retrouve
plus d'une rêverie de Cardan, de Pierre d'Apono et
d'Achilini, Cureau prétend démontrer que chaque
partie noble a un certain endroit de la main qui lui est
afiecté, et qu une inspection attentive de ces endroits
de la main peut faire connaître les tempéraments, les
caractères divers des individus. Guy Patin ne s'est pas
laisser prendre à ces frivoles hypothèses, et voici com-
ment il les a jugées : « Pour le livre de la Chiromancie
de M. de la Chambre, c'est un ouvrage où je ne me
connois guèêres : on n en fait pas ici (2) grand cas. L'au-
teur y parle fort bien français ; mais, outre la pureté
du style, il n'y a guëres que du babil : Vox præterea-
que nthil, la voix et rien autre. C’est le caractère du
rossignol. Mais notre siècle ne laisse pas d'admirer ces
bagatelles (3). » C'est un arrêt rendu en très bonne
forme, et contre lequel, assurément, nous ne nous ins-
crirons pas.
On le sait, Cureau n’aimait pas écrire en latin : ce-
pendant il se résignait à faire usage de celte langue une
(4) Liste de quelg, gens de lettres, ubi supra.
(2) À Paris.
(3) Lettres de Guy Patin, lettre 70,
814 MARIN CURKAU DE LA CHAMBRE.
fois l’an, comme Balzac (1). On a de lui Novæ methodi
pro explicandis Hippocrate et Aristotele Specimen ; Pa-
risiis, 4655, in-4°; ibid., d'Allin, 4662, in-4°; ibid.,
E. Martin, 1668, in-12. Il s’affligeait, dit-il dans la
préface de ce livre, de voir la jeunesse dédaigner l'étude
des anciens maîtres et ne plus s'occuper que de tra-
vaux empiriques.Or, à quelle cause devait-on attribuer
ce discrédit des plus beaux monuments de la science ?
A nulle autre, sans doute, qu'à l'obscurité des textes.
Hippocrate procède par aphorismes; Aristote, ayant
composé sa Physique plutôt pour ses auditeurs que pour
le vulgaire, a fait un livre dans lequel on peut signa-
ler plus d’une lacune, et où la plupart des phrases sem-
blent inachevées. Cureau se propose donc de rendre
clair ce qu'il trouve obscur. Il commente les Aphoris-
mes, el il traduit le premier livre de la Physique en la-
tin et en français, ajoutant au texte grec ce qu'il imagine
avoir été omis soil par négligence, soit par calcul. Bien
que ce travail sur Hippocrate et Aristote ait été publié,
pour la première fois, en 1655, c'est un ouvrage de la
jeunesse de Cureau. Il avait traduit suivant la même
méthode les sept autres livres de la Physique, mais il
n'a pas cru devoir les donner au public.
Nous avons ensuile un traité qui a pour titre la Lu-
mière; Paris, Rocolet, 4657, in-4° ; réimprimé, chez
d’Allin, en 1662, in-4°. C'est à l'occasion de ce traité que
Sorbière écrivait d'Avignon à Cureau de la Chambre, le
8 août 4687: a C'est une chose étrange, Monsieur, qu'il
n’y ait rien de plus commun que la lumière, et-qu'il
n y ait rien de plus caché ; quelle nous découvre tous
(4) Lettres de Balzac, lettre 67.
MARIN CUREAU DE LA CHAMBRE. 315
les jours tant d'objets différents et que nous ne puis-
sions pas découvrir pleinement aux yeux de tout le
monde quelle est sa nature. Que deviendrions-nous, en
cette perplexité, sans la savante ignorance du scepti-
cisme?..... La France vous sera éternellement obligée
de l’ornement de sa langue et de l'emploi que vous en
avez fait, en des sujets philosophiques qu'on n'avait
pas estimés capables de recevoir ce tour et cette poli-
tesse (1). » 11 nous semble difficile de mieux accommo-
der une critique et dela rendre plus acceptable. Sorbière
se garde bien de souscrire aux opinions de l'auteur: la
nature de la lumière est un problème si difficile, si obs-
cur ! Cureau prétend l'avoir résolu ; soit! mais ce qui
est moins contestable, moins contesté, c'est que-per-
sofne, entre les savants, n'écrit en français avec au-
tant d'élégance, autant de correction, que l'auteur de
la Lumière. Nous nous garderons bien de défendre con-
tre Sorbière les assertions de notre docteur. Obstiné
dans sa théorie des espèces sensibles, des corpuscules
intermédiaires, il ne supportait pas qu’un bel esprit de
son temps, nommé Descartes, eût refusé de définir la lu-
mière soit un corps, soit une qualité : et que prétendait-
il démontrer? Que tous les phénomènes de la lumière
sont produits, ainsi que le déclarent Epicure et A ver-
rhoës, par des atomes lucides répandus dans l’espace.
C'est une doctrine dont nous laissons à d’autres l’exa-
men et la réfutation.
Le plus singulier, le moins estimable de tous les ou-
vrages de Cureau, est celui qu’il jugeait vraisemblable-
ment le meilleur, celui sur le succès duquel il comptait
(4) Lettres de Sorbière, p. 866,
516 MARIN CUREAU DE LA CHAMBRE.
le plus. Nous avons dit dans quel dessein il avait entre-
pris ses éludes sur les passions ; il prétendait créer un
art nouveau, l'art de connaître les hommes, et afin de
ne rien négliger de ce qui pouvait contribuer à cette
connaissance, il avait fait des observations suivies sur
les diversités physiologiques des individus, recueillant,
comparant tous les signes corporels qui pouvaient lui
servir d'indices pour deviner les tempéraments, les
caractères, Tous les éléments de ce vaste travail étant
enfin rassemblés, il publia : L'Art de connoître les hom-
mes ; première parlie, où sont contenus les discours pré-
liminaires qui servent à celle science; Paris, Roco-
let, 1659, in-4° (1). Cette première partie a pour objet
principal l'homme physique, et l'on y trouve reprodui-
tes toutes les hypothèses de Cureau sur la nature des
signes externes et sur les influences des astres. Pour
faire comprendre le degré d'estime que méritent ces
hypothèses, il suffit d’en rappeler quelques-unes : ainsi,
pour ce qui concerne les sympathies, il affirme que le
foie sympathise avec l'index, le cœur avec l'annulaire,
la rate avec le grand doigt; quant à la théorie des in-
fluences méloposcopiques, la lune domine le cerveau,
le soleil gouverne le cœur, Vénus exerce son empire sur
le nez, Jupiter sur les joues, Mercure sur les oreilles et
Mars sur leslèvres. Voilà les contes bleus que notre doc-
teur récile avec le plus majestueux sang-froid. Mais
l'étude la plus intéressante, la plus profitable à celui
qui veut promptement acquérir l'exacte connaissance
des hommes, est l'étude de la physionomie. Il n’en est
(1) Autre édition : Amsterdam, 4660, in-12; Paris, 4660, in-4°;
Paris, J, d’Allin, 4662, in-£°; Paris, J. Lejeune, 4669, in-12.
MARIN CUREAÜ DE LA CHAMBRE. ‘517
aucune que l’auteur recommande davantage. Louis XIV
s'était tellement épris de cette doctrine que s’il avait à
remplacer un ministre, un grand officier de sa maison,
il commençait, dit-oh, par demander à Cureau de la
Chambre son opinion sur les persorines désignées pour
occuper ces emplois, et les appelait ou les écartait sui-
vant les conseils de son oracle. La Place raconte qu'il
existait à Paris, de son temps, dans un cabinet qu'il ne
nomme pas, un-gros et ancien recueil contenant une
correspondance secrète et long-lemps suivie entre
Louis XIV et Cureau de la Chambre. Cette correspon-
dance n'aurait été, suivant La Place, qu'une série de
consultations sur des problèmes physiognomoniques (1).
Nous regrettons d'ignorer où se trouve aujourd’hui ce
recueil, si, toutefois, ce n'est pas là quelque histoire
faite à plaisir (2).
La seconde partie de l'Art de connoïtre les hommes
parut en 1664, sous ce litre: Le système de l'âme; Paris,
J. d’Allin, in-4° (3). Nous l'avons dit, une des préten-
tions de Cureau était de ne rien devoir à autrui, de
n'avoir fait aucun emprunt aux livres en usage dans l'é-
cole> Cependant, nous ne rencontrons dans son Systèm e
de l'âme que des propositions vieillies, que des thèses
rebattucs. Voici, par exemple, comment il s'efforce de
(4) La Place, Pièces intéress, el peu connues, À 14, p. 8, 9 et 40,
(2) Sur les conjectures physiognomoniques de Cureau de la
Chambre on peut consulter : La Physiosgnomonie et la Phrénolosie,
on connaissance de l’homme d’après les traite du visage et les relicfs
du crâne, par I:idore Bourdon; Paris, Gosselin, in-41 2.
(8) Autres éditions : Paris, J, d'Allin, 1665, in-4°, C'est vraisem-
blablement la même que la précédente, avec un titre nouveau; Paris,
41669, in-12,
318 MARIN CUREAU DE LA CHAMBRÉ.
justifier sa doctrine si peu nouvelle sur les corpusculés
intermédiaires :
« Les objets que l'entendement doit connoïistre sont le plus sou-
vent hors de luy, et comme aucune action ne se peut faire sur une
chose esloignée, il faut ou que l'entendement s'approche d'eux, ou
qu’ils s’approchent de luy. Le premier est impossible, parce que
l'entendement ne peut sortir du corps pour les aller trouver; c'est
donc une nécessité que ce soient les objets. Mais parce que tous les
objets n'ont pas le mouvement nécessaire pour s'approcher et s'unir
aux puissances de l'âme, la nature a pourvu à cela par les images
qui sortent de ces objets-là et qui les représentent; lesquelles, pas-
sant dans Jes organes des sens, s'unissent à l'imagination, et alors
cette faculté agit sur elle et les connoist; et après qu'elles sont ainsi
connues, elles s'appellent phantosmes. Ces phantosmes sont donc
les objets sur lesquels l’entendement doit travailler, et par conséquent
il doit s'unir et s'appliquer à eux, car toule puissance active doit être
unie au subject sur lequel elle agit, »
Arnauld avait sans doute sous les yeux ce passage du
Système de l'âme, lorsqu'il exposait le faux raisonne-
ment qui avait conduit certains philosophes à mécon-
naître le principe de la perception immédiate. Mais il
n’y à là rien de nouveau: c'est ce qui se lit dans tous
les manuels de philosophie scotiste. Quand l'auteur
dit que toules les choses subissent la loi de leur nature,
et que cette loi leur est intrinsèque, et non pas extrin-
sèqué; que l'âme est étendue, mais non pas à la manière
du corps, l'extension spirituelle différant, selon la na-
ture, de l'extension matérielle; que l'âme a, comme élen-
due, des parties, etc. etc. il paraît, ilest vrai, s'exprimer
ën des termes étranges; mais ces termes se retrouvent
dans le plus grand nombre des traités scolastiques, et
MARIN CUREAU DE LA CHAMBRE. 319
saint Augustin lui-même en avait fait usage. Tabaraud
trouve que celte métaphysique est subtile et embrouil-
lée: elle l'est, en effet; cependant il suffit de connaître
l'idiôme de l’école, pour comprendre toutes ces subti-
lités.
Rien ne coûtait plus à Cureau de la Chambre que
d'entretenir avec ses amis un commerce de lettres. Il
aimait mieux, disait-il, faire huit lieues pour voir un
ami, que lui écrire huit lignes. Cependant, il suivit la
coutume, et, comme tous les hommes recherchés de son
temps, il publia sa correspondance : Recueil des Enpiîtres,
Lettres et Préfaces de M. de la Chambre; Paris, Barbin,
1664, in-12. Cette correspondance n’est pas étendue: et
elle n'a guère d'intérêt. On y voit que Cureau de la
Chambre comptait au nombre de ses amis Vautier, Fer-
mat et Balzac. La lettre à M. l'évêque de Cahors, qui se
trouve manuscrite sous le n° 4696 de la Bibliothèque
Nationale, est la dernière de ce recueil.
Nous n'avons à rendre qu'un compte très sommaire
des derniers volumes publiés par Cureau de la Chambre.
En 1665, il donnait : Discours sur les causes du débor-
dement du Nil, avec un discours sur la nature divine
selon la philosophie platonique ; Paris, Edme Martin,
in-4°. Ce qui, dans ce volume, concerne les eaux du
Nil, est le traité de l'année 1634 avec des additions. Le
Discours de la nature divine ne manque pas de méthode
et mérite d'être lu. Nous voyons, dans la préface de ce
Discours, que le chancelier Séguier avait désiré voir
exposer didactiquement toute la philosophie de Platon,
ainsi qu'on avait coutume d'exposer celle d'Aristote,
et qu'il avait chargé Cureau de ce travail. « Je taschay,
nous dit Cureau, de le satisfaire sur ce point là; et de
320 MARIN CUREAU DE LA CHAMBRE.
former un corps entier et complet de toutes les maliéres
qui peuvent servir à ce dessein, et qui sont esparses cà
et là dans les Dialogues de Platon, et dans les escrits de
ses plus savants interprètes...» Mais, avant de le remet-
tre à l'imprimeur, il eut l’imprudence de confier son
Manuscrit à l'évêque de Lavaur, M. de Raconis: celui-ci
l'égara, et Cureau ne put sauver de ce naufrage que le
Discours sur la nature divine. Nous mentionnerons sim-
plement: L'Art de connoëtre les hommes; troisième par-
lie qui contient la défense de l'extension et des parties
libres de l'âme; Paris, 4667, in- 4°, et: Discours sur l'a-
mulié el la haine qui se trouvent entre les animaux; Pa-
ris, 4667, in-8°: Il n'y a rien dans ces traités qui ne se
trouve dans ceux que l’auteur avait déjà publiés sur les
mêmes sujets.
L'un de ses fils, Pierre Cureau de la Chambre (1),
avait formé le projet de réunir tous ses écrits en un
seul corps d'ouvrage; mais c’est un projet qu'il n’a pas
réalisé. De toutes les œuvres inédites de son pére,
Piérre Cureau n'a publié que son Discours académique,
où il est prouvé que les François sont les plus capables
dé tous les peuples de la perfection de l'éloquence ;
Paris, 4686, in-4. Si nous ne donnons pas plus de dé-
tails sur ce Discours, c'est que nous n'avons pu retrou-
ver le volume qui le contient.
Ici finit la nomenclature des œuvres de Marin Cu-
reau de la Chambre. Nous n'avons pas à réclamer
pour lui une haute place dans l'estime des philosophes
et des physiciens, mais nous louerons sans réserves ses
mérites littéraires. « C'est l'homme du royaume, dit
(1) Né à Paris,
VVES MAGièriti, 391
. Costär, quiale mieux écrit des sciences en françois (4). »
On ne saurait sans doute répéter aujourd'hui cet éloge;
mais, au temps de Costar, il n'était guère emphatique.
C’est incontestablement Cureau de la Chambre et Des-
caries qui ont créé cette langue si correcte, si précise,
si claire, qui est devenue l'idiome préféré des savants
non seulement en France, mais encore en Europe. Si
personne ne conteste celle gloire à Descartes, dans
quelle histoire de notre littérature admet-on Cureau dé
la Chambre à la partager ?
, s
MAGISTRI (yves).
L'histoire que nous allons raconter est celle d’un
homme bizarre, peu sain d'esprit, qui, dans un temps
fort agité, conduisit lui-même sa frêle barque sur les
écueils, et prétendit ensuite mettre au compte des des-
tins envieux la responsabilité de ses désastres. Né à
Laval, vers le milieu du xvi' siècle, Ives MAGISTRI se
destina, dès sa jeunesse, à la vie régulière, et fit pro-
fession de suivre la règle de saint François au couvent
de sa ville natale. Il vint ensuite à Paris. Il y était
en 4579, quand François de Gonzague fut élu général
de son ordre (2); en 1580, il résidait au couvent de
l’Ave-Maria (3). C'est vers ce temps qu’il publia ses pre-
miers ouvrages. Nous n’en connaissons que les titres.
(4) Mémoire des gens de leîtres célèbres de France, dans le t, 11
des Mémoires de littér, de M. de Salengre,
(2) Ocularia et manipulus, dans la dédicace,
(3) Mirouers et Guides, ch, 2, =
nil. 94
522 YVES MAGISTRI.
L'un est intitulé: Guide des Professeurs ecclésiastiques,
où est contenu ce qu'un religieux ou religieuse militans
soubs le brevière romain el ordre minorique sont obligés
d'ensuivre; Paris, Est. Petit, 1580, in-46° (4). L'autre,
édité par le même libraire, à la même date, dansle mé-
me format, est le Mirouer Chrestien, ou Seconde pur-
tie de la Guide Ecclésiaslique (2). Ces opuscules ascé-
tiques ne se trouvent plus aujourd'hui : mais quand La
Croix du Maine et Du Verdier nous attestent l'un et au-
tre qu'ils ont existé , nous pouvons les croire. Ces ou-
vrages publiés et n'ayant eu vraisemblablement qu’un
succès équivoque, Ives Magistri s'en alla sous d’autres
cieux exercer sa verve bouffonne.
Il alla d'abord en Espagne, et fit quelque séjour au
couvent de Saiate-Marguerite, près Xérès de Badajos.
Personne n'était plus mal noté dans l’ordre de Saint-
François quele frère Magistri. Peu réglé dans sesmœurs,
s’occupant de ses devoirs religieux après le reste, il
avait, pour tout dire en un mot, plutôt les mœurs d’un
gendarme que celles d'un religieux. Il en convient lui-
même (3). Mais, au couvent de Sainte-Marguerite, il eut
devant les yeux un salutaire exemple. Le père gardien
de cette maison était un vieillard austère qui, malgré
ses cheveux blancs, portait le plus rude cilice, couchait
sur la dure, allait pieds nus en toute saison, employait
à prier ses Jours el ses nuits. Quand on est sévère pour
soi-même, on a le droit de ne pas tolérer les écarts de
ses inférieurs. Au couvent de Sainte-Marguerite, Ives
(4) Bibliothèque française de Du Verdier,
(2) Ibid,
(3) « Adeo enim eram dissolutus, parum religiosus, moribus miles
potius quam monachus apparebam, » Ocularia et manipulus,
ŸVES MAGISTRI. 325
Magisiri fut obligé d'apprendre ce qu'il avait eu la pré-
lention d'enseigner aux autres: on le soumit à la rè-
gle, on le dompta. Quand il eut enfin pris quelque goût
à la discipline, on le plaça dans une autre maison de
l'ordre, près d'Albuquerque, dans l'Estramadure. Il fut
ensuite envoyé däns six ou sept couvents où l’on ob-
servait les mêmes pratiques avec la même régularité :
puis il quitta l'Espagne pour parcourir l'Italie et
visiter Rome, Sienne, Ancône, Bologne, Ravenne, la
Toscane, l'état de Gênes. Il était (toujours sur les gran-
des routes, allant à pied, mendiant, vivant de peu, ré-
digeant dans un latin barbare des facéties mystiques
qu'il débitait ensuite au titre d'homélies, dans les églises,
dans les couvents qui se trouvaient sur son passage.
Après avoir mené cette existence vagabonde pendant
environ deux années, il revint à Paris, et s’empressa de
faire le récit de son voyage. Mais les hommes de ce tem -
pérament ne font rien comme les autres. Au lieu de
raconter simplement ce qu'il avait vu de plus remar-
quable dans les maisons de l'ordre, dans les villes où
l'avait conduit son humeur inquiète, il se mit à lire di-
vers ouvrages ascéliques et en copia les passages qu’il
trouva le plus à son goût; puis il disposa ses extraits par
chapitres, y mêlant des réflexions, des observations
personmelles, et intercalant ici et là la narration de ses
visites aux couvents d’Espagne et d'Italie. C'est cette
compilation qui porte le titre de: Ocularia et Manipu-
lus fratrum minorum; Parisiis, Sonnius, 4582, in-8°(4).
(4) Voici le jugement que l’auteur porte lui-même sur son ou«
vrage : « Libelius noster, labore non modico, ex non paucorum doc-
tissimorum ac sapientissimorum virorum scriptis excerptus est, ut
videre fas erit;. . Scias autem velim me non hujus tractatus autbhos
324 | YVES MAGISTRI.
La licence du général de l’ordre, François de Gonzague :
donne à Magistri les litres de confesseur et de prédica -
teur. | |
En 1584, nous le trouvons remplissant ces fonctions
au couvent des Annonciades de Bourges, et publiant
dans cette ville : Verger et jardin des âmes désolées et
esgarées pour la consolation des MM. les citoyens de la
cilé de Bourges ; Bourges, Pierre Bouchier, 1884, in- 4°.
Cet ouvrage nous manque; nous avons entre les mains
le suivant: Mirouers et guides fort prüpres pour les da-
mes et damoïselles de France qui seront de bonne volonté
envers Dieu et leur salut, etc , elc. ; Bourges, Bouchier,
1585, in-4°. Ces Mirouers nous sont donnés par Magis-
tri comme la suite du Verger, et ils contiennent les vies
de Jeanne de France et de Marguerite de Lorraine. Nous
avons donc lieu de croire que le Verger est l'ouvrage
désigné par Magistri, dans l’épitre dédicatoire du se-
cond Mirouer, comme étant une chronique française,
c'est-à-dire une hagiographie de l’ordre des Minimes.
Quoi qu'il en soit, il paraît que le Verger contient les
choses les plus burlesques et les plus inconvenantes,
car l'archevèque de Bourges en interdit la lecture aux
fidèles de son diocèse, dans l'intérêt bien entendu de la
religion (1). Ce serait une drôlerie mystique qui se pla-
cerait au même rang que les sermons de Menot, l’A/co-
ran des Cordeliers el les Conformitez de saint François.
rem, sed tantum compilatorem, vel potius plagiarium profiteri... Ni-
hil enim meum in eo: quod si quidpiain tale sit, adeo exiguum est
ut nihil prorsus dicendum sit. »
(4) Confession catholique du sieur de Sancy, dans le tome second
du Recueil de diverses pièces scrvant à l’Histoire de Henri IIT; p. 62
de l’édit, de Cologne, 1699,
YVES MAGISTRI. 32h
Quelque temps après Magistri publia : Baston de dé-
fense et Mirouer des professeurs de la vie régulière de
l'abbaye et ordre de Fontevrauld, ou Chronique de l'or-
dre de Fontevrauld ; Angers, 1586, in-4°. Ces titres bi-
zarres, énigmatiques et facétieux étaient fort goûtés
dans l’école franciscaine. Mais, au fait, que contient ce
volume de Magistri? Nullement ce que semblent indi-
quer ses deux titres, puisque on y trouve simplement
une biographie de Robert d'Arbrissel, extraite de la
légende de Baldric de Dol, quelques fragments de
prose française rimée, l'oraison funèbre du bienheu-
reux Robert, par Léger, archevêque de Bourges, et
deux petits traités assez insignifiants, dont voici les ti-
tres: De Exemptione ordinis Fontis Ebraldi, et Admoni-
tio scitu digna ac valde: necessaria omnibus venerandis
patribus, visilaloribus, etc., etc., monialium ordinis
Fontisebraldensis. Rien ne prouve, d'ailleurs, que ces
opuscules latins soient l'ouvrage de Magistri.
Racontons maintenant ses {ragiques infortunes. Com-
me le plus grand nombre de ses frères en religion, il
avait cru devoir prendre parti dans les troubles civils
et adopter pour sa bannière celle de la Ligue. Ligueur,
et ligueur très exalté (1), car il ne savait en rien garder
la mesure, notre cordelier avait été rappelé du couvent
de l’Annonciade et habitait alors la maison franciscaine
de Laval. En tous lieux les partisans du roi et ceux de
(4 L'Estoille raconte dans ses Mémoires, qu'ayant été nommé
prédicateur et chapelain des Espagnols résidant à Paris, Maegistri leur
faisait chaque matin des sermuns en espagnol, dans la chapelle de la
reine, mais qu’il quitta cet emploi, parce qu’on ne lui payait pas ses
gages. C’est peut-être une anecdote inventée à plaisir. En quel temps,
d'ailleurs, Magistri faisait-il ces prédications clandestines? L’Estoille
pe ledit pas | |
526 YVES MAGISTRI.
la Ligue s'armaient avec une égale ardeur,et appelaient
l'heure des combats. Nous devons croire qu'en de telles
circonstances, Magistri supportait mal l'existence oisive
à laquelle, sans doute, on l'avait condamné. Aussi,
quand l'occasion vint s'offrir à lui de rompre un trop
Jong repos, s'empressa t-il de la saisir.
Depuis quelque temps déjà la ville du Lude était en
proie à la plus tumultueuse anarchie. Il y avait là trois
partis; des protestants, qui ne se trahissaient guères que
par une indifférence affectée; des ligueurs pleins de
zèle, véhéments et intolérants déclamateurs; et troisiè-
mement, des politiques, gens pour la plupart aussi peu
soucieux d'aller au prêche qu'à la messe, mais très las
de voir leur repos incessamment troublé, et les affaires
de la France à jamais peut-être compromises par les
violences effrenées de la Ligue et ses pactes criminels
avec l'ennemi du dehors. Les politiques du Ludeavaient
un instant obtenu l'avantage sur leurs adversaires et
avaient fait prononcer un décret d'exil contre le curé
du lieu, nommé André Courtois, personnage vertueux,
dit-on, mais peu modéré. Après André Courtois, la pa-
roisse avait eu pour pasteur Ambroys Ernaut. Mais
celui-ci s'était fait encore plus d’ennemis; et jeté, nous
ne savons pour quel délit et par quel parti,dans le châ-
teau de la ville, il y était mort. C'est alors que le comte
du Lude pria les PP. Cordeliers de Laval de vouloir
bien lui donner un de leurs frères, homme résolu, ca-
pable d'affronter les péri's, et de mettre les mutins à la
raison. Ceux-ci eurent l’imprudence de confier cette dé-
licate mission à notre Magistri.
Quand Magistri fut installé dans la cure du Lude, il
eut hâte de monter en chaire et prêcha, la première an-
YVES MAGISTRI. 321
née, sur le symbole des Apôtres ; la seconde, sur les
Commandements de Dieu; la troisième, sur le Pater
Noster et l'Ave Maria. Mais il n’eut pas le plus grand
succés. Il tonnait contre l'intempérance, et ses parois-
siens mangeaient effrontément de la viande en carême;
il recommandait la charité, et l'on prêtait à usure; la
chasteté, et si les hommes avaient « des femmes à la
réserve, » les femmes « se donnoient du bon temps sans
estre mariées : » ce n'étaient que désordres, indisci-
pline, tumultes, rixes et procès. Voyant cela, le prédi-
cateur tonnait plus fort, accusant de tous les maux les
gens dè peu de foi, les politiques, et les appelant « ca-
tholiques frelatez, chappeaux, bonnets à simple se-
. melle et par bénéfice d'inventaire, voire à vingt et
sept pour le quarteron (1). » Bref, insultant, mena-
çant tour à tour et les uns et les autres, il eut bientôt
soulevé contre lui toute sa paroisse.
Or, un soir qu'il revenait de Champchevrier (2), ré-
sidence ordinaire de la comtesse du Lude, il fit, à l'ex-
trémité de la forêt de (hasteaux, la rencontre de deux
hommes à cheval «ayant la pistole et coustelats,» qui lui
parurent avoir formé de très mauvais desseins sur sa
personne. Il se mit aussitôt en défense, et s’étant armé,
nous dit-il... de son bréviaire, il se défendit si bien
qu'ilintimida l’un et l’autre de ces coquins et les contrai-
gnit à prendre la fuite. À quelque temps de là, une atta-
que plus audacieuse fut tentée contre le presbytère :
mais, tout cordelier qu'il était, Magislri soutint vigoureu-
(4) Reveil-Matin et mot au guet des bons Catholiques.
(2) Terre relevant de Sablé, et du ressort de Baugé, Cauvin, (eo=
graphie ancienne, |
328 YVES MAGISTRI.
sement le siége, et repoussa les assaïllants. Ensuite, on
alla chercher quelques hérétiques, auxquels on donna
commission de délivrer les gens du Lude de leur insup-
portable curé. Ce fut encore une vaine entreprise ; Ma-
gistri se tenait sur ses gardes. Mais il devait enfin suc-
comber dans cette lutte inégale. Le 4 juillet 4569, vers
sept heures du soir, il rentrait à son logis, quand un
coup de feu relentit à ses oreilles. L'assassin n'était-il
pas un des chapelains de l’église? On pouvait le soup-
conner, car le coup était parti de sa maison. Magistri
voulut faire rechercher le coupable ; mais intervinrent
le bailli du Lude et les principaux habitants du lieu,
qui, réclamant une information contradicloire, dénon-
cérent leur curé comme un turbulent, un factieux, un
prédicant de guerre civile, qui avait mis en feu toute la
paroisse par ses déclamations et ses intrigues. Celte
plainte portée devant l’officialité d'Angers, on com-
mença le procès de Magistri, sans plus s'inquiéter de
l'attentat du 4 juillet. Alors parurent devant l'official
vingt-cinq témoins, tous gens du Lude et des mieux
_ famés, qui vinrent d’une seule voix déposer contre lui,
et le présenter comme le plus échauffé des ligueurs de
la province. C'était une affaire grave, pleine de périls
pour notre cordelier, çar voici dans quelles circonstan-
ces on commençait contre lui cette information :
Si, le 4 juillet, la main d’un politique avait dirigé
contre sa poitrine le canon d'une arquebuse inoffensive,
le 4°" août, un ligueur avait tué le roi; et, la nouvelle de
cet exécrable forfait s'étant répandue dans les provin-
ces, on parlait de courir sur tous les complices présu-
més de Jacques Clément et de les massacrer en manière
de réprésailles. À l'approche de cet orage, Magistri ne
YVES MAGISTRI. 329
pouvait mieux faire que courber la tête : il se rendit
donc en toute hâte devant l’official d'Angers. Celui-ci
le fit aussitôt jeter dans un des cachots de la concier-
gerie et ne l'en mit hors que deux mois après. Mais
là ne devaient pas fini: les épreuves de Magistri. Comme
il sortait d'Angers, la prudence lui disait de passer sur
la rive droite du fleuve et d'aller chercher une retraite
au couvent de Laval: il écouta d'autres conseils, ceux
de l'orgueil, et se rendit au Lude pour défier encore une
fois ses ennemis. Or, à peine fut-il de retour au pres-
bytère, que le bailli du Lude lui fit intenter un procès
par un prêtre des environs qui vint réclamer son béné-
fice. En même temps, ledit bailli sollicita du parle-
ment de Tours que l'information fût recommencée,
s'engageant à faire prouver, par des témoignages nom-
breux et concordants, tous les délits déjà mis au compte
de ce forcené ligueur. Sur cette nouvelle plainte, le
parlement de Tours décréta, le 8 février 1590, que l’af-
faire de Magistri serait reprise, et, par un arrêté du
25 mai, l’official d'Angers somma les habitants du Lude
de venir déposer, devant le bailli, sur tous les délits
imputés à leur curé (1). Cette sommation fut entendue;
« tous les athées, épicuriens, libertins, hérétiques et
« politiques de la ville du Lude et des environs (2), »
s'empressèrent de venir altesler les faits suivants: —
Ilavait fait, disaient-ils, chanter vigiles à neuf leçons et
trois grand’ messes, en son église paroissiale, pour le
repos des âmes damnées des sieurs de Guise, et, en ou-
(4) L2 texte de cet arrêté de l'official d'Angers se trouve dans le
Réveil-Matin. |
(2) Réveil-Matin et mot-aurguet,
330 YVES MAGISTRI.
tre,afin de mettre lecombleau scandale, ilavait prononcé,
en grande solennité, l'oraison funèbre de ces chefs de la
rébellion; il avait injurieusement déclamé contre l'évè-
que d'Angers, et l'avait accusé d’avoir trahr Dieu lui-
même en favorisant la cause impie de Henri de Bourbon,
et en faisant rechercher dans son diocèse les complices
de Clément, les fauteurs de l'Union catholique; il avait
qualifié daus les termes les plus outrageants le roi dé-
funt et son légitime successeur, et voué publiquement
aux peines infernales les serviteurs les plus zélés de
la couronne; il avait fait des processions avec le clergé
de sa paroisse, pour demander au ciel le triomphe de
l'Union et la confusion de ses ennemis; il avait enfin,
du haut de sa chaire, excité le peuple à prendre les ar-
mes pour la cause de la Ligue. Voilà ce que rapportè-
rent les témoins entendus. Leurs témoignages, recueillis
par le baïlli du Lude, furent transmis par ses soins au
parlement de Touraine : c'est alors qu'aux termes d’un
arrêt rendu sur les conclusions de Servin, avocat du
roi, et du procureur Duret, Magistri fut dépossédé de
sa cure et que ses meubles, ses livres, « qui valoyent
bien, dit-il, plus de trois cens escus, » furent vendus à
l'encan. Assigné lui-même à comparaître dans le délai
de trois jours, il fut condamné à venir, tête nue, en che-
mise, la corde au cou, faire amende honorable à Dieu,
au roi, au seigneur du Lude; puis à être pendu.
Au lieu d'aller présenter sa tête à des gens qui se
montraient si curieux de la prendre pour en décorer
les ponts du .Lude, Magistri quitta son logis et courut à
travers les champs, allant quêter un asile chez les gens
de son parti. En d'autres temps, il avait été bien traité
par le comte du Lude ; mais ce seigneur, ayant pris
YVES MAGISTRI, 351
conseil des évènements, s'était enfin rangé sous les en-
seignes des Bourbonisies. Sa mère, la comtesse du Lude,
aurait peut-être néanmoins pris en pitié le pauvre cor-
delier, et l'aurait caché dans quelque lieu de ses do-
maines ; mais il vint alors vers la comtesse du Lude
une fille bien ou mal notée, qui lui raconta l’histoire la
moins édifiante : cel intolérant censeur des mœurs d’au-
trui ne s'élait pas, dissit-elle, contenté de lui tenir de
galants propos ; il avait encore prétendu lui faire vio-
lence, et tous les détails de cette criminelle entreprise
se trouvaient consignés dans un acte authentique, revêtu
de la griffe du notaire royal. La comtesse du Lude ne
pouvait plus protéger un homme chargé de tels méfaits.
En 1591, nous voyons Yves Magistri publier, à Douai,
le plus véhément des pamphlets, ce Réveil-Matin auquel
nous avons emprunté tous les détails qui précédent. Il
ne faut pas confondre les deux ouvrages suivants: Le
Réveil-Matin des catholiques, dédié à M. le duc du Maine;
Paris, Dubreuil, 4589, in-12; et celui-ci : Le Réveil-
Matin et Mot-du-guet des bons catholiques enfans de
l'Eglise apostolique el romaine, elc., etc ; le tout re-
cueilli fidèlement el mis en lumière par Jean de la Mothe,
écuyer, jurisconsulle et officier du roi; Douay,J.Bourcier,
1594,in-8°(41).C'est ce dernier ouvrage qui est, sous un
faux nom, le libelle de Magistri. On y trouve l'histoire
des troubles du Maine, et les plus impertinentes inven-
lions contre tous les personnages considérables de cette
province, outre les tragiques aventures du curé du
Lude. Cela nous apprend assez que l'écuyer Jean de la
(4) Suivant Févret de Fontette, il y a des exemplaires qui pere :
Paris, 4591, in-8°,
532 DAVID RIVAULT.
Mothe n'est qu’un auteur imaginaire. Voici sur ce point
un renseignement nouveau. À la page 81 du Réves!,
après avoir raconté les malheurs du curé du Lude, il le
nomme : « le pauvre frère Yves Magistri, cordelier de
Laval. » Or, en marge de l'exemplaire que nous avons
sous les yeux, une main contemporaine de l'impression
a écrit : « Curé du Lude, autheur du présent livre (1). »
C’est une attribution qui, d'ailleurs, n'a jamais été con-
- testée.
Que devint dans la suite cet acharné ligueur ? on l'i-
gnore. Tant d’autres étonnèrent le public par le cynisme
de leurs palinodies! Magistri fut-il de ce nombre? nous
ne voulons pas l'affirmer.
RIVAULT (navip).
Davin RIVAULT, ou mieux peut-être Davin ne Ri-
vauLT (2), sieur de Flurance, ou Fleurance-en-Saint-
Léger (3), et d'autres lieux, né à Laval ou près de Laval
vers l'année 1574, avait pour aïeux de nobles bretons
exilés de leurs terres par le duc François II, comme
ayant pris part à la conspiration fomentée par la no-
blesse contre le plébéien Landais. Le père de David
Rivault commandait le château de la Crote. près de La-
val; sa mère se nommait Madeleine Gautier (4). David
(1) Cet exemplaire est celui de la Bibliothèque nationale,
(2) Comme il est nommé dans le privilége de l°’#rt d’embellir,
(3) Rivault, de Rivault, de Fleurance, de Flurance, Flurance Ri< |
vault. Ces noms divers, entre lesquels il est difficile d'opter, se trou-
vent au titre de ses ouvroges,
(4) Observations de Ménage sur les poésies de Malherbe, p. 384,
DAVID RIVAULT. 333
fut élevé près de Guy de Laval, vinglième du nom, fils
de Paul de Coligny et d'Anne d'Allègre. A peine âgé de
vingt-quatre ans, il fil un voyage en Italie. A l'exemple
de son père, il avait pris l’épee, mais avec moins de
goût pour les armes que pour les sciences el les lèttres.
Nous avons lieu de croire qu'avant de passer en Ila-
lie, il séjourna quelque temps à Lyon: c'est, du moins,
dans cette ville qu'il publia le premier de ses écrits,
sous ce titre : Les Estats esquels il est discouru du
Prince, du Noble et du Tiers-Etat, conformément à nos-
tre temps ; Lyon, Rigäud, 4596, in-12. Il y a beaucoup
de lieux-communs dans ce traité: c'est l'œuvre d’un
jeune homme qui a peu réfléchi sur les principes, qui
n'a pas encore acquis une notion claire de l'ordre, mais
auquel le souvenir des maux causés par l'anarchie
inspire une vive terreur. Le traité des Estats, dédié à
Henri IV, se compose de trois parties : la premiére,
divisée en trois discours, a pour objet les droits du
prince et ses devoirs; dans la seconde, l'auteur parle
des nobles qu'il faut, dit-il, considérer comme les prin-
cipaux serviteurs du prince, ses ministres, et nullement
comme les censeurs de sa conduite ; dans la troisième,
il s'occupe du tiers-état, qu'il ne définit pas en des ter-
mes acceplables, mais dont, toutefois, il tient compte.
Voici une de ses formules : « Le cours humain a retenu
le paysan attaché aux nécessitez, le marchant à l'utilité,
le noble à l'honneur et à la gloire en ceste vie. » Cette
phrase n'eut pas été sans doute écrite par Sieyès, mais
elle serait à sa place dans l'Esprit des lois. C'est tout ce
que nous remarquons dans les Estlats. Nous n'avotis
donc pas en grande eslime ce premier ouvrage de Ri-
vault. « Les Frauçois, dit-il quelque part, sont naiz à
354 DAŸID HIVAULT.
cela de donner promptement leur avis de tout; quelque-
fois bien, quelquefois assez légèrement (41). » C'est unë
observation qui ne manque pas de vérité. Eh bien!
Rivault avait l'humeur française, et, trop prompt à don-
ner son avis sur des questions qu'il n'avait pas encorb
pu suffisamment étudier, il a fait, pour ses débuts litté-
raires, un livre fort léger.
La noblesse française était, en général, assez peu
letitrée : après l'exercice des armes, elle plaçait les plai-
sirs, les galantes équipées, les chasses, les jeux frivoles
* et bruyants. Rivault vit, en Italie, une autre jeunesse,
« se délectant fort, » dans ses loisirs, « au passe-temps
des Académies, » et la fréquentation de ces gentils-
hommes « fort civilisez, gentils, versez és lettres (2), »
l'encouragea plus encore dans ses projets d'étude. Etant
à Rome, il prit un maître de langues orientales. C'est
là qu'il fit la découverte de deux manuscrits précieux :
l'abrégé d’un dictionnaire arabe, et les Proverbes d’A -
bou-Obaid. Les savants n'avaient sur ce poëte que de
vagues renseignements : Rivault, possesseur de ses
œuvres, les fit traduire par un chrétien maronite, et en
cominuniqua dans la suite le texte et la traduction à
Casaubon, à Joseph Scaliger, à Erpenius. Erpenius les
publia (3).
Rivault était de relour à Paris en 4599, puisqu'en
(4) Dessein d’une Académie, p. 44, verso.
(2) Zhid, p 6.
(3) Vo:ci ce que déclare Erpénius, dans son édition des Proverbes
d’Abou-Obaïi : « Nactus est hunc Proverbiorum libellum vir clarissi-
mus doctissimusque, Dominus de Florence, christianissimi Regis
Ludovici XIII præceptor, qui enmdem, ut est linguarum orien-
talium valdè studiosus, ab Arabe quodam Maronita in latinum ser-
monem transf-rendum sibi curavit, et,is patriam reversus, cum viro
clarissimo Isaac Casaubono communicavit, »
”
DAVID RIVAÜLT. | 335
célle ännée, il publiait: Discours du point d'honneur
touchant les moyens de bien connaître et pratiquer ;
Paris, 4599, in-12. Nous ne connäissons que le titre de
cet ouvrage. En l’année 4602, il parcourait la Hollande
et rencontrait, à Leyde, Joseph Scaliger, avec leqüel il
ävait divers entretiens sur l'astronomie. De retour en
France, il était nommé par HenrilV, le &novembre 4603,
gentilhomme de la chambre du roi, et prêtait serment,
en cette qualité, le 8 février 4604. ILimporte sans doute
que nous fassions connaître ces diverses circonstances;
mais à ces détails biographiques nous devons eu ajouter
d'autres qui sont moins connus, et qui sont peut-être
plus intéressants.
Depuis qu'il avait quitté la maison paternelle, D.
Rivault avait eu surtout à cœur de fréquenter les
savants et les beaux esprits. À Paris, il voyait Isaac
de Casaubon, professeur de belles-lettres et biblio-
thécaire du roi: il étudiait d’ailleurs avec zèle. l’hé-
breu, l'arabe, le grec et toutes les parties des sciences
mathématiques. On le comptait au nombre des éru-
dits. Au mois d'avril 4604, il fut curieux de se rappe-
ler au souvenir de Joseph Scaliger, et lui écrivit une
lettre à laquelle celui-ci répondit dans les termes les
plus honorables (1). La lettre de Rivault fut transmise
à Scaliger par Casaubon, avec cette note: « Je vous fais
parvenir aussitôt après l'avoir reçue, une épître d'un
de mes amis à laquelle je joins quelques mots. Vous
connaissez de visage l'auteur de celte épître; il était dans
votre ville peu de temps, si j'ai bon souvenir, avant lé
(4) Epistolæ Jos, Scaligeri, lib. IT. Sous cette date : Fe 16 Kal.
Maii Juliani 1604.
536 DAVID RIVAULT.
commencement de l’année. Si vous le connaissiez da-
vantage, vous l'aimeriez, j'en suis certain, autant qu’il
vous respecte et vous admire. Il a cultivé toutes les
branches de la littérature; il a étudié même l'arabe, à
Paris et à Rome, lorsqu'il était dans cette ville. C'est
de lui que je tiens le livre des Proverbes Arabes. Mais
il s'est principalement occupé des mathémaliques, et je
Sais perlinemment qu'il a beaucoup écrit sur cette ma-
tiére. Il a traduit Archimèdeen latin et en français, pout
le mettre entre les mains de nos gentilshommes. Ayant
trouvé chez moi votre lettre sur la Démonstration de
l'acier, il a cru devoir saisir cette occasion pour vous
provoquer. Je pense que cela ne vous sera pas désa-
gréable. Je puis vous garantir que c'est un homme mo-
deste et digne, à mon jugement, de tous voségards (1). »
Or, ce n’est pas un adulateur vulgaire, c'est le docte
Isaac Casaubon qui s'exprime en ces termes sur la per-
sonne de David Rivault : dans une autre de ses lettres,
il lui donnera le titre de « vir erudissimus ; » ailleurs
il le désignera comme également habile dans les ma-
thématiques et dans les langues, « eximius mathema-
ticus et linguarum etiam exoticarum apprimè peri-
tus (2). » Rivault fut jaloux de mériter ces témoignages
d'estime. 11 avait fait de curieuses recherches sur les
machines de guerre, sur l'emploi des armes à feu, la
forme et la portée des projectiles ; en 4605, il publia
sur cette malière un pelit traité qui fut loué par les
experts: Les Élémens de l'artillerie, concernant tant la
première invenlion et théorie que la pratique du canon ;
(4) Casauboni Epistolæ, T, 4 p. 208 de l'édit, de 4704,
(2) Bpist. T, Il, p. 204.
DAVID RIVAULT. 331
Paris, Beys, 1605, in-8. Ce livre est dédié à Maximilien
de Béthune, marquis de Rosny.
Il ne nous appartient pas de le juger ; nous réppellé-
rons simplement, d'après les dires de Rivault, quelle
était de son temps l'opinion accréditée sur l'origine dés
armes à feu. On racontait que, dés la plus haute antiquité,
les populations indiennes avaient connu les effets de la
poudre et s’en étaient servi pour lancer au loin des
projectiles meurtriers. Non seulement, disait-on, Îles
Chinois ont anciennement fait usage de l'artillerie pour
repousser l'invasion des Tartares, mais quand Alexan-
dre vint attaquer les Oxidraques, il fut contraint de re-
noncer à son entreprise par la résistance vigoureuse
que ceux-ci lui opposèrent, en lançant la foudre et les
éclairs du haut de leurs murailles. On ajoutait qu’un
Allemand, Berthold Swartz, ayant pénétré dans les
Indes, en avait rapporté l'art de fabriquer la poudre.
Telles étaient les hypothèses accréditées encore au
xvu* siècle : mais on ignorait la découverte faite, vers
l'année 1205, par Roger Bacon; il paraît même qu'on avait
oublié l'heureuse expérience tentée par les Anglais,
en 4346, à la bataille de Crécy, car, suivant David
Rivault, le vénitien Giovani Barberigo avait le premier
employé le canon, en 1379, pour défendre Chioggia con-
tre les Génois. Cet ouvrage de Rivault paraît avoir été
fort goûté par le public: il en donna une seconde édi-
tion en 4608, « enrichie de l'invention, description et
démonstration d'une nouvelle artillerie qui ne se charge
que d'air ou d’eau pure, et a néanlmoins une incroya-
ble force; plus d'une nouvelle facon de pouldre à canon
très violente, qui se faict d'or. » L'inventeur de cette
nouvelle artillerie n'est pas notre Rivault, mais un cer-
Il, 22
538 DAVID RIVAULT.
tain Marin Bourgcois, mécanicien à Lisieux. Il ne serait
peut-être pas inulile de rechercher en quoi la décou-
verte de ce mécanicien peut différer ou se rapprocher
de quelques inventions modernes; mais nous reconnais-
sons notre incompétence en celte matière. Dans ses le-
çons publiques faites à Cambridge en 1664, et publiées
à Londres en 1683 (1), le célèbre Isaac Barrow a plus
d'une fois critiqué les Éléments de l'artillerie : ils l'ont
encore été, en 1685, par François Blondel, dans son Art
de jeter les bombes. Mais quand on prend la peine de
réfuter un livre un siècle environ après qu'il a vu le
jour, cela prouve le succès de ce livre.
En l’année 1605, Rivault accompagna le jeune Guy
de Coligny, comte de Laval, qui allait en Hongrie servir
l'empereur contre les Turcs (2). Ils quittèrent Paris le
29 août; mais à peine étaient-ils arrivés au camp des
Chrétiens, quil leur advint une grave mésaventure.Dans
une retraite près de Komore (3), sur le Danube, le
30 décembre, le comte de Laval fut atteint par un coup
d’escopette dans le bas-ventre : pour sa part, Rivault
reçut deux coups de cimeterre et un coup de hache au
défaut de ses armes. Les blessures de Rivault ne devaient
pas avoir d'autres suites; mais celle du comte fut mor-
telle. Ses compagnons de voyage rapportèrent son corps
(4) Eu 4 vol. in-fol.
(2) Voici, suivant Ménage, les autres gentilshommes qui partirent
avec le comte de Laval: les sieurs de Marolles (père de l'abbé de
Marolles), de Touthet, des Angles, d'Ivrandes, de Maineuf d'Aubi-
gny, de Rucqueville, des Bardes, de Marcongnet, de Tilloy, de Lam-
bert, de Liscoë, de la Linardière, de Crespi, de Kaimourn. Nous
n'oublierons pas non plus de rappeler le nom de Guichard, maître
d'hôtel du comte.
(3) Ménage dit au siége de Gomor, Mae Duplessis-Mornay, dans
ses a p. 448, dit prés de Sienne, Nous ne connaissons päs
ces HeUX:,
DAVID RIVAULT. 339
en France, et il fut enseveli dans l'église de Saint-Do-
minique de Laval (1). Rivault fit le récit de leur malheu-
reuse expédition dans un opuscule dont voici le litre :
Lettre à Madame la maréchalle de Fervaques, contenant
un bref discours du voyage en Hongrie de feu M.le coïnte
de Laval, son fils ; Paris, 4607, in-42.
Après cette malheureuse campagne, Rivault déposa
ses armes, pour ne plus les reprendre, et se consacra
tout entier aux travaux de l'esprit. En 41608, il publia
L'Art d'embellir, tiré du sens de ce sacré paradoxe : La
sagesse de la personne embellit sa face, estendu en toute
sorte de beauté, et ès moyens de faire que le corps retire
en effect son embellissement des belles qualitez de l'âme;
Paris, Berthauld, in-12. Le titre de ce livre dédié à la
reine Marie de Médicis, nous apprend ce qu'il contient ;
voici quelques vers de Malherbe qui le disent mieux
encore :
Voyant ma Caliste si belle
Que rien ne s’ÿ peut désirer;
Je ne me pouvois figurer
Que ce fust chose naturelle,
J'ignorais que ce pouvoit estre
Qui lui coloroit ce beau teint
Où l’Aurore mesme n'alteint,
Quand elle commence de naistre,
Mais, Flurance, ton docte escrit
M'ayÿant fait voir qu’un sage esprit
Est la cause d’un beau visage,
Ce ne m'est plus de nouveauté
(1) Le comte de Lavalavait été de la religion réformée, mais, dans
un voyage qu'il avait fait en Italie, il avait été pressé par le Pape de
rentrer dans la communion catholique. Le P, Coton acheva sa con-
version. Il y a quelques détails à ce sujet dans les Mémoires de
Mne Duplessis-Mornay, p. 446 et suiv, de l'édit, de 1824;
3k0 DAVID RIVAULT.
Puisqu'ell’ est parfaitement sage
Qu'elle soit parfaite en beauté.
L'Art d'embellir est donc un traité de morale: mais
ce n'est pas une de ces dissertations austères et chagri-
nes dont la lecture fatigue l'esprit : la manière de Ri-
vault est facile, enjouée, comme celle de Montaigne ;
quelques chapitres de l’Art d'embellir pourraient pa-
raître détachés des Essais, s'il y avait, dans la phrase
de Rivault, non plus d'élégance, mais plus de trait.
Dans ses courses en Italie, Rivault avait été séduit
par les mœurs faciles et polies de la société romaine. II
visita de nouveau ce beau pays vers l’année 4640,
et, se trouvant à Rome, il se fit recevoir dans l’Acadé-
mie des Humoristes. Le jour de sa réception, il lut
devant ses collègues un discours latin, qui fut publié
sous ce titre: Minerva Armatu, sive de conjungendis
Litteris et Armis oratio;: Romæ, 1640, in-8°. ('’est un
discours de vingt-six pages, sur un sujet que Rivault a
traité plus d’une fois. De retour en France, en 1644, il
fut nommé, par brevet du 28 avril, sous-précepteur du
jeune roi, et son lecteur, c'est-à-dire son professeur en
mathématiques, avec une pension de 3,000 livres.
L'année suivante, il obtint le titre de conseiller-d’état,
et, à la mort de Nicolas Lefebvre, qui exerçait la charge
de précepteur en chef, Rivault fut, le 4 novembre,
pourvu de cet emploi (4). C'était une affaire importante
qui devait occuper tous ses loisirs.
Dés sa présentation à la cour, Rivault avait entre-
pris de réaliser, sur ce vaste et splendide théâtre, un
grand projet de réforme dont il avait exposé le préam-
(4) Observations de Ménage sut les poésies de Malherbe, p. 232,
DAVID RIVAULT., 541
bule dans sa Minerva Armala. Il s'agissait d'arracher la
noblesse à ses occupations frivoles et de lui communi-
quer la passion de l'étude, le goût des lettres. Pour
atteindre ce désirable résultat, Rivault proposa d’éta-
blir à la cour, sur le plan des académies italiennes, une
compagnie savante composée d’un certain nombre de
membres élus, d’un directeur, de deux assistants, d’un
secrétaire, d'un trésorier et de six observateurs: en
outre, il rédigea des statuts pour cette assemblée, en régla
les attributions, et détermina les limites de sa compé-
tence docirinale. C'est ce que nous trouvons dans l’o-
puscule suivant : Le dessein d'une Académie, et de l'in-
troduction d'icelle en la cour; Paris, Lecourl, 4642,
in-8°, Ce projet fut favorablement accueilli : l’Académie
fut constituée et tint ses séances au Louvre. C'est Ri-
vault qui fit le discours d'ouverture. Nous avons ce
discours sous ce titre: La leçon faicte en la première
ouverture de l'Académie royale, le 6 de may, 1642;
Paris, P. Lecourt, 1642, in-8. C'est un morceau de
style très précieux, très guindé, dans lequel Rivault
déclare naïvement que son Académie doit devenir une
pépinière de Platons, d'Arcésilas, qui auront à la fois
pour disciples d’autres philosophes aussi bons capitai-
nes que Socrate, d’autres capitaines aussi lettrés que
ce grand Scipion qu'on voyait dans les loisirs de la
paix, suivant le témoignage de Tite-Live, « se pour-
mener dans une classe avec une robbe longue et des
pantoufles, et sortir de là plus capable de vaincre Han-
nibal (4). » Toute la harangue de Rivault étant écrite
sur ce ton, elle nous semble peu grave, mais elle ne
(4) Observations de Ménage sur les poésies de Malhorbe, page 1%
5412 DAVID RIVAULT.
dut pas être mal accueillie par les assistants: c'était le
ton ordinaire des beaux-esprits.
Entrons maintenant dans les appartements les plus
retirés du Louvre et assistons aux lecons données au
roi par son docte professeur. Nous avons deux cahiers
de ces leçons: le premier contenant six discours. publié
en 14643, in-8°, sans titre; le second, qui se compose
d’un certain nombre de lecons, publié en 4644, in-8o,
par Ant. Estienne, sous ce titre: Discours faicts au roy
en forme de catéchèses. Ajoutons qu'au témoignage de
D. Liron (1), un arrière petit-neveu de Rivault de Flu-
rance, M. Rivault, avocat au Mans, possédait, en deux
volumes in-8°, un recueil manuscrit de soixante-seize
autres discours adressés au roi, du 4°" janvier 4643 au
2 mars 4644. Ceux que nous connaissons nous permet-
tent d'apprécier ce que pouvaient être les autres. Ce
sont les plus singuliers des discours. Prenant tour à tour
pour matière le symbole des apôtres et les commande-
ments de Dieu, Rivault discute sur les questions théo-
logiques dans le langage le plus mondain. Pour démon-
trer tel article de foi, il va chercher ses arguments non
seulement dans les écrits des philosophes profanes,
mais dans ceux des historiens : il assimile les choses
les plus disparates, il compare les faits rapportés dans
la légende biblique aux évènements contemporains, et
il étonne, il confond l'esprit par la bizarrerie de ces
rapprochements. C’est de la théologie appliquée à la
politique, mais non pas avec la gravité sereine de Fé-
nélon, non pas avec l’âpre autorité de Bossuet: Rivault
est toujours un discoureur vulgaire, et, quand il veut
(4) Singularités historiq, et litt, t, 1,p. 470,
DAVID RIVAULT. £&3
prendre le ton solennel, on croirait qu'il traduit quel-
que passage des fameux Sermons de Menot.
Mais il nese contentait pas de commenter à sa manière,
devant son auguste écolier, le symbole et les comman-
dements; il lui faisait lire encore les plus élémentaires
des écrits que l'antiquité nous a laissés sur la poli-
tique. C’est ainsi qu'il traduisit pour son enseignement
les Rémontrances de Buzile, empereur des Rimains, à
Léon son fils; Paris, Lecourt, 4612, in-8° (4). Il l'aidait
encore à traduire lui-même soit de latin en français, soit
de français en latin, divers opuscules, divers fragments
d'anciens auteurs, et, pour l'encourager dans ce travail,
il en communiquait à toute la cour, à toute la France,
par le moyen de la presse, les merveilleux résultats.
Ainsi nous avons : les Préceples d’Agapetus à Justinian,
mis en françois par le roy très chrestien Louis trei-
ziesme en ses leçons ordinaires; Paris, Lecourt, 4619,
in-8°: Quædam es lectionibus christianissimi Francorum
regis Ludovici XIII; Lutetiæ, P. Curtius, 4642, in-8°;
cahier de dix-sept pages, ne contenant que des ver-
sions et des thêmes faits par Louis XIII sous les aus-
pices de Rivault; et enfin: Parva chrislianæ melalis
officia per christianissimum Ludovicum XIII ordinaia;
Parisiis, 4642, in-12.
Rivault jouissait d’une grande faveur près de son
jeune élève et près de la Reine-régente, quandil se per-
dit par un écart de conduite. Louis XIIT avait un chien
qu’il aimait fort. Rivault connaissait toute la vivacité de
cette affection, et comme cet animal assistait avec son
(4) Imprimé par À. Estienne, En 1646, l'édition étant épuisée,
a Estienne en fit une nouvelle, à la demande du marquis de Vil-
eroys .
8h4 DAVID RIVAULT.
maître aux leçons et aux discours catéchétiques de
Rivaull, celui-ci le faisait quelquefois intervenir dans
ses démonsirations, en manière d'argument. Si, par
exemple, il dissertait sur les facultés sensitives de
l'âme, ces facultés qui, suivant Aristote et St-Thomas,
sont communes aux hommes et aux bêtes, il disait pour
conclure: « V. M. recognuist tout cela en son chien, car
il court, il senl; si on le pique, il s'aigrit de cholëére et
de désir quelquefois de vous suivre; il voit, ilse nourrit,
il simagine même en dormant d'aller à la chasse, et
sait choisir son maistre entre nous tous (1). » Eh bien!
dans un jour néfaste, Rivault oublia les égards qu'il
devait à cet animal bien-aimé: troublé par ses ébats,
importuné par ses bruyantes caresses dans un moment
où sans doute il s'élevait aux plus hautes régions de
l’éloquence, il chassa loin de lui ce turbulent, et...
quelle inconvenance ! il le frappa. Le chien piqué s'ai-
grit de colère : l'écolier, doué, comme il a été dit, de fa-
cultés sensitives analogues à celles deson chien,s emporta
comme lui, et, pour le venger, s'élança sur le malheu-
reux docteur et lui rendit coup pour coup (2). Un tel
évènement ne pouvait manquer de causer un grand
scandale. Prévoyant sa disgrâce, Rivault fit ses adieux
à la cour.
C'est durant cette retraite qu'il s'occupa de rassembler
les divers écrits d'Archimède, et d'en donner une édi-
tion. Elle parut en 4615, sous ce titre: Archimedis
omnia quæ extant novis demonstralionibus commenta-
risque illustrata, per Davidum Rivaltum à Flurentia;
(1) Premier cahier, Second discours, p. 28.
(2) Observations de Ménage sur les poésies de Malherbe, p, 252,
AMBROISE LEGAUFFRE. 345
Parisiis, Morellus, 4645, in-fol. Le texte grec est accom-
pagné d'une traduction, de notes, et, comme l'indique
‘le titre, de démonstrations nouvelles. Rivault y a joint
les commentaires d'Eutocius d’Ascalon, quelques frag-
ments d'anciens géomètres, une vie d Archimède et
un discours adressé aux gentilshommes français pour
les encourager à l'étude des mathématiques. Naudé
goûta fort la traduction de Rivault: Jean Wallis vint
ensuite prétendre qu'elle ne valait pas celle de Jacques
de Crémone. Cette opinion ne fut pas partagée par le
P. Richard, professeur rayal à l'Académie de Madrid,
lequel en fit une édition nouvelle en 4646. Suivant Ca.
saubon, Rivault aurait traduit Archimède en latin et
en français; mais cette traduction française n'est pas
autrement connue. |
Si graves qu'eussent été les motifs et les suites de la
querelle survenue entre Louis XIII, son chien et son
précepteur, il y eut bientôt une réconciliation générale :
pour témoigner à Rivault la sincérité de son retour, le
roi donna 600 livres de pension à l’un de ses neveux, lui
promit un évêché, et le chargea d'aller accompagner à
Bayonne Madame Elisabeth de France, mariée au roi
d'Espagne. C'est en revenant de ce voyage que Rivault
mourut à Tours, au mois de janvier 4646, âgé de qua-
rante-cinq ans (1).
LEGAUFFRE (AMBROISE).
AuBro#E LEGAUFFRE, né au Grand-Lucé, en 41568,
fit ses premières études chez les PP. jésuites du collège
(4) Observations de Ménage, au lieu cité,
386 AMBROISE LEGAUFFRE.
de Clermont. A dix-huit ans, on le désignait comme un
excellent humaniste, et il quittait la classe du P. Sir-
mond, pour aller faire un voyage dans les Flandres.
C'est dans ce voyage qu'il vit Juste-Lipse, et devint son
ami (1). Il était de retour en France et passait par Caen,
lorsque la faculté de droit de cette ville, jalouse de s’at-
tacher un jeune homme de si grande espérance, lui of-
frit une chaire et le sollicita vivement de vouloir bien
l'occuper. Il y consentit, mais le nouvel évêque de
Bayeux, Jacques d’Angennes, s'empressa de lui offrir,
dans son diocèse, les titres de chanoine et de grand-
vicaire. Legauffre accepta ces titres et les réunit plus
tard à ceux de trésorier de l’église de Bayeux (1609),
et de vice-chancelier de l'Université de Caen. Il paraît
qu'il s'acquitta très convenablement de ces hauts em-
plois : c'était un homme petit de taille, actif, intelligent,
plein de zèle pour les affaires dont il avait la charge et
la responsabilité, d'une intégrité à toute épreuve, très
sévère en ce qui regarde la discipline et s'occupant des
pauvres comme de sa famille (2). Il s'était acquis une si
bonne renommée, que la province de Normandie le
choisit comme un de ses représentants aux Etats-Géné-
raux de 4644. Ambroise Legauffre mourut le 23 no-
vembre 1635, à l'âge de soixante-sept ans : son corps
fut inhumé dans la chapelle de la Sainte- Vierge de l’é-
glise cathédrale de Bayeux. Il eut pour successeur, dans
sa charge de grand- vicaire, Michel Durocher, fils d'un
marchand de Lucé, compagnon de son enfance et de ses
(1) Huet, Origines de Caen, ch. 24. — Hermant, Hist, du diocèse
de Bayeux, p. 495.
(2) Huet, Origines, au lieu cité.
PIERRE ET JACQUES TAHUREAU, 347
études, qu'il avait donné pour aumônier à l'évêque Jac-
ques d'Angennes (1).
Ambroise Legauffre laissait, en mourant, un abrégé
des Décrétales, qui fut publié par son neveu Hubert-
François Legauffre, maître des comptes à Paris, sous ce
titre: Ambrosii Legauffre Synopsis Decretalium, seu ad
singulos Decretalium tilulos methodica juris utriusque
mutalionum distinctio; Parisiis, Clousier, 4656, in-fol.
Huet nous apprend que cet ouvrage fut très estimé. On
le rencontre difficilement aujourd’hui.
Ras
TAHUREAU (PIERRE et JACQUES),
De son mariage avec damoiselle Marie Tiercelin, de
la noble famille des sieurs Tiercelin de la Roche-du-
Maine, en Poitou, Jacques Tahureau, sieur de la Che-
vallerie et du Chesnay, juge du Maine, eut deux fils
qui, dés leur jeunesse, donnèrent les plus belles espé-
rances. L'unet l’autre ils furent destinés à la profession
des armes, dans laquelle s’étail rendu si célèbre un de
leurs ancêtres, la grande gloire de la France chevale-
resque, Bertrand du Guesclin; mais; après avoir fait
quelques campagnes, ils manifestérent l’un et l’autre
des inclinations toutes pacifiques.
L'ainé, Pine TAHUREAU, nous est représenté par
Ea Croix du Maine comme « l’un des plus sages et ad-
visez gentilshommes et des plus doctes et leltrez ; » il
était, ajoute ce bibliographe, très versé dans la juris-
prudence, mais dédaignant sans doute la robe longue,
(1) Hermant, u lieu cité,
548 JACQUES TAHUREAU.
il ne faisait pas métier d’un savoir laborieusement ac-
quis, et quand on lui demandait son avis sur une ques-
tion judiciaire, il conseillait toujours non de plaider,
mais de transiger. Nous n'avons pas d'autre renseigne-
ment sur ses travaux littéraires que celui-ci : « Ledit
Pierre Tabureau a escrit plusieurs for beaux et doctes
livres, lesquels il n’a encores mis en lumière ; sçavoir
est : un livre de la Police et République françoise, con-
tenant un discours des Eslats et Offices, tant des nobles
que de ceux de la robbe longue, et de leur première
institution. Il n’est encores imprimé. — L'Histoire de
nostre temps, soubs les règnes des rois de France,
François premier, Henry second, François second,
Charles neufiesme et Henry troisième à présent régnant.
Elle n'est encores en lumière.— Plusieurs Poésies fran-
çoises, non encores imprimées, sinon quelques-unes
qui sont avec les œuvres de son frère (1). » Tous ces
ouvrages, s'ils ont existé, sont perdus. On ne trouve
pas même, dans les Poésies de Jacques Tahureau, les
vers que La Croix du Maine prétend y avoir lus.
Parlons maintenant de Jacques TAHUREAU. Celui-ci
n’est pas un écrivain problématique; c'est un prosateur
distingué, c'est un poête excellent, c’est une des gloires
du Maine! Voici d'abord le catalogue des éditions de
ses œuvres. Poësies de J. Tahureau; Poitiers, Marnef,
4654, in-8°. Sonnets, Odes et Mignardises amoureuses de
l’'Admirée; chez le même, à la même date. Les Poésies de
J.Tahureau, mises toutes ensemble; Paris, Nic.Chesneau,
1574, in-8° : il y a des exemplaires de cette édition au
(4) La Croix du Maine, Biblioth, françoise, au mot Pierre Tahuye
réal |
JACQUES TAHUREAU. 349
nom des libraires Ruelle (4) et Rob. Le Magnier (2); le
mème recueil fut publié à Lyon la même année, chez
Rigaud, in-416, sous le titre de Odes, Sonnels et autres
Poésies gentiles et facélieuses de J. Tahureau (3). Oraison
au Roi,de la grandeur de son règne et de l'excellence de la
langue françoise ; Paris, V° Maurice de la Porte, 4555,
in-4°. Ce discours, assez insignifiant, est en prose : à la
suite se trouvent quelques poèmes reproduits dans les
éditions des Poéstes de l'année 1574 (4). Les Dialogues
de feu J. Tahureau, gentilhomme du Mans ; Paris, Buon,
1562, in-8° (5), publiés par les soins de Maurice de la
Porte : quatre autres éditions de 1568, 1866, 4568,
1570, portent le nom du même libraire; Du Verdier nous
en désigne une autre de Lyon, 1568, in-16, et nous
trouvons dans la Bibliographie de M. Desportes ces au-
tres indications : Paris, 4574, 4576, 4580; Rouen, 1583,
1589, et Anvers, 4874, in-16. L'éditeur Maurice de la
Porte raconte, dans ses Epithèles, que J.Tahureau laissa
cet ouvrage inachevé, et qu'il devait se composer de
quatre dialogues. La Croix du Maine avait annoncé,
d'autre part, que, possédant une copie des deux dialo-
gues imprimés bien plus ample que celle de Maurice de
la Porte, il en donnerait une autre édition, mais c’est
un dessein que La Croix du Maine n'a pas exécuté,
(4) Cat, de La Vallière, deux. part, t, 1v, p. 79.
(2) Biblioth. franç. de Du Verdier,
(8) On trouve encore des fragments des poésies de Tahureau daris
le Parnasse des Poëtes françois modernes, de Gilles Corrozet, aux
pages 31, 63, 64, 69, 102, 137.
(4) Si ce n'est, toutefois, une Epiître aux Muses sur la mort du
jeune comte de Tonnerre, Henri du Bellay. Cette Epitre élégiaque
ne se voit pas dans le recueil de 4574.
(5) Biblioth, françoise de La Croix du Maine,
350 JACQUES TAHUREAU.
comme beaucoup d'autres du même genre. Enfin, ce
bibliographe attribue à J. Tahureau une traduction en
vers français de l'Ecclésiasie, et divers autres poèmes et
discours qui sont restés manuscrits ainsi que cette tra-
duction.
Né dans la ville du Mans en 1527, J. Tahureau suivit
d'abord la carrière à laquelle il avait été destiné par la
volonté paternelle; il prit l'épée, et alla se ranger au
nombre des gentilshommes français dont Charles-Quint
éprouva, dans les plaines d'Italie, la fière vertu, lin-
domptable courage. Mais avant de partir pour cette ex-
pédition lointaine, Tahureau avait fait la rencontre
d'une jeune fille de Tours dont le souvenir occupait beau-
coup trop son esprit :
L'an quatorziesme à peine commençoit
À me pousser hors de l’enfance tendre,
Quand ton œillade esclave me fist rendre
De ce bel œil qui le mien caressoit (4).
Amour très précoce et qui paraît d'ailleurs avoir
été très vif et très durable. Aussitôt qu'il fut permis à
3. Tahureau de revenir en France, il se hâta de profiter
de cette permission, et d'accourir aux lieux habités
par son Admirée. Mais n'est-ce pas alors que la trop
tendre demoiselle fut unie par le lien du mariage à
quelque infortuné tourangeau? On peut le croire. Plu-
sieurs fois, dans ses poèmes, Tahureau maudit le soi
Vulcan (2) qui lui a ravi sa maîtresse :
(4) Poésies, p. 67%
(2) Poésies, p. 89 verso,
JACQUES TAHUREAU. 391
J'estois un soir sur l’aréneuse grève
(Commun plaisir aux nimphettes de Tours),
Me promenant par maints folâires tours,
Pour œillader ce bel œil qui me grefve :
Mais ce cruel, dont je n’ay point de tresve,
Soudain, soudain par un de ses destours
Me vint priver du bien de mes amours
Par un Vulcan qui lors me les enlève... (4)
Ce qui nous fait supposer que les disgrâces de Tahu-
reau eurent lieu à son retour des guerres, c'est que nous
le voyons, vers ce temps, s'établir à Paris, et commen-
cer à gémir en vers sur l’inconstance et les rigueurs du
sort. Tous les poëtes sont-ils amoureux ? on en doute ;
mais on s'accorde à dire que tous les amoureux sont
poëtes : c'est, ajoute-t-on, un des symptômes de leur
folie. Tahureau laissa donc l'épée pour suspendre à son
côté la guitare aux galants accords. Ronsard fut son
maître : il adopta résolument la cause de la nouvelle
école et traita l'ancienne avec beaucoup de mépris (2).
Ses condisciples, ses amis furent P. Paschal, Denisot,
Jodelle, Mellin de Saint-Gelais, Jean de la Péruse,
Joachim du Bellay, Antoine de Baïf. Il eut avec celui-ci
les plus intimes rapports : la conformité de leur âge, de
leurs goûts et de leur manière poétique les avait rappro-
chés. Ils vivaient ensemble, s'entretenant de leurs
amours sans aucune discrélion, et s'adressant des con-
seils réciproques sur les choses de leur métier. Tahu-
reau dit à Baïf :
Combien de fois élongné
De ce rude populaire,
(1) Poésies, p. 87.
(2) Poésies, Advertiss, au lecteur.
359 JACQUES TAHUXEAÜ.
Tes pas m'ont accompaigné
Par maint bosquet solitaire ?
Combien avons-nous passé
De chaleurs soubs la ramée,
Et tes beaux vers compassé
À ma guiterre animée ? (1)
Enfin, après avoir pris une part active aux luttes de
la jeune école contre ses détracteurs atlardés, après
avoir obtenu les applaudissements les plus flatteurs
dans la brillante compagnie des nouveaux poëtes, il se
‘retira dans une campagne qu'il possédait au Maine. II
nous a donné la description de ce lieu : « Tu peus voir
là au-dessus, en ce petit lieu montueus, une maison
quarrée faicte en terrasse, appuyée de deus tourelles
d’un costé, et de ce costé mesme une belle veüe de prai-
rie en bas couppée et entrelassée de ces petits ruisseaus
qui ont ainsi le cours vague et tortu : de l'autre costé,
ceste touche de bois fort haute et ombrageuse, dont
l'un des deux bouts prend fin à ces rochers bocageus
que tu vois à un des détours de ceste prée, et l'autre au
commencement de ceste grande plaine qui est un peu
au-dessous de ceste maison que je t'ai monstrée... Or,
tu vois une maison qui est mienne, et si tu me veus
faire tant de bien que d'y venir prendre le disner, je te
montrerai plus amplement les commodités et situation
du lieu qui est possible telle que tu y prendras quelque
plaisir (4). » On pourra rechercher où se trouvait cette
retraite. Tahureau y fut à peine établi, que, pour met-
tre fin aux agitations d'une vie légère, il se maria. Il
(4) Poésies, Advertiss, au lecteur, p. 36 verso.
(2) Dialogues de Tahureau, à la fin du premier, p. 449,
JACQÜES TAHUREAU, 383
avait célébré, dans ses Poésies, les amours faciles ; il
avait déclamé dans ses Dialogues contre la corruption
cynique et les ruses traîtresses des femmes de la ville
et de la cour : mais oubliant à la fois et ses vers galants,
el sa prose renfrognée, il demandait à des noces légiti -
mes le calme et les douces satisfactions du foyer do-
mestique. 11 ne lui fut pas donné de faire une lon-
gue épreuve de cette nouvelle existence, car peu de
lemps après son mariage, il mourut, étant encore à la
fleur de l’âge : il n'avait que vingt-huit ans.
” Pasquier, comme le fait observer la Monnoye (1), a
mal à propos raillé l’auteur des Dialogues. Ce livre, écrit
avec beaucoup de verve et d'esprit, doit être compté
parmi les meilleures productions de l'esprit satirique.
Ce n'est pas la fine raillerie de Montaigne, ce n'est pas
le franc parler de Rabelais; c'est le genre intermédiaire.
Si toutes les prescriptions du goût ne sont pas observées
dans ces libres discours, ils se recommandent par la
vivacité du langage, la vigueur du trait, la précision
hardie de l'épithète, l'abondance toujours pittoresque de
Ja période : nous n'hésitons pas à dire que les Dialogues
de Tahureau méritent uue place distinguée dans toutes
les bibliothèques littéraires.
Get écrivain est, toutefois, moins connu et moins
recommandé comme prosateur que comme poêle.
M. Sainte-Beuve l'a nommé le Parny du xvi* siècle (2),
et à bon droit. Il s'est quelquefois essayé dans le grand
vers, et n’y a pas mal réussi; il ÿ a des périodes bien
(4) Notes de l'édit, de La Croix du Maine, donnée par Rigoleÿ de
Juvigoy.
(2) Tableau hist, et critig, de la Poésie française, p,. 97 de l'édit:
de 1848.
ILL. 23
354 JAÜQUES TAHURÉAÜ.
soutenues dons son épître au cardinal de Lorraine (4):
mais ce n’était pas là, toutefois, le genre qui convenait
le mieux à la nature de son talent. Il le comprit lui-
même, et après avoir liré quelques sortis rauques et sus-
pects de la trompette guerrière, il prit, nous dit-il, la
guitare pour ne la plus quitter :
J'avois quelquefois entrepris
De tonner l'horreur des alarmes,
Et comment on ravit le prix,
Forcenant parmy les gendarmes;
Comment le soldat furieux,
Noir de sueur, de sang, de poudre,
Tempeste et froisse, audacieux,
L'ennemi d'une horrible foudre,
Je m’enroüay d'un cry plus fort
Que la lire mignardelette,
Cornant le martial effort,
Subject bien loing de l’amourette;
Je vomissoy d’un plus haut ton
L’horreur, le massacre, l'orage
Du meurdrier foudroyant canon
Ronflant d'une grondante rage,
Le brusque cheval hannissoit
Roüant par la gendarmerie,
Et, brave à l’approcher, froissoit
Les bandes de l'infanterie :
Deux camps pesle-mesle broüillez
Se chargcoyent d’une horrible audace
Descouvrans leurs harnois souillez
Du sang des gisans par la place...
Mais je racle tout ce projet :
Maintenant je quitte les armes,
(1) Poësies, page 11, verso,
JACQUES TAHUREAU. 355
Hélas! fatalement subject
A de plus piteuses alarmes!
Hélas! mon amoureux papier
Ne veut plus souffrir que des plaintes... (1)
J. Tahureau laissait donc à Ronsard, à la Péruse, les
grands sujets, les grands desseins, et, prenant un plus
humble ton, il suivait mieux le penchant de sa Muse :
D'amours je vy et d'amours je respire ;
D'amours friand, d'amours je veux escrire...
Les plus remarquables de ses poésies sont, en effet,
des poésies galantes : on en trouve même, dans son re-
cueil, de très galantes, et ce ne sont pas les moins es-
timables ; tous ses baisers sont enivrants. M. Sainte-
Beuve a reproduit un de ces baisers (2) qui vaut assu-
rément ceux de Jean Second : nous n'oserions pas en
citer quelque autre; nos oreilles sont devenues trop
chastes pour supporter tous les détails de ces descrip-
tions passionnément érotiques : nous ne pouvons que
recommander aux curieux, aux lettrés, le deuxième
baiser ; c'est le plus vif et tout ensemble lé plus volup-
tueux de ces petits poèmes. Voici des vers plus graves
. auxquels, nous n'en doutons pas, on accordera quelque
estime ; c'est le portrait du poëte :
e LU e e e C2 e. CE
Le Il n'éclaircist son héritage
Il n’ipothecque poiat ses champs
Aux plus pécunieux marchans,
Pour enfler des armes la rage :
(4) Poésies, p. 37,
(2) Ouvrage cité, p. 96;
356
JACQUES TAHUREAU.
Il n’ha jamais le corps voûté
Pour se corrompre en la carrière
D'une course poudreuse et fière
Dessus un poulain mal domté...
Fraudant je droit et la raison
Il n'embreuvage la poison
Pour crocheter des bénéfices :
Jamais d’une nouvelle loy
Au fard dé sa langue faussaire
I] n’ha séduit le populaire
Scismatizant en nostre foy.
Corrompu de pâle avarice,
Il n’ha menti dans un parquet,
Troublant, bavard, de son caquet
Les droits de la saincte police :
Jamais, compagnon d’un voleur,
Il n'ha détroussé au passage
Le marchant subject au dommage
D'un tel calumnieux malheur...
Pensif, triste, il ne thésorise,
Béant pallement après l'or ;
Mais il fait un plus cher trésor
D'un saint renom qui l'éternise.…
Ains, fuyant les sottises vaines
De la vulgaire vanité,
Il suit l'honneste liberté,
Ami des choses plus certaines,
Bien luy plaist l’azur d’un ruisseau
Doré d’un sablonneux rivage,
Et le paisible frais ombrage
D'un verd boccageux arbrisseau.
Une gente cointe nimphette
Sans unguent, sans musq et sans fard,
D'un naturel friant regard
Luy darde au cœur mainte amourette,
HOYAU. 807
Et dressant un beau liot de fleurs,
Au bord d’un pré dans la sausaye,
Avec elle il guarist la playe
De ses aigrelettes douleurs, etc., etc...
On ne saurait mieux faire connaître un poêle qu’en
citant ses vers : nous ne voulons pas toutefois prodiguer
ici les citations ; qu'il nous suffise d’avoir fait connaître
la manière lyrique de Tahureau, et d’avoir réclamé,
pour ce poëte facile et enjoué, une place honorable sur
le Parnasse du xvi° siècle, près de son ami J. Ant. de
Baïf.
MÉOT (5EAN).
On ne connaît Jean MÉOT que par cette notice de La
Croix du Maine : « 11 a composé plusieurs comédies et
tragédies françoises, lesquelles il a fait jouer et repré-
senter en public, lorsqu'il estoit régent au collége de
Gourdaine, situé en la ville du Mans. Elles ne sont en-
cores imprimées. Il a escrit plusieurs poëmes sur le
trespas du feu prince de Condé, Louys de Bourbon, et
quelques vers sur la venue de M. le cardinal de Ram-
bouillet, en son évesché du Mans. Il florissoit l’an 4574. »
Les compositions dramatiques de Jean Méot ont sans
doute eu peu de succès, puisque La Croix du Maine en
a seul parlé.
Re
HOYAU.
C'est le nom d’une famille qui occupe dans les fastes
du Maine une place assez notable. Nous connaissons
se
358 HOYAU.
d'abord un poëte de ce nom qui paraît avoir joui de
quelque célébrité du temps de J. Tahureau. Celui-ci dit
aux Muses, en les conviant d'aller habiter le Maine:
Voyez ce beau lict de fleurettes
Voyez ces courtines proprettes
Qu'avec la Varie et HOY AU,
Mon frère, vostre Tahureau,
A part vous dresse, dans l’ombrage
De ce feuillu-sonuant bocage (4).
Mais c'est là tout ce que nous apprenons sur ce poële.
Si curieux que La Croix du Maine ait été de transmettre
à la postérité les titres littéraires des moindres écri-
vains nés dans sa province, il a négligé de mentionner
celui-ci.
Nous lisons encore les noms de François HOYAU, né
au Mans en 4664, échevin en 4685, qui obtint en 4690
l'office de procureur du roi; d'Honorat Hoyau, procu-
reur du roi en la prévôté en 1690; de Jacques Hoyau,
procureur du roi titulaire en 4693, et de François Hoyau,
substitut titulaire du procureur du roi en 1698 (2). Au
témoignage de l'abbé Ledru (3), l'échevin de l'année 1664
a composé quelque ouvrage historique; mais nous igno-
rons même le titre de cet ouvrage: il n’est rappelé dans
aucun des catalogues que nous avons consultés.
(1) Poésies de 3, Tahureau. Epitre aux Muses,
(2) M. Cauvin, De l’Administr, municip., p,. 55 et 56,
(3) Annuaire de la Sarthe, an TX.
FRANÇOIS GUYART. 8b9
PEROT (r...).
Nicolas Bergeron, avocat au Parlement de Paris, l’un
des savants les plus ingénieux du xvi° siècle, est dé-
signé par la plupart des bibliographes comme auteur de
l'opuscule suivant : Table historialle contenant un abrégé
de ce qui est advenu de plus notable depuis le commen-
cement du monde jusqu'à présent; Paris, 1580, 1584.
Du Verdier a fait, toutefois, observer qu’il connaissait
une édition de cette table imprimée « long-temps aupa-
ravant, » à Lyon, chez J. de Tournes, sous le titre de:
Sommaire des temps. Or, suivant La Croix du Maine,
ce Sommaire des temps depuis la création du monde
_ jusqu'à présent, aurait été publié pour la première fois,
à Paris, chez Vascosan, en 1562, par R. PEROT, né
au Mans, et celui-ci n’aurait fait que traduire de latin
en français l'ouvrage d'un certain Rodolphe Coudun,
qui nous est tout-à-fait inconnu.
GUYART (FRANÇOIS).
Du Verdier {1} et Israël Spacchius (2) nous font connat-
tre François GUY ART, né dans le Maine, comme auteur
d’une introduction à l'étude de la logique, publiée sous
ce titre: Tractalus preambulatorius in omnem scientiam
logicalem; Lugduni, Nourrit, 4543, in-4°ouin-8°. Nous
(1) Biblioth, Lat, |
(2) Nomenclator script, Philos,
LRU 27 ES I SN NE
360 JÉROME DE LA VAYRIE.
n'avons pas d'autres renseignements sur ce livre, qui
manque partout où nous l'avons recherché.
LA VAYRIE (JEROME DE).
Nous lisons dansla Bibliothèque françotse de La Croix
du Maine : « Hienosue De LA VAYRIE, gentilhomme du
Maine, sieur dudit lieu et de la Vaudelle, au bas pays du
Maine, appelé vulgairement le pays de Nuz ou Nus-
trie, poëte latin et françois, théologien, orateur et his-
torien. Il a traduit en françois les Harangues de Thuci-
dide et de Tite-Live, non encores imprimées. Il a
davantage traduit l'Histoire Romaine de Tite-Live, la-
quelle n’est encores imprimée: il la fist transcrire au
Mans par un écrivain nommé Meserette, pour la faire
imprimer. J'ai apprins cecy de Georges du Tronchay,
sieur de Balladé. » Ces traductions n'ont pas été impri-
mées, et elles paraissent perdues, ainsi que les poèmes,
les discours et les traités théologiques de Jérôme de
la Vayrie. Tahureau a célébré ses mérites dans le sonnet
suivant:
Si onques je chantay d’un écrit véritable
Les hommes d'icy-bas orner de tout bonheur,
Vien, Caliope, vien me prester ta faveur,
M'inspirant de ta voix le chant très délectable,
C'est ores qu’il me faut de ton son plus aimable
Chanter et de toy-mesmes et de tes sœurs l'honneur,
Ton Vayrie, qui peut de sa docte douceur
Sus les poëtes latins se monstrer admirable:
Qui de cent et cent mille autres vertus comblé
RENÉ ET JEAN TARON. : 801
N'ha jamais peu souffrir yoir son esprit troublé
De ces grosses erreurs que l'ignorance admire.
Bien heureux donq, livret, heureux si quelquefois
Dedans ses doctes mains arriver tu pouvois
Et qu'il te fist l'honneur seulement de te lire (4),
TARON (RENÉ et JEAN).
Voici dans quels termes La Croïx du Maine parle de
René TARON : « René Taron, advocat du roy au Mans,
frère aisné de Jean Taron, sieur de la Roche, conseiller
du roy au Mans, et encores de M. Taron, chanoine en
l'église de laditte ville du Mans. II estoit poële françois
et orateur et encores plus grand théologien. 1l a traduit
du latin en françois l'Apocalypse de S. Jean, laquelle
n’est encores imprimée. Elle se voit escrite à la main
avecques les commentaires dudit Taron sur icelle Apo-
calypse, le lout escrit de la main de maistre Nicole
Manceau, sieur de la Gaudinière, grand amy dudit
René. Ce livre fut baillé à Claude de Tesserand, gen-
tilhomme parisien, pour le faire imprimer, et pour cet
effet il l’envoya à Lyon; mais pour tout cela il n'est en-
cores en lumière. 1l a escrit plusieurs vers françois,
tant pour servir de prières à Dieu que sur autres sub-
jects, des troubles de France, etc., etc., non encores im-
primez. Il mourut en la ville d'Alençon, l'an 4567, le
18° jour de may.» Nous n’apprenons pas qu'aucune
des œuvres de ce René Taron ait été publiée depuis
(4) Les Poésies de J, Tahureau, p, 55, verso,
662 JEAN TABON.
l’année 1584, et le manuscrit du sieur de la Gaudinière
doit avoir été perdu. Il a été fait des pertes plus re-
grettables.
La Croix du Maine s'exprime ainsi sur Jean TARON :
« Ce seigneur de la Roche-Taron, outre sa profession
du droit, s'est pleu autresfois à la poësie latine et fran-
çoise. Outre cela, il est beaucoup à estimer pour la
grande et louable curiosité qui est en luy de faire amas
de toutes sortes de beaux et doctes livres, desquels sa
bibliothèque est tellement enrichie qu'elle est estimée
l'une des plus belles et plus riches qui soit au Maine,
voire en Anjou el en Touraine, non seulement pour les
belles et propres relieures ou couvertures de ses livres,
mais pour avoir choisi les plus beaux et plus corrects
exemplaires, à quelque prix qu'ils ayent esté. Il florist
au Mans cette année 1584, el n'a encores fait imprimer
aucunes de ses œuvres, que j'aye peu scavoir. Il peut,
quand il voudra, en escrire de bien for beaux sur plu-
sieurs différents subjects, estant homme docte et ayant
tant de beaux livres en sa possession ; ce que je pense
qu'il fera, ayant relasche aux affaires de sa principale
estude qui est la jurisprudence. » Jean Taron n'a pas
rempli ce vœu de La Croix du Maine, ou, s'il a composé
quelque ouvrage, il n'en a rien fait connaître au public.
Nous n'avons de lui que des vers latins, traduits du
grec de J. A. de Baïf, qui sont imprimés en tête des
Poëéstes de J. Tahureau (4).
Nous ne voulons pas dire, toutefois, que Jean Taron
ait peu mérité ces éloges dont La Croix du Maine était
si prodigue à l'égard de ses amis. Tahureau l’a compté
(4) Paris, 4574.
JEAN TARON. 363
parmi les illustres Manceaux du xvi‘ siècle (4), et, pour
éterniser sa mémoire, il a pris soin de lui adresser une
de ses meilleures odes. Nous ne pouvons nous abstenir
d’en publier au moins quelques vers :
Au temps passé, la poësie
l'ichement docte fleurissoit,
Et des plus grands princes choisie,
Comme sainte les ravissoit..…..
Mais où est maintenant le poëte,
Où est, je vous pry, l'écrivain,
Tant il ait la plume parfaite,
Qui n’aille travaillant en vain?
I] ne peut pas d’une couronne
Se voir guerdonné seulement,
Si luy-mesme ne se la donne,
Servant encor d’esbatement.
Toutesfois, mon Taron, ne pense
Que je plaigne comme perdu
Tout le temps qu'en ceste jouvence
J'ay pour les Muses dépendu.
Certes l’estude n'est pas vaine
Qui se passe si guayement,
Et qui, pour le fruict de sa peine,
Cause un si grand contentement,
Il est ainsi, je le confesse,
Que j'ay voulu les sers choisir,
Pour obeyr à ma jeunesse,
Qui s'y baiguoit d'un doux plaisir,
Espérant bien tousjours que l'aage
(4) Dans son épitre aux Muses. Il leur dit :
Voyez Trouillard, voyez Neveu,
Et Taron qui dressent un vœu,
Un. vœu duquel, d’aage en autre aage,
Nos neveux feront tesmoignage...
Tahureau, page 62 de ses Poésies,
564 JEAN MOREAU,
Ces miguardises changeroit
Et que, d'un plus rassis courage,
De ces erreurs m’eslongneroit,
Puissay-je désormais ensuivre,
Mon Taron, un chemin plus seur,
Et, comme toy, sagement vivre,
Tentant un plus grave labeur!
Puissions-nous, eu tranquille vie,
Désormais faire jugement |
Des autres, dont la poësie
Nous désennuira doucement (4).
MOREAU (5EaN).
Jean MOREAU, docteur en théologie, chanoine en
l'église de Saint-Julien, du Mans, est auteur d'une Le-
gende dorée des évêques du Mans dont la bibliothèque
de cette ville possède trois manuscrits, sous les nos 97,
206, 245. Cette légende a été imprimée dans le recueil
des Bollandistes, à la date du 46 avril. Voici le titre
que portent les manuscrits : Nomenclatura, seu Legenda
Aurea pontificum Cenomanensium, ab anno Verbi incar-
nati 902 usque ad annum 1572. C'est un abrégé du Li-
ber Pontificalis, fait avec quelque discernement. L'au-
leur du Cenomania, Corvaisier, Bondonuet et l'abbé
Renouard ont beaucoup pris dans cet abrégé, et P. Viel
en a traduit une bonne part pour son Histoire de la vie,
mort, passion el miracles des saints (2).
La Croix du Maine et l'abbé Ledru (3) désignent la
(1) Poésies de 3, Tahureau, p, 44, verso,
(2) Hist, litt, du Maine, t, x, p. 299,
(8) Annuaire de l'an 1x.
JEAN MOREAU. ‘365
‘ville du Mans comme le lieu natal de Moréau. Mais ils
sont contredils sur ce point par une autorité qui paraît
irrécusable, celle de Moreau lui-même. Tels sont, en
effet, les termes de sa Dédicace à Ch. d'Angennes :
« Clarissimo patri purpurato à Rambulleto, vigilantis-
simo Cenomanorum præsuli, Carolo d’Angennes, Jo-
hannes Morellus, Lavallensis, etc., etc., felicitatem ex
animo precatur (1). » Ilétait donc de Laval. Il nous est
moins facile d'établir la date de sa naissance. Aucun
des trois manuscrits de la bibliothèque du Mans ne pa-
raît être l'original. Celui qui porte le n° 206 est de la
main de dom N. Prodhommeau, moine de Saint-Vin-
cent, qui a fait celte compilation en 4648 : « Excerptum
est hoc opus ex eodem D. Morello per F. N. Prodhom-
meau, Vincentium monachum, anno Domini 4648. » Or,
l'épître dédicatoire de l'auteur à Charles d'Angennes
étant de l’année 4572, il n’est pas invraisemblablè que
dom Prodhommeau ait connu J. Moreau. Il pouvait donc
être bien informé de la date de sa mort, lorsqu'il ajou-
tait cette note à la préface de la Légende dorée : « Obiit
author et doctor Morellus 41 jan. ann. 1573, ælalis 77. »
A ce compte Jean Moreau serait né en 4496. Mais voici
d’autres renseignements qui ne s'accordent pas avec
celui-là, La Croix du Maine, qui doit avoir entretenu
des rapports familiers avec Jean Moreau, nous dit à ce
sujet : « 1l florist au Mans, cette année 1584, âgé de plus
de 60 ans. » Si peu de confiance que mérite d'ordinaire
le témoignage de La Croix du Maiñe, on ne le croira
pas assez léger, assez étourdi, pour avoir, en 1584,
compté parmi les vivants un homme mort en 4573. Re-
(4) Manuscrits du Mans, n° 206;
360 JEAN MOREAU.
_marquons, en effet, qu'il s'agit ici d’un personnage con-
sidérable dans le diocèse, d'un chanoine, du premier
historien de la province. Il faut donc que le compilateur
Dom Prodhommeau ait commis quelque erreur. Cette
erreur avait déjà été remarquée et corrigée par le co-
piste du manuscrit qui porte le n° 245. Ayant d'abord
reproduit la date de 1573, celui-ci a surchargé le chif-
fre 7 et en a fait un 8 : ainsi, Jean Moreau mort en 4583,
à l’âge de 77 ans, serait né en 1506. Pour mettre d’ac-
cord ce copiste et La Croix du Maine, supposons que
Jean Moreau a cessé de compter parmi les vivants vers
l'année 1584. |
Du Boulay et de Launoy vont maintenant nous aider
à compléter cette biographie de Jean Moreau. En 1537,
il enseignait la logique à l'Université de Paris, lorsque,
le 44 janvier de cette année, il fut nommé procureur de
la nation de France. Ensuite il étudia la théologie et fut .
reçu docteur en 4853. Ce sont les dates de du Boulay :
suivant de Launoy. historien plus exact, J. Moreau au--
rait commencé dés l'année 1540 son cours de théologie,
et il aurail reçu sept ans après, en 4547, les insignes
du doctorat.
Il y a plusieurs écrivains du xvi° siècle, nommés Jean
Morel ou Jean Moreau, qu'il ne faut pas confondre avec
notre chanoine. Dom Housseau (1) ne sait trop’ s’il ne
doit pas lui attribuer une brochure publiée en 4897,
sous ce titre: Joannis Morelli oratio de conjunctione
scholarum Rhemensis et Cenomanensis (2). Cette attri-
(4). Manuscrits de la Biblioth. Nationsle, carton 80,
(2) On peut lire sur cette fusion des deux colléges de Reims et du
Mans ce que j'ai dit à ce sujet dans la notice sur Charles de Beau-
manoir: ist, litt, du Maine, t, x, p, 51,
GUILLAUME LEDOYEN. 467
bütion serait erronée. En effet, l'auteur de l’opuscule
désigné par Dom Housseau nous est bien connu ; c'est
un Jeau Moreau, principal du collége de Reims à Pa-
ris, qui vivait encore en 4622 ; outre cet opuscule, il
en a composé d’autres en prose et en vers. Pour ne
laisser de prétexte à aucune méprise, nous distingue-
rons encore de nofre Jean Moreau celui de ses homo-
nymes qui publiait à Paris, en 4686, in-8°, une décla-
mation sur la mort d'Edouard du Monin : In miserabt-
lem indignamque necem Eduardi Monini.Ce Jean Moreau
n'était pas chanoine à la cathédrale du Mans, mais clai-
ron au Royal-Bourgogne, professions assurément in-
compatibles.
BROUARD (5EAN).
Jean BROUARD, prêtre, né à Laval, a écrit un livre
ayant pour titre : La leçon à ceux qui disent : « Je ne
sçais quelle religion je dois tenir. » Ce livre, comme le
fait observer Rigoley de Juvigny, eût été fort curieux
s'il eût été bien raisonné; mais nous ignorons en quels
termes Jean Brouard avait soutenu sa thèse. Son écrit,
mentionné par La Croix du Maine, n'est pas parvenu
jusqu'à nous. Il y a lieu de croire qu'il n’a pas été im-
primé. |
LEDOYEN (GUILLAUME).
GuizLaume LEDOYEN, né à Laval, nous ne savons à
quelle date, mort en 1537, dans cette ville, est auteur
d'un poème historique plein d'intérêt. Ce poème n’a ja-
368 _* GUILLAÜME LEDOYEN.
mais été imprimé : il est conservé manuscrit à la Bi-
bliothèque nationale, et occüpe cent quatre feuillets
d'un volumé in-fol. On y trouve un récit circonstancié
de tous les évènements plus ou moins dignes de mé-
moire qui ont eu lieu dans le Maine, de l'année 4480 à
l'année 1537. Il est inscrit au catalogue des manuscrits
français sous le titre de : ‘Annales et Cronicques du pays
et conté de Laval et parties circonvoisines. L'auteur parle
ainsi de Jui-même : 0
…. Si voulez de moy savoir, :
Je fus natif du beau manoir |
Ouvrouyn (41), près le pont de Maïenne,
Où j'ay ma terre et mon domaine,
Qui n'est pas de grand revenu.
Je viz du gros et du menu,
Car je suys persoune publicque,
Et chascun jour mon sens applicque
Avoir de Dieu parfaicte amour
Et o tout l'exemple favour...
Ledeyen exerçait la profession de notaire. Il n'était
pas riche, dit-il; cependant nous lisons, dans son poème,
qu'il se mettait volontiers en dépenses pour faire repré-
senter des mystères sur la place de Saint-Vénérand :
Celluy an (2), à la Penthecogste,
. Je fis jouer, quoy il me couste, -
‘Le papier du Bon Pélerin
Et Maulvais, qui estoit afin
. _ D'esmouvoir tous ceux de la ville,
Qui entreprinse très utile .
(i) jean Ouvrouin fut le fondateur du cmetière-Dieu de Laval,
(2) 1498. | … US Fo
l
GUILLAUME LEDOYEN. 369
Avoient faict du très beau mistère
De Barbe... (4)
Mais il arriva, dans cette affaire, quelque mésaven -
ture. Les conipagnons entrepreneurs, qui devaient jouer
l'édifiante tragi-comédie, rompirent leur engagement
avant le jour désigné pour la représentation. Que fil
alors Ledoyen? Il y monta lui-même sur les tréteaux
préparés et récita le papier du Pélerin.
Nous reproduirions volontiers quelques fragents de
la Cronicque de Ledoyen; mais nous apprenons de
M. Desportes (2) que la bibliothèque de Laval possède
une copie de celte Cronicque, et que le Mémorial de la
Mayenne en a déjà publié un des passages les plus im-
portants. Nous citerons toutefois ces vers qui contien-
nent de curieux détails sur l'histoire de Laval :
Et pour parler des seigneurs et marchans
Qui en la ville, il a jà soixante ans,
Et que alors Angloys en estoient maistres
(Car en ce pais fenoient maisons et claistres),
Gentilshommes tenoient maisons en ville
Et encor font, qui leur est moult utile,
Et oultre plus gens de mestier tenoient
Le bourg Horcent, et marchans demeuroient ;
Aussi bourgeoys y faisoient leur demeure...
Un seul apothicaire avoit
En Laval, qui bien peu avoit
De vouestes pour parer bouticque :
Il n’estoit nouvelle d’anticque,
Gandon on dit qu'estoit nommé,
(1) C'est sans doute La vie et Histoire de Saincte Barbe, par per:
sonnages. Voir le Catalogue de la biblioth, de Soleinne, t. 1, p. 106;
(2) Bibliographie du Maine,
IT, 24
310
GUILLAUME LEDOYEN.
Homme de bien et moult famé,
Aussi n’avoit nulz chappeliers,
Non avoit-il de chaussetiers,
Mais les hautx bonnelz et jacquettes
Pour lors si avoient leurs requestes;
Palletotz, pourpoinz abourrez,
Estoient sur espaulles fourrez :
Chapperons ronds avoïent les femmes ;
Hault coueffées si estoient les dames,
Cornettes de deux doiz avoient,
Large tissu aussi portoient,
Grant collet fourré sur l’espaulle
Par derrière long qu’une gaulle.. :
Voici encore quelques vers sur l'origine de la fabri-
que de loiles de Laval :
D'icelluy temps que j'ay prédit
Je veulx parler, sans contredit,
Touchant les marchans de Laval,
Sans d'eulx alléguer aucun mal...
En Laval, que troys n’en avoit
Qui ensembles faisoient leur fait,
Et troys lavandiers ils avoicut
Qui leurs toilles si blandissoïent
Sur la ripvière devers Botz (1),
Ou de toilles avoient beaux lotz.
Les Espeignols si descendoient
Et leurs toilles si achatoient,
Dont il demeuroit grand argent,
Qui soustenoist beaucoup de gens.
Mais incontinent pour déduyt,
Si que chascun foisoit profit
Environ celle toilerie,
(4) Les laudes de Botz, sur la rive gauche de la Mayenne, Elles
J'avançaient alors jusqu’à la rive du fleuve,
RENÉ CHOPPIN, 311
Et comme ains ilz gaignoient leur vié
Leurs mestiers lessèrent en effect
Pour parvenir à plus grant fait...
Ledoyen n’est pas un poëte; ses vers ne sont que de
la prose rimée : mais c'est un chroniqueur d'autant
plus intéressant qu'il s'arrêle aux moindres faits, et les
met en scène avec un grand luxe de détails. Le récit
des grands événements se trouve partout, et nous n'’at-
tendions pas le poème de Ledoyen pour les connaître ;
mais on ne rencontrera nulle part ailleurs autant de
renseignements sur l'histoire de Laval au xv* siècle,
sur les mœurs des habitants de cette ville, leurs usages
et leurs coutumes. Il serait bon qu'un de nos doctes et
généreux archéologues prit soin de le faire imprimer,
CHOPPIN (RENÉ).
René CHOPPIN, célébre jurisconsulte, est né dans
les derniers jours du mois de mai de l'année 4637, au
Bailleul, commune qui fait aujourd'hui partie du canton
de Malicorne. Malicorne, qui était de l’Anjou, marquait
la limite de cette province fameuse par ses vins, dit
un poèëte, fameuse par ses riches moissons, plus fameuse
encore par ses grands esprits :
Nec taotum Bacchi Cererisque nec ubere fruguni
Cunctarum fœtu, sed fertilis Andia magnis
Ingeniis.
L 3
Le père de René Choppin, Thomas Choppin, et sä mère
Renée Gossin, riches bourgeois, vivaient noblement au
372 RENÉ CHOPPIN.
Bailleul, dans leur domaine patrimonial, une grosse
ferme qu’on nommait Chaston (1). Le jeune René, qui,
dés son âge le plus tendre, manifestait d’heureuses dis-
positions pour l'étude, fut envoyé par ses parents aux
écoles de Paris : il en revint pour soutenir une thèse
sur le droit civil et sur le droit canon, en pleine Uni-
versilé d'Angers, le 22 mai 4854. C'était un docteur de
47 ans. Il fut applaudi, et, retournant peu de temps
après à Paris. le théâtre des grands succès, il plaida sa
première cause devant la grand” chambre, contre M° Ni-
colas du Hamel, doyen des avocats au Parlement (2).
Bientôt on ne parla plus que de M: Choppin : c'était
l'interprète le mieux famé des arcanes de la jurispru-
dence ecclésiastique et du droit civil, scriniun legum,
canonum sacrarium (3), « l'honneur des avocats du
siècle (4). » De toutes parts on venait le consulter :
Quand de nombreux clieits la trouppe malineuse,
En ses procès ardus, Choppin, {c venoit veoir,
Tous comme un grand prodige honoraieut ton sçavoir,
Et tous s'espouranteyent de ta mémoire heureuse,
Tu estois uu oracle à la France douteuse ;
Paris te consultoit le matin et le soir ;
Le Rosne, la Garonne et la Sciue et le Loir
Honoroient le trepied de ta langue fameuse... (5)
(1) Elogia Papirii Massonis, p. 357e
(2) /bid,
(3) Ce sont les termes dont fait usage, pour célébrer sa gloire,
son confrère Raoul Poterey, en tête de la traduction française du
livre de Domanio Franciæ. À vec Renatus Choppinus, on a fait cet ana-
gramme : Nec super hunc sapito!
(4) En tête du mème ouvrage; Epitre dédicatoire des frères Son-
nius, éditeurs.
(5) En tête du même ouvrage.
RENÉ CHOPPIN. 373
C'est ce que nous atteste, en vers latins, un autre
poëte du temps :
Poscere ut a Delphis oracula sueverat error
Ethnicus, ad Phæbi fatidici antra frequens,
Ad Choppini œdes sic litigiosa ruebat
Turba, laboranti dum sibi poscit opem.
Ut quanto magis hauritur ft purior unda
Et vena exundans uberiore fluit:
Sic nihil imminuit Choppino, ast verius addit
Dum bibit ex hujus dogmata fonte cliens.
Quos Arar et Ligeris, quos alluit unda Garumnæ
Agmine seu facto consuluere virum.
Vitro inclusa fluens horas numerabat arena;
Palsus ab urgenti sæpe cliente cliens..…. (1)
Brillant avocat, laborieux jurisconsulte, il employait
à composer des livres le temps qu’il pouvait dérober
aux affaires et aux importunités de ses clients. Ce n'est
pas ce qui convenait le mieux à sa famille, à ses amis.
Ceux-ci, voyant qu'il ne retirait pas grand profit de
ses livres, lui conseillaient de n'en pas faire et de se
consacrer tout entier aux plaidoiries : mais il n'écoutait
pas ces avis. Un succès oratoire, une consultation don-
née dans un procès considérable ajoutaient sans doute
aux revenus de sa maison et lui permettaient d'en ac-
croître les dépenses; mais, pensait-il, ce qui donne la
gloire, ce qui fonde l'autorité d'un nom, ce sont les
écrits. Papire Lemasson nous a laissé le portrait de ce
jurisconsulle. Il était, dit-il, de stature médiocre, mais
établi sur de solides assises; son visage était austère, et
son front, d’une dimension olympienne, commandait le
(1) En tête de la trad, française du livre de Domanio Franciæ,
374 RENÉ CHOPPIN.,
respect. Quant à scs mœurs, elles étaient rigides : cha-.
ritable envers les pauvres, il n'était pas dur pour lui-
même par principes, mais par goût ou par habitude;
car ayant l'esprit constamment occupé, il mangeait et
dormait peu. Un autre historien ajoute à ces détails que,
trouvant un charme particulier à la vie horizonlale, il
travaillait, comme Cujas, couché sur des lapis (4).
Le premier ouvrage qu'il mit entre les mains du pu-
blic est un poème latin : Renati Choppini bellum sacrum
Gallicum; Parisiis, Julianus, 4862, in-4°. Ce poème
n'eut pas aulant de succès que les plaidoyers de Chop-
pin, mais on ne manqua pas de le lire à cause de la re-
nommée de l'auteur. Deux ans après, en 4564, Choppin
prit pour femme Marie Baron, fille de Pierre Baron, an-
cien procureur, descendant en droite ligne d'Eude le
Maire, dit Challo-Saint-Mas, qui avait accompagné Phi-
lippe-Auguste à la croisade, et s'était fait remarquer
parmi les plus braves et les plus vertueux chevaliers.
Il entrait, par ce mariage, dans une famille qui, sans
appartenir à la haute noblesse, avait des privilèges.
Quels priviléges ? Celui, par exemple, de ne payer au-
cune des impositions établies dès le temps où Challo-
Saint-Mas avait obtenu ses lettres d’exemption. Mais
Choppin, armé de ces litres, manifesta bientôt d'autres
prétentions : il soutint en justice que, pour être de la
descendance d'Eude le Maire, tous les siens étaient af-
franchis du paiement des impositions nouvelles, aides,
lailles et le reste. Ce fut la matière d’un gros procès. Il
le perdit : le roi déclara que ces privilégiés seraient
obligés au paiement des tailles, s'ils n'étaient nobles de
(4) Nicéron, Hommes illustres, LU xxx1v, p. 463.
#
RENÉ CHOPPIN. . 575
leur estoc (4). Mais quand le roi fit cette déclaration, les
Choppin n'avaient déjà plus besoin d’invoquer à leur
profit les titres des Baron : ils possédaient alors des let-
tres de noblesse.
C'est avec ses écrits sur la jurisprudence que Choppin
conquit son blason. Après les questions dont l'examen
est réservé au droit naturel et au droit des gens, les
plus considérables sont celles qui forment la matière du
droit national. Or, qu'était-ce que le droit national au
xvi* siècle? Les révolutions, qui sont venues changer
tant de choses, n'ont pu respecter les anciennes défini-
tions de la jurisprudence française : le droit national
c'était, au xvi‘ siècle, la somme des priviléges royaux,
des droits inhérents au domaine de France. La recher-
che et la légitimation de ces priviléges, tel fut l’objet du
premier travail de Choppin, et il publia, sous ce titre,
le résultat de ses études : De domanio Franciæ libri
tres; Parisiis, 4574, in-4°. Ce livre eut un grand succés,
et, dans l'espace de quelques années, il en fut fait de
(4) Commentaires sur la coutume d’Angers, liv. 4, art. 8. Nous
trouvons dans un des volumes de la collection Dupuy le texte du
privilége accordé par Philippe-Auguste à Challo-Saint-Mas, Voici
quelques passages de celte pièce curieuse, que nous avons lieu de
croire inédite : « Notum fieri volumus universis tam præsentibus
quam futuris quod Odo major de Chalo, nutu divino, concessu
Philippi Franciæ regis cujus famulus erat ad sepulchrum domini
perrexit, qui An+olidum filium suum et quinque filias suas in manu
et custodia recepit et retinuit; concessit quoque Ansolido et quinque
præfatis sororibus suis, Odonis filisbus, pro Dei amore et sola cari-
tatis gratia et sancti sepulchri reverentia, quod si hæredes masculi
ex ipsis existentes fæminas jugo servitutis regiæ detentas matrimonio
duxerant liberabat et a vinculo servitutis absolvebat. Si vero servi
regis fæminam de genere hœredum Odonis maritalis lege duxissent,
ipse cum bæredibus suis de servitute regis essent; Rex autem hære-
dibus Odonis et eorum hæredibus marchiam suam de Chalo et ho-
mines suos custodiendos in feodo concessit, ita quod pro nullo famu-
lorum regis nisi pro solo rege justitiam facerent et quod in tota terra
regis nullam consuetudinem darent,.... » Dupuy, vol. 764
376 , RENÉ CHOPPIN,
nombreuses éditions : Parisiis, 4889, 4606, 4624, in-fol.
Il fut réimprimé dans la première partie du recueil De
jure domaniali ; Francofurti, 4700, in-fol. Enfin nous
en connaissons une {raduction française, faite sous les
yeux et sous la direction de Choppin : Trois livres du
domaine de la couronne de France; Paris, M. Sonnius,
1603, in-fol. En tête de cette édition française, Choppin
plaça quelques mots peu flatteurs à l'adresse d’un de
ses confrères, J. Bacquet. Celui-ci venait de donner son
Traité des droits du domaine ruyul, qui avait reçu du
public le plus favorable accueil. Choppin l'accusa d'a-
voir, sans gêne et sans scrupules, mis en français, dans
ce traité, quatre chapitres et divers autres fragments
du livre fameux De Domunio Franciæ. Bacquet se dé-
fendit d'avoir commis ce délit. Allant un jour à la ren-
contre de Choppin : « — Comment, lui dit-il, vous au-
rais-je fait cette injure? En effet, j'ai voulu vous lire,
mais, je vous l'avoue, je n'ai pas enten:lu votre latin (4).»
Ce n'est pas une justification suffisante, mais c'est un
mot plaisant et bien placé. 1] faut, en effet, reconnaitre
que le style de Choppin est peu clair. Falconnet lui re-
proche de l'enflure (2): ce n’est pas là son défaut; mais
il est aride, sec et tourmenté.
Après son traité De Domanio, Choppin publia : De
privilegiis Ruslicorum libri lres; Parisiis, Chesneau,
4575, in-4°. Ce traité de ,urisprudence à l'usage des
gens de la campagne, concernant leurs droits, leurs
obligations, les contrats, les fermages, n'obtint pas
moins de faveur que le précédent. On en désigne di-
(4) Loisel, Dialogue des Avocats,
. 2) Fees Hors de La Croix du Maine, édit. Rigolet de Ju-
vigny, au mot Choppin,.
RENÉ CHOPPIN, 8171
verses éditions : Parisiis, 4590, 4606, 4624, in-fol.;
Coloniæ- Agrippinæ, 4582, in-8°; il se trouve encore
dans le tome 418 du Traclalus universi juris, publié à
Venise en 1584, in-fol. La traduction française a pour
titre : Des Privilèges des personnes vivant aux champs ;
Paris, 1634, in-fol. Cet ouvrage a long-temps passé
pour le chef-d'œuvre (1) du très docte et très exact (2)
Choppin. Il a revu, corrigé et augmenté toutes les
éditions qui ont paru durant sa vie. On n'a guères moins
estimé : De sacra politia forensi libri tres; Parisiis,
4577, in-4°. Autres éditions: Parisiis, 4580, 4603, in-
fol., avec un quatrième livre. Ce traité a été traduit et
publié en français, par J. Tournet ; Paris, 4647, in-£°.
Les quatre livres qui le composent ont pour objet l'état
des personnes ecclésiastiques, les fonctions de l'église,
les devoirs des prêtres, les élections, les collations, les
bénéfices, les droits respectifs des deux puissances dans
le gouvernement de l'Eglise, la juridiction particulière
du pape, celle des évêques, les appels, l'administration
des diocèses, et enfin les biens de l'Eglise. L'auteur
aborde et traite de graves questions, dont un assez
grand nombre sont encore agitées de nos jours. C'est un
zélé gallican. Aux canonistes ultramontains, qui n'ac-
cordent au chef de la puissance civile aucune autorité
sur les choses de l'Eglise, il répond dans une longue
préface, où il prouve, par de notables exemples, que,
dés l'origine de la monarchie française, les rois sont in-
tervenus dans la police de la société ecclésiastique, et
(1) Le libraire au lecteur, dans les Œuvres de Cboppin, t. 1 de
l'édit, de 4662.
(2) Dupineau, Lettre en tête des Coutumes d'Anjou, de Pocquet
de Livonnière,
3178 RENÉ CHOPPIN.
ont fait eux-mêmes des règlements disciplinaires qui
ont été et devaient être observés. Tout ce traité de
Choppin n'est qu’un docte commentaire des aphorismes
gallicans, résumés par lui dans ces vers didactiques :
Cæsaris Laud eadem, fateor, quæ munera Petri,
Distinctique Jovem dirimunt a Principe fasces,
Una nec imperii in clerum populumque potestas.
Sed quia stat geminis fultum diadcma columnis,
Relligione ac justitia in superosque virosque,
Sacra sacerdoti, curanda politica regi,
Ut canonum hic cuslos sit, quorum conditor ille,
En d’autres termes, la puissance ecclésiastique pos-
sède des droits propres, inaliénables; mais ces droits
sont limités par ceux du prince. Le prince protége l'E-
glise, et l'Eglise, placée sous la tutelle du prince, lui
doit le respect et l’obéissance : l'Eglise est l'arbitre su-
prème de la foi, mais Lout ce qui concerne la hiérarchie,
la discipline, la juridiction, ou, pour employer une lo-
cution byzantine, l’église du dehors, est soumis au con-
(rôle du prince.
Henri III crut devoir accorder à Choppin, à l'occasion
de ces ouvrages, une marque publique de sa reconnais-
sance; il lui donna des lettres de noblesse. Ces lettres
sont du mois de février 4578 : vérifiées en la chambre
des Comptes, le 24 avril de cette année. elles ne le fu-
rent en la cour des Aides que le 2 mai 4580 (4). Ainsi
l'empereur Charles 1V avait anobli Bartole. Choppin
avait une trop haute et trop juste opinion de lui-même,
(1) Comment, sur la coutume d’ Anjou, liv, 4, chap. 51.
RENÉ CHOPPIN, 8179
pour tirer vanité d’un titre de noblesse. 11 voyait ses
livres recherchés, estimés, non seulement en France,
mais au-delà des frontières, dans toules les écoles,
dans loutes les académies : «’était là sa principale gloire,
son plus beau titre. Cependant il a pris soin de rappeler
lui-même, dans un de ses ouvrages, en quelle année, à
quelle occasion il avait reçu du roi cet insigne témoi-
gnage d'une faveur incontestablement méritée : c’est
afin, dit-il, que « mes enfans se souviennent de ne point
anéantir par lascheté et paresse un bien que leur père
leur a acquis par ses veilles el par son travail ; autre-
ment, je ferois comme Livius Drusus, questeur en Asie,
lequel ne vouloit porter aucunes marques de sa magis-
trature, afin qu'il n'y eût rien qui le relevât que luy-
mesmes, ainsi que Pline l'escrit (4). » Ce sont là de
beaux sentiments, de nobles paroles.
Mais interrompons un instant ce grave discours, pour
faire connaître quelques détails presque intimes de la
vie de Choppin. Il ne portait pas toujours la têle haute,
il ne traînait pas toujours sur les dalles du palais, avec
la majesté d'un père conscrit, les plis de sa robe doc-
turale : ainsi que la plupart des magistrats de son temps,
il avait ses heures de réserve pour les lettres faciles, les
lettres mondaines, ou, comme on disait alors, pour le
commerce des Muses. Richelet n'a pas oublié de nous
l'apprendre :
Nec tontum tetricas, numerosa negotia, lites
Componis, vel jura novis operosa recludis
Sensibus, et memori legum miracula lingua :
Sed Musas faciles et Pindi ludicra, versu
(4) Comment, sur la coutume d” Anjou, liv, 1, chap. 81,
380 RENE CHOPPIN.
Nunquam tcreti includis, blandisque laborem
Concilias mulcesque modis.… (1)
Choppin n'était pas seulement un avocat, un juris-
consulte, et, comme nous le verrons, un politique, un
publiciste véhément; c'était encore, nous l'avons dit,
un poëte. Il l'avait prouvé par ses débuts littéraires ;
il renouvela cette preuve aux Grands-Jours de Poitiers.
Nous n'avons pas besoin de raconter tous les détails de
l'évènement qui perpétuera le souvenir de ces Grands-
Jours : cependant, pour faire connaître le rôle joué par
Me Choppin dans cetle grande affaire, nous devons
rappeler, du moins, qu'il s'agit de l'injure faite aux
blanches épaules de Catherine des Roches, par cet in-
secte avide du sang des mortels qu'Etienne Pasquier
appelle sans périphrase une puce. Pasquier et Loysel,
ayant quelque repos à Poitiers avant l'ouverture des
Grands-Jours, étaient allés de compagnie rendre visite
aux dames des Roches, fameuses l’une et l'autre par la
délicatesse de leur esprit. C'est durant cette entrevue
que la puce commil le crime. Quel crime! II y avait là
toute une cour de justice, un parlement tout entier :
conseillers, avocats, procureurs, tout le monde réclama
l'honneur de formuler la sentence qui devait être juri-
diquement prononcée contre l'insecte coupable. Il était
loin et sautait encore : il fut condamné par contumace
en vers français, en vers latins, et même en prose vul-
gaire. La victime, Catherine des Roches, fit d'abord sur
l'aventure un poème charmant : Pasquier prit ensuite
la parole, et puis chacun s’en mêla, Brisson, Loysel,
Mangot, Tournebu, Binet, de L'EÉscale, Rapin, La Coul-
(4) En tête de la traduction française du Domaine,
RENÉ CHOPPIN 381
droye, Macefer. Choppin ne fut pas le dernier des pa-
ladins qui se présentèrent dans celte lice (1). Il célébra
l'aventure en vers latins. Ce petit poème se lit à la
page 413 du recueil qui a pour titre : La puce de madame
des Roches ; Paris, À. l'Angelier, 4589, in-4°. A la suité
de ce recueil on a coutume d'en placer un autre inti-
tulé : Divers poèmes tant sur les Grands -Jours tenus à
Poitiers que sur aulres sujels. Notons en passant que,
parmi ces poèmes, se lrouvent deux épitres latines de
Choppin à Barnabé Brisson (2).
Les Grands-Jours de Poitiers eurent lieu en 4579. En
quittant celte ville, Choppin revint à Paris et reprit ses
affaires et ses livres. C'est alors qu'il plaida devant la
grand'chambre, les 44 et 18 février et 3 mars 4580,
une cause fort intéressante pour le clergé. Il s'agissait
des rachats féodaux sur îes terres ecclésiastiques. Le
plaidoyer de Choppin a été publié sous ce titre : Orai-
son pour te clergé de France; Paris, M. Sonnius, 4590,
in-4°, Il travaillait depuis plusieurs années à fonder un
monument en l'honneur de sa province. Il l'ent achevé
et le découvrit aux yeux du public en 1584. C'était un
immense volume contenant un commentaire fort étendu
des lois et des coutumes angevines : De legibus Andium
municipalibus, cum tractatu prœvio de summis Gallica-
rum consueludinum reyulis; Parisiis, Chesneau, 4584,
in- fol. Autres éditions; Parisiis, 4600 et 4644, in-fol.
Les coutumes de Paris et de Bretagne avaient été ré-
formées l'année précédente. Choppin signale les anti-
nomies introduites par le progrès des mœurs civiles
(1) Pasquier, Leltres, livre 6, Lettre à M. Pithou,
(2) Pages 68 et 69.
882 RENÉ CHOPPIN.
dans le corps des coutumes angevines, el il demande
qu'elles soient pareillement révisées. Ce livre, qui est
un des meilleurs de Choppin, eut un grand succés.
Après en avoir lu la première partie, Henri III envoya
mille écus à l'auteur (1). La ville d'Angers, pour lui té-
moigner sa reconnaissance, lui décerna, dans une as-
semblée du 24 novembre 1581, le titre d'échevin per-
pétuel. Nous avons le même ouvrage traduit en français
par Jean Tournet : Commentaires sur la couslume d'An-
jou, divisez en trois livres; l'aris, Richer, 4635, in-fol. (2).
Ici commence une nouvelle phase dans la vie de
Choppin. La France est en proie à la guerre civile, et,
durant ces jours de troubles, c'est le devoir de chacun
de déclarer son sentiment, de prendre son parti. Chop-
pin n'hésita pas : tous ses amis du parlement de Paris
avaient adopté la cause de la ligue; il fut ligueur. Gré-
goire XIV élant monté sur le siége de saint Pierre, un
de ses premiers actes fut d'envoyer en France un nou-
veau nonce, Marsile Landriano, ultramontain zélé, qui,
pour précipiter la conversion du roi de Navarre, ful-
mina contre lui les bulles les plus véhémentes, exhor-
tant les laïques à quitter son parti, l'ordonnant aux ec-
clésiastiques sous la peine de l’excommunication. Ce fut
un nouvel aliment à la discorde. Les parlements de
Tours et de Châlons se déclarèrent contre les bulles de
(4) Elogia Papirii Massonis,
(2) Voici comment, dans une des préfaces de cet ouvrage, Chop-
pin répond au reproche qu'on lui avait fait d'avoir un style obscur
et lourmenté : « Afin qu'à l’adrevir personne ne blasme l'obscurité
de mon style, qu'il prenne garde que mon intention a esté d'écrire
pour les lecteurs sçavants et attentifs, et non pour des simples prati-
cicns de peu d'’estude, qui passent légèrement par dessus les auteurs
et ne les font que gouster, à la façon des chiens des environs du Nil
qui rie lapent qu'en courant, » :
RENÉ CHOPPIN. 383
Landriano et pour le roi; le parlement de Paris se pro-
nonça pour le pape et son légat. Cela fut la matière
d'une multitude de pamphlets. Choppin publia le sien :
De pontificio Gregorii ad Gallos Dip'omate congratula-
toria oralio ; Parisiis, G. Bichonius, 1591, in-4°. Non
seulement Choppin désavoua, dans ce pamphlet, les
sages maximes qu'il avait précédemment développées
dans son traité De sucra Politia Forensi, mais encore,
entraîné par l'esprit de faction, il prodigua les épithètes
les plus outrageantes à tous les adhérents de la cause
royale, ne ménageant pas plus le prince que ses servi-
teurs. On compte ce libelle parmi les manifestes les
plus véhéments de la sainte ligue : la France y est trai-
tée comme un territoire du domaine papal. On ne man-
qua pas de répondre à Choppin. La réputation qu'il s'é-
tait faite comme jurisconsulle donnait à son écrit une
grande autorité, et l'on pouvait craindre que ses rai-
sons, bonnes ou mauvaises, fussent favorablement ac-
cueillies par le public. Ce fut J. Hotman qui se chargea
de la réponse. Cette réponse anonyme a pour litre:
Anti-Choppinus, seu Epis'ola congratulatoria M. Nico-
demi Turlupini ad M. Renatum Choppinum S. Unionis
hispanitalo-gallicæ advocatum incomparabilissimum ;
4592, in-4°. C'est une satire quelquefois ingénieuse,
souvent grossière. En voici quelques traits. On se de-
mande ce que c'est que l'avocat Choppin : c'est, répond
l'auteur, l'avocat des Chopines, advocatum de Choppinis,
un gai compère, né dans l'Anjou, qui ne prend jamais
la plume sans s'être copieusément abreuvé de l'enivrant
clairet recueilli sur les côteaux fameux de Saumur et
de Cérans : « A bibendo, sive choppinando istud no-
men habetis, quia si choppinificentissimus magister
584 RENÉ CHOPPIN.
Choppinus choppinando non choppinaret choppinaliter
de choppina choppinabili, profecto dictus Cl'oppinus non
mererelur choppinificum nomen choppinaltoris, quod
ei inditum est ex choppinatione. Nam cerlum est quod
dictus Choppinus bene et pectoraliter diligit bonum vi-
num et sine eo nunquam scribil vel componit (4). » —
Eh quoi? reprend un autre interlocuteur, le tenant du
pape, le détracteur forcené du roi, c’est ce célèbre doc-
teur qu'on appelait Choppinus de Domanio, lorsqu'il
était bon citoyen et publiait de bons livres! Maintenant
donc qu'il est de la ligue et qu'il écrit en l'honneur de
la rébellion maniaque, rebellionis maniacæ, il faut lui
donner le nom de Choppinus de Dumanio (2), et quand,
après sa mort, le diable emportera dans les enfers son
âme perverse, il sera Choppinus de Dæmonio f3). Tout
le libelle d'Hotman est composé de ces facéties(4). On
le voit, elles ne sont pas toutes du meilleur goût. Le
parlement de Paris eut à cœur de venger l'avocat de
la ligue, et un arrêt du conseil ordonna de livrer aux
flammes l’outrageux Anti-Choppinus. Mais bientôt les af-
faires de la ligue devinrent mauvaises, et le roi de Na-
varre fut sous les portes de Paris. Le jour où il fit son
entrée dans cette ville, on crut prudent d'en faire sortir
les plus compromis des ligueurs, et Choppin fut désigné
(1) Avons-nous besoin de rappeler le discours célèbre de Janotus
de Bragu:ardo qu’imite ici le pamphlétaire? (Gargantua, ch. 19.)
(2) Je ne comprends guères ce jeu de mots.
(8) Page 16.
(4) En voici une autre : « Diccbat quidam aliquis qued non opor-
tebat se mirari quod stylus M, Choppini est adeo durus et rudis, quia
oliqui dicunt quod petria sua in Andegavo est quœdam villa quæ
vocatur Durotalis, Gallicè Durtal, quasi patria illa debcret falcs du
ras, rudes el agrestes bestias... » Page 86,
RENE CHOPPIN. 885
comme devant faire partie de cette légion d'exilés.
Mais il avait des amis puissants qui plaidèrent sa cause,
et firent révoquer l'ordre qui le concernait (1).
La femme de Choppin fut loin de prendre son parti
sur cet événement. On l'avait comptée parmi ces ma-
trones fanatiques qui, durant les troubles, avaient pu-
bliquement encouragé la rébellion. Au moment où Paris
ouvrit ses porles pour recevoir le Béarnais, elle devint
folle, et mourut bientôt de cette folie. Choppin ne tarda
pas à s’accommoder aux circonstances : on l'entendit
même désavouer ses anciennes opinions et chanter la
palinodie avec une assurance qui ressemblait fort à du
cynisme. Cet épisode de sa vie lui fait peu d'honneur.
Après avoir été l’une des enseignes du parti vaincu,
l'un des plus fougueux orateurs de la Sainte-Union, après
avoir injurié sur tous les modes, en vers comme en prose,
l'héritier légitime de la couronne, l'appelant tour à tour
roitelet du Béarn, Bearnensis regulus, suppôt de Sa-
tan, monstre d’impiété, etc., etc., il se montra le plus
empressé des courtisans, le plus ardent des royalistes;
et, pour témoigner avec plus d'éclat la véhémence de
son zèle, il publia l'écrit suivant: Panegyricus Hen-
rico IV dicaius; Lutetiæ, Fr. Morellus, 4594, in-89 (2). Il
n y a de curieux, dans ce panégyrique, que la préface.
« Je confesse, dit-il au roi, que votre solennel retour à
l'orthodoxie m'a fait votre plus zélé partisan. Il y à
deux ans, entraîné par l’inéluctable force des circons-
lances, j'ai fait une apologie de la missive adressée par
le pape au peuple francais; mais j'ai bien désiré suppri-
(4) De Thou, Hist. Univers. t. xur, p. 451 de l’édit, de Londres.
(2) Réimprimé dans les Orationes Congratulatoriæ, Hanoviæ,
461 8, in-8°,
IL, 25
386 RENÉ CHOPPIN.
mer cet écrit, et aujourd’hui je ne sais plus qu'’applau-
dir de toutes mes forces à celte résolution divinement
inspirée qui vous a fait embrasser les dogmes chré-
tiens. (4). » Tout le reste est sur ce lon. Nous avons
lieu de croire que, dans un temps si fécond en apos-
tasies, celle de Choppin ne fut pour personne une occa-
sion de scanrlale.
1! reprit bientôt secs occupations et ses études. Jean
Seguier, conseiller au parlement, l'avait plus d'une fois
invité à composer, sur la coutume de Paris, un travail
analogue à celui qu'il avait donné sur la coutume d’An-
gers. Il s'en était occupé, mais les troubles civils étaient
venus interrompre ses recherches. Au retour de la
paix, il se remit à l'œuvre et publia bientôt: De civili-
bus Parisiorum moribus, institulis libri tres; Parisiis,
4596, in-fol. La seconde et la troisième édition parurent
chez les Sonnius, en 1613 et en 1624, in-fol. (2). La
dédicace de cet ouvrage est à l'adresse d'Henri IV : on
y trouve celle profession de foi: « Gallicam monar-
chiam tibi, rex auguslissime, divinitus datam agnosci-
mus, et stirpe delatam in ruinis afflictæ eversæque pro-
pemodum factionibus reipublicæ. » Choppin déclamant
contre les factions et gémissant sur les ruines faites par
la guerre civile, ne fait-il pas une étrange figure? Mais
(4) « Fateor me solemni tua ad orthodoxiam conversione totum in
te conversum propensissimis studiis, augustæque tuæ celsitudinis jam
inde sanctissima patrii regni lege devinctum. Unde, quam biennio
antea De Pontificio ad Gallos diplomate scriptam a nobis gratulatio-
nem expresserat vis ineluctabilis temporum istorum, supprimi eam
percupiimus, gratulantes obnixe inspirato cϾlitus regiis animis chris-
tianorum dogmatum complexui et persuasioni. »
(2) Nous trouvons, au catalogue de i'abbé Belin, l'indication
d’une traduction française de ces commentaires, publiée in-4°, sans
autre indic. Nous ne la counaissons pas.
RENÉ CHOPPIN. 387
il faut passer à côté de ces inconvenances, et, sans y
prendre garde, aller tout de suite au commentaire sur
les coutumes parisiennes. L'auteur se propose de faire
partout connaître les pratiques judiciaires du Parlement
de Paris, voulant ainsi travailler à simplifier la juris-
prudence. Il lui semble que, dans un état régi par une
seule volonté, la volonté du prince, dans un état où la
loi politique est universelle, lex œcumenica, c'est de
l'anarchie que la multiplicité des coutumes, que la di-
versité des institulions civiles. Opinion très juste, dé-
veloppée dans un traité plein de science, que nos doc-
teurs pourraient consulter encore avec fruit. Le premier
livre du traité a pour matière les biens; le deuxième,
les moyens d'acquérir et de conserver, le troisième, les
formules du droit. A la fin se trouvent un opuscule de
Choppin, dont le titre indique assez l'objet : De senaloria
auctoritate elogium, el le texte latin de la loi municipale
de Paris, réformée en 4580.
Choppin avait acheté aux portes de Paris, à Cachant,
près Arcueil, avec les profits de sa charge et de ses
livres, une maison relirée, qu'il appelait son Latium.
Cette maison était située près de l'Hôtel d'Anjou,
donné par Jean, duc de Bretagne, au connétable Ber-
trand Duguesclin, et cédé par celui-ci à Louis 4°",
duc d'Anjou (4). C'est là que Choppin allait chercher
le silence, et se reposer des fatigues du palais. En
l'année 1595, il dit aux affaires un dernier et so-
lennel adieu, et vint se confiner dans celte retraite (2).
Il y composa ses derniers ouvrages et corrigea les nou-
(4) Commentaires sur la coutumc d’ Anjou, à la fiu du livre I,
(2) Epitre aux amateurs du droit civil, en tête de la seconde édit,
(1600) du traité De Legibus andium,
383 RENE CHOPPIN.
velles éditions des premiers.Après les commentaires sur
la coutume de Paris, il publi: encore: Monasiicon seu
de jure cœnobiorum libri duo; Parisiis, 46014 et 1640,
in- fol. J. Tournet a traduit ce traité de jurisprudence
canonique, sous le titre de : Deux livres des droits des
religieux et des Monastères; Paris, 1649, in-4°. Cet ou-
vrage plein de renseignements utiles, mais, toutefois,
moins estimé que les autres grands traités de Choppin,
est le dernier produit de ses veilles laborieuses. II mou-
rut, le 2 février 4606, tandis qu'on l'opérait de la
pierre (1), et fut enseveli dans l’église de Saint-Benoît.
Tous les avocats au parlement assistérent, en habit de
deuil, au service funèbre de leur plus illustre confrère,
« l'auteur de la plus rare érudition qui eût encore écrit
sur le droit français (2). » Choppin laissait, entre autres
enfants, un fils qui hérita de sa robe, mais non pas de
sa renommée (3).
Les œuvres de René Choppin ont été recueillies, après
(4) C'est ce que nous lisons dans une de ses épitaphes :
Ah! male sit vobis, audax 0 turba secandi,
Urinæ obductos qui ferro aperire meatus,
Qui lumbos artusque uno haud mucrone solitis
Rimari, ingenitos scopulos nativaque suxa
Qui cœci dubio per vulnera quæritis ausu,
Quam male Choppinus vestra tractatus ab arte?
Ferrum inter sævasque manus et dira cruenti
Tela ministerii fato meliore necatur
Digous..…..
Suivant le Journal du règne de Henri IV, il serait mort d'une gan-
grène à la vessie,
(2) Boissieu, Traité de l’usage des fiefs en Dauphiné, ch. 50.
(3) 11 s'appelait Augustin Choppio. C’est à lui sans doute qu'il
faut attribuer une traduction improprement inscrite par Clément
(Catalog. ms. de la biblioth. nationale) parmi les œuvres de René
Choppin. Voici le titre de cet ouvrage : La science du monde ou la
sagesse civile de Cardan, trad, par le sieur Choppin; Paris, Quinet,
4652, in-4°,
JEAN GAUTIER. 389
sa mort, en un seul corps d'ouvrage: Renati Choppini
Opera; Parisiis, 4609, 4 vol. in-fol. Traduit en français
par Jean Tournet, ce recueil eut deux éditions : la pre-
mière, de Paris, 4635, en 3 vol. in-fol.; la seconde, du
mème lieu, 4662, en 5 vol. in-fol.
BOUCLIER (JULEN).
JuuieN BOUCLIER {1}, né au Mans dans la première
moitié du xvi° siècle, embrassa l'institut des Jésuites.
Nous apprenons de Philippe Alegambe qu'il enseigna
d’abord les humanités à Billons, puis la philosophie à
Tournon, et fut le premier principal du collége de Ne-
vers (2). Il mourut à Chambéry, le 44 juillet 4586. Il a,
dit-on, beaucoup écrit, en prose et en vers, mais le P.
Alegambe n'a connu de lui qu’un traité contre Pierre
Agar, ministre protestant à Grenoble : Dispulatio cum
Petro Agar ministro Delphinate. Cet ouvrage est sans
doute resté manuscrit. Du Verdier n’en parle pas.
GAUTIER (Jean).
On lit dans La Croix du Maine : « JEAN GAUTIER,
sieur de Bruslon, gentilhomme Angevin, maistre des
comptes en Bretagne. Il a escrit un livre de l’Origine,
Escellence et Progrez de l'estat et office de Maistre des
comptes, lequel n'est encores imprimé. 1l florist cette
(4) M. Desportes l'appelle, par erreur, Julien Boucher (Bibliogr,
du Maine.)
(2) Seript, societ, Jes,
390 MICHEL RIPPIER.
année 4584.» Nous n'avons pas d'autres renseigne-
ments sur ce Jean Gautier. Ni La Monnoye, ni Mercier
de Saint-Léger ne nous apprennent que son livre ait été
mis sous presse.
BESNARD (HiLAIRE).
Lepaige attribue à un certain Hiraine BESNARD, né,
dit-il, au Mans, et mort à Paris, en 4687, un Voyage
dans le Levant, édité à Paris, in-folio, avec figures.
Nous avons vainement recherché cet ouvrage, qu'il ne
faut pas confondre avec le Voyage de Hiérusalem et au-
tres lieux de la Terre Saincte, publié en 1624, in-8°,
par Nicolas Bénard, Parisien.
RIPPIER (MIicHEL).
Micnez RIPPIER, né au Mans dans la seconde moitié
du xvu: siècle, fut avocat au parlement de Paris. Il avait
formé le projet de donner au public quelque grand ou-
vrage sur les coutumes du Maine, mais il ne nous a
laissé que les premières pages de ce travail : Préface
historique pour servir à la conférence de la coutume du
Maine avec la coutume de Paris; Paris, Josse, 4704,
in-4°. Cette préface est, comme l'indique le titre, une
histoire sommaire de la province dont Rippier s'était
proposé de commenter les usages et les lois. Après avoir
adopté l'opinion de Le Corvaisier en ce qui regarde l’é-
poque de la mission de saint Julien, l’auteur rapporte
les principaux événements qui sont venus changer la
condition politique des habitants du Maine : il dit en-
JACQUES AUBERT. £91
suite dans quel temps les coutumes de cette province fu-
rent pour la première fois recueillies en un corps d'ins-
titutions civiles, et apprécie la valeur des commentaires
déjà mis aux mains des apprentis jurisconsultes par
Bodréau, Louis des Malicotes et quelques autres. Rippier
avait déclaré, dans le litre même de cette préface, quo
si l'on s’en montrait satisfait, il donnerait la suite de son
travail. Ou le public n’a pas témoigné cette satisfaction,
ou Rippier n'a pas tenu sa promesse.
AUBERT (JACQUE:).
On lit dans la Bibliothèque françoise de la Croix du
Maine, à la lettre À : « AUBERT, natif du pays du Maine,
médecin à Lausanne, l'an 4570. Il a escrit quelques
traictez de médecine, imprimez à Lausanne, chez Fran-
çois Le Preux. » Plus loin, à la lettre J, La Croix du
Maine publie la notice suivante : « Jacques Aubert, mé-
decin vendomois. Il a escrit des Natures et Complexions
des hommes et d’une chacune partie d'iceux et aussi
des signes par lesquels on peult discerner la diversité
d'icelles, imprimé à Paris, chez la veufve de Pierre du
Pré, l'an 4572. » La Croix du Maine n'a-t-il pas consa-
cré deux articles au même auteur ? On le suppose dès
l’abord. A l'appui de cette supposition vient ce qu'on lit
dans la Bibliothèque de Du Verdier : « Jacques Aubert,
Vendosmois, a escrit en 84 chapitres un livre Des Na-
tures et Complexions des hommes et de chacune partie
d’iceux, et aussi des signes par lesquels, etc., elc., im-
primé à Lausanne, in-8°, par François Le Preux, 15714,
et à Paris, in-16, par la veuve Pierre Du Pré, 4572. »
Voici ce que nous avons dit ailleurs à ce sujel :
894 JACQUES AUBERT.
« C'est à Lausanne que, suivant La Croix du Maine,
furent imprimés les traités d'Aubert, médecin manceau:
c'est à Lausanne que, suivant Du Verdier, eut lieu la
première impression du traité Des Natures et Com-
plexions de Jacques Aubert, médecin vendômois. En
outre, ce traité Des Nalures et Complexions, imprimé,
suivant La Croix du Maine, à Paris, chez la veuve Pierre
Du Pré, avait été déjà publié, suivant Du Verdier, chez
Le Preux, à Lausanne, et ce Le Preux est désigné par
La Croix du Maine comme l'éditeur des œuvres médi-
cales du médecin manceau. Il est donc évident qu'il s’a-
git ici d'un seul auteur que La Croix du Maine a porté
d'abord à la lettre À de sa Bibliothèque, ignorant son
prénom, et qu'ensuite il a, mieux informé, inscrit à la
lettre J. Cependant toute difficulté n'est pas résolue.
L'un des deux auteurs est dit « nalif du pays du Maine, »
et l’autre vendômois. La Monnoye ayant rencontré sur
un traité latin du médecin de Lausanne cette désigna-
tion : Jacobi Auberli Vindonis, a traduit le mot Vindonis
par de Laval au Maine (1). La Croix du Maine et Du Ver-
dier auraient donc lu Vindocinensis, de Vendôme, pour
Vindonis, et à ce compte le Vendômois Aubert serait
Aubert natif du Maine. Mais celte explication ne peut
être reçue. En effet, la ville de Laval a été désignée en
latin sous les noms divers de Lavallum, Lavalleum,
Lavallis, Vallis, Vallis Guidonis (2), mais jamais sous
celui de Vindonis. C'est une grosse erreur de La Mon-
noye. Vindonis, Vindonensis, Vindocinensis pagus, c'est
le Vendômois. Et, d'ailleurs, il existe plus d'un traité
(4) Notes sur Aubert, à la lettre A. édit, de La Croix du Maine,
par Rigoley de Juvigoy.
(2) M, Cauvin, Géogr, anc.
JACQUES AUBERT. 393
latin de J. Aubert; nous en connaissons plusieurs dont
les uns portent au titre Vindonis, les autres Vindocinen-
sis medici. Jacques Aubert, médecin à Lausanne, était
donc incontesiablement originaire du Vendômois. Mais
tout le Bas-Vendômois, où se trouvaient les bourgs, les
villes considérables de Lavardin, Montoire, Roches-
Lévesque, Savigny, Troo, etc., etc., appartenait alors
au diocèse du Mans. D'où il suit que Jacques Aubert
pouvait être à la. fois du Vendômois et du Maine : du
Vendômois au temporel ; du Maine au spirituel. C’est là
ce qui nous paraît démontrer l'identité des deux au-
teurs. Il n'en faut donc reconnaître qu’un : Vendômois,
selon Du Verdier ; Vendômois et Manceau, selon La
Croix du Maine, né sans doute à Montoire, patrie de
Bouvard et de Chartier (1). MM. Chaussier et Adelon (2)
ne désignent, ilest vrai, qu'un seul Jacques Aubert, mé-
decin à Lausanne, auteur du livre Des Natures et Com-
pleæions et du traité de Metallorum Ortu, mentionné
par La Monnoye; mais ils le font naître à Vendôme et
mourir à Lausanne en 4586. Il est né dans le Bas-Ven-
dômois et non pas à Vendôme, Vendôme étant, comme
(4) Nous ajouterons à ces deux noms celui de Philippe de Mon-
toire, médecin célèbre du xiv° siècle, sur lequel Simon de Pharès
nous a transmis quelques renseignements, Voici le passage de cet
auteur qui concerne notre docteur :
« Maistre Philippe de Montoire, docteur à Paris en médecine, et
souverain astrologien, fust en ce temps à Paris pronosticant chascun
an: el, en d’aucunes siennes pronoslications, pronostica les subsides
que le pappe Innocent vouloit mettre sus; cer il créa trente cardi-
raulx et s'esforça assez tost apris de lever sur la moistié de l'Eglise :
à quoi résista ès France l’escolle de Paris, et envoya l’Université de-
vers le roy Charles, pour celte cause, aucuns notables desqueulx est
chef iceluy M° Philippe de Montoire, et dient aucuns que depuis il
fut l'un des 30 cardinaux. » Simon de Phares, Recueil des plus célè-
bres astrologues. Ms, de l’anc, fonds franc. n° 7487. (Biblioth. nat.)
(2) Biographie universelle de Michaud.
394 JACQUES AUBERT.
capitale du Haut -Vendômois, du diocèse de Char-
tres (1), »
Ces explications données, nous allons faire connaître
les ouvrages de Jacques Aubert, dont la liste n’est com-
plète ni chez La Croix du Maine, ni chez Du Verdier.
Il s’agit d’abord d'un Libellus de Peste; Lausonii,
4574, in-8°. Nous ne trouvons que le titre de cet ou-
vrage : il paraît que les exemplaires en sont rares. Il
faut citer ensuite : Des Natures et Compleæions des
hommes et de chacune parlie d'iceux, etc., etc.; Lau-
sanne, Le Preux, 4574, petit in-8° de 202 pages, et
Paris, veuve Du Pré, 1572, in-46. Dans la dédicace de
ce livre, adressée à l'avoyer de Berne, J. Aubert dit
qu'il l’a traduit en français d'un ouvrage latin.
Le traité de J. Aubert qui fit le plus de bruit, a pour
titre : De Melallorum Ortu et Causis contra chemistas
brevis et dilucida Explicatio; Lugduni, J. Berion, 4575,
in-8° de 70 pages. C'est un pamphlet véhément contre
les alchimistes. Ils s'empressèrent de répondre à cette
provocation. Un d’entre eux, Joseph Du Chesne, sieur
de la Violette, publia contre Aubert : Ad Jacob: Auberti,
Vindonis, de Ortu et causis Metallorum.. Josephi Quer-
cetani, Armeniaci, Responsio; Lugduni, Lertot, 4575,
in-8°. En tête de ce volume se trouvent diverses épi-
(4) Bibliographie universelle, publiée par M. Jannet, p, 33 de la
première partie, (Tome 1.)
Ajoutons que Le Corvaisier est tout-à-fait de notre avis. Nous pu-
blierons ici un passage de Le Corvaisier qui n'était pas encore tombé
sous nos yeux au moment où nous avons communiqué la note que
l'on vient de lire à l'éditeur de la Bibliogr. univers.
En parlant d'Ambroise Paré, Le Corvaisier s'exprime ainsi : « Il
avoit pour contemporains el compatriotes plusieurs excellents méde-
cins, tels qu'étoient Jacques Aubert, qui exerçoit avec réputation la
médecine à Lausanne, etc., etc. » (Hist, des év, du Mans, p. 854.)
JACQUES AUBERT,. 896
grammes latines et françaises contre le médecin ven-
dômois. Nous citerons celle-ci :
. SONNET A M. J, A.
Aubert de ce tien petit livre,
De ce tien nain, ton nourrisson,
Gardé dix ans en ta maison,
La presse ne fut si tost libre,
Qu'il voulut les géans ensuivre
Eschellant les cieux sans raison,
Et faisant du mauvais garson :
— Là haut, dit-il, il me faut vivre,
Pour moy seul est ceste Ambroisie! —
Lors Jupin, qui vit la folie
De ce galant, lui dit : — Tout beau!
A tort j’employerois mon foudre ;
Mais vous sercz dans un tombeau
En un moment réduict en poudre,
J. Aubert répondit aux chimistes représentés par Du
Chesne : Jacobi Auberti, Vindonis medici, duæ Apologe-
ticæ Responsiones ad Josephum Quercetanum ; Lugduni,
Ausultus, 1576, in-80, Cette réponse est précédée de
quelques vers adressés par un anonyme aux détrac-
teurs d'Aubert :
0 e e e 9 e e e e e. . e
Atqui non puduit juvenes, implumibus alis,
Aspersisse senem probris et pure maligno.
Quæ tamen in tenues vanescunt huud secus auras
Quam chemycum toties ex follibus evolat aurum..….
Un certain Jean-Antoine Fenot, de Bâle, prit aussi la
défense d’Aubert dans le pamphlet suivant : Alexi-
pharmacum, sive Antidotus Apolegetica ad virulenlias
696 JACQUES AUBERT.
Josephi cujusdam Querceluni evomilas in librum J. Au-
berti de Ortu, etc., etc.: Basileæ, in-8°. Les chimistes
répliquèrent : Prisciani, Cœsariensis, adversus Juc.
Auberlum, pseudo-medicum, Grammatica expostulatio;
Lugduni, in-8°, sans autre indication. On suppose que
Priscien s'adresse au public pour lui dénoncer quelques
incorrections grammaticales, commises par Jac. Aubert.
Au préambule se trouvent encore des épigrammes.
Celles-ci ne sont pas du meilleur goût. On l'appréciera
par le sonnet suivant :
Priscian à ses compagnons les grammairiens.
Vous, Valle et Calepin, Donat et Despautaire,
Vous, dy-je, qui hantez avec moy les régents
Qui se peinent d'apprendre aux plus petits enfants
Du collège, les loix qui sont en la grammaire,
Donnez commun secours à un commun affaire ;
Accourez, mes amis, ou tous vos rudiments
Sont du tout renversés par Jaquet courbé d'ans,
Qui se monstre à ce coup notre grand adversaire,
Toy, Valle, garde bien, je te pry”, d'une part
Que le galant n'eschappe., — Or sus! brayes à part!
Puisque nous te tenons, nous te ferons desdire !
Jaquet crioit mercy; il ruisseloit de sang,
Quand le bon Calepin, qui fessoit en son rang,
Le lascha. Mais pourquoy ? Fy! je ne l'ose dire.
Ce gros mot acheva le débat. Aubert ne voulut pas
sans doute répondre sur ce ton. Il publia dans la suite :
Progymnasmata in Joun. Fernelii, med., librum de ab-
ditis rerum naturalium et medicamentorum causts ; Ba-
sileæ, Seb. Henricpetrus, 1579, in-8°. À cette date,
J. Aubert habitait la ville de Berne. On a encore du
même auteur : Jacobi Auberti. Vindocinensis medici,
JEAN-LOUIS DE FROMENTIÈRES. 397
Inslilutiones physicæ in qualuor partes distribulæ, quæ
adeo perspicuæ sunt ul in libros Aristotelis qui Tlepi
quoixhc axpodoeus inscribuntur, instar commenlariorüm
inscribi possint ; Lugduni, Ant. de Harsy, 1584, in-80.
C'est Du Verdier qui nous signale ce volume, dans son
supplément à la Bibliothèque de Gesner. Nous connais-
sons encore, de Jacques Aubert, un opuscule de 72 pa-
ges, sous ce litre : Semeiolice, sive ratio dignoscendarum
sedium male affecturum et affectuum præter naluram ;
Lausanne, 1587, et Lyon, J. Chouet, 4596, in-8°.
FROMENTIÈRES (EAN LOUIS DE).
Juax-Louis FROMENTIÈRES, sieur des Etangs (1;
né à Saint-Denis-de-Gastines, au Bas-Maine, en l’année
1632, fut un des prédicateurs les mieux famés du xvu‘
siècle.Comme fils de noble maison, il était destiné par sa
famille à servir dans l’ordre de Malte ; service devenu
facile et peu périlleux, depuis que les anciens statuts de
cel ordre étaient tombés en désuétude, et que la plu-
part des chevaliers étaient autorisés à demeurer sur le
continent. Cependant on put bientôt apprécier que le
jeune Fromentières avait une tout autre vocation. Placé
chez les PP. de l'Oratoire, au Mans, il fit, sous leur dis-
cipline, de bonnes études, et manifesta dés lors un goût
fort vif pour les exercices parénétiques auxquels ils
prenaient soin de former leurs élèves : il lisait constam-
(1) Les Etangs-l'Archevèque, terre siluée près de Saint-Vincent-
du-Lorouer, Les armes de cette famille étaient d'argent à deux fasces
de gueules,
3598 JEAN-LOUIS DE FROMENTIÈRES.
ment les œuvres classiques des maîtres de la chaire,
les retenait de mémoire et se plaisait à les déclamer sur
le ton, avec les gestes convenus. Lui voyant cette dis-
position d'esprit, ses parents l’abandonnèrent alors à la
conduite de ses supérieurs, et ceux-ci l’envoyèrent en
1648 à Paris, au séminaire de Saint-Magloire, dirigé par
un prédicateur renommé, le P. Sénault.
Bientôt on le mit à l'épreuve : il n'avait que dix-huit
ans. Il paraît qu'il se lira bien de ce pas redoutable.
Il joignait à de fortes études une assurance précoce,
et prémuni par les conseils du P. én ault contre
les écarts ordinaires, et, si l’on peut ainsi parler, les
excès oratoires de la jeunesse, il se fit applaudir. A da-
ter de cette époque, il parut successivement dans plu-
sieurs chaires, à Notre-Dame, à Saint-André, à Saint-
Gervais; partout on se montrait curieux d'entendre le
jeune prédicaleur.
Il avait acquis déjà la plusbrillante renommée, quand,
le 6 mars 1666, il fut chargé de prononcer l'éloge fu-
nèbre d'Anne d'Autriche, dans l’église des Martyrs à
Montmartre.Nousavons cette oraison funèbre.On peut la
comparer à celles que d’autres orateurs du temps firent
en l'honneur de la même princesse; on ne trouvera pas
que l'abbé de Fromentières se soit exprimé dans un lan-
gage moins élevé que son maître, le P. Senault et sonil-
lustre condisciple, Mascaron. Il fut, dans la suite, chargé
de prononcer, en diverses églises du diocèse de Paris el
de Reims, les éloges de l'archevêque de Paris, Hardouin
de Péréfixe, du cardinal Antoine Barberin, archevêque
de Reims, premier pair et grand-aumonier de France,
du ministre Hugues de Lionne, de la princesse de Conti,
du P, Senault. Ses succès oratoires lui valurent le titre
JEAN-LOUIS DE FROMENTIÈRES. 399
de prédicateur ordinaire du roi, et ce fut en cette qua -
lité qu’il prêcha devant la cour l’avent de 1672. L'année
suivante, l'évêché d'Aire, en Gascogne, ayant perdu
son chef spirituel, le roi pourvut de cet emploi l'abbé
de Fromentières.
L'administration diocésaine n'était pas le principal
souci des évêques; ils abandonnaïent volontiers à des
clercs inférieurs la gestion de leurs intérêts épiscopaux
pour exercer eux-mêmes le ministère de la parole.
C'est un usage auquel Fromentières ne manqua pas de
se conformer. On raconte que plus d'une fois, dans son
église cathédrale, il interrompit tout à coup le service
divin pour adresser au peuple assemblé des instructions
familières. Ses voyages fréquents à Paris nous sont at-
testés par sa présence dans quelque chaire. En 4674,
aux Carmélites, il adresse de solennelles admonitions à
la duchessede la Vallière prenant le voile des pénitentes;
en 4680, il prêche le carême devant le roi. On attribue
à l'évêque d’Aire plusieurs conversions éclatantes : on
ajoute que, par ses remontrances, il fit cesser, dans son
diocèse, les combats de taureaux. Jean Louis de Fro-
mentières mourut en 1684, dans sa ville épiscopale,
après avoir désigné pour lieu de sa sépulture l'endroit
où l'on avait coutume d’enterrer les plus pauvres des
üdèles.
Nous parlerons maintenant de ses œuvres. Elles se
composent de deux recueils, contenant l’un ses ser-
mons, l’autre ses oraisons funèbres. En mourant, il avait
demandé qu'on mit au feu tous ses discours : requête di-
versement qualifiée. Ce fut, suivant Moreri, l’acte d'une
modestie vraiment exemplaire; dédaignant la louange,
il voulait ne laisser après lui aucun titre à la renommée.
&00 JEAN-LOUIS DE FROMENTIERES.
Ce fut, suivant l'abbé Ledru (1), un calcul d'amour-
propre; n'ayant pas eu le loisir de mettre la dernière
main à ses compositions parénétiques, il craignait d’être
mal jugé sur des ouvrages imparfails. Quoiqu'il en soit,
il pe fut pas Lenu compte de ce vœu, car les œuvres de
Fromentières furent publiées l’année même de sa mort.
Nous n'avons pu nous procurer celte édition qui se
compose de six volumes, au témoignage de l'abbé Ledru
et de M. Peignot. Les oraisons funèbres furent ensuite
réimprimés sous ce litre : OEuvres mélées de Mess. J. L.
de Fromentières; Paris, Couterot, 4690, in-8°; Lyon,
Briasson, 1740, in-12. Les éloges d'Anne d'Autriche,
d'Hardouin de Péréfixe et de M. de Lionne avaient été
déjà publiés séparément en 1666 eten 1671. On trouve
encore, dans ce volume, un discours sur la réparation
d'un sacrilége commis, le 3 août 4670, dans l'église de
Paris, déjà publié en 1670, in-4°, et le sermon sur une
vêture de religieuse, inséré par l'abbé Le Queulx dans
sa Vie de Madame de la Vallière. Une édition partielle
des sermons parut en 4696, sous le titre de : Caréme de
Messe. Jean-Louis de Fromentières ; Paris, Couterot,
3 vol. in-8°{(2). Nous préférons ces sermons aux oraisons
funèbres. Ils se font remarquer par la noblesse, l'élé-
vation, la vigueur constante du langage. Fromentières
appartenait à la grande école de Bossuet, de Fléchier, de
Bourdaloue: il s'exprimait dans cette langue fière, vi-
rile, dont Fénélon a prétendu corriger la rudesse, dont
Massillon a corrompu l’austérité. C'est, d'ailleurs, une
(1) Biographie universelle de Michaud, — Annuaire de la Sarthe,
: Un de ces sermons se retrouve manuscrit dans un recueil de la
Biblioth, nationale, Suppl, Franc, n° 2657,
LOUIS HOELLET. 4OÏ
érreür corñÿmüne que d'attribuer à Bossuet l'invention
de ce haut style dans lequel il a excellé. L'emploi fré-
quent des images saisissanies et de ces locutions har-
dies, qui tour à tour élèvent et terrassent l'esprit de
l'auditeur, appartient à la manière oratoire du xvr: siè-
cle : Bossuet doit au P. Senault ce que Pierre Corneille
doit à Rotrou; il n'a pas inventé, il a perfectionné les
procédés dont il a fait usage. Formé sous la discipline
du P. Senault, Fromentières a connu ces procédés, et
quelques-uns de ses sermons ne sont pas inférieurs à
ceux des grands oraleurs du temps.
LAMY (ELIE).
EE LAMY, né à Mayenne, fut un des élèves de Flacé
au petit collége de la Coûture. Il n’est connu que par une
épigramme latine qui se voit en tête de la seconde par-
tie du Catéchisme latin de René Flacé (1).
HOELLET (Louis).
Louis HOELLET ou Houazer, sieur du Bourg, avocat
au siége présidial du Mans, échevin de cette ville en
1583 (2), hailli de la Suze, « a escrit, suivant La Croix du
Maine, quelques obser valions et annotations sur le Cous-
tumier du Maine » et divers autres opuscules de juris-
(1) Voir Hist, Litt, du Maine, t 3, p. 1.
(3) M. Cauvin, De l’Admin, Municip.; p, 47.
Il, 26
4102 BERNARD GUYARD.
prudence. Aucune de ses œuvres n'est venue jusqu'à
hous.
BOUVET (RENE):
René BOUVET, sieur de Bossé (4), conseiller au siége
présidial du Mans, est auteur d’une relation insérée
presque intégralement dans la Bibliothèque liltératre
d'Ansart. Celte relation a pour objet un voyage fait à
Sauges, paroisse du doyenné de Brûlon, au pays des
Arviens. Elle nous semble d'un médiocre intérêt. René
Bouvet fit son voyage en 1706, et mourut l’année sui-
vanl{e.
GARNIER (JEAN).
On lit dans la Bibliothèque Françoise de La Croix du
Maine: «Jean GARNIER, sieur de la Guiardière, natif de
Laval au Maine, poële françois et historien. Il a escrit plu-
sieurs poësies françoises, el entre autres un poëme qu'il
intitula La mer rouge. Ce livre n'est encores imprimé.
J'ay appris cecy de M. de Lorière, frère du susdit. »
Nous n'avons pas d'autres renseignements sur ce Jean
Garnier. Son poème de la Mer rouge est sans doute de-
meuré manuscrii.
GUYARD (BERNARD).
Bennarp GUYARD, né à Craon en 1604, fit profession
de la règle de Saint-Dominique au couvent de Rennes.
(1) Terre seigneuriale de la paro'sse d'Aubigné,
BERNARD GUYARD. 403
De Rennes il fut envoyé à Paris, où nous le voyons pas-
ser ses examens pour la licence en 1644, et, docteur à
quelque temps de là, professer avec le plus grand succès
au collége du couvent de Saint-Jacques. Il fut ensuite
prédicateur, et se fit entendre à Paris et en d’autres vil-
les. Quétif et Echard nous ont transmis quelques détails
sur l’histoire de sa vie (1) : mais ces détails ont peu d'in-
térêt. On lit ailleurs que, durant les troubles de là
Fronde, ayant attaqué les chefs du parti, il fut conduit
à la Bastille et y demeura quelques mois (2), Il mourut à
Paris, le 49 juillet 4674, ayant les titres de conseiller et
de prédicateur du roi, et occupant la charge de premier
régent au collége de Saint-Jacques. Voici son portrait :
« Obesa fuit facie et corpore; unde, justu licet ac procera
corporis mole, statura tamen valde mediocri cerneba-
tur (3). » C'est sans doute à cause de cette obésité qu’on
l'appelait le docteur Pouf. Parlons maintenant de ses
livres.
Il faut d'abord mentionner : La Vie de Saint Vincent
Ferrier, religieux de l'ordre des frères Précheurs; Paris,
D. Moreau, 1634, in-8°. Le titre de ce livre nous fait
connaître que frère B. Guyard avait pris en religion le
nom de Jesus-Maria. C'est un livre mystique, qui con-
tient plus de fables que de récits dignes de foi; mais ces
fables ne sont pas racontées dans un style trop vulgaire.
Vincent Ferrier, ou plutôt Ferrera, est un saint du dio-
cèse de Valence, en Espagne; cependant, comme il est
mort à Vannes, en Bretagne, tous les hagiographes
(4) Scriptores Ord, Prædic., t, 11, p. 653.
(2) Biogr, univ, de Michaud,
(8) Scrip. Ord, Prædic,, loco citatu:
A
LT Li
404 BERNAHD GUYARD,
français ont célébré sa mémoire. Bernard Guyard a
dédié sa Vie à Sébastien de Rosmadec, évêque de Vannes.
Il n’était encore que bachelier en théologie lorsqu'il
prononca, le 45 juin 1643, en l’église de la Madeleine,
à Paris, l'éloge funèbre de Louis XIII : Oraison funèbre
prononcée à Paris, en l'église de la Magdeleine, au service
de Louis-le-Juste, roi de France et de Navarre; Paris,
À. Cotinet, 1643, in-4°. Echard avoue que cette oraison
est assez pauvre, bien que l'auteur y ait prodigué les
tropes et les métaphores. Nous ne pouvons que sous-
crire à ce jugement : il est même peu sévère, car les
écarts oratoires de frère Guyard dépassent quelquefois
la limite connue de l'emphase et du faux goût. Voici,
comme spécimen de sa manière, le premier paragra-
phe de sou exorde :
Jastus ut palma florebit! Quelle rencontre des palmes avec les
larmes, du triomphe avec une perte si sensibie et si générale, qu’elle
porte ua coup mortel au cœur de la France et de tous les Français!
Les fredons de la plus douce musique ne sont-ils pas importuns
quand ils treuvent en leur chemin des prunelles larmoyantes pour
aborder des oreilles qui ne veulent entendre, en un aussi funeste
accident, que des soupirs et des sanglots? Et quoy, la palme qui ne
mène avec soy que des enseignes déployées, des légions foudroyan-
tes, des canons comme des nuécs pleines de foudre et de tonnerres,
des trompettes en signe de réjouissance, et des captifs pour relever
la grandeur du triomphe, peut-elle s'adjuster avec les soupirs du
peuple, les sanglots de la justice, les regrets de la noblesse, les an-
goisses des Muses et les larmes de l'Eglise, qui tous ensemble ont perdu
leur père, leur législateur, leur roy, leur Mécénas, leur protecteur
en Ja mort de Louis-le-Juste ? Hélas ! la pourpre s’est retirée de des-
sus les épaules des princes et seigneurs de la cour, les plumes qui
couvroient leurs castors cnt revolé dans les déserts, les crespes ont
pris lcur place; les chevaux, les carusses, les parois mesme en por-
tent Je grand deuil : comment donc le traverser par un discours de
BERNARD GUYARD. 405
palmes qui veulent voir la nature déployée en ses plus grandes allé-
gresses? Et quoy, Messieurs, ne devrois-je pas plustost dépeupler le
monde de cyprez pour porter sur la tombe de ce grand prince,
comme fit autrefois Boreas, roy des Celtes, après avoir perdu sa fille
Cyparissa; ce qui fat cause qu'on nomma son sépulchre cyprez?
Ne devrois-je pas plustost demander au civl qu'il fist de mes yeux
non deux fontaines, mais deux mers, ou qu'il me convertist en ro-
cher, comme Niobé, pour plorer jour et nuit ce désastre commun?
Ouy, Messieurs, je veux m'y opiniatrer, je renonce à toutes les con-
solations, et le plus grand supplice qui me puisse arriver ce scroit de
veoir ma douleur diminuée paï la longueur du temps qui me seroit
cruel et non favorable en ce point.
C'en est assez : cet échantillon du style de Guyard
témoigne qu'il appartient à l'école des panégyristes
grotesques. C'est vingt ans après que Bossuet changea
le ton de l'oraison funébre.
B. Guyard intervint dans la querelle du jansénisme.
Voici le titre du manifeste qu'il publia pour défendre
saint Thomas, accusé de complicité dans les prétendues
erreursde l'évêque d'Ypres: Discrimina inter doctrinam
thomisticam et jansenianam; Parisiis, D. Thierry, 4655,
in-4°. C'est une première apologie de saint Thomas. Il
eut bientôt occasion d'en composer quelques autres. Le
chanoïne Jean de Launoy avait osé prétendre que le
maître de l'école dominicaine avait été fort ignorant
dans la langue grecque. Une telle assertion devait cau-
ser quelque scandale au couvent de Saint-Jacques
Bernard Guyard, comme professeur du lieu, s'empressa
de la démentir dans l'écrit suivant : Disserlutio ulrum
S.Thomas calluerit linguam græcam; l'arisiis, Lecointe,
4667, in-8°. Il n'y a plus aujourd hui de débat sur celte
queslion intéressante. S. Thomas ne savait pas le grec,
ou, du moins, il n’avait de cette Jangue qu'une con-
406 BERNARD GUYARD.
naissance tout-à-fait élémentaire: et quand il était cu-
rieux de consulter certains livres grecs dont il n'existait
pas de version latine, il les faisait traduire pour son
usage par son confrère et ami le docte Guillaume de
Moerbeka. Il en a fait lui-même l’aveu. On sait, d'ail-
leurs, que la connaissance du grec.était peu répandue
au commencement du xun° siècle. Nous nous rangeons
donc sur ce point à l'opinion de Jean de Launoÿ. Le vo-
lume où se trouve la dissertation dont nous venons de
rendre un compte sommaire, contient encore trois opus-
cules de B. Guyard contre le même critique. Ayant ad-
mis comme un article de foi que le pape est infaillible,
S. Thomas avait recherché dans les anciens auteurs les
passages qu’il pouvait invoquer à l’appui de cette doc-
trine. Jean de Launoy, gallican déclaré, n'avait pas
trouvé fort exactes les citations faites par l’Ange de
l'école, et les avait censurées avec une entière liberté
d'esprit et de langage. Cela devait déplaire aux domi-
nicains. B. Guyard répondit en leur nom à l'intraita-
ble dénicheur de saints. Voici les titres de ses réponses :
In primam magistri Launoi Episiolam ad Antonium
Favrum; In secundam Launoti quæ est ad Ant. Favrum
Epistolam; Fr. Bern. Guyard Joanni Launoio. Il s'agit
principalement, dans ces opuscules, de l'unité de l'é-
glise, de l'autorité du Saint-Siége et de la puissance
des rois.
Bernard Guyard eut ensuite une querelle fort animée
avec un de nos docteurs manceaux, Levayer de Bou-
tigny. Considérant, d’une part, les désordres des mo-
naslères, les vœux si souvent rompus, les pactes simo-
niaques, l'oisiveté crapuleuse de quelques ordres, et,
d'autre part, les nécessités de FEtat qui réclamait des
BERNARD GUYARD, h07
bras valides pour continuer les entreprises du grand
roi, Levayer de Boutigny avait demandé l'ajournement
des vœux, la révision des règles, la suppression des
dois et la réduction du nombre des maisons conven-
tuelles, Aussitôt grand tumulte au camp d'Israël ! Ber-
nard Guyard entreprit de répondre à ce réformateur
téméraire. Voici le texte de sa réponse : Contre la nou-
velle apparition de Luther et de Calvin, sous les ré-
fleæions faites sur l'édit louchant la réformation des
monastères: Paris, 4669, in-42. Ce titre indique assez
quel doit être le contenu de l’opuscule. Prétendre ré-
former les monastères, c'est remettre en honneur le
programme fameux de Luther et de Calvin, c'est renou-
veler d’exécrables calomnies, et pousser les princes dans
la voie du sacrilége. B. Guyard ne fait pas toujours em-
ploi d'arguments irrésistibles, mais il parle avec viva-
cité le langage des opinions reçues et des intérêts cons-
titués.
Aux opuscules publiés par notre dominicain pour la
défense de S. Thomas, le P. Jean de Nicolaï répliqua
très vivement sous le pseudonyme d’Honoré de saint
Grégoire (1). C’est ce qui provoqua l'écrit suivant : Ad-
versus mclamorphoses Honorati à sanclo Gregorio, au-
thore P.F. Bern. Guyard; Parisiis, F. Lecoïnte, 4670,
in-8°. Cetouvrageest un long plaidoyer pour S.Thomas,
et une longue invective contre son détracteur.
Le dernier et le plus curieux des ouvrages de B.
Guyard a pour litre : La Fatalité de Saint-Cloud près
Paris. Lorsqu'il commença l'impression de cet ouvrage.
(4) Zn dissertationem de fictitio S, Thomæ græcismo summaria
epistolaris discussio, Tel est le titre du libelle de Jean de Nicolaï,
108 ‘BERNARD GUYARD,
il était au Mans, exerçant la charge de prieur dans le
couvent de cette ville; mais il n'y fit pas un long séjour,
et, rappelé bientôt à Paris, c'est là qu'il fit mettre sous
la presse les dernières feuilles de son manuscrit. Nous
avons sous les yeux un exemplaire très rare, unique
peut-être, de cette édition, qui passe pour la première,
donné par l'auteur à l'historien de son ordre, le P. Qué-
tif : cet exemplaire sans titre, el par conséquent sans
date, est passé de la bibliothèque de la Vallière dans la
réserve de la Bibliothèque Nationale. Jusqu'à la page 8,
l'impression est belle, nette, le caractère est presque
neuf, mais l'orthographe est ancienne : dès la page 9,
le caractère et l'orthographe changent d’une manière
notable. Cette édition in-folio fut, dit-on, commencée
en l'année 1672, et achevée en 1674. Mais ces dates
pourraient bien n'être pas exactes. On possède, en
effet, une édition in-12 qui porte, sans autre indication,
la date de 1672. Nous lisons bien chez le P. Niceron
que cette date est frauduleuse; mais il l’affirme sans le
prouver. Or, celte édition in-8° est du même caractère
que l’édition in-folio, et présente les mêmes variations.
Ainsi, dans l'édition in-folio, c'est, avons-nous dit, à la
page 9 que le texte vieillit; dans l'édition in-8°, c'est à
la page 33. Il ne serait donc pas impossible que ces
deux éditions fussent la même sous un format diffé-
rent. Dans cette hypothèse, elles auraient été l’une et
l’autre commencées en 4672, et achevées en 1674. On
nous désigne une édition de Lille, 4673, in-42, que nous
ne connaissons pas. Celte Fatalité de Saint-Cloud, qui
se retrouve encore parmi les pièces justificatives de la
Salire Ménippée, n’est qu'un audacieux paradoxe. Mal-
gré le témoignage de tous les historiens, B. Guyard en-
PIERRE AMYS. k09
treprend de démontrer que l'assassinat de Henri III n’a
pas été le crime d’un jacobin, de J. Clément, mais de
quelque autre individu dont le nom sera toujours ignoré.
Cette démonstration n'eut pas un grand succès. Jean
Godefroy crut cependant devoir la réfuter dans l'écrit
suivant : La véritable Fatalilé de Saint-Cloud; Lille, 4745,
in-8°, Cet opuscule de Godefroy a été souvent publié à la
suite des Mémoires de l'Estoile.
AMYS (PIERRE. )
Nous ignorons le lieu natal de Pisare AMYS, sieur du
Ponceau. Son grand père, Guillaume Amys, possédait
et habitait la terre d'Olivet, près de Château-Gontier.
Les gens de la Ligue ayant brûlé ce domaine, Zacharie
el Salomon Amys, fils de Guillaume, se retirèrent en
Bretagne, el furent l’un et l’autre conseillers au parle-
ment de Rennes. On peut donc supposer que le fils de
Salomon, Pierre Amys, naquit dans la ville où son père
occupait cet emploi. Cependant, nous lui consacrerons
une courte nolice, à cause de son origine el à cause du
long séjour qu'il fit à Sablé.
Il fit d’abord profession des armes, et fut cadet au
régiment des gardes. Mais laissons-le parler de lui-
même : « Je fus d’abord cadet au régiment des gardes,
et en cette qualité je me suis trouvé à plusieurs siéges
et à plusieurs combats. Je fus ensuite volontaire en l’ar-
mée qui passa en l’île de Ré pour en chasser les Anglais.
Quelques années après, M. le cardinal de Richelieu
m'ayant fait l'honneur de me donner un drapeau dans
le régiment de la marine, qui était en ce lemps-là un des
10 PIERRE AMYS,
meilleurs régiments du royaume, j'y devins lieutenant :
ensuite de cet employ, par le désir que j'avois de voir
l'Italie, m'étant offert à M. de Servien, nommé ambassa-
deur pour Rome, il me reçut si bien et me témoigna
tant de bonne volonté que son emploi d'ambassadeur
de Rome ayant été changé en celui de plénipotentiaire
à Munster pour la paix généralle, je ne pus me défen-
dre de le suivre en Hollande et en Allemagne. Il me fit
paroistre sur le grand théâtre de Munster au-delà de
mon mérite, et, demon côté, j'eus le bonheur de réussir
au-delà de ce qu'on attendait de moy... Au retour de
celte longue journée de Munster (c'est ainsi que les
Allemands appellent la négociation de Munster ), je de-
meurai à Paris auprès de la personne de M, de Servien,
et y demeurai jusqu'en 1652, que je fus envoyé à Sa-
blé pour y commander el comme capitaine du château
et comme lieutenant de M. de Servien, afin de mainte-
nir, pendant les troubles, cette place dans le service du
roy. Mais, en 4660, le fonds de la garnison ayant été
retranché, il ne me resta que la seule qualité de capi-
taine du château (1). » C'est ainsi qu'en 4667, Pierre
Amys racontait au public les détails de sa vie si bien
employée au service de l'état. Il s’exprimait en d'au-
tres termes, quand il faisait de plus discrètes confiden-
ces: alors il parlait avec moins de respect de M. de
Servien et s'applaudissait moins de l'avoir accompagné
dans ses ambassades. C'est ce que nous apprend une
lettre au chancelier Séguier. Nous publierons cette let-
tre, qui est encore inédite :
(4) Discours de la noblesse qui s’acquiert par la pourpre des Par-
lements de ce Royaume, — G. Ménage, Hist. de Sablé, deuxième
partie, p. 447,
PIERRE AMYS. k14
MonsiGneur,
Quoique le silence soit une marque de respect, il est quelques fois
soupçonné d'ingratitude, el je craindrois que le mien fast mal expli-
qué, s’il m'empeschoit de vous rendre mille très humbles graces des
appointements qu'il vous a plu de m'ordonner dans la charge de ca-
pitaine de ce château. C’est un effet de votre justice, Monseigneur, et
de la plus noble partie de ceste vertu, puisqu'il est vray que du zèle
et de la fidélité que j'ai tousjours eue pour feu Monseigneur le sur-
intendant et que j’auray toute ma vie pour Messieurs ses enfants,
que de la bienveillance qu’il eut pour moy et du choix qu'il en fist,
que du long temps que je l'ay servy, que des importants services que
je lui ay rendus dans ses négociations, dans les intrigues de la cour
en un temps assez fascheux, dans ses disgraccs, et dans ses affaires
domestiques, il résulte un certaia mérite qui peut en quelque façon
estre le sub'et de ceste distributive laquelle ordonne des récompenses.
Mais, Monseigneur, faudra-t-il que sa sœur (4) ne me soit pas si
favorable, et que j’obtienne moins de celle qui doit que de celle qui
donne ? Les gages des neuf premières années que j'ay servy feu Mon-
seigneur le surintendant me sont deubs ; il fut dit qu'on les regleroit
après dix ans de service, Ce terme est passé, Monseigneur, mays il
n'est pas prescrit. C'est une vérité connue à toute sa maison que je
pe les ay point receus; et, si je n’en estois pas payé, il se trouveroit
qu'au lieu d'avoir avancé à son service, pendant ces neuf années, la
meilleure partie de mon temps et du peu de bien que j'avois, j'aurois
perdu l’un ct l'autre, On ne peut pas dire que ses gratificationsl'ayent
acquitté de ceste debte, puisqu’à l’exception de mille livres qu'il
m'ordonna en son ambassade de Hollande, je n'en sy receu aucune,
C'est ce qui m'oblige, Monseigneur, d'avoir recours à votre grandeur
et d'implorer votre bonté. Ma demande considérée en elle-mesme est
peu de chose; à mon regard, c’est tout : mais de quelque façon qu’on
la considère, il me semble, Monseigneur, qu'elle est très juste et
très raisonnable, et si vous avez agréable de me l’accorder, ce me
sera un nouveau moyen pour mieux servir Monseigneur le marquis
de Sablé et Monsieur son frère, en quelque employ qu'il vous plaise
(1) Isabeau Servien, mariée à Arthus de Lionne,
419 PIERRE AMYS.
de me donner, soit icy, soit ailleurs, pour leur service ct pour le
bien de leurs affaires, Je vous supplie donc, Monseigneur, d'ugréer
la très humble prière que je vous en fais, mais je vous supplie aussy
de me faire l'honneur de croire que, quoy que vous ordanniez, je -
seray toujours, avec un très profond respect et une parfaite soumis-
sion,
De votre grandeur,
Monseigneur,
Le très humble et très obéissant serviteur,
DU PONCEAU.
Au Chasteau de Sablé, le 21 may 4659 (4).
Pierre Amys eut d'autres occasions d'adresser à Ser-
vien, à sa sœur et à ses fils le reproche d'ingratitude.
Il nous dit bien, en effet, dans le mémoire écrit pour le
public, qu'il fut, en 4660, après de si longs services,
dépouillé de sa capitainerie ; mais il omet de raconter
que cette dépossession fut opérée avec beaucoup d'é-
clat, après une vaine résistance. Nous avons des reu-
seignements à ce sujet dans une autre lettre écrite au
chancelier Séguier (2).
(4) Bibl. Nation. manuscrits de St-Germain-des-Prés, 709 t. 29
pe 45. (Corresp. de Séguier,) Une autre lettre du sieur Du Ponceau,
écrite à peu près dans les mêmes termes, se trouve dans le tome 34
de la même collection, page 14,
(2) Voici cette lettre :
Sablé, le 44 décembre 1659.
MoxseIGNEUR,
Sy j'avois préveu que la jalousie et l’inimitié du sicur Du Ponceau,
capitaine au chasteau de cette ville, l'eust porté jusques à rccher-
cher tous ses amis et les forcer à vous escrire des suppositions, je
vous aurois informé de son procédé; mais l'ayant jugé indigne de
vostre entrelien, je me suis tenu dans le silence, sur l'espérance de
vous en dire quelque chose de vive voix au voyage que j’ay résolu
pour vous rendre compte de mes actions et vous informer de l'estat
des choses qu'il vous a pleu me counmettre, J'espère partir à cet
effet samedy prochain.
Cependant, Monseigneur, en crainte que mon silence vous donne
PIERRE AMYS. h15
Gilles Ménage l'a connu, dit-il, très particulièrement,
et voici le portrait qu'il fait de lui: « C'étoit un homme
qui avait beaucoup de savoir, beaucoup d'esprit, beau-
coup de courage el beaucoup d'honneur. » Il n’en fau-
drait pas tant pour faire un homme accompli: il y a
donc lieu de croire que l'historien ajoute beaucoup à la
vérité. « Il mourut à Paris, poursuit Ménage, en 41667,
à la sollicitation d’un procès pour sa noblesse, dans le--
quel j'ose dire que le parlement de Paris, ou le privé
conseil chi roy fit à sa famille une extrême injustice ; le
parlement de Paris ayant ordonné que la succession de
Salomon Amys, conseiller en parlement de Bretagne,
son père, seroit partagé noblement, et le conseil du roy
ayant déclaré les enfants de ce conseiller de Bretagne
usurpateurs de noblesse pour avoir pris la qualité d'é-
cuyer. Notre Pierre Amys fit imprimer à Angers,
en 1667, au sujet de ce procès, un pelit traité inlitulé :
Discours de la noblesse qui s'acquiert par la pourpre
quelques impressions des choses qui ont esté escrites, je vous supplie
me permettre de vous dire ce qui est passé entre le sieur Du Ponceau
et moy. Sa jalousie de me voir honorer de la bienveillance de feu
Monseigneur Servien luy avoit fait tenter toutes choses pour y pren-
dre ma place; mais la cognoissance qu’avoit Monseigneur de son
mérite luy continua seallement sa commission de capitaine. Le congé
que j'ay donné à sa garuison par vos ordres, Monseigneur, luy ayant
osté la moitié de ses revenus et la crainte de se voir congédié luÿ
mesme comme personne très inutile, l'a rendu mon enemy déclaré;
joint quelque ressentiment de sc voir privé de l'usage des meubles
de la maison dont il a disposé depuis long temps : lesquels ayant fait
inventorier et apressier, j’ay changé Modiène, conserge, aussy, Mon-
seigneur, par votre ordre. Depuis, il a esté l'azille de tous ceux avec
lesquels j’ay des différans pour les intérests de la succession et blas-
mant en tous lieux contre tuutes les apparances mon ministère, a
fait soulever des qui n'y auroient pas pensé ou qui auroient eu assez
de respect pour ne pas me faire des injustices et des proeès comme
Messieurs de Piedufour, de la... (nom illisible), de la Guindonière et
aultres dont j'aurai, s’il vous plaist, l'honneur de vous entretenir,
L'inventaire des meubles a esté fait sans luy et sans contestalion;
mais oeluy des tiltres dont il » une des clefs n'a pu se parachever, et, au
AT RENÉ FROULAY DE TESSÉ.
des parlements de ce royaume, adressé à M. Voisin de
la Noraye, maître des requêtes, intendant de la génié-
ralité de Touraine (4). »
FROULAY DE TESSÉ (RENÉ).
La vie de René FROULAY pe TESSÉ, troisième du
nom, a été écrite en deux volumes in-8 par Grimoard.
Ge compilateur, n'étant pas un habile homme, a fait un
très mauvais emploi des précieux matériaux qu'il avait
entre les mains. Essaierons-nous de raconter les mêmes
détails en de meilleurs termes? ce serait une affaire
considérable : la vie de René III de Tessé a élé très oc-
cupée; il a fait plus d’une campagne, conduit plus d’un
siége, défendu plus d’une place, mené plus d'une négo-
ciation, et comme il a, d’ailleurs, laissé peu d'écrits,
tout ce que nous pourrions dire sur ses entreprises mi-
litaires ou diplomatiques serait assez étranger à l’his-
lieu de se trouver au dernier jour de la remise il s’absenta. J'alé au
chasteau avec le sieur Bailly, procureur fiscal et greffier; l’on de-
mapnda Ja clef dudit sieur Du Ponceau qui fut refusée par sa femme
au dit... (illisible). Vous savez, Monseigneur, ce que je pouvois faire,
mais je me contenté de luy escrire par experts et attendy la réponse
jusque au quatrième jour que je retourné avec les mesmes officiers,
auxquels je demandé acte de la sommation que je réiteré à cette
femme de délivrer la clef de son mary : sur quoy elle s'écria comme
si nous eussions esté des voleurs et nous dist toutes les injures que
l'on peut s’imaginer d'une femme emportée avec des menaces que
je ne saurois escrire, jusques aux coups de baton qu’elle me promist
de la part de Messieurs Boislève, ses parants. Ainsi le chasteau qui
debvroit servir d’appuy et protection pour le maintien des subjets et
droits de la seigneurie eat l’asille des ennemis de la maison...
DESGRASSIÈRES,
MSS, de St-Germain, 709 t. 29,
(4) Histoire de Sablé, deux part, p 176.
(3) Au même lieu.
RENÉ FROULAY DE TESSÉ. 5
loire littéraire du Maine. On se contentera donc d'un
récit très succinct.
Né, en 1651, de René II, lieutenant-général des ar-
mées dü roi, et de Madeleine de Beaumanoir. fille du
gouverneur du Maine, le jeune René III de Froulay fit
ses premières armes en 4669, sous le maréchal de Cré-
qui, qui l'avait pris pour son aide-de-camp. En 1688;
il était déjà maréchal-de-camp et chevalier de l'ordre,
sans avoir guéres fait, pour mériter ces titres, autre
chose que se concilier les bonnes grâces de Louvois. Il
fut, en 4691, nommé gouverneur d'Ypres, et, l'anhée
suivante, lieutenant-général et colonel-général des dra-
gons. Envoyé dans la suile en Italie, pour y remplir
diverses missions militaires ou diplomatiques, il ne fut
pas toujours heureux dans ses entreprises. Cependant
le roi crut devoir, en 4703, lui donner, comme récom-
pense de ses services, le bâton de maréchal. S'il faut
en croire l’abbé de Choisi, Tessé n'aurait obtenu cette
insigne faveur qu'à la prière de la duchesse de Bour-
gogne. Voici ce que raconte cet historien : « Le maré-
chal de Tessé a été fait maréchal de France à peu près
de la même manière que M. de Vivonnes. Le roi tra-
vailloit chez Madame de Maintenon avec M. Chamillard
et faisoit la liste des maréchaux de France qu'il devoit
déclarer le lendemain. Madame la duchesse de Bour-
gogne regardoit par dessus l'épaule et vit que Tessé n’en
éloit point. Elle sautoit et dansoit, rioit à son ordinaire;
elle se mit tout d'un coup à pleurer. Le roi en voulut
savoir la raison. « Ah! Monsieur, lui dit-elle, vous des-
« honnorez celui à qui je dois l’honneur d’être à vous,
« celui qui m'a faite tout ce que je suis. » Le roi parut
fâché que son secret fût découvert, et de colère déchira
416 RENÉ FROULAY DE TESSÉ.
la liste. Les maréchaux ne furent faits qu’un an aprés :
au lieu de quatre, il y en eut dix, afin de donner place à
Tessé (1). » Ce récit nous serail suspect, si nous n’a-
vions pas, contre le maréchal de Tessé, d'autres témoi -
goages que celui de l'abbé de Choisi : mais voici sous
quels traits S'-Simon nous le représente :
« C'étoit un grand homme, bien fait, d'une figure fort
noble et fort agréable, doux, liant, poli, flatteur, vou-
lant plaire à tout le monde. Il devint bientôt comme
d'Huxelles, mais dans un genre différent, l'homme à
tout faire de M. de Louvois, et celui qui de partout l'in-
formoit de toutes choses : et en fut-il promptement et
roidement récompensé... C'étoit un Manceau digne de
son pays, fin, adroit, ingrat à merveille, fourbe et arti-
ficieux de même. Il avoit le jargon des femmes, assez
celui de courtisan, tout-à-fait l'air d'un seigneur et du
grand monde, sans pourtant dépenser : au fond, igno-
rant à la guerre qu'il n'avoit jamais faile que par un
hasard d'avoir été partout, el de s'être toujours trouvé
à côlé des actions et de presque tous les siéges. Avec
un air de modestie, hardi à se faire valoir et à insinuer
tout ce qui lui étoit utile : toujours au mieux avec tout
ce qui fut en crédit et dans le ministère, surtout avec
les puissants valets. Sa douceur et son accortise le firent
aimer : sa fadeur et le tuf qui se trouvoit bientôt, pour
peu qu'il fût recherché, le firent mépriser (2). » Rési-
gnons-nous donc à ne pas compter le maréchal de Tessé
au nombre des illustres capitaines, mais plutôt au nom-
bre des heureux courtisans.
(4) Mémoires de Choisi, liv. 7
(2) Mémoires de W-Simon, t, u de l'édit, de 1794,
RENÉ FROULAY DE TESSÉ. 4147
Aussitôt après sa promotion, il fut un des généraux
envoyés en Espagne pour défendre les droits contestés
de la maison de France. Il se fit battre devant Gibraltar,
el battit les Portugais devant Badajoz. Son échec le plus
grave eut lieu, l'année suivante, sous les murs de Barce-
lone. Cette mésaventure ne le perdit pas auprès du roi,
parce qu'il était bien vu de Madame de Maintenon, mais
il ne trouva pas grâce devant les chansonniers; ils lui fi-
rent une guerre sans relâche, sans pitié (4). Tessé fut en-
suite employé à défendre Toulon contre les Piémontais,
et l'Italie contre les Autrichiens Le dernier poste qu'il
occupa fut l'ambassade de Madrid. 11 mourut à Paris,
en sa maison des Camaldules, le 40 mai 1725, à l’âge
de soixante- quatorze ans.
Parlons maintenant de ses œuvres littéraires.
Ce qui nousen reste est, avons-nous dit, peu considé-
rable. Dans le premier des Recueils publiés en 4745, à
Fontenoy, par Perau, nous trouvons cinq pièces histo-
riques qu'il ne fait pas difficulté d'attribuer au maré-
(1) Voici quelques couplets extraits de divers recueils manus«
crits :
Tessé, Tallar et Villeroy
Ont tous trois bien servy Île Roy;
11 leur faudroit pour récompense
Qu'on leur rompist sur le dos,
Le baston que jadis la France
Leur a donné mal à propos.
Où lit ailleurs :
Barcelone est à nous: c'en est fait,
Car Tessé
A promis au Roy sur sa teste
Que dans le dixième may
Il seroit sa conqueste :
Je le crois fort embarrassé,
Point du tout; Tessé n'est point beste;
li se tirera d'embarras;
Car quand il engage sa teste,
11 sait fort bien qu’il n'en a pas,
III, a7
18 RENÉ FROULAY DE TESSÉ.
chal de Tessé. Ces pièces, d'ailleurs assez curieuses,
ont pour objet les affaires de La Rochelle, les négocia-
tions vaines enlamées par le marquis d’Arquien postu-
lant le titre de duc, la vie de Daniel de Cosnac, arche-
vèque d'Aix, et le siége de Vienne en 4683 (4). Mais le
maréchal de Tessé en est-il bien l’auteur? Fevret de
Fontette (2), el après lui, M. Weiss (3), ont, sur la foi de
Perau et sans autre examen, inscrit ces opuscules au
catalogue des œuvres de Tessé. Cependant nous en re-
trouvons quatre sur cinq dans les manuscrits aussi bien
que dans les recueils imprimés qui portent le nom de
Mémoires de Choisi, et il est au moins très vraisemblable
qu'ils appartiennent à cet écrivain.
Voici un ouvrage plus considérable et plus important :
ce sont les Mémoires ct Lettres du maréchal de Tessé,
publiés par Grimoard; Paris, 4806, 2 vol. in-80. Où le
compilateur a-t-il recueilli toutes ces lettres, tous ces
mémoires? Nous l'ignorons. Où retrouver aujourd'hui
soit les originaux, soit les copies dont il n'indique pas la
source ? Ce serait une recherche difficile. Qu'il nous suf-
fise de mentionner les pièces les plus importantes de ce
recueil :
Mémoire sur les affaires d'Italie, jatt par ordre du
Roi, et donné à S. M. au mois de mai 1698. Ce mémoire
contient de forl sages conseils. Le maréchal se demande
comment la France pourra faire obstacle aux projets de
la maison d'Autriche sur l'Italie, et à cette question voici
sa réponse : — Il faut d'abord que l'Italie soit éclairée
(1) Pages 1, 46, 78, 452, 466 du Recueil À, t. à de la collection,
(2) Biblioth. des Hist. de France,
(3) Biographic universelle de Michaud,
RENÉ FROULAY DE TESSÉ. 419
sur ses véritables intérêts; il faut ensuite qu’elle soit
mise en élat de résister elle-même, du moins au premier
choc des armes impériales. Or, elle est faible parce
qu'elle est partagée entre une foule de princes rivaux
d'influence; elle paraît, d’ailleurs, se résigner au ré-
gime de la servitude, parce qu'elle ne soupçonne pas
même comment elle pourrait conquérir sa liberté : il
s'agit de fonder l'association italienne, de réunir toutes
les forces sous un seul étendard, et de reconstituer une
nalion avec toutes ces provinces démembrées. Voilà le
plan de Tessé. S'il avait été suivi, bien des questions
qui sont encore pendantes au-delà des Alpes auraient
été résolues depuis un siècle.
Le Journal du Blocus de Mantoue est üne relation
historique d'un grand intérêt. Un Mémoire sur la cour
et les affaires d'Espagne, est une pièce encore plus inté-
ressante, Tessé raconte ce qu'il a vu, et, jugeant la cour
de Madrid par comparaison avec celle de Versailles, il
s'étonne de tout, et veut tout réformer. On ne saurait,
d'ailleurs, que souscrire au plus grand nombre de ses
remontrances : elles étaient malheureusement trop fon-
dées, comme l’a bien prouvé la triste fortune de notre
établissement en Espagne. Nous désignerons encore,
comme digne de remarque, un second Mémoire du ma-
réchal de Tessé sur les affaires d'Italie, en août 1708. Il
y a, dans cette pièce, des observations pleines de vérité
sur l'esprit d'intrigue du gouvernement pontifical et
sur son incurable impuissance.
Ce sont là toutes les œuvres du maréchal de Tessé.
On y joint un assez grand nombre de missives diplo-
matiques ou privées, dispersées aujourd’hui dans les
trésors des antiquaires. Deux de ces lettres ont été im-
#20 RENÉ-MANS FROULEAY DE TESSÉ.
primées dans les Mémoires pour servir à. l'histoire de
Philippe V, par le marquis de Saint- Philippe: elles sont
à l'adresse du Pape, el contiennent certaines phrases qui,
sur le rapport des historiens, ont causé non moins de
scandale à Versailles qu’à Rome. La Bibliothèque Natio-
nale possède quelques lettres inédites du maréchal de
Tessé. On en lil cinq adressées au maréchal et à la ma-
réchale de Noaïilles, dans le n° 2,232 *’ du Supplément
Francais ; ce sont des originaux : le n° 456 du même
Supplément renferme une relation écrite du camp de
Luzara, en 1704, pour la duchesse de Bourgogne; c'est
une copie. Enfin, dans les cartons où ont été recueillies
les archives mutilées des chevaliers du Saint-Esprit, se
rencontrent dix ou douze autres lettres du maréchal à
Madame de Maintenon et à M. de Pontchartrain (1).
Celles-ci, écrites sur le ton le plus dégagé, ne sont pas
les moins curieuses.
FROULLAY DE TESSÉ (RENÉ-MANS).
Nous inscrivons René FROULLAY pe TESSÉ au nom-
bre des écrivains du Maine, à cause de la part qu'il
eut à une œuvre poétique dont la rareté fait tout lesprix.
En voici le titre : Deiparæ Virginis Jesum in templo
rile offerentis Laudes, vario carminun genere celebratæ,
autoribus et actoribus e rhelorica selectis in regio Lu-
dovici magni collegio, societatis Jesu, Fr. Victor de Bre-
teuil Tressigni, Ludovicus Chauvelin, Ludovicus d'Eses -
poisse de Villeflix, Michael de Pomereu et Renalus de
(1) Au mot Froullay,
RENÉ-MANS FROULLAY DE TESSÉ, La!
Tessé; Parisiis, vidua Ant. Lambin, 4700, in-12 de
28 pag. La bibliothèque de Soleinne possédait cette
curiosité littéraire. Elle se compose de déclamations en
l'honneur de la Vierge. Les auteurs, élèves de rhéto-
rique au collége Louis-le-Grand, sont montés dans un
jour solennel sur une estrade préparée pour ce jeu sco-
laire, et là, sous les yeux de leurs maîtres, de leurs
condisciples, ils ont tour à tour récité leurs pompeux
hexamètres. Pour représenter chacun un rôle particu-
lier dans celte œuvre lyrique à personnages, ils ont
pris des noms de fantaisie : Victor de Breteuil s’est ap-
pelé Neolerius, Louis d'Esespoisses Erasles, Michel de
Pomereu Philotheus et René de Tessé Parthenius. C'est
fout ce que nous avons à dire sur ce recueil.
Ce René-Mans, sire de Froullay, comte de Tessé, né
le 44 novembre 1681, était le fils aîné du maréchal. Dés
l'année 4699, il avait reçu le titre de colonel du régiment
de Tessé : ses études achevées, il partit pour les camps
et servit sous son père. Blessé en 1702 au siége de Man-
toue, il fut, en 4703, nommé colonel du régiment du
Sault, et assista, en 1704, au siége de Verue. On le vit
ensuite, en 4707, combattre dans les murs de Toulon,
en repousser l'ennemi, et recevoir en récompense de
ses services, le brevet de maréchal de camp {1°" sept.
1707). Son père s'étant démis en sa faveur de son com-
mandement dans le pays du Maine, du Perche et de
Laval, il lui succéda dans cette charge en 1748, fut en-
suite, en 4725, écuyer de la reine Marie Leczinska,
chevalier des ordres du roi en 4728, et mourut en son
hôtel, au Mans, le 22 septembre 1746, à l'âge de 65 ans.
IL avait épousé, en 4706, Elisabeth-Claude-Pétronille
Bouchu, fille unique de Jean-Etienne Bouchu, marquis
492 YVES DU RUBAY.
de Lessart, morte en 1733, à l'âge de 49 ans, qui lui
avait donné, outre quatre filles, Rene-Marie, sire de
Froullay, brigadier des armées du roi, colonel du régi-
ment de la reine, qui mourut, âgé de 36 ans, à Prague,
Je 23 août 1742 ; et René-François de Froullay, cheva-
lier non profés de l'ordre de Saint-Jean-de-Jérusalem.
RUBAY (vvEs Du).
La Bibliothèque françoise de La Croix du Maine parle
de lui dans ces termes : «Yves pu RUBAY, natif du pays
du Maine, maistre des requestes de l’hostel du roy et chan-
celier du royaume d’Ecosse, homme for docte et lequel a
esté employé en beaucoup d'affaires d'estat. 1] a escrit
plusieurs harangues {ant en latin qu’en françois, lesquel-
les ne sont encore imprimées. Il mourut à Paris l’an 4563
ou environ. » Nous ne connaissons aucune des haran-
gues altribuées par La Croix du Maine à Yves de Rubay,
mais voici quelques détails sur sa famille et sur sa vie.
Son père, licencié-ès-lois, avait épousé Jeanne Baus-
sard, et de ce mariage étaient nés six enfants, Nicolas,
Yves, Jean, Marie, Roberde, Renée et François (4). Yves
du Rubay fut chancelier d'Ecosse sous le règne de Marie
Stuart. C'est en 4558, le 49 juillet, qu’il fut reçu maître
des requêtes ordinaire en l'hôtel du roi. Il mourut le
18 août 4563. ILavait épousé Jehanne de Loynes, veuve
en premières noces de Georges Maynard, conseiller au
parlement. Blanchard (2) prétend que ce mariage fut
(a) Biblioth. Nat., cabinet des Titres; fonds des Mémoires.
(2) Généalogie des Maistres des Requestes, p. 800,
PAUL HAY DU CHASTELET. 498
stérile : il se trompe, puisque Jehanne de Loynes est
qualifiée dans une reconnaissance {utrice des enfants
mineurs de défunt Yves du Rubay (1).
HAY pu CHASTELET (pauL).
Hay est le nom d'une famille qui est comptée parmi
les plus anciennes et les plus nobles de la Bretagne ar-
moricaine. Ses armes sont de sable au lion d'argent :
elle prétend descendre des comtes de Carlile, célèbres
dans les légendes écossaises (2). Deux membres de cette
famille, deux frères, qui l’un et l’autre se sont fait un
nom dans les lettres, prirent naissance à Laval dans les
dernières années du seizième siècle.
L'aîné, Pauz HAY, qui joignit à son nom le titre sei-
gneurial desieur du Chastelet, Vaufleury et autres lieux,
naquit à Laval en 1593 (3). Il fut d’abord avocat-général
au parlement de Rennes. Un écrivain acerbe, véhé-
ment, avec lequel il eut plus d’une affaire, le sieur abbé
Matthieu de Morgues, l'accuse d'avoir fait à la cour, au
temps d'Henri IV, un métier fort deshonnèête, celui de
messager d'amour; le même libelliste ajoute que, sur-
pris tramant quelque intrigue à la fois religieuse et ga-
Jante, il fut ignominieusement chassé par le roi (4). Ce
(4) Bibliotb. Nat, cabinet des Titres; fonds des Mémoires.
(2) Matthieu de Morgues conteste cette noblesse, mais sans allé-
guer aucune preuve à l’appui de son dire, Voir la Remontrance de
Caton chrétien, p. 28h du Recueil de Matthieu de Morgues, Voir, en
outre, Jugement sur la préface, p. 555 du même Recucil,
(3) M. Desportes, Bibliogr, du Maine,
(4) Matthieu de Morgues fait deux fois allusion à cette aventure
dans la Remontrance de Caiton chrétien, Voir p. 272 de son Recueil,
%
4 PAUL HAY DU CHASTELET.
récit nous semble une calomnie assez mal fabriquée.
Henri IV expirait sous le couteau de Ravaillac au mois
de mai de l’année 4640, et du Chastelet, né en 1593,
avait, à cette date, à peine dix-sept ans accomplis : or,
comment admettre qu'à cet âge il eût déjà acquis assez
d'expérience pour remplir, dans une cahale de cour, le
rôle si délicat, et même si compliqué que lui attribue
Matthieu de Morgues ? Evidemment ce n'est là qu'un
méchant propos, une fable inventée et propagée par la
haine. Il paraît, du reste, que du Chastelet ne fit pas un
long séjour dans la ville de Rennes, et qu'il vint bien-
tôt dans la capitale, soit pour se faire présenter à la
cour, soit pour exercer sa profession d'avocat près le
parlement de Paris. Il ne tarda pas à s’y faire des amis,
ou, du moins, des protecteurs, parmi lesquels nous
pouvons compter, outre le cardinal de Richelieu, le pré-
sident le Coigneux, qui lui fit contracter mariage avec
une femme renommée par sa beauté (4).
En 1627, il s'engagea dans une affaire bien périlleuse;
il entreprit la défense désespérée de ce comte de Mont-
morency-Boutteville, qui avait osé, malgré de récents
édits, ou plutôt à cause même de ces édits, par bra-
vade, se battre avec des Chappelles en plein jour, au
milieu de la Place-Royale. Du Chastelet employa d’a-
et p. 288 : « O le béat, qui est plus capable de présenter un poulet
d'une main,'en tenant un chapelet de l’autre, que de faire descendre
la vérité du ciel! O le saint personnage qui veut servir d'escuyer à la
fille de Dieu, ayant rendu, à ce qu’on dit, et conti uant de rendre
cet office aux dames qui ont prostitué leur honneur à la puissance,
aux faveurs et aux finances ! N'est-ce pas un homme qui fut chassé
par le feu roy pour avoir voulu faire une cabale dans la cour, en se
servant en mesme temps de deux choses bien contraires, dela religion
et de l'amour ? »
(1) Matthieu de Morgues, Jugement sur la préface, ete, etc.,
p. 586 de son Recueil, |
PAUL HAY DU CHASTELET, 425
hord, dans l'intérêl de son client, les démarches, les
sollicitations. Ayant échoué, il fit, en faveur de Boutte-
ville, un mémoire véhément, chaleureux, qui parut
sous ce titre : Faclum pour mess. François de Montmo-
rency, comte de Luz et de Boutteville, et messire François
de Rosimadec, comte des Chappelles; in-fol., de 8 pages.
Ce factum ne gagna pas la cause de Boutteville, et faillit
compromettre à jamais l'avocat qui s'était chargé d’une
si mauvaise cause. Richelieu, qui ne supportail pas vo-
lontiers ces écarts individuels, dit à du Chastelet que son
mémoire était l'apologie d'un crime et semblait con-
damner la justice du roi : — « Non pas, lui répondit-il,
mais j'ai voulu juslifier sa miséricorde, s’il en use en-
vers un des plus vaillants hommes de son royaume. »
Du Chastelet était un bel esprit, recherché dans toutes
les compaguies (1), qui s'était acquis autant de faveur
par sa conversalion facile, enjouée, que par ses mérites
lilléraires (2). Malgré l'éclat que fit sa défense de Bout-
teville, personne ne lui en garda long temps rancune, et
bientôt il fut pourvu de la charge de maître des requêtes.
Cette charge lui laissait des loisirs ; il les employa
bien. Plein de zèle pour la cause nationale, ardent ad-
versaire des prétentions de la maison d'Autriche, il pu-
blia sur les affaires du temps d'éncrgiques manifestes.
Mais comme ils sont tous anonymes, quelques-uns de
ces pelits livres ont été mis au compte d'autres auteurs.
Nous nous efforcerons de dresser un catalogue exact de
ce qui lui appartient. En 4630, il parut en France un
énergique pamphlet contre la cour de Savoie. Ce pam-
(4) Matthieu de Morgues, Jugement, p. 586 de son Recueil,
(2) Fevret de Fontette, Historiens de France, 1, u,
126 PAUL HAY DU CHASTELET.
phlet est attribué par Matthieu de Morgues au sieur du
Chastelet : « Il a fait, écrit celui-ci, la première et seconde
Savoisienne {1}. » Cette indication est obscure. L'opus.
cule dont il s’agit parut sous ce litre : La première et la
seconde Suvoisienne, où se voit comment les ducs de Savoye
ont usurpé plusieurs estals apparienant aux rois de
France; Grenoble, Marniols, 4630, in-89. Pour ce
qui regarde la première Savoisienne, ce n'est que la
réimpression d'un libelle publié, en 4600, par l'avocat
Antoine Arnaud. II n’y a donc qu’à rechercher l'auteur
de la seconde. Dans la préface de son Histoire généalo-
gique de la maison de Savoie, Guichenon l’attribue à
Bernard de Rechignevoisin, sieur de Guron. C'est ce
qu'on lit aussi dans Varillas, au témoignage du P. Nïi-
ceron (2). Cette attribution nous paraît fautive. L'abbé
de Morgues, contemporain de Paul du Chastelet, a pu,
sans doute, puisqu'il était son ennemi, le calomnier,
mais trouve-t-on vraisemblable qu'il ait mis à son
compte, sans y être aulorisé, un écrit inspiré par le zèle
le plus vif pour les intérêts de la France, une patrio-
tique requêle qu'avaient favorablement accueillie ct la
cour et la ville, et tous les partis? Remarquons, d'ail-
leurs, que du Chastelet a, dans son Discours d'Estul,
répondu très amplement à la Remontrance de l'abbé de
Morgues : or, s'est-il défendu d'avoir composé la se-
conde Savotsienne ? Nous ne le voyons pas : et sur quoi
se fondait Guichenon pour l'attribuer au sieur de Gu-
ron ? Sur une simple hypothèse qui n'est aucunement
justifiée. Jusqu'à ce qu'elle le soit, laissons donc la se-
(4) De Morgues, Remontrance, p. 272 de son Recueil,
(2) Hommes illustres, t, xxxvinr, p, 470,
PAUL HAY DU CHASTELET, 197
conde Savoïsienne au catalogue des œuvres de Paul Hay
du Chastelet. On y trouve une polémique animée contre
la maison royale de Savoie, et le récit détaillé de ses
manquements de foi à l'égard de la France. Le P. Mo-
nod, jésuite savoisien, fut chargé d'y répondre. Il pu-
blia, dans ce but, deux brochures; la première ayant
pour litre : Apologie française pour la maison de Savoie;
Chambéry, 1634, in-4*; la seconde en italien, Apologia
seconda per la casa di Savoiu à la prima et seconda Sa-
voiana; Turin, 14632, in-8°.
L'année suivante (4634) du Cbastelel, ayant eu le
malheur d'offenser la couronne et son ministre, fut
prié d'aller faire quelque séjour dans une prison d'état.
On expose de diverses manières les molifs de cette dis-
grâce. Suivant son implacable détracteur, l'abbé de
Morgues, il eût perdu les bonnes grâces du roi, « pour
avoir trop grossièrement escroqué 20,000 livres en la
recherche des financiers, et avoir lourdement coupé la
bourse en faisant bransler sa sonnette (1). » Mais après
avoir énoncé de telles accusations, il faut les justifier,
ou elles ne peuvent être reçues que conime étant de ces
rumeurs plus ou moins mensongéres dont l'esprit de
parti fait toujours un Si malveillant emploi Or, nous
ne trouvons pas, dans les divers écrits de Matthieu de
Morgues, même le commencement d'une preuve contre
la délicatesse du sieur du Chastelet. Pelisson explique
autrement sa mésaventure. Il avait été choisi par le roi
pour être un des juges du maréchal de Marillac (2); mais
(4) De Morgues, Remontrance, p. 2742 de son Recueil,
(2) Comme on le voit d’ailleurs dans les requêtes de Marillac, in-
sérées dans le Journal de Richelieu, première part., p. 185 de l'édit,
d'Amsterdam. DE
k28 PAUL HAY DU CHASTELET.
n'osant pas, dit-on, l'absoudre et ne voulant pas le con-
damner, il avaiteu recours à un expédient assez étrange
pour se faire récuser; il avait répandu dans le pu:
blic, sous le titre de Prose impie contre les deux frères
Marillac (1), une complainte satirique, dont il s'était
volontiers reconnu l'auteur. Aussitôt les amis de Marillac
avaient fait entendre des murmures. Quel scandale! Un
juge désigné s'était prononcé contre l'accusé mêmeavant
d’avoir eu sous les yeux le procès-verbal des commis-
saires instructeurs! Voilà donc l'imparlialité de ces
hommes à qui le cardinal donnait commission d'abattre
les plus hautes (êtes de la noblesse française! Ils se
plaignaient, ce nous semble, à bon droit. Pelisson vout
que du Chastelet ait à dessein provoqué ces clameurs,
dans l'intérêt bien entendu de Marillac. Mais c'est une
fable imaginée dans un temps où c'élait une mauvaise
note pour un gentilhomme, que d’avoir à compter tel ou
tel des siens parmiles complices du cardinal de Richelieu.
Voici les paroles de Marillac, recusant du Chastelet :
« Quant à Chastelet, j'ai l'horreur, Messieurs, de le voir
(1) Cette prose a été insérée, sous le nom de du Chastelet, duns
le Journal de Richelieu, seconde partie, p. 58. En voici les pre-
mières strophes :
Vevile ad solemnia
Faciamus præconia
Dum nobis rident omnia.
Una funis tenet illum
Qui opprimebat pusillum
Quandà tenebat sigillum.
Quantum flevit carmelits,
Tantum risit jesuita,
Cum captus est hypocrita...
Magna fuit lætitia
Ja hac urbi Lutetia
Cum privatus est gratia...
PAÜL HAY DÜ CHASTELET. i39
assis parmi une si honorable compagnie sur ces fleurs
delys, et qu'il aye pouvoir el main-levée sur ma vie et
mon honneur, quand bien je n’aurois à lui reprocher
que cette prose infâme dont il est l'autheur (1)... »
Est-ce donc en ces termes que l'on récuse un juge avec
lequel on a des connivences, un ami qui se compromet
pour vous servir? Non assurément. Le maréchal de Ma-
rillac motive d'ailleurs l'animosité personnelle que du
Chastelel a contre lui. Ouvertement ennemi du ci-
devant garde des seeaux Michel de Marillac, ik veut per-
dre les deux frères l’un par l’autre, et il commence par
les outrager l’un et l’autre dans un libelle cynique (2).
Ajoutons à ces renseignements qui nous sont fournis
par les pièces du procès, une considération qui nous
semble décisive. Si, pour justifier un acte {rès répré-
hensible, la publication de la Prose impie, on dit que le
sieur du Chastelet s’est conduit de {elle sorte dans l'in-
térêt bien entendu de Marillac, comment alors justifie-
t-on cet autre libelle contre Marillac condamné, exécuté,
qui fut, dans la suite, publié par du Chastelet? Au
reste, quelles qu aient été ses intentions lorsqu'il com-
posait sa prose rimée, le roi jJugea qu'il avait commis
une méchante action, et, trois jours avant le Jugement
de l'affaire Marillac, la cour fut saisie d'une requête du
nouveau garde des sceaux contre le sieur du Chastelet.
11 siégeait quand cette requête fut présentée : aussitôt il
se leva et se retira de l'assemblée, pour que sa présence
ne fût pas un obstacle à la liberté des suffrages. En fait,
(4) Relation véritable de ce qui s’est passé au jugement du Mur,
de Marillac, dans le Journal de Richelieu, part. 11, p. 4,
(2) Requête de Marillac, dans le Journal de Richelieu, part, 1,
Pe 18% |
430 PAUL HAY DU CHASTELET,
celte requèle élait un ordre pour la cour, et du Chas-
telet, reconnu coupable d’unc grave infraction à ses de-
voirs de magistrat, fut conduit prisonnier, sous l’escortc
d'un exempt, au château de Villepreux (4).
Il n'y resta pas long-temps. Quand il revint à la cour,
il s'empressa d'aller à la messe du roi. Le prince l'ayant
remarqué dans la foule des courtlisans, détourna la tête
avec une certaine affectation. On raconte que du Chas-
telet, supposant ou feignant de supposer que le roi se
lrouvait confus de l'avoir si maltraité, dit au duc de
Saint-Simon : « Je vous prie, Monsieur, de dire au roi
que je lui pardonne de bon cœur, et qu'il me fasse l'hon-
neur de me regarder. » Saint-Simon ne manqua pas de
répéter ces paroles. Le roi en rit, et, pour témoigner à
du Chastelet combien il était heureux d’avoir obtenu son
pardon, il lui fit l'accueil le plus caressant. Si nous ne
savons pas {oule la vérité sur les motifs de l'arrestation
de du Chastelet, nous savons, du moins, à quelle oc-
casion il fut mis en liberté. Tandis qu il était à Ville-
preux, il avait fait un mémoire pour la défense du car-
dinal, et le cardinal n'avait pu laisser sous les verroux
l'avocat de sa cause. C'est ce mémoire qui fut publié
sous le titre suivant : Discours au roy touchant les li-
belles faits contre le’ gouvernement de son eslat; Paris,
1634, in-8° (2). Ces libelles étaient quelques écrits du
(4) Obscrvations sur la vie et la cond, du Mar, de Marilluc, par
Hay du Chast., dans son Recueil de div, pièces, p. 838, 839,
(2) Fevret de Foutette commet à ce sujet plusieurs erreurs. Il
suppose d’abord que du Chastclet fut incarcéré en 1632, tandis que
Ja date de ce pamphlet indique assez qu'il en sortit en 1631, Fn-
suite il lui donne pour prison la Bastille, au lieu du château de Vil-
lepreux, Ealiu, il imagine que du Chastelet obtint sa grâceen pu-
bliant son Discours d’estat, brochure qui ne vit pas le joar avant
l'année 1635, Le Discours au roy a été réimprimé dans le Recueil de
PAUL HAY_ DU CHASTELET. 431
président le Coigneux et de divers autres partisans,
contre l'administration de Richelieu. Encore inexpéri-
menté dans celte polémique, du Chastelet prit les choses
sur un {on bien solennel, et quoique son Discours ait
obtenu les suffrages de Louis XIII et de Richelieu, nous
devons déclarer qu'il n’est pas à notre goût. Il publia,
celte mème année 1531 , un opuscule plus remarquable :
Les Entreliens des Champs-Élizées; in-8°. Le marquis
de Spinola, le duc de Savoie, le duc d'Albe, Collalto,
et divers autres serviteurs de la maison d'Espagve se
rencontrent aux Champs-Elysées ct dissertent avec
abondance sur l'ingratitude de cette maison : lout d'un
coup ces personnages disparaissent de la scène, et on
la voit occupée par Henri IV, Villeroy, Zamet, le duc
de Mayenne, Bussi-le-Clery, le maréchal de Brissac et
autres qui s'entreliennent des affaires présentes de la
France, et, d’une seule voix, célébrent les succes et la
gloire du cardinal de Richelieu. Cette brochure est plus
sobre et plus ferme que la précédente (1). Il donna en-
core au public, la même année : l'Innocence justifiée en
l'administration des affaires; Paris, 4634, in-8° (2).
diverses pièces pour servir à l'histoire, p. 440, Comme tous les opus-
cules de Hoy du Chastclet, celui-ci est anonyme.
(4) L'obbé de Morgues, dans sa Remontrance, attribue cette
brochure à du Chastelet, et cette attribution, reproduite par le
P. Lelong et par M. Barbier, n’a jamais été contredite. On re-
trouve les Entretiens des Ch, Elyz. daus le Rccueil de du Chastelet,
p. 222.
(2) Le Discours au roy éiant incontestablemert l'ouvrage de
du Chastelet, il n’y a pas à rechercher bien loin quel est l'auteur
de l’'Innocence justifiée, puisqu'on lit au début de cet opuscule :
« Ceux qui écrivoient ou parloïent à César ignoroient sa gran-
deur; ceux qui n'osoient ni l’un ni l’autre, son humanité : ayaut
toujours recogneu en V. M. ces deux belles qualitez, principale
ment lorsqu'elle me fit l'honneur d’agréer la Response que je fis aux
libellcs qui couroient contre Je gouvervement de son estat.,, »
432 PAUL HAY DU CHASTEÏET.
C'est une réponse au président le Coïigneux, qui, dans
un manifeste, plein de véhémence, avait accusé de di-
vers crimes l'administration du cardinal. L'accusation
était passionnée et l'apologie ne l'est pas moins : il ne
faut adopter les termes ni de l’une, ni de l’autre.
_ Ces écrits l’avancèrent encorc dans les bonnes grâces
du cardinal. 1l avait l'esprit rapide, mais léger; il con-
cevait promptement les affaires, mais il n'avait pas le
jugement et la prudence qui sont. nécessaires pour les
bien conduire (1). Richelieu l’appelait familièrement son
lévrier (2), et, quand il l'employait, ce n’élait pas dans
les négociations importantes ; mais s’'agissait-il de dé-
fendre un des actes de son administration, ou de suivre
par mille détours la trace dissimulée d’un crime d'état?
telles étaient les affaires auxquelles le sieur du Chas-
lelet lui semblait propre, el dont il le chargeait volon-
tiers. C'est ainsi qu'il lui confia le soin d'instruire
le procès de Blaise Rufflet, dit le baron d'Urfé (3),
et de répliquer aux censeurs du jugement rendu con-
tre le maréchal de Marillac. On avait publié, sous le
titre de Relation, une apologie du maréchal pleine
de fiel contre Richelieu. Du Chastelet répondit à ce
pamphlet par l'apologie du cardinal et le développe-
ment des charges qui avaient conduit Marillac sur l'é-
chafaud. Voici le titre de cet opuscule : Observation sur
lüvie ct la condumnation du muréchal de Marillac el sur
le libelle intitulé : Relation de ce qui s’est passé au juge-
(1) Fevret de Fontette, Historiens de Fr,
(2) « Je sçay bien que, dans scs railleries, il L’app:lle son levricr,
et il a raison, car tu cs celuy de ses bourreaux, lorsque lu es juge,
et, en écrivant pour luy, lu es son levrier d'attache, mais assez mala-
droit, » M. de Morgues, Rccucil, p, 566. |
(3) M; de Morguës, Recueil, p, 543,
PAUL HAY DU CHASTELET. 453
ment de son proces; Paris 4633, in-4° et in-8° (4). C'est
un mémoire judiciaire écrit avec plus de mesure que la
plupart des autres ouvrages du même auteur. On a dit
souvent du maréchal de Marillac, qu'il avait été sacrifié
contre toule justice äux ressentiments personnels de
Richelieu. Admettons que ces rancunes aient précipité
la ruine du maréchal : on ne peut du moins nier, après
avoir lu les Observalions, que les charges produites
contre lui ne fussent très graves. On se ferait, d’ail-
leurs, une opinion très fausse de Paul du Chastelet, si
l'on se représentail ce partisan du cardinal, zélé sans
doute et peut-être trop zélé, comme un subalterne et
servile instrument. S'il s'est prononcé contre Marillac,
c'est qu’il l’a jugé coupable. Sa voix nes'est-elle pas éle-
vée plus d’une fois pour défendre avec énergie, même
conire l'intolérant cardinal, les têtes que la raison d'’élat
avait désignées au bourreau? On l’a vu dans l'affaire
de Boulteville. On le vit encore en 14632, dans le procès
du duc de Montmorency. Comme il suppliait le roi de
lui pardonner : « Je pense, dit celui-ci, que M. du Chas-
lelet voudroit avoir perdu un bras pour sauver M. de
Montmorency. » — « Je voudrois, sire, répliqua-t-il,
les avoir perdus tous deux, car ils sont inutiles à votre
service, et en avoir sauvé un qui vous a gagné des ba-
tailles et qui vous en gagneroit encore. » Ce n’est pas là
le langage d’un homme dépendant, qui se laisse con-
duire au gré d'autrui.
C'est en 1635 que parut le principal ouvrage de du
Chastelet. Cetouvrage a pour titre : Recueil de diverses
pièces pour servir à l'histoire; Paris, 1635, in-fol., sans
(4) Réimprimé dans le Recueil de du Chastelet, p, 788,
It. 28
L]
434 PAUL HAY DU CHASTELET.
autre indic. (1). Ces pièces ne sont pas toutes de Paul du
Chastelet, mais c'est lui qui les a recueillies pour en com-
poser ce volume, auquel il a joint une préface que Guy
Patin appelle excellente (2). Elle l'est en effet. C'est cette
préface qui fut imprimée séparément la même année, sous
le titre de : Discours d'estat sur les escrits de ce temps;
Paris, in-8. Qu'on en retranche lout ce qui concerne
la généalogie du cardinal de Richelieu, et quelques
autres passages qui sentent beaucoup trop le courtisan,
on sera de l'avis de Guy Patin : c'est un morceau bien
pensé, bien écrit, accablant pour le parti de la reine-
mère. Ce parti sentit le coup, et l’abbé de Morgues, son
principal orateur, répondit à du Chastelet par un recueil
de mème volume : Diverses pièces pour la défense de la
Reyne-Mère, faites et revues par Matthieu de Morgues,
sieur de Saint-Germain ; Bruxelles, in-fol.
La même année, 4635, on publiait à Paris, sous le titre
de Mercure d'estat ou Recueil de divers discours d'estat,
un pelit volume in-12 qui n’est pas assurément dépourvu
d’intérèt. Les pièces dont se compose ce Recueil ont peu
d’étendue, mais ce sont de vives déclamations contre la
maison d'Autriche; ce sont d’énergiques appels aux
princes, aux états d'Italie, jaloux de conquérir ou de
maintenir leur liberté. Le catalogue de la Bibliothèque na-
tionale attribue ces divers discours à Paul Hay du Chas-
telet. Nous ne pourrions, pour notre part, ni contredire,
ni confirmer cette attribution (3). Ajoutons enfin, à la
liste des opuscfles du sieur du Chastelet, une Satyre
(1) Rs édit. 1643, in-4°; 1653, in-fol. (Bibliographie du
aince
(2) Lettres. Lettre 20 du t, rv (16 février 1635.)
(3) M. Barbier ne nous fournit à ce sujet aucun renseignement.
PAUL HAY DU CHASTELET. 435
contre la vie de la cour, imprimée sous le nom de
Théophile, dans un recueil publié par Serey, et un petit
poème ayant pour titre : Avis aux absents de la cour.
Nous n'avons pu rencontrer ces pièces, mais il n’est pas
à supposer qu'elles soient très intéressantes.
Assurément Matthieu de Morgues n'épargne pas l'in-
jure à l'avocat, au gazelier du cardinal. Il reconnait,
toutefois, qu'il ne faut le compter ni parmi les cour-
tisans faméliques, ni parmi les ignorants, mais simple-
ment parmi les ambitieux (1). C’est une ambition qui ne
fut guères satisfaite. Richelieu, qui, dit-on, n'avait pas
une grande confiance dans la solidité de son esprit,
s'abstint de lui donner des emplois supérieurs (2). Ce-
pendant nous voyons qu il eut un siége au conseil d'état,
et l’on nous rapporte qu'en 1635, ayant été chargé d’é-
tablir le parlement de Pau, il exerça l’intendance de la
justice dans l'armée royale, commandée par Louis XIII
en personne (3). On ajoute que, peu de temps avant sa
mort, il reçut du cardinal, en récompense de ses servi-
ces, un présent de dix mille écus. 11 mourut à Paris,
le 16 avril 4636. Ayant élé nommé, peu d'années après
la fondation de l’Académie, membre de cette docte as-
semblée, il en fut le premier secrétaire.
Nous n'avons pas à parler longuement de Dane
HAY, son frère. Né à Laval le 23 octobre 4696, Daniel
Hay fit ses études pour entrer dans les ordres, fut abbé
de Chambon, doyen de l'église collégiale de Saint-Thu-
gal de Laval, et mourut dans cette ville le 20 avril 4674.
(4) Jugement etc, etc., dans son Recueil, pe. 517
(2) Fevret de Fontette, Historiens de France,
(8) Pellisson, Hist, de l’Acad, Frang,, {, 5.
436 PAUL HAY DU CHASTELET.
Il avait été nommé, en 1635, membre de l'Académie
française. Ses titres étaient divers écrits sur les mathé-
matiques et sur les matières de controverse. Pellisson
raconie qu'à la mort de l’abbé de Chambon, ses ouvra-
ges inédits passérent entre les mains du marquis du
Chastelet son neveu, el que celui-ci, n’y entendant rien,
prit le parti de les jeter au feu (4).
Quelques mots mäintenant sur l’un des fils de Paul
du Chastelet. Né vraisemblablement à Paris, il ne peut
occuper une place particulière dans cette Histoire; mais
comme il portait le même prénom que son pére, on l'a
confondu souvent avec lui, et de là sont venues des er-
reurs nombreuses qu ilnous importe de corriger. Ainsi,
dans certains catalogues, les ouvrages du père et ceux
du fils sont attribués à un seul auteur : il y en a d’autres,
où le père est distingué du fils, mais où quelques ou-
vrages de celui-ci sont improprement attribués à celui-
là. C’est un chaos bibliographique dans lequel nous
devons introduire la lumière. 1! s’agit d'abord de quel-
ques Observations sur la vie et la mort du maréchal
d'Ornano, publiées, en 1643, in-4°. Altribué par M. Bar-
bier (2) à l'unique Paul du Chastelet dont ce bibliogra-
phe ait fait meution, cet ouvrage est mis par M. Despor-
tes {3) au catalogue des œuvres du fils. Nous avons
quelque raison de croire que c'est une œuvre posthume
du père. En effet, le fils publiant, en 1666, son Histoire
de du Guesclin, l'appelle son « coup d'essai. » Or, il
n'aurait pu s’exprimer en ces termes si, vingt-trois ans
(4) Hit, de l'Acad, T, 1, p. 292,
(2) Dict. des Anonym.
(3) Bibliogr, du Maine,
PAUL HAY DU CHASTELET. 137
plus tôt, il avait déjà pris rang parmi les écrivains. Le
Traité de l'éducalion de monseigneur le dauphin: Paris,
Henault, 1664, in-12, est reconnu comme l’œuvre du
fils par MM. Pillet (1), Peignot (2) et Desportes. Nous
parlerons avec plus de détails de l'Histoire de Bertrand
du Guesclin, connéluble de France, composée nouvelle-
ment et enrichie de pièces originales, par P. H., seigneur
D. C.; Paris, 1666, in-fol. On ne comprend pas que cet
ouvrage, composé nouvellement en 1666, ait été catalo-
gué dans les œuvres de Paul du Chastelet le père, mort
en 14639. C'est cependant une erreur qui a été commise
par le P. Niceron, par Fevret de Fontelle, et que nous
retrouvons aujourd'hui reproduite dans le plus grand
nombre de nos manuels bibliographiques. Le privilége
de cet ouvrage, signé par Louis XIV le 4°" mai 4666,
nous en fait conuaître le véritable auteur, « Paul Hay,
chevalier, seigneur du Châtelet, fils de nostre amé et
féal Paul Hay, seigneur dudit lieu, conseiller d'estat du
feu roy d'heureuse mémoire, Louis le juste, nostre très
honoré seigneur et père, maître des requesles en son
hôtel, lequel marche sur les traces que son dit père luy
a laissées par les beaux ouvrages qui resteront de luy. »
Nous ferons une autre observation sur les termes de ce
privilége. Les bibliographes qui distinguent Paul Hay,
le père, de Paul Hay, le fils, donnent à celui-ci le titre
de marquis. Il n’était, on le voit, que chevalier. Sur
un des exemplaires de cette Histoire de du Guesclin (3),
nous Jisons une note manuscrite qui contient un ren-
(4) Bibliogr, Michaud.
(2) Diction, hist,
(3) Biblioth, Nation, L, 480.
438 CLAUDE ALLARBD,
seignement curieux. Celte note est ainsi conçue: « Ce
livre m'a été donné par M. le marquis du Châtelet Haï,
le 26 septembre 4697. D'Hozier. » El à côté, de la même
main, avec un signe de renvoi : « Frère de l'auteur de
celle histoire, qui n’est pas écrite dans le style d'une
histoire, elc., etc...» Ainsi, au témoignage de d'Hozier,
l'historien de du Guesclin avait un frère, et ce frère
portail encore, en 4697, le titre de marquis. C'était le
premier né de sa race, et, comme il y a lieu de le croire,
le moins lettré; c'est à lui qu'il faut, en effet, attribuer
la destruction des manuscrits laissés par l'abbé de
Chambon. Comment un écrivain aurait il pu se rendre
coupable de ce crime ? Disons enfin que le Traité de la
guerre; Paris, 1668, in-12, el le Trailé de la politique de
France; Cologne, 1669, in-12 (1), doivent être restitués
dans le nouveau catalogue de la Bibliothèque Nationale,
et dans la plus prochaine édition du Dictionnaire des
anonymes à Paul Hay du Chastelet le fils.
ALLARD (CLAUDE).
Giaune ALLARD, né à Laval, élève des écoles de La
Flèche et de Paris, fut, pendant quelque temps, on le
croit du moins, directeur des religieuses de Sainte-
Croix de Poitiers (2). Il revint ensuite dans sa ville na-
tale, et obtint les titres de chantre et de chanoine de l'é-
(4) «L'auteur, dit Larrey, cut la hardiesse de dédier son livre
au roi et dele lui présenter; mais son zèle fut autrement récompensé
v'il ne l'espéroit; il fut mis à la Bastille où il demeura 45 jours, »
Notices chronologiques, par M. Miorcec de Kerdanet.)
(2) Ansart, Biblioth, litt,, p. 29,
PIERRE, RENÉ, JACQUES DE PINCÉ. 430
glise de Saint-Thugal. Il est auteur de deux ouvrages
d'une importance médiocre. Le premier a pour titre :
Le miroir des âmes religieuses, ou la vie de très haule et
très religieuse princesse madame Charlotte-Flandrine de
Nassau, très digne abbesse du monastère de Sainte-Croix
de Porhers; Poiliers, Thoreau, 14653, in-4°. C’est une
oraison funébre, divisée en six livres, sur les mérites
divers de la princesse Charlotte de Nassau, née, le
48 août 4578, de Guillaume de Nassau, prince d'Orange,
el de Charlotte de Bourbon, morte et ensevelie à Poitiers,
le 40 avril 4640. Claude Allard a rédigé ce livre sur
des notes qui lui avaient été transmises par les religieu-
ses de Sainte-Croix. Son second ouvrage a pour titre :
Crayon des grandeurs de Saint-Antoine de Viennois;
Poitiers, 4653, in-12. Ce petit livre, qui n’a été connu
ni d'Ansart, ni de M. Desportes, est aussi frivole que le
précédent.
PINCÉ (PIERRE, RENÉ, JACQUES DE).
Le bourg de Pincé, près de Sablé, distrait du diocèse
d'Angers, en 4804, pour être incorporé au diocèse du
Mans, a donné son nom à une famille illustre dans les
annales de l’Anjou. Nous comptons dans cette famille
trois écrivains. | |
Il faut faire connaître leur généalogie. Elle nous avait
d'abord semblé tellement obscure, que nous déses-
périons de jamais comprendre par quel lien de pa-
renté se tenaient les uns aux autres René, Jacques et
Pierre de Pincé : cependant, en n'épargnant aucune re-
Cherche au cabinet des Titres de la Bibliothèque Natio-
440 PIERRE, RENÉ, JACQUES DE PINCE.
pale, nous sommes enfin en mesure de faire connaître
toute l'histoire de cette famille.
Jean de Pincé, qui habitait Angers dans les premières
années du xv° siècle, eut, de son mariage avec Guillel-
mine d’Alencé, trois enfants, entre lesquels Pierre de
Pincé, sieur de la Roe, du Bois et de Saint-Léonard,
qui testa le 44 octobre 1527. Ce Pierre de Pincé eut,
pour sa part, six enfants. Nous n'avons besoin d’en dé-
signer ici qu’un seul, Jean de Pincé, sieur du Bois, des
Brosses, du Noivieux, de Chambresais et du Couldray,
lieutenant général d'Angers, qui, de Renée Fournier,
eut : Pierre de Pincé, sieur du Bois, conseiller au parle-
ment, reçu le 48 octobre 1556, mort le 22 mai 4566, et
Christophe de Pincé, sieur des Brosses et du Noivieux,
lieutenant criminel d'Angers. Terminons cette généa-
logie en disant que deux de nos auteurs, Prenne et Jac-
QUES DE PINCÉ, étaient fils de Pierre, sieur du Bois, mort
en 1566, et de Françoise Aubery, fille de notre Jacques
Aubery (1); et que le sieur des Brosses avait eu REXÉ Dr
PINCÉ de son mariage avec Jeanne Chalopin. Parlons
maintenant de leurs œuvres.
On lit dans la Bibliothèque Françoise de La Croix du
Maine : « Pierre de Pincé, sieur du Bois de Pincé en
Anjou, cousin germain de René de Pincé, avocat au par-
lement. Il a composé plusieurs for doctes poëmes en la-
tin et en françois, lesquels ne sont encores imprimés. Il
florist à Paris cette année 4584. » Ce Pierre de Pincé,
chevalier de l'ordre du roi, reçu maître des comptes
l'an 4598, fut, en outre, maître d'hôtel ordinaire du roi.
Il eut pour femme Madeleine Prévost, fille de Jean Pré-
(4) Hist. lit, du Maine, tu, p. 499.
PIERRE, RENÉ, JACQUES DE PINCÉ. kk1
vost, sieur de Saint-Cyr, conseiller au parlement. De
ses « for doctes poëmes » nous ne connaissons qu’une
ode française, datée du 3 juillet 4640, Sur le trépas du
roy très chrelien Ilenry-le-Grand. Cette ode, qui se
trouve dans quelques recueils, se compose de trente-
trois strophes de quatre vers. Voici les premiers :
Notre soleil est éclipsé .
Et ne nous reste en ces ténèbres,
Que larmes et chants funèbres
Pour plorer ce qui s'est passé,
Jacques de Pincé, frère de l'ierre, fut recu maître des
comples en 4584. Dans ses Deliciæ poeltarum Gallorum,
Gruter publie six épigrammes latines de Jacques de
Pincé sur la main d’Etienne Pasquier. A la première de
ces épigrammes, Pasquier répondit par un sonnet et
par une lettre qui se trouvent dans le huitième livre de
son recueil. On y voit cet éloge de Jacques de Pincé :
« Je m'asseure qui ne faudrez de m'envoyer bien {ost
vos répliques, estant d'un esprit fertil, et abondant en
mille inventions plus que nul que j’aye veu de vostre
aage. »
René de Pincé, sieur des Brosses et du Noivieux, con-
seiller au parlement, fil aussi des vers latins. La Croix
du Maine nous le recommande, en outre, comme auteur
de poësies grecques et de poésies françaises. Nous ne
connaissons de lui que ce qui a été inséré dans le re-
cueil dont voici le titre : M. Antonii Mureti, Renati
Pincœi et Fed. Morèlli Numismalographia; demi-feuille,
in-8°, sans date. C'était un des nombreux amis de Juste-
Lipse. Deux des lettres de Juste-Lipse lui sont adres-
4&Q ANTOINE LE CORVAISIER DE COURTEILLES.
sées (1); elles témoignent quelle était l'intimité de leurs
rapports. Ce René de Pincé épousa, par contrat du 44 fé-
vrier 4580, Marie de Dormans, fille de Charles de Dor-
mans, seigneur de Bièvre-le-Châtel.
LE CORVAISIER DE COURTEILLES
(ANTOINE).
C'est le nom d'un historien dont la renommée n'a
guère franchi les limites du Maine. 1l était d'une fa-
mille considérable dans cette province, Nous trouvons
au catalogue de l'abbé Ledru un Julien Corvaisier, ou
plutôt Le Corvaisier, du Mans, avocat en 1567. Cet avo-
cat est-il le même personnage que Julien Le Corvaisier
du Plessis, échevin du Mans en 1598 (2)? On peut le
supposer. Quoi qu'il en soit, il est inscrit par l'abbé
Ledru, nous ne savons à quel titre, au nombre des écri-
vains du Maine. L'oncle de notre historien, Jean Vasse,
conseiller d'Etat, lieutenant-criminel, était aussi compté
parmi les lettrés. Enfin, son père « se plaisoit quelque -
fois à la poësie, » et nous possédons de ses vers (3).
ANTOINE LE CORVAISIER, seigneur de Courteilles, né
au Mans, fut d'abord conseiller, puis lieutenant-criminel
au siége présidial de cette ville. Il exerçait la premiére
de ces charges en 1643, lorsqu'il publia son Histoire des
( lusti Lipsii Epistol, centuria 2, epist,. 85. — Centuria singu-
laris ad Germ. et Galios, epist. 43. (1585 et 4598.)
(2) M. Cauvin, De l’Admin. Municip,, p, 48
(3) Hist. des év, du Mans, à la fin de la notice sur Ch, de Beau-
mauoir.
ANTOINE LE CORVAISIER DE COURTEILLES. 443
évesques du Mans; Paris, S. Cramoisy, in-4°. Cet ouvrage
ne se recommande pas par une érudition très profonde
et très variée; cependant il faut reconnaître que venant
le premier écrire l'histoire du diocèse, le sieur de Cour-
teilles a dû recourir aux archives originales, et qu’en
effet il les a lues et mises à profit. Nous ne ferons pas
non plus un grand éloge de son jugement, de sa cri-
tique; nous accorderons toutefois que, pour un historien
de ce temps, il ne manque pas de liberté : les supersti-
lions populaires ne le trouvent pas crédule; il attaque
même quelquefois avec une heureuse audace les tradi-
lions les plus accréditées. Si l'on peut signaler bien des
lacunes dans l'Histoire des évesques du Mans, on serait
injuste en ne plaçant pas cet ouvrage au-dessus de toutes
les compilations postérieures.
Le clergé ne manqua pas de protester contre l’impiété
ou tout au moins contre l'audace d'un historien qui con-
lestait Ja mission apostolique de saint Julien, et impu-
tait des délits très repréhensibles à quelques-uns des
premiers pasteurs du diocèse. Un bénédictin de Saint-
Vincent, Jean Bondonnet, se chargea de lui répondre;
mais une indiscrétion fut commise, et Le Corvaisier
conaut avant le public l'écrit de Bondonnet. Aussitôt il
reprit la plume et publia : Défense anticipée de l'Histoire
des évesques du Mans; Le Mans, 1650, in-4°. Nous ne
voulons pas entrer dans le détail de ces querelles. Elles
ne sont pas toutes épuisées; elles nous semblent, toute-
fois, n'avoir qu'un médiocre intérêt.
On connaît encore quelques vers latins d'Antoine Le
Corvaisier : ils se trouvent à la tête des Mémoires des
comtes du Maine de Trouillart.
> ou mn 2 mé
h4k JEAN BONDONNET.
BONDONNET (5ran).
Après Le Corvaisier il faut placer son opiniâtre cen-
seur JEAN BONDONNET. Ne au Mans en 4592, Jean
Bondonnet fit profession de suivre la règle de saint Be-
noît, en 1612, chez les religieux de Saint-Vincent. Ayant
ensuite quitté sa ville natale, il fit un séjour de quelques
années à l'abbaye de Saint- Germain-des - Prés, où il
exerça les emplois de procureur et de cellerier; il revint
plus tard dans le Maine occuper le prieuré de Sarcé, qui
dépendait de Saint-Vincent, et mourut dans cette ab-
baye le dimanche 16 mars 1664. Ses restes furent dé-
posés dans la chapelle de Saint-Laurent.
Son principal ouvrage a pour titre : Les Vies des éves-
ques du Mans restituées el corrigées, avec plusieurs belles
remarques sur la chronologie; Paris, E. Martin, 4654,
in-4°. C'est un homme échauffé contre les « esprits sub-
tils et raffinez, » qui, « sous prétexte d'épurer la vérité
des histoires, nient tout ce qui ne leur plaist pas, » ren-
versent les traditions et inquiètent la foi par des nou -
veautés mal sonnantes (1). Après avoir discuté les
raisons alléguées par Le Corvaisier contre la mission
apostolique de saint Julien, il examine l’une après l’au-
tre toutes ses notices biographiques et les rectifie quel-
quefois avec bonheur. Nous ne saurions nous passionner
pour l'une ou pour l'autre thèse : nous dirons donc que
les deux ouvrages de Le Corvaisier et de Bondonnet
doivent être successivement consultés; qu’il y a chez
Bondonnel des erreurs mal justifiées par des textes dé-
(4) Avant-propos.
ANTOINE BONDONNET DE PARENCE. IAA
pourvus de toute aulorité, et, chez Le Corvaisier, des
contradictions qui trahissent une érudition insuffisante,
des recherches trop précipitées, mais qu'en somme bien
peu de diocèses ont rencontré pour rédiger leurs fastes
deux écrivains aussi recommandables.
À la suite des Vies des Evesques du Mans, se trouve
une Response sommaire à la défense anticipée du sieur de
Courteilles. C'estune dissertation de trente pages contre
la chronologie de Le Corvaisier. Mais celui-ci n’était pas
seul à défendre cette chronologie : ses conjectures, il
l’avait déclaré, s'accurdaient avec celles de Nic. Le-
febvre, de Fr. Bosquet, des PP. Sirmond et Petau et du
chanoine de Launoy. Bondonnet voulut prendre à partie
le plus redoutable de ces novateurs, et publia contre
lui l’écrit suivant : Réfutlation des trois Disserlations de
M° Jean de Launoy contre les missions apostoliques dans
les Gaules au premier siècle; Paris, Piot, 4653, in-#4°.
Ansart reproche à Bondonnet d'avoir négligé dans ce
traité le fond de la question pour s'attacher à des faits
particuliers d'un intérêt contestable (1). Cette critique
est fondée.
BONDONNET DE PARENCE (ANTOINE).
Né au Mans le 28 septembre 1662, BONDONNET pe
PARENCE fut un habile jurisconsulte. Pourvu de la
charge d'avocat du roi au siége présidial du Mans, il
remplit cette fonction, au témoignage d'Ansart, « avec
un applaudissement général, » pendant plus de quarante
(4) Biblioth, lilt, du Maine, p, 280,
À46 IGNACE CHEVALIER.
ans (4). Cette bonne renommée lui valut, en 4728, le
titre d'échevin. Il a laissé deux ouvrages manuscrits.
L'un de ces ouvrages nous est indiqué sous ce titre :
Recueil des décisions et jugements rendus au siége prési-
dial du Mans depuis 4700 jusqu'en 4750, sur les points
de droit les plus importants. Olivier de St.-Wast a sou-
vent cité ce Recueil dans ses Commentaires sur les cou-
lumes du Maine el de l'Anjou. L'autre manuscrit se trou-
vait dans la bibliothèque de Négrier de La Crochardière,
sous ce titre : Observations de M. de Parence sur les
Règles du droit français de M. Poquet de la Livonière,
4 vol. in-fol. (2). Bondonnel de Parence mourut, au Mans,
le 46 mai 4742. Son portrait est conservé dans une des
salles du tribunal civil.
CHEVALIER (IGNAcCE).
L'auteur de la Notice historique sur Evron (3),
M. l'abbé Gérault, reconnaît avoir trouvé de grands se-
cours pour son travail dans un cartulaire du xvu: siècle
sur lequel il s'exprime en ces termes : « Le cartulaire
dont je me suis servi avec tant d'avantage a été écrit
en latin, par un religieux d'Evron, Ienace CHEVALIER,
sous-prieur de la communauté. Chargé de ce travail
par un visiteur de la congrégation de St-Maur, il eut
l'extrême patience de parcourir et d'examiner tous les
actes et titres authentiques renfermés dans le chartrier
de l'Abbaye. Ce manuscrit, conservé par le dernier
(1) Bib. litt. du Maine, p. 236.
(2) Bibliogr. du Maine par M. Despories,
(8) Laval, 1840, in-8,
PIERRE AUDOUVYN. A
prieur claustral, Dom Barbier, el donné récemment par
ses héritiers à la bibliothèque du presbytère d’Evron,
finiten4668 (1). » Lorsque M. Gérault écrivait ces lignes,
il ignorait sans doute que Dom Ignace Chevalier avait.
déjà recherché dans son cartulaire les éléments, les ma -
tériaux d’une histoire de l'abbaye d’Evron, et qu'il avait
lui-même composé cette histoire. Le manuscrit de cc
travail est sous nos yeux; il a pour titre : Histoire de
l'Abbaye de N. D. d'Evron, composée par D. Ignace Che-
valier, religieux de la congrégation de St-Maur en
4669 (2). C’est un volume in-#°, sur papier, de médiocre
contenance. Nous ne croyons pas qu on y puisse rencon-
trer quelque pièce inconnue à M. Géraull; il nous a
semblé, toutefois, utile de le signaler.
AUDOUYN (PIERRE).
Ansart inscrit Pierre AUDOUYN au catalogue des
écrivains du Maine, mais sans faire connaître ni sa fa-
mille, ni son lieu natal. Dès sa première jeunesse (il
élait encore au collège), Pierre Audouyn fut pourvu
d'une prébende dans l’église cathédrale du‘Mans; mais
ayant peu de goût pour la vie du siècle, il renonça de
lui-même aux espérances que devait lui faire concevoir
pour l'avenir une faveur si facilement et si tôt obte-
nue, et il entra dans la congrégation des Célestins. I
(4) Préface de la Notice historique sur Evron.
(2) MS8S. de la Biblioth, Nationale; Résidu de Saint-Germain,
pag 411, n° 8,
DTA: JEAN DE MONCHASTRE.
prononça ses vœux le 40 juin 4560 (4). Provincial de
l'ordre en 1592; il mourut prieur de Marcoussi, le 24 juin
4600 (2).
Pierre Audouyn a laisse, suivant Ansart, trois traités
inédits, le premier sur le Canon de la Messe, le second
sur le Sacrement de la Pénitence, le troisième sur la
Puissance des Prètres. Ansart nous dit encore que les
manuscrits des trois ouvrages avaient été vus à la bi-
bliothèque des Célestins de Paris. Au commencement
du xviu‘ siècle, lorsque le P. Becquet, gardien de cette
bibliothèque, rédigeait son Cululogus Chronologicus el
Historicus, il n'y trouvait déjà plus que le premier des
traités mentionnés par Ansart. Il le désigne sous cetitre :
Cæœremoniarum missæ el sacri Canonis lam lilteralis
quam tropologica Exthesis. À ce renseignement il ajoute:
Habetur MS. in Biblioth. Paris. In-4°. Incipit : « Hemo-
riam fecit mirabilium suorum. »
Aucun des manuscrits dont il est ici question n'avant
été transmis à la Bibliothèque Nationale, nous n'en pou-
vons rien dire de plus.
MONCHASTRE (JEAN DE).
La Croix du Maine parle de lui dans ces termes : « Frère
Jean DE MONCHASTRE, natif du pays du Maine, doc-
(1) Le 41 juin 1562, suivant Ansart; mais Ansart se trompe, car
nous avons sous les yeux le registre des actes de la maison de Paris,
et nous y lisons : « Petrus Audouyn, cœnomanensis diœcesis, fuit
professus 1560, 10 junii. »
(2) Le Catalogus chronologicus et historicus scriptorum ordinis
cœlestinorum (Biblioth, Nat., BISS des Célestins, n° 54), fait mou-
rir P, Audouyn en l'année 1599,
PHILIPPE DE QUIERLAVRINE. k49
eur en théologie à Paris, et prieur du couvent des Jaco-
bins audit lieu. Il estoit grand théologien et for éloquent
orateur. Il a presché et annoncé la parole de Dieu en
divers endroicts de ce royaume, lant à Paris, à Rouen
et au Mans qu'en autres villes, esquelles il a presché ke
caresme el les advents. Ces sermons ne sont en lumière.
11 mourut de la peste en son couvent à Paris, l’an 4883,
en octobre, âgé de 40 ans ou environ, ayant pour lors
la charge et dignité de prieur. » Il y a lieu de croire,
malgré le dire de La Croix du Maine, que ce Jean de
Monchasire n’élait pas un prédicateur si renommé,
puisqu'il n’est pas parlé de lui dans la Bibliothèque des
écrivains de son ordre.
QUIERLAVEINE (PHILIPPE DE).
Ce Puiippe De QUIERLAVEINE, sieur de la Cor-
nuëre, a composé trente-six sonnets en l'honneur de
demoiselle Lucrèce Legras, fille ainée du sieur de la
Fresnaye-Mescrin, sa maitresse. Imprimés au Mans en
4579, par Marin Chalumeau, au témoignage de La Croix
du Maine, ces sonnets ne se retrouvent plus. Les Quier-
laveine étaient gentilshommes. Ils sont quelquefois
nommés dans les anciens titres Crolavoine ou Croula-
voine. Gilles Ménage fait à ce sujet la remarque suivante:
« J'ai appris de M. Gohory de Sablé, homme très versé
dans les généalogies des familles de la province du Maine,
que Crolavoine et Quierlavoine étaient la même famille,
et que Quierlavoine étoit une corruption de Crolavoine;
ce qui est très vraisemblable. Crolavoine, c'est Cribu-
nr. 29
&50 PHILIPPE DE QUEIRLAVEINE.
lans avenam (1). » On peut lire, dans la seconde partié
de l'Histoire de Sablé (2), de très amples détails sur les
Quierlaveine. De Jean, receveur de Sablé et de Brûlon,
naquit Raoul, qui fut baïlli de Sablé et avocat du roi au
Mans. Raoul Quierlaveine eut de Michelle-Fournier
Philippe Quierlaveine, qui lui Succéda dans ses deux
emplois: ce Philippe Quierlaveine eut ensuite de Mar-
tine Le Large, Philippe, sieur de la Cornuère, l'auteur
destrente-six sonnets. C’est une famille dont la branche
principale s'est éteinte, au dire de Ménage, vers 1688.
() Hist, de Sablé, deuxième partie, p. 149,
(2). P. 145 et suiv.
FIN DU TROISIÈME VOLUME:
ÀDDITIONS ET CORRECTIONS.
Page 15, ligne 41. Depuis que les premières feuilles de ce vo—
lume sont imprimées, M. Charrière a commencé la publication des
Négociations de la France dans le Levant. On trouve dans le pre-
mier volume de cette importante collection, quelques lettres de Bayf
extraites du recueil de Dupuy.
Page 42. J'ai bien des corrections à faire à cette notice sur Ben-
jamin Aubery du Maurier. Tandis que la presse se hâtait trop len-
tement de transmettre au public les feuilles qui lui avaient été
confiées, une révolution avait lieu, et, quelques jours après cette
révolution, j'étais préposé par M. le ministre de l'instruction pu:
blique à la garde des manuscrits français de la Bibliothèque Natio-
nale. Je reconnus alors, ce que j'avais toujours soupçonné, que
cette Bibliothèque avait beaucoup de secrets, et que, ne sachant pas
me diriger dans ce labyrinthe, j'avais pu, j'avais dû commettre plus
d’une erreur, sur la foi de catalogues ou plutôt d'inventaires im=
parfaits. Puisque je puis encore rectifier quelques-unes de ces er-
reurs en ce qui concerne Benjamin Aubery du Maurier, j’ajouterai,
pour faire cette rectification, plusieurs pages au présent volume.
Je suppose, à la page 42, que Benjamin Aubery n'avait pas en-
core quitté la Haye en 1699, et qu'en 1630 il habitait le Maurier.
De ces deux assertions, la première est certainement inexacte, et la
seconde semble l'être. Dès la fin de l’année 1626, Aubery ne repré-
sentait plus la France à l'ambassade de Hollande. Ce qui nous le
prouve, c'est cette lettre écrite par lui à M. Dupuy, à la date du
$ janvier 1627:
« MONSIEUR,
« Depuis que j’ay le bonheur d'être laboureur de bonne foy,
aussy bien que lors de mon employ, j'ay toujours conservé chères
152 ADDITIONS ET CORRECTIONS.
ment le souvenir de votre amitié et désiré la conservation d'icelle,
m'asseurant que vous n’aurez non plus mal interprété mon silence.
que moy le vostre... Au surplus, ne vous pouvant entretenir que
de ma vie champôtre et des accommodements que je prends plaisir
à faire en cette mienne retraite, que Dieu m’a donnée aussy agréa-
ble que douce, ce seroit vous dérober le temps que vous employez
à choses meilleures, c'est pourquoi je passeray à vous dire que j'at-
tens à toute heure mes quatre fils de retour de leur voyage d'Italie
qu’ils ont Dieu mercy très heureusement accompli, les deux aisnez
ayant fait leur cours en philosophie à Padoue sous le célèbre Cré-
moninus qui la leur a enseignée en particulier avec une attention et
méthode incroyable. Cela fait, ils ont veu Rome, Naples et tout
ce qu’il y a de plus beau en cette plus belle partie de l'Europe,
Monsieur Prioleau me mandant que pas un d’eux n’a envie de de-
meurer ignorant ny oisif, de quoy je m'asseure que vous aurez du
contentement.…
« De la Fontaine Dangé, près Chastellerault, ce cinquième jour de
l’an 1627.
« DU MAURIER. »
Cette lettre, qui se trouve däns le volume 709 de la Collection
Dupuy, est intéressante à plusieurs titres. Nous y voyons d’abord
que du Maurier avait pris congé des affaires long-temps avant l’an-
née 1630; et qu'il s'était dès l’abord retiré non pas dans sa terre du
Maurier, mais dans celle de la Fontaine-Dangé : enfin, elle contient
de très curieux détails sur sa famille. |
Page 43. C’est ici que nous avons à faire des corrections impor-
. tantes. Ce qui nous reste des missives diplomatiques de du Maurier
est très considérable, et nous avons à regretter de ne pouvoir suffi-
samment faire connaitre, dans ces notes supplémentaires, des docu-
ments aussi précieux.
Voici d’abord ce que nous trouvons dans la Collection Dupuy.
Le volume 39 de cette Collection renferme trois pièces d’Aubery
du Maurier. La première est un discours prononcé devant les états
de Hollande, le dernier jour de mars 1617. C’est une pièce officielle,
transmise par du Maurier à son gouvernement. La seconde cst du
. même gente : c’est une harangue solennelle sur les agitations reli-
gieuses de la Hollande, prononcée devant lès états le 18 mars 1618.
LL. 2
ADDITIONS ET CORRECTIONS. 153
Il y a, dans cette harangue, d'excellentes maximes. Nous aimons
entendre un ministre français condamner avec éncrgie, dans les
premières années du xvi: siècle, l’emiploi de la violence dans le
règlement des contestations religieuses. Voici ce que du Maurier
déclare, après avoir discuté les divers moyens qui peuvent être mis
en usage pour apaiser les troubles : « Pour celuy (le moyen) de la
force, je croy qu'il ne se trouveroit homme si dépourveu de sens
commun et d'humanité qui l’estimast ny conseillable ny praticable,
parce qu'il répugne non seulement à la profession chrestienne,
mais encore à toute société, diverses expériences ayant bien chère-
ment appris à ceux qui les ont faictes.… que les moyens humains ne
doibvent rien entreprendre sur ce qui n'appartient qu’à Dieu seul. »
Nous trouvons enfin, dans le même portefeuille, la lettre écrite par
du Maurier aux états de Hollande, le jour mème de l'exécution de
Barneweldt. Nous allons la publier ici comme un des plus beaux
monuments de la diplomatie française :
MESSIEURS,
« J'avois désiré parler à vos seigneuries en leur assemblée, de la
part du roy mon maistre, sur le subject qui s’y présente, ayant eu
commandement très exprès de S. M. de vous continuer jusques à la
fin ses offices sur ces occasions: et pour cest effect ay, dès cejour-
d’hui, avant cinq heures du matin, envoyé prier MM. de Brackel et
de Dort, depputés de la province de Gueldres, de vous demander
audiance pour moy; mais leur response ayant esté qu'ils ne le pau
voient faire, puisqu'elle m'est déniée, si ne veux-je défaillir en mon
debvoir, et à l’ordre qu’il a pleu à S. M. me donner sur ce faict. J'ay
dongq recours à ce papier pour vous dire qu'ayant entendu cejour=
d’hui, seulement à quatre heures du matin, que les juges par vous
nommés aux prisonniers ont enfin prononcé contre aucuns d'iceux,
nommément contre le sieur d'Oldenbarnevelt, et mesme que ce jour
cst désigné pour lui faire esprouver la rigueur de leur jugement,
S. M., delongue main, m'a chargé, cela arrivant, de vous dire que,
pour le lieu qu’elle tient entre vos amis et alliés, elle persiste à vous
exhorter et convier d’user de clémence en cet endroit. À laquelle fin
j'employe les mesmes raisons que je vous representay de sa part le
premier de ce mois, lesquelles, selon vostre désir, je vous baillay par
escrit dès le lendemain. Elle ne prétend point entrer plus avant en
54 ADDITIONS ET CORRECTIONS.
cognoissance des causes motives de ce jugement, puisque vous ne luy
en avés rien voulu communiquer, mais certainement elle estime que
s’il défault quelque chose à la seureté de cest estat, il ne sera pas sup-
pléé par le peu de sang restant à un vieillard qui, par le cours de
nature et sans l'aide d'aucune violence, ne peult éviter qu’il ne luy
paye bientôt son tribut.
« Ainsy, pour les raisons que je vous ay représentées et que vous
pouvez mieux juger, le conseil de S. M. tend à espargner la vie du
plus ancien officier de ceste république, à laquelle il convient mieux
etse trouvera luy estre plus salutairequ’au particulier de la personne
dont est question; car en un moment il peut être délivré de sa mi-
sère, qui ne sera plus subjecte à aucun retour, mais le mal que vos-
tre patrie en peut recevoir est en danger d’avoir une longue suite.
Car, outre qu’il seroit trouvé estrange que vous n’eussiez pas eu de
clémence pour celuy qui a usé sa vic en vous servant, je vous diray,
avec la franchise convenable au ministre d’un si grand roy, que
si vous permettez cette rigoureuse exécution, vous vous rechar-
gerez d’une pesante angoisse sur tant de magistrats que l’on à dépo-
sés en ceste province; car, quelque douceur dont on leur veuille
amoindrir l’amertume de cette médecine, indubitablement ils se
réputteront de nouveau flestris en ceste personne avec laquelle ils
ont eu non seulement communauté d'avis, mais aussi d'afflictions et
de désestablissement, Ce que S. M. croit et désyre que par vostre
sagesse vous debvez prévenir, afin qu’au lieu de guérir une playe,
elle devienne chancre. A laquelle raison, qui vous touche de bien
près, elle joinct d'abondant sa très affectionnée prière, et croyez
qu'elle gardera un long souvenir de la déférence que vous aurez
faicte à ses bons conseils.
« Vos seigneuries ont divers moyens, avec leur gloire et seureté,
de commuer la peine que l’on dit luy avoir esté imposée, soit en le
confinant en l’une de ses maisons aux champs, soubs la caution de
tous ses proches qu'il n’attentera rien, ny communiquera avec per—
sonne dont vous puissiez avoir jalousie, soit en le réléguant hors de
ces provinces où vous trouverez plus à propos. S. M. vous en prie
derechef, et vous saura aussi bon gré d’avoir eu esgard à son inter—
cession si affectionnée que vous auricz de préjudice et elle de regret
si vous en usiez autrement.
« Îl ne me reste qu’à prier Dieu qu'il vous inspire un esprit de
ADDITIONS ET CORRECTIONS. 55
douceur et de ne refuser la seule prière que S. M. vous a faicte:
croyant, s’il vous plaist aussy, que je suis, Messieurs,
« Vostre, etc., etc.
« À La Haye, le lundy, treiziesme jour de may, 1619, à 6 heures
du matin. »
Le volume 240 de la Collection Dupuy ne renferme qu'une pièce
d’Aubery du Maurier. C'est une lettre autographe à M. de Rosny,
ou plutôt un discours déclamatoire sur les périls qui environnent la
grandeur, sur les fautes que l'orgueil fait commettre.
Dans le volume 587, un extrait d'une lettre au roi, du 6 octo-
bre 1833.
Dans les volumes 639 et 701, l’épitaphe de Marie Madeleine,
femme de Benjamin du Maurier, par Hugo Grotius.
Dans le volume 648, deux pièces autographes. Proposition faite
aux Etats de Hollande, le 1 mai 1619, en faveur de Barneveldt et de
ses co-accusés; discours prononcé devant les Etats le 18 mars 1618.
Cette première pièce se trouve déjà dans Le n° 89 de la même col-
lection.
Le volume n° 709 renferme des papiers plus importants. C'est
une suite de lettres adressées à Dupuy du 14 juin 1617 au 5 jan-
vier 4627. Ces lettres, toutes autographes, sont au nombre de trente-
sept.
Quelques missives et quelques manifestes diplomatiques d'Aubery
du Maurier, se rencontrent aussi dans la Collection de Béthune.
Nous désignerons les plus importantes de ces pièces.
Le volume qui porte le n° 9097 du fonds français (ancien fonds du
roi } contient une lettre de du Maurier au président Jeannin; et le
volume 9290, une autre lettre an même. Dans le volume 9766, la
missive aux Etats, du 13 mai 1619; dans le volume 9981, la même
pièce, et, en outre, la lettre du 143 mars 1618 que nous avons déjà
vue dans le n° 39 de Dupuy. I1 faut se méfier de ces copies; elles ne
sont pas exactes.
Dans la collection des lettres écrites au chancelier Seguier (MSS.
de St-Germain, fr., n° 709), se trouve une lettre de du Maurier à ce
personnage. Elle est datée du Maurier, 25 mars 1638.
Réparons enfin la plus grosse de nos erreurs.
Le P. Lelong nous avait signalé, comme existant à la bibliothèque
a à
4506 ADDITIGNS ET OORRECTIONS.
de l'abbaye de Saint-Germain-des-Prés un recueil considérable
de lettres de du Maurier. Aucune de ces collections diploma-
tiques n’ayant été dépouillée par les auteurs du répertoire qui est
en usage à la Bibliothèque Nationale, comment y aurions-nous
trouvé trace des lettres mentionnées par le P. Lelong? On avait, en
outre, mis entre nos mains non pas, comme nous le pensions, l’an-
cien catalogue de Saint-Germain, mais l'inventaire dressé par
Méon des manuscrits français transportés de Saint-Germain, en
1792, au dépôt central de la nation, et, dans cet inventaire, on ne
rencontre pas, en effet, une seule fois le nom de Benjamin Aubery
du Maurier. Ainsi ni les catalogues, ni les inventaires, ni les tables
alphabétiques, rien ne nous indiquait les précieux manuscrits que
pous cherchions, et il ne nous était pas encore permis d'aller conti-
nuer notre enquête sur les rayons mêmes du fonds de Saint-Ger-
main. L'erreur que nous avons commise ne nous sera donc pas sé-
vèrement reprochée.
Les missives désignées par le P. Lelong existent en effet, dans
un fonds spécial de Saint-Germain, dans le fonds Harlay. Mention-
nées sommairement sous le titre le plus vague et au catalogue de ce
fonds, elles occupent une bonne part de six gros volumes in-folio
que nous allons décrire. |
Le premier, sous le n° 229 35, contient cinquante lettres autogra-
phes écrites par du Maurier à Villeroy, à de Puysieux, avec le
brouillon des réponses de de Puysieux, et quelques copics de pièces
adressées par du Maurier aux Etats de Hollande. Ia plus ancienne
des lettres est du 22 mai 1619; la plus récente, du 24 octobre 1693.
Dans le n° 299 #, dix-neuf pièces seulement; ce sont des lettres à de
Puysieux du 10 juillet 1613 au 15 décembre de la même année.
Dans le n° 2298, cent trente-huit pièces autographes; lettres au roi,
à la reine, à de Puysieux, du der janvier 1615 au 40 décembre de la
même année. Dans le n° 299 6, cent vingt-deux pièces de même na-
ture, du 1er janvier au 24 octobre 1618. Dans le n° 229 7, cent dix-
sept pièces ou dépêches, du 7 janvier 1619 au 15 décembre 1620.
Dans le n° 229 8, cent quarante et une missives, du 2 janvier 1691
au 12 janvier 1624. ‘ |
L'importance de ces pièces nous fait vivement regretter qu’elles
n'aient pas encore été publiées.
Page &k. Aux plaidoyers de Ponsset de Montauban qui ont été
ADDITIONS ET CORRECTIONS. 457
e
conservés ajoutons ici: Plaidoyer de Me Pousset pour Dlk Marie
Pigoreau, veuve de Henry de Beaulieu. Cette pièce se trouve ma—
nuscrite à la Bibliothèque Nationale, Résidu de St-Germain, pa-
quet 17, n° 8. |
__ Page 139, ligne 2, Si l'on veut avoir d’autres détails sur cette dam
de Chatillon et sur l'invraisemblance de son mariage avec Jean du
Bellay, on peut consulter le tome % de la Correspondance inédite
du président Bouhier ( MSS. dè la Biblioth. Nat.). On y trouve une
longue lettre de l'abbé Leclerc, dans laquelle le récit de Brantôme
est très ingénieusement commenté. Suivant l'abbé Leclerc, la jeune
et belle dame d’honneur dont parle Brantôme n'était déjà plus jeune
en 1505, lorsqu'elle épousait le sieur de Châtillon. Elle était alors
veuve d’un sieur Raymond d'Agoult, comte de Sault. Or, Jean du
Bellay n'ayant été nommé Cardinal qu’en 15836, elle devait avoir à
cette époque environ 50 ans.
Page 244, ligne 14. Nous trouvons dans un des manuscrits du
fonds de Béthune ( Biblioth. Nation., n° 8434, page 18), une lettre de
Pierre Cueurcet. Cette lettre contenant des détails biographiques qui
ne sont pas sans intérêt, nous la publierons ici :
« Au Roy, mon souverain seigneur,
« Sire, je me recommande à véustre bonne grace si très humble-
ment, comme je puys. Sire, sept ans a, feu Monseigneur du Maynne,
duquel je estoys chappellain, me commanda escrire une lettre en
forme de procuration, et m’envoya jusques à ung village nommé
Massille porter la ditte lettre à ung homme que je devoys trouver,
lequel estoyt Agilbert de Grasay. Sire, la ditte lettre portoyt pra-
tique dudit feu Monseigneur du Maynne audit Gilbert, qui lors es-
toit au duc, et ny entendoys aleurs nul mal; mès tantoust me vint
un entendement que c’estoyt grant mal et m'en allé confesser et
dire messe, et despuys ne m'en empesché, mès me suys absenté
doubtant votre indignacion. Sire, on puys ne cesse de prier Dieu
qu’il lui pleust me faire la grace de obtenir voustre bonne miséri-
corde, laquelle je vous supplie qu'il vous plaise me faire; et tout le
temps de ma vie prierai Dieu et Noustre Dame pour voustre bonne
intencion, laquelle Dieu veille bien confirmer et garder.
« Voustre très humble et très obéyssant serviteur et suget,
« PIERRE CURET. »
ESS ADDITIONS ET CORRECTIONS.
Cette lettre n'a pas de date, mais elle se trouve avec des pièces
du règne de Louis XL. Si la traduction de saint Ephrem porte le
nom de Pierre Cueuret, on voit, par la signature de cette lettre,
que La Croix du Maine a été autorisé à donner au même auteur le
nom de Pierre Curet. Rien n’est plus fréquent, au xve siècle, que
çes variantss dans l'orthographe du même nom.
FIN DES ADDITIONS ET CORRECTIONS.
TABLE DES NOTICES
CONTENUES DANS CE TROISIÈME VOLUME.
Allard (Claude). .
Alton (Gervais). .
Amys (Pierre).
Arnoul (François).
Aubert (Jacques).
Aubert (Jean). .
Aubery du Maurier (Benjamin) .
Aubery du Maurier (Louis). .
Audouyn (Pierre).
Bayf (Lazare de).
Bayf (Julien de).
Belon (Pierre).
Bertrand (Séverin). .
Besnard (Hilaire) .
Blaise d’'Evron.
Bodréau (Charles).
Bondonnet de Parence (Antoine).
k60 TABLE DES NOTICES.
Bondonnet (Jean), à
Bouclier (Julien).. .
Bouhère (Pierre de)...
Bourrée (Michel).
Bouvet (René). .
Brisebarre (Charles)... . ,
Brouard (Jean).
Broullier (Jean)
Chartier (René). .
Chevalier (Ignace).
Choppin (René). . .
Clinchamp (Pierre de), .
Clinchamp (Robert de). .
Cocquelin (Nicolas). . . .
Cerbelin (Pierre)... . . .
Cormier (Thomas). . .
Cosset (Jean). .
Cueilly (Olivier de). .
Cueuret (Pierre) .
Cureau de la Chambre (Marin). .
Curre (Charles). .
Denisot (Nicolas).
Dieuxivoye (Bertin). .
Du Bellay (Guillaume).
Du Bellay (Jean). . . . à
Du Bellay (Martin).
Du Bellay (René de).. . .
‘e!
LA
974
67
. 48
242, 457
297
TABLE DES NOTICES.
Du Breton (Julien).
Du Boulay (Pierre).
Espine (Jean de l). .
Foucqué (Michel).
Foulon (Abel).
Fromentières (Jean-Louis de). .
Froulay de Tessé (René).
Froullay de Tessé (René-Mans) .
Garnier (Jean). . . .
Gautier (Jean).
Gorran (Geoffroy de).
Gorran (Nicolas de). . . .
Gruau (Louis). . . . |
Guerinois (Jacques-Casimir).
Gunthier, , . , .
Guyard (Bernard). . . .
Guyart (François).
Hay du Chastelet (Paul).
Hoellet (Louis). + . . :
Hoyau.. . . . . . .
Hubert (Matthieu).
Lambert. . . . * ; .
Lamy (Elie). .
Launay (Jean de). . .
La Vayrie (Jérôme de). .
Le Corvaisier de Courteilles (Antoine) .
Ledoyeu (Guillaume).
e. ° e 927
462 TABLE DES NOTICES.
Legauffre (Ambroise). . . . . . . . . . 345
Lemaignan (Louis). . . . . . . +. . +. . 20
Le Man (Maur). . . . . . . . . . . . 258
Le Paige (André-René).. . . . . . . . . ‘291
Le Rées (François). . . . . . . . . . . 285
Leroy (Antoine). . . . . . . . . . . . 172
Le Tessier (Mathurin). . . . . . ,. . . . 68
Levenier (Pierre). . . . . . . . . . . 293
Loryot (François). . . . ,. . . . . . . 266
Mägistri (Yves). . . . . . . . . . . . 32
Martial 5 % 3 à & à je sé: cs à & + S 24
Massuau (Claude). . . . 4 . . à . à: . 171
Méot (Jean). : . . . , . . . . . . . 351
Monchastre (Jean de). . : + . : : . . . 448
Moreau (Jean). . . . . . . . . . . . 5064
Olivier (Pierre). . 2: . ,. , . . . . . , 251
Perot (Ross 4 ce Le à 2 D Le à & 4 = 08
Pichard (Pierre). . . . . . . . . . . :; 24
Pinault (Matthieu). . . . . . . . : . . 27
Pincé (Pierre, René, Jacques de). . . . . . . 339
Pouillot (R..... RE 68
Poullard (Barthélemy). . . . . . . . . . 927%
Pousset (Jacques). : . . . . . . . . 44, 456
Quelain (François). . . . . . . . . . . 292
Quierlaveine (Philippe de). . . . . . . . . 449
Richard. 2, à 4 4 à à à à + 970
Rippier (Michel)... . , ,. . . » 990
TABLE DES NOTICES. L63
Hivauit (David). O4 SE & & dé à 092
Ronsard (Nicolas de). . . . . . . . . ,. 9283
Rousseäu (François)... . : . 2: . . . . 958
Rübay (Yves du): . : . . . . . . : «: 42%
Sergeant (Ambroise)... . . . . . : . . 170
Spina (Jean de). . . : . . : . . . . . 56
T'ahureai (Pierre et Jacques). . . . . . . . 347
Tanlay (Jean de): . : . . : . . . . . D
Taron (René et Jean). . . . . . . . . , 361
Trouillard (Jacques)... : . . ù
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FIN DE LA TABLE.
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